CA Paris, 25e ch. B, 27 octobre 1995, n° 18992-94
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Nouvelle Garage Métropolitain (SA)
Défendeur :
Iveco France (Sté), Le Poids Lourd (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pinot (conseiller faisant fonctions)
Conseillers :
M. Weill, Mme Canivet
Avoués :
SCP Bourdais Virenque, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Schbath, Cocchiello, Poudenx.
LA COUR statue sur l'appel relevé par la société nouvelle garage métropolitain d'un jugement du Tribunal de commerce de Paris rendu le 13 juin 1994 qui a dit chacune des parties mal fondées en ses demandes et a condamné la société nouvelle garage métropolitain aux dépens.
Il est fait référence aux énonciations du jugement ainsi qu'aux conclusions des parties pour un exposé plus complet des faits, des prétentions et des moyens développés devant la Cour.
Il convient toutefois de rappeler les circonstances essentielles du litige.
La société Iveco a mis fin le 29 avril 1993, avec effet au 30 avril 1994, au contrat de concession exclusive la liant à la société nouvelle garage métropolitain concernant la garantie après vente, la vente des pièces de rechange et les services pour une zone comprenant l'est de Paris et l'Ile de France.
Iveco assurait la vente directe de véhicules, ses préposés disposant de locaux dans le garage de la société nouvelle garage métropolitain, et versait une commission fixe sur les ventes.
Iveco a confié à la société Le poids lourd à partir d'avril 1993 la concession pour la vente des véhicules, et à partir du 1er mai 1994 la concession du service après vente précédemment confiée à la société nouvelle garage métropolitain.
Le tribunal a estimé que la résiliation par Iveco était licite puisque la société nouvelle garage métropolitain lui devait plus de 1 000 000 F et ne fournissait pas les sûretés demandées, que la rupture n'avait pas été brusque puisqu'un préavis d'une année avait été respecté, que pendant l'exécution du préavis la baisse de l'activité ne pouvait être imputée même pour partie à une attitude fautive d'Iveco, et enfin qu'Iveco ne justifiait pas de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts.
Appelante, la société NGM soutient :
- qu'en concédant à la société Le poids lourd, pendant l'exécution du préavis du contrat la liant à la clientèle NGM, Iveco a incité au détournement de la clientèle qui a fait exécuter auprès de la société Le poids lourd, les opérations pour lesquelles NGM était encore concessionnaire exclusif, qu'Iveco est donc responsable de la diminution de son chiffre d'affaires, qu'Iveco aurait dû interdire à la société Le poids lourd d'assurer toute prestation relevant de la concession de NGM ;
- que durant l'exécution du préavis des actes de concurrence déloyale ont été commis, Iveco ayant incité ses clients à se diriger vers Le poids lourd et à déserter le garage NGM, Iveco ayant d'autre part abrégé les délais de paiement et exigé l'augmentation de la caution fournie par NGM ;
- que la société Le poids lourd a commis une faute en ne refusant pas les travaux qui lui ont été confiés en violation de la concession consentie à NGM, justifiant ainsi une condamnation solidaire avec Iveco ;
- que Iveco a rompu de manière fautive le contrat,
et réclame 3 000 000 F à titre de dommages et intérêts et 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Intimée, et formant appel incident, Iveco réplique :
- que le contrat de concession pour le service après vente à NGM ne lui interdisait pas de consentir un contrat de concession de la vente des véhicules neufs à la société Le poids lourd,
- qu'elle a respecté l'obligation que le contrat de concession de service après vente lui faisait de maintenir un vendeur dans ses locaux de NGM, et de verser les commissions de 1 à 2 % sur les ventes réalisées sur le territoire de la concession de NGM ; qu'elle ne pouvait garantir l'exclusivité du service après vente de NGM ;
- que durant le préavis elle a exécuté toutes ses obligations contrairement à ce que soutient NGM ;
- qu'elle a maintenu la force de vente dans les locaux de son concessionnaire, versé les commissions sur les ventes de véhicules neufs, exposé les véhicules neufs ; qu'elle a certes exigé le paiement comptant des pièces de rechange car les impayés de NGM s'accumulaient de manière inquiétante ;
- qu'elle a poursuivi normalement les contacts commerciaux avec NGM qui au contraire s'y est refusé ;
- qu'elle n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale, s'abstenant de tout dénigrement, de tout démarchage critiquable de la clientèle, de tout détournement de clientèle, en particulier de l'envoi de publipostages répréhensibles,
- que NGM est devenu concessionnaire de Renault véhicules industriels dès la fin de sa concession Iveco et n'a subi aucun préjudice,
et dans sa demande incidente soutient que NGM s'est anormalement maintenu débitrice en moyenne de 1 000 000 F, a adressé des lettres circulaires déloyales à la clientèle, fait de la publicité de pièces de rechange concurrente agissant de manière fautive,
sollicite la somme de 300 000 F de dommages et intérêts, celle de 200 000 F pour procédure abusive, celle de 200 000 F également au titre de l'article 700 du NCPC.
