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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 20 octobre 1995, n° 94-23434

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vasselin

Défendeur :

Eliot (sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rognon

Conseillers :

M. Betch, Mme Cabat

Avoués :

SCP Duboscq, Pellerin, Me Ribaut

Avocats :

Mes Ben Soussen, Bensoussan

T. com. Paris, 6e ch., du 5 sept. 1994

5 septembre 1994

Madame Vasselin a signé le 9 avril 1987, avec la société Eliot-Gilles de Roy (venant aux droits de la société Karil'm après absorption de celle-ci), un contrat de franchise ayant pour objet la distribution d'articles de bijouterie fantaisie et affiches sous l'enseigne LM Jordane, puis, en novembre 1989, a demandé le prononcé de sa nullité ou de sa résiliation faute par la société Eliot d'avoir respecté ses obligations.

Sur le litige ainsi né entre les parties, le Tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 5 septembre 1994, rejeté l'ensemble des demandes présentées par Madame Vasselin, l'a condamnée à payer au franchiseur une somme de 45 000 F à titre de dommages et intérêts pour non respect de la clause d'exclusivité, celle de 150 000 F pour non-modification de la vitrine enfin 160 000 F pour rupture avant terme du contrat en ordonnant, en outre, à Madame Vasselin, sous astreinte de 500 F par jour de retard, de modifier l'agencement de son magasin. Enfin cette décision a mis à la charge de Madame Vasselin une somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Madame Vasselin a interjeté appel de cette décision. Elle demande le constat de la nulité pour dol du contrat conclu le 9 avril 1987 aux motifs qu'elle ignorait tout, avant cette date, du mécanisme complexe de la franchise et que son accord n'a été déterminé que par la présentation, par le franchiseur, d'un compte prévisionnel de résultats délibérément trompeur.

Elle invoque aussi la nullité de ce contrat pour indétermination des prix en précisant que si la fixation de ceux-ci, à dire d'expert, à été prévue, cette stipulation est insuffisante pour assurer le respect des exigences posées par l'article 1129 du Code civil.

Madame Vasselin affirme encore que ce contrat est en outre sans cause puisqu'elle n'a bénéficié ni du savoir-faire inexistant du franchiseur, ni d'une assistance effective ou la formation promise par celui-ci qui a de surcroît fourni, selon un rapport du laboratoire inter-régional du service de la répression des fraudes, des marchandises d'une qualité non conforme à celle annoncée. Elle ajoute sur ce point que la société Eliot-Gilles de Roy, qui a imposé une gestion des stock irréaliste, un agencement du magasin et de ses vitrines peu sûrs, ne bénéficiait pas des droits concédés aux franchisés sur l'enseigne LM Jordane et les a contraints, devant les difficultés rencontrées avec le titulaire de ces droits, à remplacer cette enseigne par celle, sans notoriété, de LM Nordane.

Elle soutient que ces pratiques révèlent l'abus de puissance économique commis par le franchiseur et doivent conduire, en application des dispositions des articles 7, 8 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, au constat de la nullité du contrat de franchise signé le 9 avril 1987.

Subsidiairement, Madame Vasselin réclame, à partir des mêmes faits, le prononcé de la résiliation du contrat et ce sans avoir à retenir une violation de la clause d'exclusivité dans l'approvisionnement qu'elle aurait commise puisque cette violation, dénoncée par le franchiseur, s'est réalisée postérieurement à la date de résiliation du contrat et ne s'est manifestée que par la vente de produits acquis avant la date de signature de celui-ci.

Madame Vasselin excipe de la nullité de la clause de non concurrence ayant fondé l'une des condamnations à paiement de dommages et intérêts prononcée par les premiers juges et demande le constat de ce qu'elle a déjà modifié, pour éviter toute confusion avec l'enseigne LM Jordane, l'agencement de son magasin.

Elle conclut à l'infirmation en toutes ses dispositions de la décision déférée, au constat de la nullité du contrat de franchise avec restitution par la société Eliot-Gilles de Roy des sommes reçues soit 50 000 F au titre du droit d'entrée, 55 609 F au titre des redevances de franchise ainsi que des frais d'aménagement supportés soit 89 281,40 F.

