CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 6 décembre 1995, n° 5681-93
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Hautefort (Époux)
Défendeur :
Vieux Chêne Expansion (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Foulon
Conseillers :
MM. Lebreuil, Kriegk
Avoués :
SCP Sorel Dessart, SCP Boyer Lescat
Avocats :
Mes Finelli, Maier.
M. Claude Hautefort, agissant dans le cadre de sociétés en formation exerçant le commerce de distribution de meubles, a signé deux séries de contrats de franchise, en premier lieu le 23 novembre 1990 avec la société Sièges Center (produits de salon), en second lieu, ce qui intéresse le présent litige, avec la société SA Vieux Chêne Expansion (meubles) respectivement le 12 novembre 1990 (pour le site de Portet-sur-Garonne) et le 6 mars 1991 (pour le site d'Aucamville),
Dans ce contexte et pour les besoins de l'activité, un contrat de crédit-bail immobilier a été signé par M. Claude Hautefort agissant tant en son nom personnel que pour le compte de la société en formation, avec la Sté Eurobail, les époux Hautefort se portant cautions à hauteur de 3 219 000 F,
Dès le 8 octobre 1991, la société CFTP a été déclarée en état de cessation des paiements,
Suivant l'exploit en date du 11 mai 1992, la SARL CFTP, M. Claude Hautefort et son épouse ont assigné la Sté Vieux Chêne expansion aux fins de constater les manquements de cette dernière à son obligation découlant de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l'amélioration de leur environnement économique, juridique et social, dite " Loi Doubin ", son immixtion dans la cession de deux magasins, et aux fins de voir consacrer la responsabilité délictuelle du franchiseur,
Par jugement en date du 4 octobre 1993, le Tribunal de commerce de Toulouse a débouté la CFTP, représentée par son liquidateur, Me Vinceneux, et les époux Hautefort de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés à payer à la Sté SA Vieux Chênes Expansion la somme de 3 000 F en application de l'article 700 du NCPC aux motifs suivants :
- l'obligation précontractuelle de renseignements, pour les contrats de franchise, tels que découlant de la loi du 31 décembre 1989, n'a été déterminée que par le décret du 4 avril 1991 et ne peut s'appliquer dans la mesure où les contrats étaient déjà signés,
- M. Hautefort ne pouvait se présenter comme un franchisé non averti lors de la signature du deuxième contrat,
- l'immixtion du franchiseur dans la gestion des magasins du franchisé n'est pas caractérisée,
- les pertes d'exploitation de la Sté SARL CFTP ne peuvent être imputées à des agissements de la société Vieux Chêne,
M. Claude Hautefort et son épouse ont relevé appel de cette décision par déclaration en date du 20 décembre 1993,
Ils demandent de dire et juger que le franchiseur n'a pas respecté son obligation d'information précontractuelle, la totalité des documents visés par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 n'ayant pas été remis à la SARL CFTP, à savoir les documents d'information relatifs à l'état et à l'évolution du réseau du franchisé, l'expérience professionnelle des autres franchisés, l'état général du marché, les principaux concurrents nationaux et locaux, les zones d'implantation des concurrents, la liste des entreprises appartenant au réseau ; de dire que la SARL CFTP n'a pas reçu les informations sincères mises par la loi à la charge du franchiseur ; de constater que le franchiseur s'est immiscé dans la gestion du futur franchisé, s'agissant de la vente des deux autres magasins ; de dire et juger que la totalité des faits invoqués engageant la responsabilité de la SA Vieux Chêne Expansion non seulement à l'égard de la SARL CFTP mais à l'égard de M. et Mme Hautefort, victimes par ricochet,
En conséquence, les appelants demandent à condamner la SA Vieux Chêne Expansion à leur payer la somme de 800.000 F à titre de dommages et intérêts outre la somme de 20.000 F HT en application de l'article 700 du NCPC,
La société Vieux Chêne Expansion demande de constater que la société CFTP et son liquidateur n'ont pas interjeté appel du jugement et que les dispositions de cette décision ont force de chose jugée en ce qui les concerne ;