Intimé et formant appel incident, la société Le poids lourd soutient :
- que le contrat de concession qu'elle a signé le 27 mai 1993 avec Iveco respecte les droits de NGM découlant du contrat de concession liant Iveco et NGM ;
- que les pourparlers entre Iveco et elle-même pour la conclusion de ce contrat, ont pu licitement se dérouler alors qu'Iveco était liée à NGM, qu'elle n'a par la suite commis aucun acte de concurrence déloyale, qu'elle n'a pas démarché la clientèle de NGM ni effectué de service après vente sur le territoire de NGM ;
- que NGM n'a subi aucun préjudice,
et demande à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive la somme de 100 000 F soulignant qu'elle est totalement étrangère aux relations d'Iveco avec NGM, et que les accusations de NGM ne reposent sur aucun fondement, ainsi que 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
NGM réplique,
En reprenant l'argumentation précédemment développée qu'Iveco ne pouvait pendant la durée du préavis conclure un contrat de concession en deux parties l'une pour l'après vente, l'autre pour la vente, et qu'elle a été victime de concurrence déloyale pendant le préavis de la part des deux intimées,
Et demande au titre du préjudice résultant de perte de marge la somme de 4 000 000 F et celle de 2 462 265 F au titre du préjudice matériel.
Iveco répond à son tour,
Qu'elle n'a commis aucune faute s'agissant des délais de paiement applicables à ses concessionnaires et réfute la totalité des arguments de NGM concernant la concurrence déloyale dont argue celle-ci et conteste les calculs relatifs au prétendu préjudice de NGM ;
NGM conclut à nouveau pour rappeler les éléments constitutifs de son préjudice ;
La société Le poids lourd conclut également pour contester les affirmations et les prétentions de NGM.
Sur ce, LA COUR,
Sur la résiliation par Iveco du contrat de concession consenti à NGM et la conclusion du contrat de concession entre Iveco et la société Le poids lourd :
Considérant que depuis 1987, la société NGM était concessionnaire de la société Iveco France, qu'à compter du 1er janvier 1991 leurs relations ont été régies par un contrat signé le 16 septembre 1991, par lequel la concession consentie par Iveco à NGM pour le territoire de l'Est de Paris et de l'Ile de France, concernait principalement (article I du contrat) la garantie après vente des véhicules neufs Iveco, la vente des pièces de rechange Iveco et les services afférents aux véhicules Iveco, que la vente des véhicules neufs Iveco était réservée à Iveco elle-même qui l'assurait par l'intermédiaire de sa succursale, étant précisé à l'article III du contrat que pour l'aide à la vente des véhicules neufs, NGM mettait à la disposition d'Iveco des locaux, qu'Iveco y domiciliait un vendeur et un dépôt vente, que NGM était rémunérée par une commission de 1 % du prix de vente concessionnaire sur les véhicules de plus de 5 tonnes et de 2 % sur les véhicules de - de 5 tonnes de type Daily ;
Considérant que la concession ainsi établie a été conclue pour une durée indéterminée, avec la possibilité pour les parties d'y mettre fin en respectant un préavis de 12 mois, qu'usant de cette faculté, Iveco a mis fin à cette concession le 29 mars 1993 avec effet au 30 avril 1994 ;
Considérant que le 1er juin 1993 Iveco a conclu un contrat de concession avec la société Le poids lourd concernant la vente des véhicules neufs et le service après vente étant précisé que compte tenu du contrat conclu avec NGM dont les effets venaient à expiration le 30 avril 1994, NGM continuerait à accueillir un vendeur Iveco et percevrait les commissions sur les ventes, que la concession du service après vente n'entrerait en vigueur que le 1er mai 1994, ceci étant exprimé pour l'aire de la concession de la société Le poids lourd englobant celle de NGM (annexe B du contrat du 1er juin 1993), pour le reste du secteur de la concession celle-ci entrait en vigueur le 1er juin 1993 ;
Considérant que la société NGM reproche à Iveco d'avoir entamé des pourparlers avec la société Le poids lourd, alors que leurs relations n'avaient pas pris fin puisque le préavis était en cours d'exécution, mais considérant que sans d'ailleurs avoir besoin de justifier sa décision de mettre fin à la concession NGM, Iveco fait à juste titre état d'une part du montant élevé des factures laissées impayées au-delà du délai prévu par NGM, et d'autre part de la nécessité de réorganiser son réseau de concessionnaires et ses succursales ;
