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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 14 décembre 1995, n° 7786-93

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vivil (Sté)

Défendeur :

Distri Plus (Sté), Pierrat (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Frank, Boilevin

Avoués :

SCP Jullien Lecharny Rol, SCP Gas

Avocats :

Mes Hecker, Ayache.

T. com. Chartres, du 9 mars 1993

9 mars 1993

Rappel des faits et de la procédure :

Le litige dont est saisie la Cour est relatif à la demande formée par la SARL Distri Plus et Maître Pierrat, ès qualité, tendant à voir la société Vivil condamnée à payer 815.000 F à titre d'indemnité de brusque rupture de contrat.

La SARL soutenait devant le Tribunal de Commerce que par l'effet d'un accord verbal conclu au début de l'année 1989, la société Vivil - de droit allemand - lui avait consenti le droit exclusif de distribuer ses produits en France - ce qu'elle a reconnu expressément dans sa lettre du 7 octobre 1991, et que la rupture de ce droit est survenu brusquement, sans respect d'un quelconque préavis.

L'exclusivité lui ayant été consentie depuis plus de 3 ans, Distri Plus s'estimais fondée à réclamer à la société Vivil, une indemnité de brusque rupture correspondant à la marge bénéficiaire qu'elle aurait réalisée pendant une période de préavis de 6 mois, soit 815.000 F.

Par le jugement entrepris, le Tribunal de Commerce de Chartres a accueilli partiellement la demande de la société Distri Plus et a condamné la société Vivil à lui payer la somme principale de 210.000 F à titre de dommages-intérêts, outre une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges ont essentiellement retenu d'une part, que le droit d'exclusivité résulte des termes mêmes de la lettre de Vivil du 7 octobre 1991, étant en effet indiqué :

" Nous ne pouvons plus vous laisser l'exclusivité de nos produits sur le marché français... ", d'autre part, qu'aucun élément de gravité suffisant ne pouvait, en l'espèce, motiver la dénonciation de la convention tacite, l'existence des manquements de la part de la SARL Distri Plus n'étant pas établie, et qu'enfin, compte tenu de l'importante marge brute dégagée, le bénéfice net peut raisonnablement être estimé à hauteur de 15 % sur le prix de vente, soit une somme de 214.310 F, arrondie à 210.000 F pour le mois.

Exposé des thèses en présence et des demandes des parties :

La société Vivil, appelante, s'attache à démontrer :

1°) que l'existence d'une convention de distribution n'est pas établie et que c'est abusivement que la société Distri Plus se fonde à cet égard sur la lettre du 7 octobre 1991, soit plus de 4 ans après le début des relations d'affaires entre les deux sociétés.

Elle ajoute que les termes de la lettre précitée ne peuvent être interprétés " stricto sensu " dans la mesure où cette lettre a été rédigée en français par une personne de nationalité étrangère.

La confusion avec le " droit d'exclusivité " provient de ce que le mot " exclusiv " existe également dans le vocabulaire allemand où il signifie " unique ". Le rédacteur du courrier voulait simplement indiquer que Distri Plus était, à ce jour, l'unique société française se fournissant auprès de la société Vivil et revendant ses produits en France.

2°) qu'en tout état de cause, elle aurait été parfaitement en droit de refuser de livrer la société Distri Plus et même de résilier sans aucune réserve, les accords verbaux ayant existé entre les parties dans la mesure où cette dernière était débitrice d'un montant de 589.552,07 F au titre de diverses livraisons.

3°) que subsidiairement, elle peut opposer à Distri Plus la compensation, les dettes étant communes. Elle produit aux débats l'ordonnance du juge commissaire du 23 janvier 1995 l'ayant admis au passif pour la somme de 587.640,77 F.

Maître Pierrat, ès qualité de liquidateur de la société Distri Plus, s'attache à réfuter cette argumentation.

Il demande à la Cour :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que la rupture par la société Vivil, des accords contractuels d'exclusivité la liant à la société Distri Plus présente un caractère abusif,

- de confirmer ledit jugement en ce qu'il a fixé à 6 mois le délai de préavis qui devait être accordé à la société Distri Plus,

- de le confirmer en ce qu'il a estimé que les agissements de la société Vivil avaient causé un préjudice à la société Distri Plus,

- de l'infirmer en ce qu'il a fixé les dommages et intérêts dûs par la société Vivil à la société Distri Plus et à Maître Guy Pierrat, à la somme de 210.000 F,

- statuant à nouveau,

- de voir fixer à la somme de 815.000 F, les dommages et intérêts dûs par la société Vivil à la société Distri Plus et à Maître Jacques Pierrat,

