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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 23 octobre 1995, n° 93-19247

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Simonetti

Défendeur :

Parfums Nina Ricci (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Gibout-Pignot-Grappotte-Beneteau, Me Olivier

Avocats :

Mes Gassier, Casalonga.

T. com. Paris, 17e ch., du 8 juin 1993

8 juin 1993

FAITS ET PROCÉDURE

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société Nina Ricci a conclu le 1er janvier 1987 puis le 10 janvier 1989 un contrat de distributeur agréé avec Madame Gillardo exploitant une parfumerie à l'enseigne Parfumerie des Lones 164 boulevard Cabry 83140 Six Fours Les Plages.

Faisant grief à Mme Gillardo d'avoir manqué à ses obligations contractuelles en mettant en vente des produits Nina Ricci dans un deuxième point de vente non agréé sis à la Seyne sur Mer, Nina Ricci l'informait par lettre en date du 19 juillet 1989 de ce qu'elle fermait son compte ouvert au nom de Parfumerie des Lones.

Par ailleurs elle mettait Mme Gillardo en demeure de payer deux factures.

Mme Gillardo reprochant à Nina Ricci de ne pas avoir honoré une commande de produits passée le 12 juin 1989 et estimant que les contrats de distribution sélective étaient illicites au regard du droit communautaire a, par exploit en date du 16 novembre 1989 assigné Nina Ricci devant le Tribunal de commerce de Toulon en paiement de dommages et intérêts et d'une facture pour participation aux frais de vitrine.

Par jugement du 11 juillet 1990 le Tribunal de commerce de Toulon se déclarait incompétent territorialement au profit de celui de Paris, et sur contredit formé par Mme Gillardo la Cour d'appel d'Aix-en-Provence confirmait le dit jugement.

Devant le Tribunal de commerce de Paris, Nina Ricci concluait au débouté de Mme Gillardo et formait une demande reconventionnelle tendant à voir prononcer la résiliation de contrat aux torts et griefs exclusifs de Mme Gillardo et condamner celle-ci à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts ainsi que le montant de deux factures.

Chaque partie sollicitait le bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le tribunal après avoir retenu que le contrat de distribution sélective de Nina Ricci était licite, que Mme Gillardo avait violé une clause contractuelle essentielle et qu'aucune clause contractuelle ne prévoyait une participation de Nina Ricci aux frais de vitrine, a :

- débouté Mme Gillardo de toutes ses demandes,

- prononcé la résiliation du contrat aux torts et griefs de Mme Gillardo,

- condamné Mme Gillardo à payer à Nina Ricci outre la somme de 100.000 F à titre de dommages et intérêts, la somme de 16.159,58 F correspondant aux deux factures impayées avec exécution provisoire,

- condamné Mme Gillardo à payer à Nina Ricci la somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Mme Gillardo a interjeté appel dudit jugement le 13 juillet 1993.

Par ordonnance en date du 30 septembre 1993 elle a été déboutée de sa demande en suspension de l'exécution provisoire.

Elle prie la cour de dire que Nina Ricci n'était pas fondée à rompre ses relations contractuelles avec elle, de la condamner à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages et intérêts, de dire que Nina Ricci lui est redevable d'une somme de 9.800 F à titre de participation aux frais de vitrine et en conséquence d'ordonner la compensation entre ces sommes et celle réclamée par Nina Ricci au titre de factures impayées.

A titre infiniment subsidiaire et dans l'hypothèse où la cour confirmerait la décision entreprise du chef de la résiliation du contrat, elle conclut à l'absence de tout préjudice pour Nina Ricci.

Enfin elle réclame paiement de la somme de 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile.

Nina Ricci poursuit la confirmation du jugement et sollicite en outre paiement de la somme de 100.000 F supplémentaires à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 50.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ailleurs elle prie la cour d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans dix revues ou journaux aux frais de Mme Gillardo.

En réplique celle-ci a conclu au rejet des demandes formées par Nina Ricci.

Sur ce, LA COUR,

I- Sur la résiliation du contrat

Considérant qu'il convient de relever que devant la cour, Mme Gillardo ne conteste pas la licéité du contrat de distribution sélective mis en place par Nina Ricci.

Qu'elle soutient à l'appui de son appel que le constat produit par Nina Ricci et dressé, selon elle, dans des conditions critiquables n'établissant nullement qu'elle a fourni personnellement la société Sélection Parfum en parfums Nina Ricci, la preuve de ce qu'elle aurait contrevenu à ses obligations contractuelles n'est donc pas rapportée.

Qu'elle en conclut que la résiliation du contrat par Nina Ricci était abusive.

Considérant que selon l'article 2-2 du contrat du 10 janvier 1989 Mme Gillardo s'est engagée à procéder à l'exposition et à la vente des produits de la marque Nina Ricci dans les locaux situés au 164 boulevard Cabry à Six Fours les Plages, à l'exclusion de tous autres lieux.