Considérant que sauf rupture effectuée à contretemps, ce qui n'est pas démontré en l'espèce, il est de la responsabilité de toute entreprise de veiller à l'adaptation permanente de son système de distribution à l'état du marché, que la suppression des succursales et l'homogénéisation de son réseau obtenu par la suppression de deux catégories de concessionnaires, relèvent de l'appréciation du chef d'entreprise, que la recherche d'un nouveau concessionnaire peut se faite en cours d'exécution des contrats de concession, notamment pendant l'exécution du préavis ;
Considérant, d'autre part, que contrairement à ce que soutient NGM la concession consentie pour le service à la société Le poids lourd ne pouvait interdire à cette dernière d'assurer le service après vente auprès de clients domiciliés dans le ressort de la concession de NGM, les clients ayant la liberté de se fournir où bon leur semble, une telle clause étant contraire à l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la concurrence et au règlement européen 123-85 régissant les accords de distribution et de service de vente et d'après vente de véhicules automobiles ;
Considérant que NGM a refusé de devenir concessionnaire à pleine compétence, acceptant seulement de vendre les camions de - 5 tonnes Daily, refusant d'assurer la vente des camions de JT, qu'Iveco étant en droit de refuser une telle concession " libre service " a dû rechercher un concessionnaire acceptant de vendre la totalité de la gamme de ses véhicules ;
Considérant que la résiliation par Iveco du contrat la liant à NGM et la conclusion du contrat entre Iveco et la société Le poids lourd, qui a pris en compte les droits acquis du contrat liant Iveco et NGM ne sont pas critiquables ;
Sur l'exécution des contrats de concession pendant le préavis :
Sur la demande de garanties de paiement :
Considérant que NGM reproche à Iveco d'avoir demandé une garantie hypothécaire de 1 100 000 F compte tenu des délais de paiement consentis (90 jours fin de mois), qu'une telle demande n'est pas critiquable puisque l'encours des factures s'élevait environ à cette somme voire davantage (1 899 000 F en octobre 1992) que NGM reproche à Iveco d'avoir le 15 avril 1993 exigé le paiement comptant avec escompte des pièces de rechange, le relevé de décembre 1993 payable fin mars 1993, s'élevant à 959 000 F n'ayant pas été payé le 15 avril ; qu'enfin le 30 juin 1993 le solde débiteur de NGM s'élevait à 2 092 000 F et culminant le 9 février 1994 à 2 250 281 F ;
Considérant que la vigilance d'un créancier à l'égard d'un débiteur important ne saurait, bien au contraire, être critiquée ;
Considérant que l'article XIII du contrat de concession stipule : " en garantie du paiement des fournitures objets du présent contrat, le concessionnaire devra fournir une garantie au concédant sous une forme pouvant être acceptée par ce dernier. Le montant de ladite garantie fera l'objet d'un accord chaque année et devra être proportionnel au volume estimé des affaires du concessionnaire avec le concédant et conditionnera le plafond des encours de règlement " ;
Considérant qu'en octobre 1991 Iveco a demandé une caution de 1 000 000 F ; qu'une hypothèque de 900 000 F a été consentie le 4 juin 1992, NGM s'engageant à régler sa dette de 700 000 F en 16 mois avec intérêt (9 % pour la 1re année puis taux de base bancaire), que cette exigence est donc tout à fait normale et conforme à la prévision des parties ;
Sur les faits argués de concurrence déloyale :
Considérant que NGM reproche à Iveco d'avoir, pendant la durée du préavis, présenté comme nouveau concessionnaire la société Le poids lourd, mais considérant qu'en s'exprimant en ces termes:
" Nous vous informons que suite à une modification d'une partie du secteur commercial de la succursale de Paris Est, la Queue en Brie, à compter du 1er juin 1993, notre concessionnaire Iveco " Le poids lourd " RN 3 de Souilly BP 74 77173 Claye Souilly (Tél. 60 26 15 63) a repris pour son compte votre commande n° 23352 du 19 avril 1993 que vous aviez signée avec notre succursale de Paris Est.
