CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 30 novembre 1995, n° 90-15979
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mael (SARL)
Défendeur :
Div (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Conseillers :
Mme Degrandi, M. Bachasson
Avoués :
SCP Cohen, SCP de Saint Ferreol, Touboul
Avocat :
Me Ben Soussen
Exposé du litige
La SARL Mael et la SA Div ont signé le 15 mai 1986 un contrat de franchise, résilié en janvier 1988, portant sur la diffusion des vêtements de la marque JC Jezequel.
Par acte du 15 février 1989, la SARL Mael a assigné la SA Div devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence afin d'entendre prononcer la nullité de cette convention et la condamnation du franchiseur à lui régler la somme de 153 380 F (droit d'entrée, redevance et participation publicitaire).
Par jugement du 23 avril 1990 la juridiction consulaire a rejeté ses demandes et l'a condamnée à payer à la SA Div la somme de 198 401,04 F outre 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Mael a interjeté appel et sollicité la réformation, l'annulation du contrat de franchise la liant à la SA Div, la condamnation de l'intimée à lui restituer l'intégralité des sommes perçues en exécution dudit contrat, soit au total 153 380 F, ainsi qu'à lui verser 610 513 F de dommages-intérêts pour les pertes subies, 150 000 F à titre de provision sur le montant des marges bénéficiaires à lui restituer, à déterminer par expertise, et 20 000 F pour ses frais non répétibles. Subsidiairement, elle a souhaité la constatation de la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de son adversaire et le règlement de la somme de 253 380 F en réparation de son préjudice.
L'appelante a fait valoir pour l'essentiel que :
- le contrat de franchise est nul, sur le fondement des articles 1110, 1131, 1129 et 1591 du Code civil, pour erreur sur la substance, absence de cause et indétermination de prix ;
- la SA Div a en effet provoqué une erreur déterminante dans son consentement en se présentant comme un franchiseur chevronné alors qu'elle n'en avait pas les caractéristiques et qu'elle s'est contentée d'être un simple fournisseur ;
- elle-même a fait un apport personnel en capital de 100 000 F, de 112 000 F en compte courant, contracté un emprunt de 630 000 F et versé un droit d'entrée de 70 000 F tandis qu'en dépit de ses efforts la SA Div ne lui a fourni aucune assistance technique ;
- celle-ci n'a pas réalisé de prestations réelles en contrepartie des obligations assumées par son franchisé ;
- elle a exploité son fond de façon satisfaisante, la seule période déficitaire étant celle réalisée sous l'enseigne JC Jezequel ;
- il n'existe aucune disposition particulière de la convention permettant de déterminer le prix des marchandises dont la fixation dépendait en faite de sa seule volonté du franchiseur ;
- les tarifs ne lui ayant pas été communiqués lors de chaque vente elle ne pouvait librement en discuter ;
- alors que le chiffre d'affaires promis par la SA Div à chaque franchisé était de 2 MF au minimum elle n'a réalisé que 1 217 250 F pour une perte de 610 513 F ;
- la remise des parties dans l'état où elles se trouvaient avant le contrat implique qu'il ne saurait y avoir enrichissement sans cause, ce qui entraîne notamment la restitution de la marge bénéficiaire perçue par la SA Div lors de chaque vente ;
- l'ensemble des manquements du franchiseur à ses obligations contractuelles ne peut subsidiairement que conduire la cour à constater la résiliation de la convention aux torts exclusifs de ce dernier ;
- 100 000 F ont été réglés sur les 198 401,04 F restant dus au titre des marchandises livrées non payées, le solde devant être compensé avec les sommes qui seront mises à la charge de son adversaire.
Suite à la mise en liquidation judiciaire de la société Mael, Maître Courrèges est intervenu à la procédure ès qualités de liquidateur judiciaire. Reprenant les écritures de l'appelante il soutient que la jurisprudence censure, sur le fondement de l'article 1129 du Code civil, les contrats de franchise, dès lors que le prix des marchandises ne peut être déterminé que par le franchiseur et qu'ils mettent à la charge du distributeur une obligation d'approvisionnement exclusif.
La SA Div conclut à l'irrecevabilité de la demande en nullité du fait de la résiliation du contrat de franchise et soutient que cette convention est valable car elle a rempli ses obligations sans qu'elles donnent lieu à réclamation alors que par ailleurs lui reste dû le prix des marchandises vendues. Elle réclame la compensation entre ces sommes et celles dont elle pourrait être déclarée redevable.