Elle réclame la production par cette société d'une attestation comptable permettant de chiffrer la marge bénéficiaire prélevée ce avec attribution d'une somme provisionnelle à ce titre de 100 000 F outre 200 000 F à titre de dommages et intérêts.

Subsidiairement, Madame Vasselin sollicite le prononcé de la résiliation du contrat avec condamnation de la société Eliot-Gilles de Roy au paiement de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et, dans tous les cas, de 30 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Eliot s'oppose à ces prétentions en relevant que le budget prévisionnel dont l'usage lui est imputé à faute par Madame Vasselin a été communiqué à celle-ci le 7 mai 1987 soit après la signature du contrat querellé, de sorte que Madame Vasselin ne peut dénoncer un montage dolosif ayant déterminé sa signature. Elle ajoute qu'une procédure de fixation à dire d'expert des prix contestés entre les parties a été contractuellement organisée interdisant à Madame Vasselin de se prévaloir, comme elle le fait, d'une transgression des dispositions de l'article 1129 du Code civil.

Elle affirme que l'appelante, commerçante avisée en bijouterie, n'établit la réalité d'aucune des fautes qu'elle lui reproche et souligne qu'elle est mal venue à contester la qualité des produits vendus puisqu'elle n'a jamais pu démontrer que ceux qu'elle critique avaient été livrés par la société Eliot.

Elle insiste sur le caractère minime de la modification d'enseigne proposée aux franchisés, le libre choix laissé à ceux-ci pour opérer cette modification et retient que Madame Vasselin ne peut valablement affirmer l'absence de notoriété de la marque puisqu'elle en a vendu les produits pendant un an au moins avant de signer le contrat de franchise aujourd'hui critiqué.

La société Eliot conclut donc à la confirmation de la décision déférée mais avec condamnation de Monsieur Vasselin au paiement, au titre de la résiliation avant terme du contrat de franchise, des sommes de 500 000 F de dommages et intérêts compensateurs " du trouble né de la disparition brutale de l'enseigne " et " 300 000 F en réparation de la perte de marge sur chiffre d'affaires escomptés et redevances contractuelles ".

Enfin la société Eliot demande une somme supplémentaire de 30 000 F pour frais irrépétibles d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 1995 et l'affaire plaidée le 12 septembre 1995, date à laquelle elle a été mise en délibérée. Le 20 septembre 1995 Madame Vasselin a adressé à la Cour treize pièces.

Cela exposé,

Considérant que la SA Eliot sollicite de donner acte de ce qu'ayant absorbé la société Karil'm, elle reprend en ses lieu et place la procédure ; qu'il convient de lui donner l'acte sollicité ;

Considérant que les pièces adressées le 20 septembre 1995 par Madame Vasselin, soit postérieurement à la date de l'ordonnance de clôture, sont tardivement versées, n'ont pas été régulièrement communiquées, n'ont pas été contradictoirement débattues par les parties et doivent donc rester écartées des débats ;

Sur le dol :

Considérant qu'il ressort des pièces mises aux débats que dès avant la signature du contrat de franchise litigieux, la SA Eliot a remis à Madame Vasselin, en même temps que l'ensemble des documents inhérents à la franchise LM Jordane, un compte d'exploitation prévisionnel d'une boutique LM Jordane fournissant un exemple d'exploitation dans des conditions proches de celles que Madame Vasselin pouvait connaître ;

Considérant que ce n'est que postérieurement au 9 avril 1987 date de signature du contrat, et à la demande de Madame Vasselin à la recherche d'un financement bancaire (533 136 F) que la SA Eliot lui a adressé, le 7 mai 1987, le compte d'exploitation personnalisé dont Madame Vasselin soutient aujourd'hui qu'il a été délibérément trompeur pour la déterminer à signer ;