Le suivi, la facturation et la livraison de votre véhicule sera donc faite par notre concessionnaire Le poids lourd de Claye Souilly,
Nous vous demandons de réserver à notre concessionnaire et son équipe de vente, la même confiance que vous avez su nous témoigner. ",
la société Iveco n'a fait état que de l'activité de vente et n'a pas porté atteinte aux droits de NGM, que le reproche de prospection et de détournement de clientèle n'est pas fondé puisque NGM n'était pas concessionnaire vendeur Iveco;
Que le silence gardé sur la concession pour le service après vente de NGM ne remet pas en cause l'existence de ce contrat ;
Considérant que la lettre du 25 avril 1994 au seul réseau Iveco, annonçant la réorganisation de la vente des véhicules neufs et la suppression de l'antenne de la succursale auprès de NGM, mentionnait que NGM ne fait plus partie du réseau et n'est plus critiquable puisque cette information est adressée à un public spécialisé lui permet d'en déduire que la situation de NGM comme concessionnaire du service après vente n'est pas modifiée ;
Considérant qu'au vu des pièces produites, le publipostage réalisé par Iveco annonçant à la clientèle la nomination de la société Le poids lourd comme nouveau concessionnaire n'a été adressé qu'aux clients et prospects du ressort de la concession de la société Le poids lourd à l'exclusion de ceux du secteur de NGM ;
Considérant que NGM fait état d'un procès verbal de constat d'huissier établi le 15 juin 1995 faisant état d'un panneau publicitaire Iveco érigé à 1km de NGM, qu'à cette date NGM n'étant plus concessionnaire Iveco, cette société est mal fondée à articuler un tel grief ;
Considérant que NGM fait état de cinq lettres qui lui ont été adressées en juin, septembre et octobre 1993 par des clients qui l'interrogeaient pour savoir si elle était toujours concessionnaire Iveco ;
Considérant qu'outre qu'il n'est pas établi que l'information contraire ait été donnée par Iveco, il apparaît normal que la clientèle soit informée de la fin de la concession en connaissance de cause, que quelque soit celui qui fait part d'une telle information elle ne constitue pas un fait constitutif d'une concurrence déloyale ;
Considérant que NGM fait état de 6 factures de travaux d'entretien effectués par la société Le poids lourd en infraction au contrat de concession de NGM, mais considérant que la première ne concerne pas un véhicule Iveco, la seconde a trait à des fournitures qui ne sont pas de la marque Iveco, la troisième concerne la fourniture d'une carte grise, que les trois dernières factures concernent des clients que la société Le poids lourd ne pouvaient éconduire quoique domiciliés dans le ressort de la concession de NGM, sous peine d'enfreindre en refusant ses services l'ordonnance de 1986 relative à la concurrence ;
Considérant qu'Iveco n'ayant pas commis de faute en mettant fin au contrat de concession la liant à NGM, ni au cours de l'exécution du préavis, il n'y a lieu d'examiner la demande de condamnation in solidum d'Iveco et de la société Le poids lourd au paiement de 6 462 265 F à titre de dommages et intérêts ;
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts d'Iveco :
Considérant que la lettre circulaire adressée par NGM à sa clientèle faisant état des rumeurs la concernant ne mentionne à aucun moment Iveco directement ou indirectement, et au demeurant n'est pas critiquable réfutant seulement la rumeur de son déménagement, de sa fermeture et de son dépôt de bilan ;
Considérant que les motifs invoqués dans les lettres de notification de licenciements économiques faisant état de certains éléments du présent litige dans des termes modérés ne sont pas non plus critiquables ;
Considérant que de même la publicité faite par NGM de sa qualité de concessionnaire RVI et du service après vente qu'elle offre pour les véhicules de marque italienne, quelque soit l'agressivité du propos utilisé en l'occurrence, n'est pas blâmable ;
Qu'en conséquence la demande de dommages et intérêts ne peut être accueillie ;
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
Considérant que la présente procédure n'a été intentée ni par malice ni avec témérité, que la demande n'est pas fondée ;
Sur l'application de l'article 700 du NCPC :
Considérant que l'équité et la situation économique des parties commandent de laisser à la charge de ceux qui les ont exposés les frais irrépétibles engagés par chacun ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC ; Condamne la société nouvelle garage métropolitain aux dépens d'appel et admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.