Considérant que l'article 2-4 des conditions générales de vente 1989 annexées au dit contrat et signées par Mme Gillardo énonce que :

" Le distributeur agréé souhaitant ouvrir un nouveau point de vente ne bénéficie d'aucune priorité par rapport à un demandeur non agréé et ce, quelle que soit la localisation de ce nouveau point de vente. Sa demande est inscrite dans les conditions prévues au chapitre 3 1 1 des conditions générales de vente sur la liste d'attente chronologique concernée ".

Que l'article 4-1 des mêmes conditions générales précise que :

" le distributeur agréé s'engage à ne vendre les produits que sur le marché français, au détail, à des consommateurs directs et s'interdit donc de céder ces produits sous quelque forme que ce soit à toute collectivité, à tout négociant français ou étranger, grossiste ou détaillant, ce qui interdit l'utilisation de toutes formules de vente excluant la venue du client dans le magasin du distributeur ".

Que par dérogation à cet engagement le distributeur est autorisé sous certaines conditions à revendre des produits de la marque Nina Ricci à d'autres distributeurs agréés.

Que ces clauses sont identiques à celles du contrat antérieurement conclu entre les parties le 1er janvier 1987.

Or considérant qu'en l'espèce Mme Gillardo a fait savoir à Nina Ricci par un courrier en date du 21 février 1988, que venant de faire l'acquisition d'un nouveau local commercial dans la Galerie marchande attenant au centre Mammouth de la Seyne sur Mer, elle comptait sur la diligence de Nina Ricci pour obtenir la confirmation écrite de son accord concernant le suivi de la commercialisation de la marque Nina Ricci dans ce nouveau point de vente.

Qu'il est établi que la SARL " Sélection Parfums " dont M. Gillardo (époux de l'appelante) est le gérant et dont Mme Gillardo est associée exploite, dans ladite galerie, depuis le 1er avril 1989 une activité de vente au public de tous produits de beauté, bijoux fantaisie, esthétique, manucure dans ce centre commercial.

Que cependant Nina Ricci n'ayant signé aucun contrat de distribution agrée avec la SARL " Sélection Parfums ", celle-ci ne pouvait vendre des produits de la marque Nina Ricci et Mme Gillardo, distributeur agréé pour un magasin sis à Six Fours les Plages, ne pouvait lui en céder aux fins de revente.

Or considérant qu'il résulte du constat dressé le 18 avril 1989 dans la boutique Sélection Parfums à la Seyne sur Mer par Me Baroso huissier, que ce magasin détenait à la vente des produits Nina Ricci se trouvant dans un tiroir du présentoir.

Que l'huissier précise que dans ce tiroir sont rangés divers flacons, eaux de toilette et parfums L'air du Temps, Nina Ricci.

Qu'un flacon L'Air du Temps a été acquis par l'huissier.

Considérant que Mme Gillardo soutient que ce constat a été établi dans des conditions critiquables mais qu'elle n'en tire aucune conséquence juridique quant à sa validité.

Que dans ces conditions Nina Ricci prouve d'ores et déjà par ce document que la SARL Sélection Parfums distributeur non agréé par Nina Ricci vendait toutefois des parfums de cette marque.

Considérant par ailleurs que l'intimée soutient à juste titre que Mme Gillardo a elle-même reconnu être à l'origine de ces agissements puisque dans son assignation introductive d'instance elle a déclaré :

" En raison de l'évolution du commerce de distribution, Mme Gillardo a été dans l'obligation d'ouvrir un point de vente dans la galerie marchande du super marché Mammouth à la Seyne sur Mer. Prenant prétexte de l'ouverture de ce point de vente où sont également vendus les parfums Nina Ricci dans l'intérêt du fabricant, ladite société Nina Ricci a cru devoir refuser à Mme Gillardo la fourniture de ses produits, au prétexte que celle-ci ne respecterait pas les conditions du réseau de distribution sélective mis en place par Nina Ricci ".

Considérant enfin qu'il convient de relever que Mme Gillardo entretenait des relations très étroites avec la SARL Sélection Parfums allant même jusqu'à se présenter comme propriétaire des deux fonds de commerce (acte potestatif et sommation du 26 juin 1989) et à confondre les deux sociétés bien qu'elles aient chacune leur personnalité juridique.

Considérant que la chronologie des faits et les éléments ci-dessus analysés démontrent que Mme Gillardo n'a pas hésité à fournir des produits Nina Ricci à Sélection Parfums estimant à tort obtenir rapidement un nouveau contrat de distributeur agréé pour ce nouveau magasin dont son mari était gérant.

Qu'un tel comportement qui constitue une violation grave de ses obligations contractuelles et qui porte atteinte au principe même de la distribution sélective justifie la décision des premiers juges de prononcer la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Mme Gillardo.

Qu'aucune faute ne peut être imputée à Nina Ricci qui était en droit, après avoir fait constater par huissier en avril 1989 les manquements de Mme Gillardo à ses obligations, de ne plus honorer les commandes passées ultérieurement par celle-ci.

