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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 9 novembre 1995, n° 2192-94

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rosello

Défendeur :

Sodepap (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

M. Boutie, Mme Tribot Laspierre

Avoués :

SCP Sorel-Dessart, SCP Malet

Avocats :

Mes Rona Cozolino, Dublanche.

T. com. Toulouse, du 10 mars 1994

10 mars 1994

Dans le courant de l'année 1991, Monsieur Rosello entrait en relations avec la SARL Sodepap afin d'obtenir un contrat de franchise concernant une boutique " Papetheque " que Monsieur Rosello souhaitait créer dans le centre commercial Compans à Toulouse. Les parties ont procédé à de nombreux échanges, Monsieur Rosello signait même un bail commercial pour l'obtention d'un local et y entreprenait divers travaux d'aménagement. Monsieur Rosello n'obtenant pas le financement souhaité, la SARL Sodepap ne donnait pas suite à l'opération. Une société Regards, société en formation, puis Monsieur Rosello reprenant l'instance en ses lieux et place, l'assignait alors, sur le fondement tant contractuel que quasi-délictuel, en réparation de son préjudice estimé à la somme de 780 000 F.

Par jugement en date du 10 mars 1994, le Tribunal de commerce de Toulouse, estimant que les parties étaient liées par un contrat, se reconnaissait compétent et, en raison des fautes commises par chacune d'elles, condamnait la SARL Sodepap à payer à Monsieur Rosello la somme de 120 000 F. Toutes les autres demandes étaient rejetées.

Par déclaration en date du 10 mars 1994, dont la régularité n'est pas contestée, Monsieur Rosello relevait appel de cette décision.

Il soutient que le tribunal a justement décidé que les parties étaient liées par un contrat mais il prétend que seules les fautes commises par la SARL Sodepap sont à l'origine de sa rupture. Il en déduit que cette société doit être tenue de lui rembourser son entier préjudice qui s'élève, sauf mémoire à la somme de 780 000 F.

Il conclut donc à la réformation du jugement en ce sens et réclame encore la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Son adversaire relève appel incident et fait valoir :

- que le tribunal de commerce de Toulouse était incompétent pour connaître de la demande, tant en application des clauses contractuelles que de la domiciliation du défendeur,

- que les relations contractuelles ne sont pas démontrées et qu'aucune faute quasi-délictuelle n'est prouvée à son encontre,

- qu'en toute hypothèse, Monsieur Rosello ne fait la preuve d'aucun préjudice.

Elle en conclut que l'appelant ne peut qu'être déboutée de l'ensemble de ses demandes. Elle réclame encore la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 20 000 F en remboursement de ses frais irrépétibles.

SUR QUOI,

Sur la compétence

Attendu qu'aux termes de ses conclusions déposées le 30 janvier 1995, la SARL Sodepap soutient que le tribunal de commerce de Toulouse devait se déclarer incompétent pour deux raisons :

- si le contrat de franchise est reconnu valable, il devait faire application de son article 24 qui stipule que " tous les litiges auxquels le présent contrat pourra donner lieu tant pour sa validité que pour son interprétation, son exécution ou sa résiliation seront de la compétence exclusive des tribunaux de Valenciennes, même en cas de pluralité de défendeurs ou d'appel en garantie " ;

- si le contrat n'était pas reconnu, l'article 42 du nouveau code de procédure civile devait recevoir application et le tribunal de commerce de Valenciennes devait être saisi en raison de son siège social à Marly, dans le ressort de cette juridiction ;

Mais attendu que le tribunal relève justement que le contrat de franchise, qui contient la clause attributive de compétence, n'est pas signé par la SARL Sodepap ; que celle-ci ne peut donc être opposée par cette société en raison du caractère autonome de cette clause ;

Qu'en application de l'article 46 du nouveau code de procédure civile, la juridiction consulaire toulousaine était compétente tant en raison du lieu où la prestation devait être exécutée qu'en raison du lieu où le dommage a été subi ;

Qu'ainsi, cette exception d'incompétence sera rejetée et que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur le fond

Sur l'existence d'un contrat

Attendu que pour conclure au débouté des demandes de Monsieur Rosello par l'absence de relations contractuelles, la SARL Sodepap soutient que le demandeur n'apporte pas la preuve de l'existence d'un contrat liant les parties car

- Monsieur Rosello n'avait pas constitué la société préalablement nécessaire,

- Elle n'encaissait pas le chèque correspondant aux droits d'entrée dans la franchise,

- Monsieur Rosello a seul procédé, avec empressement, à des démarches, son rôle se limitant une assistance préalable ;