Elle demande de débouter les époux Hautefort de leur appel, faute de démontrer l'existence d'une faute en lien direct de causalité avec le préjudice allégué, et de condamner les époux Hautefort au paiement de la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du NCPC,
MOTIFS DE L'ARRET :
La cour constate, comme le demande la société intimée, que les dispositions de la décision attaquée sont définitivement opposables à la société CFTP et à son liquidateur qui ne sont pas appelants,
Les appelants invoquent pour leur propre compte la violation par le franchiseur de son obligation précontractuelle de renseignement pour obtenir dédommagement ;
Ils invoquent également l'immixtion du franchiseur dans la vente de deux magasins, au motif que la société Vieux Chêne Expansion se serait substituée à son franchisé pour négocier un accord de reprise des deux magasins Sièges Center,
Ces considérations doivent être immédiatement rejetées, les opérations contestées apparaissant dépourvues de rapport direct avec l'objet du litige qui ne concerne que les franchises " Au Vieux Chêne ",
Les deux contrats de franchise litigieux, versés aux débats, précisent que le franchiseur apporte, moyennant exclusivité respectivement pour les zones de chalandise de Portet-sur-Garonne et d'Aucamville, son enseigne, son expérience, son savoir-faire, sa collection de produits et son assistance, ainsi que assistance de ses services d'organisation, d'achat et de gestion.
Aucune indication ne figure dans ces contrats sur la pertinence économique des opérations commerciales envisagées,
La SA Vieux Chêne Expansion soutient à nouveau en appel qu'il ne saurait lui être fait grief de n'avoir fourni très exactement les documents prescrits par le décret du 9 avril 1991 pour des contrats intervenus le 10 octobre 1990 et le 6 mars 1991.
Il n'en reste pas moins que l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, immédiatement applicable aux contrats signés par la société CFTP dispose que " toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, et exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en toute connaissance de cause.
Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitation, la durée, les conditions de renouvellement de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités ",
Il importe peu que l'alinéa 2 de ce même texte stipule que le contenu de ce document sera fixé par décret (qui interviendra le 4 avril 1991), dès lors que dès sa promulgation, la loi impose au franchiseur une obligation préalable d'information précontractuelle, dont le contenu minimal est déterminé comme indiqué ci-dessus,
Il appartient en conséquence au franchiseur d'apporter la preuve qu'il aurait effectivement communiqué au préalable le document visé à l'article 1er de la loi, et qu'il aurait satisfait aux exigences d'une information sincère permettant de s'engager en toute connaissance de cause,
Force est de constater que le franchiseur n'a communiqué aucun document permettant au franchisé de contrôler au préalable avant la signature de chacun des contrats, la loyauté et le sérieux des prévisions du franchiseur,
Il y a lieu de constater du surcroît que les informations qui ont été communiquées a posteriori font apparaître un doute quant à leur sincérité,
Les appelants soutiennent en effet, sans pouvoir être démentis, que la société Vieux Chêne a largement surestimé le volume de vente prévisible, contraignant le franchisé à des investissements excessifs (construction de quatre magasins sur la région toulousaine, engagements de caution imposés aux époux Hautefort dans le cadre des opérations de crédit-bail immobilier),
Il y a lieu de constater plus particulièrement que le " prévisionnel d'activité " concernant les divers magasins a été fourni avec un retard important (le 4 mars 1991 soit quatre mois après l'ouverture du premier magasin), et qu'il établit le seuil de rentabilité ou " point mort " à 950 000 F par mois, chiffre qui n'a jamais été réalisé, comme en témoignent les documents comptables versés aux débats, puisque le chiffre d'affaires réalisé à Portet-sur-Garonne est sur douze mois de l'ordre de 335 000 F, et à Aucamville sur six mois de 947 000 F, chiffre qui devait être celui du mois d'ouverture,