Considérant que pour ces motifs son argumentation fondée sur les dispositions des articles 1116 et 1117 du Code civil est à rejeter, étant précisé que Madame Vasselin est, selon l'extrait K bis mis aux débats, inscrite au registre du commerce depuis 1970 et que le magasin, situé 48 bis avenue Coty Le Havre objet du contrat de franchise, est exploité par celle-ci depuis 1980, faits qui laissent peu de place à sa méconnaissance alléguée des potentialités commerciales de son établissement ;

Sur l'indétermination du prix :

Considérant que Madame Vasselin invoque la nullité de ce contrat aux motifs qu'il est affecté d'une indétermination du prix des marchandises ou d'une fixation de ces prix laissée à la seule volonté du franchiseur ;

Considérant que la clause de prix prévoit que les marchandises seront vendues " aux conditions générales de vente du franchiseur selon son tarif général fournisseur ", que " toute modification des prix du franchiseur non contestée par écrit par le franchisé dans un délai de 48 heures à compter de sa notification sera considérée comme ratifiée ", que si une modification de prix est contestée " il est expressément convenu que ce prix sera fixé par un expert désigné par le président du Tribunal de commerce de Paris " ;

Considérant que le contenu de cette clause établit que la fixation des prix, contrairement à ce que soutient Madame Vasselin elle-même tenue à une obligation de bonne foi et qui ne justifie pas les avoir contestés, n'a pas été laissée à l'arbitraire du franchiseur et qu'il n'y a pas d'indétermination des prix susceptible d'entraîner la nullité du contrat ;

Considérant que si Madame Vasselin après avoir approuvé cette clause dénonce aujourd'hui ses difficultés d'application elle ne justifie pas s'être trouvée dans l'impossibilité de demander sa mise en œuvre ; qu'ainsi l'intégralité de son argumentation sur ce point est à rejeter ;

Sur l'absence de cause :

Considérant que si Madame Vasselin dénonce aussi l'absence d'enseigne notoire, de l'assistance, du transfert de savoir-faire pour soutenir que le contrat est dépourvu de cause, ces allégations sont démenties par les attestations établies par de nombreux autres franchisés exprimant leur satisfaction ; que sa critique des modalités de la mise en œuvre, par le franchiseur, de ces éléments établit la conformité du contrat signé aux exigences posées par les articles 1108 et 1131 du Code civil, étant précisé que l'insatisfaction manifestée par Madame Vasselin n'est, en elle-même, pas suffisante pour caractériser l'absence de cause de ce contrat ;

Considérant qu'inutilement, Madame Vasselin excipe de l'absence de notoriété de l'enseigne ; qu'il y a lieu en effet de constater que, dès avant la signature du contrat de franchise, elle se livrait au commerce de bijoux fantaisie, cadeaux, encadrements, affiches, ce, depuis longtemps et qu'elle n'a donc pu se méprendre sur la réalité de la notoriété de l'enseigne puisque, de surcroît, elle avait été en rapports commerciaux antérieurs avec la SA Eliot et en vendait, en toute connaissance, les produits ;

Sur l'abus de puissance économique :

Considérant que Madame Vasselin n'établit en rien que l'attitude de la SA Eliot a empêché, restreint ou faussé le jeu de la concurrence sur le marché des bijoux fantaisie ; qu'elle n'établit pas davantage que la SA Eliot est un opérateur disposant d'une position dominante sur ce marché ou qu'il a pratiqué à son égard des conditions de vente discriminatoires, qu'il s'ensuit que la demande tendant au constat de la nullité du contrat en application des dispositions des articles 7, 8 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas fondée ;

Sur la résiliation du contrat :

Considérant qu'il ressort d'un protocole d'accord conclu le 16 mai 1989 par la société Eliot-Gilles de Roy et la société tierce M.D. Jourdan joaillier que la SA Eliot ne disposait que de droits discutables sur l'enseigne LM Jordane dont elle avait concédé l'exploitation à Madame Vasselin et a été amenée à s'engager à procéder à la radiation de cette marque et à faire modifier par ses franchisés, la dénomination jusqu'alors utilisée par ceux-ci à titre de nom commercial; que la modification de cet élément essentiel du contrat de franchise conclu avec Madame Vasselin justifie la résiliation de ce contrat par celle-ci faute par la société Eliot de lui avoir concédé une enseigne dont l'usage pouvait persister sans risque;

Considérant qu'avec le montant des fais d'installation engagés peu avant par Madame Vasselin, les débours consentis par celle-ci pour l'aménagement du magasin et le droit d'entrée assurant une exécution du contrat pendant une durée de cinq ans, la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 180 000 F le montant des dommages et intérêts compensateurs du préjudice subi par Madame Vasselin en lien de causalité avec la faute de la SA Eliot.