Mais attendu que la SARL Sodepap ne saurait reprocher à Monsieur Rosello de n'avoir pas constitué une société préalablement à la signature du contrat dans la mesure où le contrat n'a pas été signé par cette dernière et qu'elle ne peut donc s'en prévaloir ; qu'en toute hypothèse, cette exigence ne figure pas expressément audit contrat mais que son préambule seul y fait allusion puisqu'il porte que " le franchisé remet au franchiseur... copie certifiée conforme... des statuts enregistrés de la société et de leur publication dans un journal d'annonces légales, ainsi que la copie de dépôt au registre du commerce indiquant le numéro d'immatriculation provisoire ou définitif " ; qu'il ne saurait être allégué de ces termes l'existence d'une condition suspensive non expressément définie ;

Que s'il ne peut être discuté que le chèque de 118 600 F transmis le 10 août 1991 par Monsieur Rosello avec les exemplaires du contrat de franchise par lui signés n'a pas été encaissé par la SARL Sodepap, celle-ci a poursuivi ses relations avec Monsieur Rosello après cette date, restituant le chèque le 2 octobre 1991 ;

Qu'elle ne saurait reprocher à l'appelant les démarches qu'il entreprenait et notamment la signature d'un bail commercial, celui-ci étant stipulé au préambule du contrat écrit et alors qu'il importe pour tout futur commerçant de prendre le maximum de renseignements sur ses obligations et sur le coût et la rentabilité de l'entreprise qu'il souhaite entreprendre ;

Attendu surtout qu'il est démontré par les pièces régulièrement communiquées que :

- la SARL Sodepap faisait suivre les travaux commencés dans le local par son propre architecte,

- qu'il est établi par la production du contrat de mission passé entre Monsieur Rosello et le cabinet d'architecte Defort la signature d'un représentant de la SARL Sodepap qui a fait précéder celle-ci des mots " pour accord Sodepap ",

- qu'elle faisait établir pour le compte de Monsieur Rosello après avoir reçu le contrat de franchise par lui signé accompagné du chèque représentant les droits d'entrée,

- qu'elle lui suggérait de passer commande des marchandises pour approvisionner le point de vente (lettre du 20 septembre 1991),

- que dans un courrier du 22 juillet 1991, la SARL Sodepap emploie les termes " ... faisant partie intégrante du contrat de franchise vous liant à notre société " ; que les termes " caducité du contrat de franchise nous liant " sont repris dans le courrier de rupture du 2 octobre 1991 ;

Qu'ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges considéraient que les parties étant liées par un contrat qui était rompu ; qu'en l'état de cette confirmation, il n'y a pas lieu d'examiner les moyens des parties fondés sur la responsabilité quasi-délictuelle ;

Sur la responsabilité dans la rupture

Attendu que Monsieur Rosello soutient que c'est à tort que le tribunal a considéré que la rupture des relations contractuelles était imputable aux deux parties alors qu'il soutient que celle-ci est le seul fait de la SARL Sodepap ; que celle-ci au contraire prétend que la rupture s'est faite d'un commun accord, comme indiqué dans divers courriers du 3 octobre 1991 ;

Mais attendu que le commun accord allégué ne résulte que des écritures de la SARL Sodepap et qu'elles sont contredites par les courriers de Monsieur Rosello qui fait état chaque fois de la résiliation du contrat par la SARL Sodepap et qui conteste la rupture par volonté commune ;

Attendu en conséquence que la SARL Sodepap ne démontre pas la commune intention des parties de mettre fin à ces relations contractuelleset que son courrier du 2 octobre 1991, qui n'était précédé d'aucun avertissement ni aucune mise en garde, constitue une rupture unilatérale brusque, d'autant que les raisons invoquées ultérieurement, en réponse aux protestations de l'appelant, sont démenties par celui-ci ; qu'en effet, le 25 septembre encore, la SARL Sodepap proposait à Monsieur Rosello l'achat de télécopieurs à prix préférentiels par son intermédiaire, confortant encore son contractant dans l'idée de la poursuite des relations normales et l'aboutissement de celles-ci par l'ouverture du magasin;

Qu'ainsi, par cette rupture brutale, la SARL Sodepap a commis une faute dans l'exécution de ses obligations;

