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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 24 novembre 1995, n° 94-25722

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Athéna (SA), Garage du Quai (SARL), Garage Saint-Christophe (SA)

Défendeur :

Banque Populaire du Dauphiné et des Alpes du Sud, Fiat Auto France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rognon

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarene, Mes Pamart, Ribaut

Avocats :

Mes Bourgeon, Campana, Meyung Vitoux.

T. com. Paris, 2e ch., du 11 oct. 1994

11 octobre 1994

Les sociétés Garage Saint-Christophe, Garage du Quai et Athéna animées par Messieurs Balas ont été concessionnaires Alfa Roméo ou Lancia à Grenoble et à Meylan.

Devant les difficultés commerciales qu'elles rencontraient, des négociations ont été entreprises en mars 1989 avec la SA Fiat Auto France (venant aux droits des sociétés Alfa Roméo et Lancia) puis celle-ci a le 16 novembre 1992, résilié les contrats de concession antérieurement consentis aux sociétés Garage du Quai et Athéna.

Le Garage Saint-Christophe a alors demandé la résiliation judiciaire du sien qui selon les dispositions qu'il contient s'est trouvé par ailleurs résilié de plein droit le 27 janvier 1994.

Les sociétés concessionnaires ont invoqué une résiliation fautive imputable à la SA Fiat France et sur le litige ainsi né entre les parties, le Tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 11 octobre 1994, rejeté les demandes présentées au titre d'une résiliation abusive, condamné la société Athéna à payer à la SA Fiat France la somme de 3 052 105,47 F, la société Garage du Quai celle de 1 313 550,47 F, ce avec intérêts à compter du 16 novembre 1992 et anatocisme, condamné la banque Populaire de la Région Dauphinoise (BPRD) prise en sa qualité de caution des société Garage du Quai et Athéna au paiement à la SA Fiat France des sommes de 1 280 000 F et 1 000 000 F augmentées des intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 1992 ce avec garantie de chacune des débitrices cautionnées, accordé enfin à la SA Fiat France une somme de 40 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Les sociétés Garage Saint-Christophe, du Quai et Athéna ont régulièrement interjeté appel de cette décision. Elles relatent longuement les discussions, négociations et pourparlers entretenus avec la SA Fiat France pour soutenir que celle-ci, pourtant informée des difficultés qu'elles rencontraient, les a fautivement poussées à des investissements aux effets illusoires pour satisfaire sa politique commerciale et son désir de réaliser une réorganisation locale des points de distribution des différentes marques affectées, à l'époque, par une évolution négative de leur diffusion.

Elles rejettent toute idée d'une faute de leur part dans la rupture des pourparlers en rappelant que les atermoiements de la SA Fiat France ainsi que ses défauts de réponse à des demandes réitérées expliquent seuls la situation financière préoccupante dans laquelle elles ont été plongées.

La société Garage Saint-Christophe dénonce en outre le refus des aides qui lui avaient été promises, les retards dans la livraison des véhicules qui lui étaient destinés, la suppression par la SA Fiat France de ses participations publicitaires jusque là acquises, comme générateurs des lourdes pertes qu'elle a enregistrées.

Elles concluent à la résiliation abusive des contrats de concession et sollicitent, la société Garage du Quai : 8 146 000 F aux titres des pertes d'exploitation subies, marge perdue, dépréciation de son fonds, la société Athéna : 4 929 000 F et la société Garage Saint-Christophe : 4 005 000 F à ces mêmes titres avec pour chacune les intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation.

Les sociétés Garage du Quai et Athéna se reconnaissent débitrices de la SA Fiat France mais de sommes limitées à 937 509,99 F pour l'une et 2 711 583,84 F pour l'autre, dettes dont elles sollicitent la compensation avec les créances dont elles disposent sur l'intimée.

Enfin, elles soutiennent qu'ainsi la banque doit être déchargée de ses engagements de caution et réclament à la SA Fiat France 60 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

La SA Fiat France s'oppose à ces prétentions en soulignant qu'à la demande de Messieurs Balas, elle a consenti à ceux-ci en décembre 1990, à la suite de pourparlers engagés en mars 1989 une aide pour la restructuration des sociétés qu'ils animaient, aide ayant eu pour objet une meilleure commercialisation, dans la région grenobloise, des véhicules Alfa Roméo et Lancia ; que devant les difficultés persistantes rencontrées par les appelantes, elle a accordé à celles-ci en septembre 1991 une nouvelle aide et des conditions commerciales plus favorables encore mais que, malgré ce, Messieurs Balas lui ont annoncé, début 1992, une nouvelle restructuration des sociétés qu'ils animaient ce qu'elle a également accepté.