Considérant que les premières juges ont évalué à la somme de 100.000 F le préjudice subi par Nina Ricci du fait des agissements de Mme Gillardo.

Que l'appelante estime que " Nina Ricci n'établit ni même n'allègue aucun autre préjudice que la nécessité d'avoir dû engager des frais de procédure ".

Qu'elle ajoute que la situation litigieuse procède exclusivement de mesures prises unilatéralement et de manière la plus arbitraire qui soit par Nina Ricci elle-même.

Mais considérant qu'il est indéniable qu'en procurant des produits Nina Ricci à un magasin non agréé Nina Ricci qui les dissimulait dans un tiroir, Mme Gillardo a contribué à porter atteinte à l'image de marque de l'intimée et à déstabiliser son réseau de distribution sélective.

Que le magasin Sélection Parfums étant au surplus situé dans une galerie marchande attenante à un centre Mammouth, Nina Ricci peut légitimement estimer qu'un tel voisinage déprécie le caractère luxueux de ses produits.

Que dans ces conditions les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi par Nina Ricci en le fixant à la somme de 100.000 F.

Que Mme Gillardo ayant cédé son fonds de commerce en janvier 1990, il n'y a pas lieu de faire droit aux mesures de publication sollicitées par Nina Ricci.

Considérant que l'appelante qui succombe sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour rupture abusive.

II- Sur les factures réclamées de part et d'autre

Considérant que Mme Gillardo ne conteste pas devoir à Nina Ricci deux factures en date des 31 mars et 4 avril 1989 s'élevant respectivement à 4.004,33 F et 12.155,25 F.

Que le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Considérant que l'appelante réclame quant à elle paiement de la somme de 9.800 F au titre de la participation de Nina Ricci aux frais de vitrine, exposant qu'il est d'usage constant dans la profession que le fournisseur des parfums contribue aux frais de publicité ou d'aménagement de la vitrine sous forme d'avoirs ou de ristournes de l'ordre de 10 % du chiffre d'affaires réalisé avec la marque en question.

Qu'elle ajoute que Nina Ricci qui a appliqué cet usage à plusieurs reprises, ne saurait aujourd'hui s'y dérober.

Considérant ceci exposé que le contrat précise simplement s'agissant des appuis publicitaires (article 5-3 des conditions générales) que :

" Les appuis publicitaires et promotionnels ainsi que le matériel de démonstration et de publicité sur le lieu de vente sont fournis au distributeur agréé dans la mesure de ses besoins et des possibilités de Nina Ricci ".

" Le distributeur agréé reçoit ces appuis et ce matériel gratuitement pour autant que leur valeur ne dépasse pas 5 % des achats effectués dans l'année. Au cas où ce pourcentage serait dépassé, il serait demandé au distributeur agréé une participation aux frais de publicité sur le lieu de vente correspondant au montant du dépassement ".

Qu'aucune disposition contractuelle ne prévoit donc de participation de Nina Ricci aux frais de vitrine.

Considérant par ailleurs qu'il résulte des pièces mises aux débats que Nina Ricci n'a émis qu'une seule fois, en mars 1998, un avoir et ce au titre de la participation publicitaire et non à titre de contribution aux frais de vitrine.

Que s'il est exact que d'autres parfumeurs ont consenti des ristournes à Mme Gillardo, les documents produits ne précisent pas, à l'exception de Givenchy, que ce soit au titre d'une participation aux frais de vitrine.

Qu'un usage dit " professionnel " impliquant par essence une continuité dans le temps et une certaine généralité au sein de cette profession, Mme Gillardo ne peut se prévaloir en l'espèce d'un quelconque usage.

Qu'en conséquence le jugement doit être confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de ce chef.

III- Sur la demande de Nina Ricci en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive

Considérant que le jugement entrepris étant assorti de l'exécution provisoire sans constitution de garantie, l'appel formé par Mme Gillardo ne peut être qualifié de dilatoire,

Considérant par ailleurs que Nina Ricci ne rapporte pas la preuve que la présente procédure a été introduite par Mme Gillardo dans le but de nuire à ses intérêts.

Que la Cour n'a pas à apprécier le caractère des autres procédures introduites par Mme Gillardo.

Que dans ces conditions Nina Ricci sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef.

IV- Sur l'article 700 du NCPC

Considérant que Mme Gillardo qui succombe sera déboutée de sa demande.

Considérant en revanche que l'équité commande d'allouer à Nina Ricci pour les frais hors dépens par elle engagés en appel une somme supplémentaire de 20.000 F, les premiers juges ayant fait une exacte appréciation des frais de première instance.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute Nina Ricci de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle tendant à voir ordonner la publication du présent arrêt, Condamne Mme Gillardo à payer à Nina Ricci une somme supplémentaire de vingt mille francs (20.000 F) en application de l'article du nouveau Code de procédure civile, la condamne aux dépens d'appel, admet Me Olivier Avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.