Attendu toutefoisque le tribunal retenait à bon droit que Monsieur Rosello engageait des travaux importants alors qu'il n'avait pas reçu l'aval de l'organisme financier chargé de financer en partie l'opération; qu'en effet, il a du fournir des données financières à deux reprises qui ont amené la SARL Sodepap à faire deux plans de financement; qu'il reconnaît qu'il n'avait aucun comptable pour les examiner ; qu'il a poursuivi encore ces travaux sans que le contrat de franchise lui soit retourné signé par la SARL Sodepap; que ce comportement de Monsieur Rosello révèle une légèreté blâmable et est constitutif d'une faute ayant participé pour moitié à la réalisation du préjudice; qu'ainsi, le jugement sera confirmé en ce qu'il décidait que la responsabilité devait être partagée ; qu'il y sera ajouté qu'elle est partagée par moitié ;

Sur le préjudice

Attendu qu'il est démontré et non contesté par la société intimée le lien direct existant entre les fautes commises et le préjudice subi par Monsieur Rosello ;

Qu'en ce qui concerne celui-ci, Monsieur Rosello fait valoir qu'il doit être fixé à la somme de 780 000 F sauf mémoire se décomposant en :

- 485 000 F pour les droits d'entrée dans le centre commercial,

- 195 000 F de travaux d'aménagements et d'honoraires d'architecte,

- 100 000 F au titre du préjudice moral ;

Que la SARL Sodepap conteste ce préjudice et fait valoir que Monsieur Rosello ne prouve pas avoir payé les sommes demandées et que son préjudice moral n'est pas établi ;

Attendu qu'aucun des documents communiqués par l'appelant ne prouve le paiement par lui fait des sommes demandées ; qu'en effet, la somme de 485 000 F alléguée pour l'entrée au centre commercial n'est fondée que sur trois factures du 14 août 1991 d'un montant respectif de 42 411 F (cotisations d'ouverture), 11 860 F (provision compte prorata), 195 690 F (travaux effectués par le bailleur) et qu'aucun justificatif de leur paiement n'est apporté ;

Qu'en ce qui concerne les travaux, la somme de 130 000 F n'est pas prouvée payée puisque, par courrier du 14 octobre 1991, Monsieur Rosello écrit à l'entrepreneur : " J'ai donné l'ordre à Monsieur Defort (mon architecte) de tout arrêter puisque mon prêt bancaire a été refusé... à ce jour j'ai déposé une nouvelle demande de prêt à différents établissements bancaires et j'attend leur réponse " ;

Que de même, il n'est pas démontré que les honoraires d'architecte aient été réglés, Monsieur Rosello produisant diverses lettres de rappel à ce sujet ;

Qu'en définitive, Monsieur Rosello ne produit aucun justificatif à l'appui du préjudice matériel par lui allégué ; qu'il doit être relevé en outre qu'il reste propriétaire du bail commercial par lui conclu ainsi que des aménagements par lui faits au local et que l'ensemble de ces éléments possède une valeur certaine qui n'est pas indiquée ;

Attendu par contre que Monsieur Rosello a subi un préjudice moral incontestable ; que la SARL Sodepap s'est comportée envers lui comme un véritable partenaire, lui fournissant son aide technique, financière et administrative, le relançant jusqu'à la dernière minute avant de rompre unilatéralement le contrat sans motifs explicites dans la lettre de rupture ; que l'ensemble de ces éléments fait que le préjudice moral subi par Monsieur Rosello doit être évalué, compte tenu des démarches par lui entreprises et des tracs occasionnés, à la somme de 100 000 F ;

Qu'en raison du partage de responsabilité intervenu, la SARL Sodepap devra lui verser la somme de 50 000 F ; que le jugement sera réformé de ce chef ;

Attendu que chaque partie qui succombe dans ses prétentions, supportera la moitié des dépens,

Attendu que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Attendu qu'il n'est pas démontré une faute dans l'exercice de la voie de l'appel ni l'existence d'un préjudice supérieur à celui inhérent à l'exercice de toute action en justice ; qu'il ne sera donc pas alloué de dommages-intérêts ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit en la forme l'appel jugé régulier ; Au fond, réforme le jugement rendu le 10 mars 1994 par le tribunal de commerce de Toulouse en ce qu'il condamnait la SARL Sodepap à payer à Monsieur Rosello la somme de 120 000 F ; Statuant à nouveau ; Condamne la SARL Sodepap à payer à Monsieur Rosello, en raison du partage de responsabilité intervenu, la somme de 50 000 F (cinquante mille francs) à titre de dommages-intérêts. Confirme pour le surplis la décision déférée ; Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à octroi de sommes supplémentaires à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ni en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Dit que les dépens d'appel seront supportés moitié par Monsieur Rosello, moitié par la SARL Sodepap et autorise les SCP d'Avoués Sorel-Dessart et Malet à les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.