Elle expose que :
- le procès, comme celui intenté par d'autres franchisés, n'a pour but que d'éluder le paiement de sa créance qui en l'espèce s'élève à 337 516,09 F ;
- sa qualité de franchiseur est notoire et confirmée par l'importance de son réseau ;
- la convention avait une contre partie indiscutable : l'accès à ce réseau remplissant tous les critères habituels en la matière ;
- son département franchise avait en revanche noté dans un courrier adressé à l'appelante et non contredit par elle que de nombreuses anomalies avaient été constatées dans la boutique (vitrines mal réalisées et ne correspondant pas à la ligne préconisée, état général des lieux déplorables, équipe de vente désagréable) ;
- le prix était déterminable à l'avance par référence aux tarifs du franchiseur acceptés par la SARL Mael ;
- le franchisé a eu en l'espèce connaissance des tarifs lors de chaque vente ;
- s'il était décidé que ce système n'est pas conforme cela reviendrait à condamner toutes les exclusivités d'approvisionnement ce qui serait contraire au règlement communautaire n° 4087-88 du 30 novembre 1988 qui valide le principe des clauses d'exclusivité d'approvisionnement ;
- la passation des commandes dont la nullité n'est d'ailleurs pas soulevée couvre amplement couvert toute nullité à supposer qu'il en existe une ;
- le préjudice allégué n'est pas démontré.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l'appel
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée et rien dans les dossiers ne conduit la cour à le faire d'office.
Sur le fond
1°) Sur la nullité du contrat
Il est de principe que la résiliation du contrat ne fait pas obstacle à l'action en annulation de celui-ci fondée sur un vice du consentement ou la non détermination du prix. Dès lors la demande de la SARL Mael est recevable.
a) Sur l'erreur
Aux termes de l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose dont elle est l'objet. Elle doit être apprécié au moment de la formation du contrat et ne peut être cause de nullité que si elle est excusable et porte sur les qualités substantielles en vertu desquelles les parties ont entendu contracter.
En l'espèce la société Mael se retranche essentiellement derrière l'absence de notoriété de l'enseigne Jezequel sur le territoire concédé et le caractère mensonger des qualités de franchiseur expérimenté avancé par la SA Div pour l'inciter à contracter.
Or ces griefs ne sont ni sérieux ni fondés dès lors que professionnelle dans le secteur vestimentaire, et même hautement compétente selon ses propres dires, elle n'était pas sans connaître la marque JC Jezequel et pouvait parfaitement se renseigner sur la réussite et la mise en œuvre de son réseau de franchise ou encore appréhender par elle-même, à l'aide d'une étude du marché local, les exigences des consommateurs.
b) Sur l'absence de cause
La SARL Mael reproche essentiellement à la SA Div son manque de savoir - faire propre et spécifique et plus particulièrement le défaut total d'assistance technique au cours de l'exécution du contrat de franchise contrairement à ses obligations.
Il résulte toutefois des pièces versées aux débats que le franchiseur lui a remis un manuel, qui, s'il contient nombre de rappels, sur les pratiques et usages commerciaux, attire également l'attention du franchisé sur les particularités de la gamme Jezequel (création et vente de vêtements coordonnés) et ses exigences pour la présentation des vitrines, le rangement et les modalités de vente, outre l'existence de diverses opérations promotionnelles particulières.
La SA Div justifie également de l'organisation de stages de formation au cours de la période considérée (1986/1988) et d'interventions ponctuelles de son animateur régional comme le témoigne sa correspondance du 14 avril 1987 adressée à la SARL Mael pour dénoncer les anomalies et négligences constatées par celui-ci dans la tenue de la boutique, reproches que conteste seulement aujourd'hui l'intéressée. Force est d'ailleurs de constater qu'avant le premier litige elle n'a jamais formulé la moindre critique ni mis le franchiseur en demeure d'avoir à fournir les prestations attendues en contrepartie de la redevance versée.
Compte tenu de l'ensemble de ces considérations, c'est vainement que la SARL Mael invoque l'absence de cause.
c) Sur l'indétermination du prix
En vertu de l'article 4-2 du contrat de franchise signé entre les parties le franchisé s'engage à n'acheter et à ne vendre que des produits de la collection Jean Claude Jezequel. Il n'est pas discuté qu'il s'agit là d'un contrat d'approvisionnement exclusif qui implique que le prix soit déterminable et non pas laissé à la seule volonté d'une partie.