Elle ajoute que peu après, en juin 1992, un nouveau projet de restructuration lui a été annoncé par ces derniers, projet sur lequel elle a donné en août 1992 un accord conditionnel mais que concomitamment les sociétés concessionnaires ont cessé d'honorer leurs échéances et ont multiplié les impayés sans pour autant respecter les conditions posées pour l'obtention de l'accord sollicité sur la dernière restructuration projetée du groupe ; que devant cet état de fait qui n'est pas imputable au concédant, la banque a dénoncé sa garantie et qu'ainsi, la résiliation des contrats de concession à partir desquels Messieurs Balas exigeaient encore du concédant, unilatéralement et sans droit établi, une subvention de 3 000 000 F, a été justifiée.

La SA Fiat France fait valoir que les allégations peu sérieuses des sociétés concessionnaires ne suffisent pas à masquer qu'à la date de résiliation des contrats, ces sociétés ne disposaient plus ni de garanties, ni d'un fonds de roulement, ni d'une trésorerie, avaient 2 000 000 F environ d'impayés, ne présentaient aucune proposition de recapitalisation et se limitaient à exiger encore une nouvelle subvention du concédant.

Elle rappelle que la charge des restructurations financières auxquelles le groupe avait à faire face lui incombait et que si son partenaire bancaire a refusé d'y participer, les sociétés appelantes ne peuvent transférer artificiellement au concédant les pertes commerciales accumulées antérieurement et durant plusieurs années.

Elle conclut à la confirmation en toutes ses dispositions de la décision déférée avec capitalisation des intérêts et réclame l'attribution d'une somme de 60 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

La banque BPRD qui se reconnaît liée par ses engagements de caution déclare s'en rapporter à justice sur les mérites des demandes présentées par les sociétés concessionnaires. Elle demande, subsidiairement, leurs garanties pour les condamnation éventuellement mises à sa charge en indiquant en outre qu'elle ne peut être déclarée débitrice des intérêts moratoires qu'à compter de la date de sa mise en demeure d'avoir à exécuter ses engagements de caution, soit le 17 novembre 1993.

Cela exposé,

Considérant que quelque puisse être la teneur du récit unilatéralement fourni par les sociétés concessionnaires de l'évolution de leurs rapports avec la société Fiat France, entre mars 1989 et novembre 1992, date de la résiliation des contrats de concession consentis aux sociétés Athéna et Garage du Quai, récit dont ces sociétés entendent faire découler la faute du concédant, il ressort des pièces mises aux débats qu'après deux restructurations des sociétés successivement proposées en avril et juin 1989 par Messieurs Balas et acceptées par la SA Fiat France, restructurations ayant donné lieu à la signature, le 1er décembre 1990, d'un contrat de concession avec la société Athéna ayant eu pour effet de faire des sociétés animées par Messieurs Balas le seul concessionnaire Lancia pour Grenoble et ses environs, une nouvelle restructuration du groupe de ces sociétés a été proposée, le 27 janvier 1992, par ceux-ci et ce alors que les concessionnaires avaient antérieurement obtenu de la SA Fiat France, courant 1991, une aide financière d'un montant global de 1 180 000 F ainsi que différentes conditions de commercialisation des véhicules très favorables et que devant cette nouvelle demande la SA Fiat France a, une nouvelle fois, accepté d'y faire droit ;

Considérant que peu après, soit le 30 juin 1992, une nouvelle restructuration du groupe, qualifiée d'urgente, a été à nouveau sollicitée du concédant ; que celui-ci a suspendu, sans équivoque, son accord à une restructuration financière de ce groupe ainsi qu'à la présentation de garanties suffisantes ; que ces conditions n'ont jamais été remplies, Messieurs Balas sollicitant même unilatéralement, le 8 septembre 1992, une réponse sur le montant de la participation financière qu'ils présentaient comme exigible de la SA Fiat France mais qui ne leur avait pourtant rien promis ni offert sur ce point ;

Considérant que le 5 octobre 1992, la banque BPRD consciente des difficultés financières rencontrées par les concessionnaires a dénoncé les cautions antérieurement souscrites en faveur de la société Fiat France, entraînant de la part de Messieurs Balas la réitération de leur demande au concédant d'une nouvelle participation financière de celui-ci portée à la somme de 3 000 000 F, selon lettre d'information interne de la SA Fiat France du 8 octobre 1992, participation sur laquelle les appelantes justifient si peu leur droit qu'elles la qualifient circonstanciellement de " subvention " " non remboursable " pour masquer leur recherche d'une libéralité ;