Il apparaît que le produit d'exploitation de 9.000.000 F établi par le cabinet CGRS comme devant ouvrir les 8 435 000 F de charges d'exploitation de la Sté CFTP n'a jamais pu être réalisé par cette société (soi un différentiel de plus de 50 %), la situation comptable au 30 septembre 1991 faisant ressortir après quelques mois d'activité une perte de 5 165 260 F, ce qui a conduit au dépôt de bilan,
Encore y a t-il lieu de préciser, que si le document prévisionnel a été fourni avant la signature du deuxième contrat, il n'en reste pas de même des études de marché, ainsi que le soulignent les appelants, la société intimée étant dans l'incapacité d'en apporter la preuve contraire,
La sincérité de ces études, communiquées en cours de procédure, est de surcroît contestée, pour avoir omis les principaux concurrents des zones de chalandise concernées, les appelants soulignant à juste titre qu'il est pour le moins étonnant de constater que le franchiseur aboutit aux mêmes bases chiffrées pour une zone de chalandise différente (différence de population de 200 000 habitants), de même que les documents intitulés " analyse des ventes " (pièces 11 et 12), établies après l'ouverture des magasins font état de coefficients cumulés de 2,57 et 2,32 différents de ceux figurant dans les études de marché,
Les appelants soulignent encore que le franchiseur avait indiqué par courrier du 4 mai 1990 et plans annexés l'implantation à proximité du magasin d'Aucamville de magasins Galeries Lafayette et Centre Leclerc dont l'installation n'a seulement jamais été projetée, ce qui ne pouvait être directement vérifié, les époux Hautefort résidant alors près de Toulon,
Si les prévisions fournies ne comportent aucune obligation de résultat, comme le rappelle la société intimée, il n'en reste pas moins que les indications entachées d'erreurs grossières, qui soulignent la légèreté et l'incompétence du franchiseur, et encore les manœuvres de la société Vieux Chêne, permettent de dire que le franchisé n'aurait pas contracté, s'il avait été normalement informé dans les conditions prévues à l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, et de conclure que les époux Hautefort subissent, par voie de conséquence, un préjudice qui mérite réparation sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code Civil,
Les engagements de la société CFTP au titre du crédit-bail immobilier, dont les époux Hautefort sont cautions, résultent directement de l'établissement de prévisions irréalistes,
Les appelants soulignent à juste titre que la société Vieux Chêne a participé au montage financier, puisqu'elle a facturé ses honoraires à Eurobail, et qu'elle a pris en compte le coût du crédit-bail immobilier dans le prévisionnel qu'elle a fourni, versé aux débats en cours de procédure,
Les appelants justifient avoir investi en pure perte pendant plus d'un an et demi leurs efforts et leurs moyens dans son opération vouée par avance à l'échec, après avoir quitté leur région d'origine, en conséquence de quoi ils se trouvent à l'heure actuelle, à plus de cinquante ans, dépourvus d'emploi sans pouvoir bénéficier des indemnités Assedic.
Le jugement dont appel doit recevoir infirmation.
La Cour, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, arbitre à la somme de 500 000 F le montant des dommages et intérêts auxquels la SA Vieux Chêne Expansion doit être condamnée en réparation du préjudice tant matériel que moral subi,
La société Vieux Chêne Expansion, qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel, et l'équité commande de mettre à sa charge une somme de 20 000 HT en application de l'article 700 du NCPC,
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit appel jugé régulier ; Infirme le jugement rendu le 4 octobre 1993 par le Tribunal de commerce de Toulouse ; Statuant à nouveau, constate la violation par la SA Vieux Chêne Expansion, bénéficiaire des contrats de franchise signés le 12 novembre 1990 et le 6 mars 1991 au nom de la société CFTP des obligations résultant de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 ; Vu l'article 1382 du Code civil, condamne la Société SA Vieux Chêne Expansion à payer époux Hautefort la somme de 20 000 F HT en application de l'article 700 du NCPC.