Il n'existe cependant aucune autre clause dans la convention permettant de déterminer le prix des marchandises ou de calculer les prix de vente successifs, ceux-ci étant en fait fixés unilatéralement par la SA Div dans des catalogues adressés au franchisé au fur et à mesure des livraisons successives, sans accord préalable entre les parties ou intervention d'un tiers désigné pour rendre les prix déterminables. Et l'acceptation du franchisé d'effectuer des commandes dans ces conditions ne suffit pas à caractériser un accord sur les prix alors que ceux-ci n'étaient ni déterminés ni déterminables en fonction d'éléments indépendants de la seule volonté du franchiseur.
Dès lors, en l'absence de toute détermination du prix des marchandises vendues, le contrat de franchise ne satisfait pas aux exigences des dispositions de l'article 1129 du Code civil et doit être annulé.
2°) Sur les conséquences de l'annulation
L'annulation du contrat de franchise implique de remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la signature de celui-ci, sans que chacune d'elle puisse tirer profit ou subir un préjudice du fait de l'activité de l'autre. En conséquence la SARL Mael est fondée à obtenir le remboursement des sommes versées par elle pour la conclusion de la franchise, en l'occurrence 153 380 F, montant que ne discute pas l'intimée dans ses écritures.
De même la SA Div est en droit de réclamer la valeur des marchandises livrées qui ne lui ont pas été restituées mais seulement pour celles qui ont donné lieu à sa déclaration de créance au passif de la société Mael pour la somme de 108 401,04 F, le surplus de la créance dont elle se prévaut étant éteint en application de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985.
Quant à la demande d'indemnisation de 610 513 F formée par ailleurs par la SARL Mael pour les pertes subies entre le 1er février 1987 et le 31 janvier 1988 aux motifs que le chiffre d'affaires promis était de 2 MF par la SA Div et qu'elle n'a réalisé au cours de cette période que 1 217 250 F de recettes, elle n'est pas recevable dès lors qu'il n'a pas été retenu que son consentement avait été donné par erreur ou vicié pour absence de cause et qu'il n'est pas démontré une quelconque autre faute de son adversaire. Au demeurant, à supposer celle-ci établie, encore aurait-il fallu pour l'intéressée établir un lien de causalité entre cette faute et le prétendu dommage. Or les constatations défavorables à la SARL Mael sur la tenue et l'accueil dans sa boutique permettent d'induire que le mauvais rendement de son exploitation procède pour partie de ses propres carences.
Enfin, la restitution des marges bénéficiaires perçues par le franchiseur avant l'annulation du contrat est également concevable, ce ne peut être qu'en ce qui concerne les marchandises livrées par la SA Div et pour lesquelles la SARL Mael n'a pu retirer aucun bénéfice faute de les avoir elle-même écoulées. Faire droit à la demande des appelants fondée sur le montant des marges bénéficiaires réalisées sur chacune des ventes créerait un déséquilibre manifeste au détriment de la SA Div sauf à calculer pour l'intégralité des ventes les restitutions auxquelles chacune des parties peut prétendre ce qui, en l'espèce, n'est pas demandé.
Dans ces conditions les prétentions de la SARL Mael ne peuvent qu'être rejetées.
Au regard des sommes demeurant respectivement à la charge des parties la SA Div reste devoir à la SARL Mael, après compensation, la somme de 44 978,96 F (153 380 F - 108 401,04 F) à régler à Maître Courreges, ès qualités.
Sur les demandes accessoires
Celles de la SA Div sont, compte tenu de la décision sur le principal, privées de fondement.
L'intimée, qui succombe, doit supporter les dépens et les débours non remboursables.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit l'appel ; Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau ; Déclare recevable l'action en nullité intentée par les appelantes ; Déclare nul le contrat de franchise conclu le 31 décembre 1986 entre la SA Div et la SARL Mael ; Condamne la SA Div à régler à Maître Courrèges, ès qualités, la somme de quarante quatre mille neuf cent soixante dix huit francs et quatre vingt seize centimes (44 978,96 F) représentant les droits d'entrée versés ; Rejette les demandes des appelants en dommages-intérêts et en restitution des marges bénéficiaires ; Dit que l'intimée devra verser à Maitre Courrèges, ès qualités, la somme de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et supporter les dépens qui seront recouvrés par la SCP Cohen, comme frais privilégiés de liquidation judiciaire directement sur son affirmation d'en avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.