- de débouter la société Vivil de ses demandes, fins et conclusions,

- de la condamner au versement d'une somme de 20.000 F au titre de l'article 700, ainsi qu'en tous les dépens qui seront recouvrés par la SCP Gas, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

Sur ce, LA COUR

Sur l'existence d'une convention de distribution exclusive :

Considérant que l'accord de distribution exclusive est un contrat qui se forme par le seul échange des consentements ; qu'en l'absence de formes requises, il peut se prouver par tous moyens ;

Considérant en l'espèce que la société Vivil a reconnu expressément dans sa lettre du 7 octobre 1991, produite aux débats et dont les termes sont dépourvus de toute équivoque, qu'elle a consenti à la société Distri Plus, avec laquelle elle est en relations d'affaires depuis plusieurs années, un droit exclusif de distribution de ses produits sur le territoire français ; que la clarté de la formule employée " ... Nous ne pouvons plus vous laisser l'exclusivité de nos produits sur le marché français " rend vaine la discussion sémantique introduite par la société Vivil sur la signification du terme exclusif en langue allemande, la portée de telles subtilités apparaissant d'ailleurs difficilement perceptible ;

Considérant par suite que le Tribunal, a exactement décidé que seule la société Distri Plus distribuait les produits Vivil sur le territoire français et qu'elle en était le distributeur exclusif ;

Sur la rupture du contrat :

Considérant que le contrat de distribution exclusive étant en l'espèce à durée indéterminée, il pouvait être dénoncé à tout moment par les parties sans que l'auteur de la rupture ait à motiver sa décision ; que la résiliation peut cependant ouvrir à des dommages-intérêts notamment si un délai de préavis suffisant, conforme aux stipulations du contrat ou aux usages de la profession, n'a pas été respecté;

Considérant que les parties étaient liées par des relations d'affaires depuis au moins trois ans ainsi qu'il résulte des factures produites aux débats; qu'il est tout aussi constant qu'elles ont brutalement et définitivement cessé à partir de la lettre du 7 octobre 1991;

Considérant par suite que les premiers juges ont exactement estimé que la rupture était abusive, faute par la société Vivil d'avoir respecté un délai de préavis;

Considérant à cet égard que c'est vainement que cette dernière soutient qu'elle aurait pu en tout état de cause mettre fin au contrat à tout instant dès lors que la société Distri Plus lui devait une somme importante ; que la société Vivil n'établit en effet pas avoir à quelque moment que ce soit, exigé le paiement des sommes qui lui étaient dues ou subordonner le maintien des relations d'affaires au règlement des factures impayées ;

Considérant que l'argument tiré de la contravention aux règles européennes régissant la concurrence est tout aussi inopérant, la société Vivil ne pouvant se prévaloir de l'existence de règles qu'elle aurait sciemment violées, alors surtout qu'elle ne sollicite pas la nullité du contrat de distribution exclusive, fût-ce à titre subsidiaire ;

Sur le montant du préjudice :

Considérant que c'est par des motifs pertinents, que la Cour adopte, que les premiers juges ont fixé à 210.000 F le préjudice de la société Distri Plus, que la société Vivil doit réparer ;

Sur la compensation sollicitée :

Considérant que le refus de la compensation opposé par Maître Pierrat conduit à rechercher si les conditions de la compensation légale ont été réunies avant l'ouverture de la procédure collective ou à défaut, s'il existe entre les dettes respectives un lien de connexité ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que toutes les factures de la société Vivil, produites aux débats, sont antérieures au jugement d'ouverture ; que la compensation avec les sommes dues au titre de la brusque rupture s'est ainsi opérée de plein droit avant l'ouverture de la procédure collective, étant souligné de surcroît qu'il existe bien une connexité entre les sommes dues au titre des factures relatives à des livraisons effectuées dans le cadre de la convention existant entre les parties et les sommes allouées en raison de la brusque rupture de celle-ci ;

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Considérant que l'équité justifie de ne pas laisser à la charge de Maître Pierrat, ès qualité, les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris sur l'existence d'un contrat de distribution exclusive, sa brusque rupture par la société Vivil et le préjudice en résultant pour cette dernière ; Y ajoutant, Ordonne la compensation entre les sommes dues par la société Vivil (210.000 F) en réparation du préjudice de la société Distri Plus, et celles dues par cette dernière (587.640,77 F) au titre des factures antérieures à l'ouverture de la procédure collective, lesdites sommes étant en outre connexes ; Dit que les sommes dues seront payées en deniers ou quittances; Condamne la société Vivil à payer à Maître Pierrat, ès qual., la somme de 5000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Vivil aux dépens, lesquels seront recouvrés par la SCP Gas, conformément aux dispositions du nouveau Code de procédure civile.