Considérant qu'il ressort aussi d'un constat dressé par Maître Le Cam huissier, que concomitamment à la révélation de la fragilité des droits concédés sur l'enseigne par la SA Eliot et avant le prononcé de la résiliation du contrat, Madame Vasselin a commercialisé de très nombreux articles provenant de fournisseurs non référencés et ce, au mépris de la clause d'approvisionnement exclusif dont la SA Eliot était bénéficiaire et qui est nécessaire pour préserver l'identité et la réputation de son réseau;

Qu'en outre, Madame Vasselin a reconnu devant l'huissier instrumentaire qu'elle ne détenait aucune facture pour ces objets et qu'elle ne peut donc démontrer qu'ils avaient été acquis, comme elle l'affirme, antérieurement à la signature du contrat litigieux.

Considérant que des achats d'autres produits non référencés apparaissent aussi au livre journal tenu en 1988 qui en reflète l'existence et ce, pour des prix non négligeables;

Considérant qu'au prétexte du conflit qui l'opposait à la SA Eliot Madame Vasselin s'est aussi livrée, selon de multiples attestations versées et émanant de franchisés satisfaits de l'exécution de leur contrat, à des interventions brutales, violentes dans les magasins exploités par ceux-ci pour critiquer leur appartenance au réseau ;

Considérant que ces fautes justifiant la résiliation du contrat ont causé à la SA Eliot un préjudice né de la perte de recettes qu'elle escomptait; que la Cour dispose avec le montant de l'indemnité contractuellement fixée à 1 000 F par article offert en infraction à la clause d'approvisionnement exclusif avec le nombre de ceux-ci apparaissant au procès-verbal de constat dressé par maître Le Cam et en tenant compte aussi des montants des achats de produits non référencés portés au livre journal des achats effectués en 1988 par Madame Vasselin, d'éléments suffisants pour chiffrer à 180 000 F le montant des dommages et intérêts compensateurs du préjudice subi par la SA Eliot en lien de causalité avec les fautes de Madame Vasselin ;

Considérant qu'il n'est pas justifié devant la Cour que Madame Vasselin n'a pas procédé aux modifications de l'aménagement de son magasin ; qu'il n'y a donc pas lieu à condamnation à ce titre ;

Considérant que l'équité ne commande pas l'attribution de sommes au titre des frais irrépétibles de première instance ou d'appel ;

Considérant que devant les fautes concomitantes de chacune des parties et les demandes présentées par celles-ci il convient d'ordonner le partage par moitié entre elles des dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirmant partiellement la décision déférée et statuant à nouveau, substitue à son dispositif le dispositif suivant : Donne à la société Eliot-Gilles de Roy l'acte sollicité ; Dit que les pièces adressées le 20 septembre 1995 par Madame Vasselin resteront écartées des débats ; Prononce la résiliation du contrat de franchise conclu le 9 avril 1987 par Madame Vasselin et la société Eliot-Gilles de Roy faute par Madame Vasselin d'avoir respecté son obligation d'approvisionnement exclusif et faute concomitante de la SA Eliot-Gilles de Roy d'avoir pu lui maintenir le droit d'usage de l'enseigne convenue ; Condamne Madame Vasselin à payer à la SA Eliot-Gilles de Roy une somme de 180 000 F, à titre de dommages et intérêts ; Ordonne la compensation entre les dettes respectives des parties ; Dit n'y avoir lieu à attribution de sommes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ; Rejette toute demande autre ou contraire aux motifs ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel ; Condamne Madame Vasselin et la SA Eliot-Gilles de Roy à en payer chacune la moitié ; Admet pour ceux d'appel et après compensation les avoués concernés au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.