Considérant qu'à cette même date, les impayés constatés avoisinaient 1 900 000 F ; que par leurs conclusions d'appel les société Garage du Quai et Athéna reconnaissent des pertes respectives en 1991 de 838 000 F et 750 000 F puis au premier semestre 1992 de 1 250 000 F et 240 000 F venant s'ajouter au précédentes ; qu'il est donc ainsi établi qu'en novembre 1992, ces sociétés ne disposaient plus, ni de garanties bancaires, ni de trésorerie, ni d'un fond de roulement, faits que leur demande insistante et injustifiée d'une subvention non remboursable présentée au concédant ne suffit pas à masquer ;

Considérant que devant ces éléments, les sociétés Garage du Quai et Athéna ne démontrent pas la faute de la SA Fiat France; que cette faute ne peut découler du seul récit qu'elles donnent des faits ou de l'attitude adoptée par Messieurs Balas eux-mêmes qui malgré les demandes successivement présentées et satisfaites d'autorisations de restructuration ne peuvent tirer des conséquences constatées de leur gestion, un droit d'obtenir de la SA Fiat France une subvention non remboursable destinée à compenser les pertes d'exploitation nées antérieurement à la date des résiliations querellées;

Considérant pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges que l'intégralité de l'argumentation développée par les sociétés Garage du Quai et Athéna est à rejeter et que les résiliations des contrats de concession par la SA Fiat France, conformes à l'article 7-2 de ces conventions, sont justifiées;

Considérant que le contrat de concession consenti à la société Garage Saint-Christophe s'est trouvé résilié de plein droit le 27 janvier 1994 en application des dispositions de son articles 25-2, faute par celle-ci de fournir une garantie bancaire qu'elle reconnaît n'avoir jamais retrouvée et d'avoir obtenu des résultats commerciaux suffisants ;

Considérant qu'inutilement la société Garage Saint-Christophe invoque les manquements commerciaux commis par la SA Fiat France dans leurs rapports puisqu'aucune des pièces produites ne permet d'en établir la réalité et que surtout seule l'attitude adoptée par ses dirigeants explique les pertes qu'elle allègue et les difficultés apparues dans ses rapports avec le concessionnaire ;

Considérant pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges que ses demandes doivent en conséquence être également rejetées ;

Considérant qu'il ressort du relevé des comptes des sociétés Athéna et Garage du Quai dans les livres de la SA Fiat France, relevés détaillés postes par postes et certifiés conformes, que celles-ci restent respectivement débitrices des sommes de 3 052 105,47 F et 1 313 550,47 F, sommes ayant fait l'objet d'une communication entre les parties, de leurs justificatifs ;

Considérant que si ces sociétés revendiquent différents avoirs ayant pour effet de réduire ces dettes, elles ne fournissent aucune pièce susceptible devant la Cour d'en justifier les principes et les montants ; qu'il convient pour ces motifs de rejeter leurs demandes sur ces points ;

Considérant que les engagements de caution de la banque ne sont eux-mêmes pas discutés par celle-ci étant précisé que le point de départ des intérêts au taux légal exigibles de la caution doit être fixé à la date de sa mise en demeure d'avoir à exécuter ses engagements ;

Considérant qu'il y a lieu conformément à la demande présentée d'accorder à la banque pour l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre la garantie des sociétés Athéna et Garage du Quai, garanties non discutées par celles-ci dans leurs rapports avec la caution ;

Considérant que les intérêts échus et dus pour plus d'une année entière au 29 juin 1995, date des conclusions d'anatocisme, se capitaliseront à cette date pour porter eux-mêmes intérêts au taux légal, aucune convention d'anatocisme n'étant invoquée par la SA Fiat France ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SA Fiat France une somme de 40 000 F au titre de ses frais irrépétibles de première instance et celle de 20 000 F pour ceux d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevable l'appel interjeté par les sociétés Garage du Quai, Athéna et Garage Saint-Christophe, Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée sauf celles relatives à la capitalisation des intérêts et au montant des garanties de la banque BPRD par les sociétés Athéna et Garage du Quai, Statuant à nouveau sur ces points, Dit que les intérêts échus et dus pour plus d'une année entière au 29 juin 1995 se capitaliseront à cette date pour porter eux-mêmes intérêts au taux légal, Condamne la société Athéna à garantir la banque BPRD pour la condamnation à paiement de la somme de 1 280 000 F et de ses intérêts prononcée contre celle-ci au bénéfice de la SA Fiat France, Condamne la société Garage du Quai à garantir la banque BPRD pour la condamnation à paiement de la somme de 1 000 000 F et de ses intérêts prononcée contre celle-ci au bénéfice de la SA Fiat France, Condamne in solidum les sociétés Garage du Quai, Athéna et Garage Saint-Christophe au paiement à la SA Fiat France d'une somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toute demande autre ou contraire aux motifs, Condamne in solidum les sociétés Garage du Quai, Athéna et Garage Saint-Christophe aux dépens d'appel et admet les avoués concernés au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.