CA Paris, 5e ch. C, 12 janvier 1996, n° 94-25207
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Foucard (ès qual.), Garage Thierry Mangaud (SARL)
Défendeur :
France Motors (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rognon
Conseillers :
Mme Cabat, M. Betch
Avoués :
SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Bommart Forster
Avocats :
Mes Mihailov, Fauquet.
La SA France Motors, importateur en France des automobiles de la marque Mazda, a confié, par contrat du 25 juin 1990 à la SARL Garage Thierry Mangaud (GTM) la concession exclusive de cette marque pour le secteur d'Amiens.
La SARL GTM a été mise en redressement judiciaire le 30 avril 1993, Maître Foucard se trouvait alors désigné comme représentant des créanciers mais ce sans nomination d'un administrateur. Le 7 mai suivant, la cession judiciaire des actifs de la SARL GTM a été ordonnée au profit de la SA Sud automobiles encore en formation étant précisé que peu avant, soit le 5 mai 1993, le gérant de la SARL GTM, M. Thierry Mangaud avait unilatéralement résilié le contrat de concession liant cette société à la SA France Motors ce, pour une inexécution fautive de ses obligations par le concédant.
Sur le litige ainsi né entre les parties, le Tribunal de commerce de Paris, statuant le 29 septembre 1994, sur les demandes présentées d'une part par Maître Foucard ès qualités de représentant des créanciers, commissaire à l'exécution du plan de cession de la SARL GTM et fondées sur l'inexécution par le concédant de ses obligations et celles, reconventionnellement formulées, d'autre part, par celui-ci au titre d'une rupture abusive du contrat de concession, a constaté la résiliation de cette convention suite au prononcé du redressement judiciaire du concessionnaire et rejeté l'ensemble des demandes de chacune des parties.
Maître Foucard ès qualités a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Il soutient que la SA France Motors a délibérément entravé l'activité de revente du concessionnaire en se révélant incapable de lui livrer les véhicules commandés, en introduisant des changements de tarifs arbitraires ainsi qu'en pratiquant des discriminations fautives entre certains de ces concessionnaires. Il détaille (longuement) les difficultés commerciales rencontrées par la SARL GTM dans ses rapports avec le concédant, la politique commerciale fautive de celui-ci et demande sa condamnation aux paiements, à titre de dommages et intérêts, de 2 250 217 F correspondant à la différence entre la marge brute que l'exécution régulière du contrat aurait dû permettre de dégager et la marge réalisée outre 50 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA France Motors s'oppose à ces prétentions en soulignant qu'il appartient à la SARL GTM d'établir, conformément aux dispositions de l'article 1147 du Code civil, les fautes contractuelles qu'elle impute au concessionnaire. Elle relève, à ce propos, que le contrat signé, organisait par des dispositions particulières, les suites à donner aux retards pouvant être constatés dans les livraisons et que la SARL GTM qui n'a jamais sollicité la mise en œuvre de ces stipulations spécifiques ne peut dont plus aujourd'hui réclamer dédommagement pour les retards qu'elle dénonce et ce alors surtout que le concessionnaire, seul responsable des risques nés de sa gestions, a constamment eu accès à l'état des véhicules immédiatement disponibles chez le concédant.
La SA France Motors souligne que la possibilité d'une variation des prix a également fait l'objet de précisions contractuelles entre les parties et que la SARL GTM ne peut donc lui imputer à faute ces variations sans caractériser un abus de droit, en l'espèce inexistant, puisque l'importateur reste étroitement dépendant d'un fournisseur étranger dont les produits contingentés sont, en outre et pour leurs prix, soumis aux aléas des fluctuations monétaires.
Enfin le concessionnaire affirme qu'à la date du dépôt de bilan de la SARL GTM, soit au 29 avril 1993, seuls onze véhicules ne lui avaient pas été livrés ce qui ne permet pas d'établir la discrimination qu'elle dénonce sans en apporter la preuve.
La SA France Motors invoque les faiblesses de la gestion de la SARL GTM ainsi que la manœuvre frauduleuse de son gérant, M. Thierry Mangaud, qui a fallacieusement allégué la faute du concédant et non l'état de redressement judiciaire de sa société pour s'exonérer de tout préavis contractuel, transférer sans frais les actifs de la SARL GTM à une société anonyme en formation constituée par les membres de sa famille et reprendre avec celle-ci la concession nécessairement négociée dès avant le dépôt de bilan de la SARL GTM d'une autre marque de véhicules (SEAT) tout en libérant la SARL GTM des 1 987 552 F d'impayés exigibles par le concédant.
Elle conclut à la confirmation de la décision des premiers juges en ce qu'elle a rejeté les demandes présentées par la SARL GTM mais réclame, à partir des manœuvres déployées par M. Thierry Mangaud et d'une rupture abusive du contrat de concession par la SARL GTM, condamnation de celle-ci représentée par Maître Foucard ès qualités, aux paiements des sommes de 500 000 F à titre de dommages et intérêts, 40 000 F pour procédure abusive outre 50 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cela exposé,
Considérant que la SARL GTM ne conteste pas devant la Cour la validité du contrat de concession signé le 25 juin 1990 ; qu'elle ne peut valablement exciper de la transgression par la SA France Motors des dispositions de l'article 1er du décret du 4 avril 1991 portant application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales puisque ce décret est intervenu le 4 avril 1991 et que ses dispositions ne pouvaient donc pas être applicables à un contrat signé dès le 25 juin 1990 ;
Considérant que la SARL GTM reproche à faute à la SA France Motors une entrave à son activité commerciale provoquée par un défaut de livraison des véhicules commandés et une modification arbitraire des tarifs ;
Qu'il résulte des dispositions de l'article 2 b des normes générales de ventes annexées au contrat de concession, normes s'intégrant donc à cette convention et d'ailleurs signées par la SARL GTM que si " le délai de livraison invoqué par l'importateur est dépassé de 3 mois ... le concessionnaire aura la faculté un mois après mise en demeure de livrer restée sans effet d'annuler sa commande, cette résiliation entraînant pour l'importateur la restitution du versement effectué à l'exclusion de toutes indemnités ... et que si le concessionnaire maintenait sa commande après l'expiration du délai stipulé, le retard de livraison ne pourrait en aucun cas constituer motif à dommages et intérêts d'aucune sorte " ;
Considérant que la SARL GTM ne justifie pas avoir, en exécution de ces dispositions, adressé un mise en demeure à la SA France Motors ; qu'ainsi l'argumentation sur ces points de la SARL GTM est, pour ces motifs, à rejeter étant précisé que celle-ci ne démontre pas l'existence d'un abus de droit commis à son préjudice par la SA France Motors qui, à la date du dépôt de bilan de la SARL GTM ne lui devait la livraison que de 11 commandes seulement et se trouvait soumise, par décision de l'autorité publique, à des quotas d'importations particuliers que la SARL GTM ne pouvait donc ignorer ;
Considérant que les dispositions de l'article 2 a des mêmes normes générales de vente réservaient à la SARL la faculté d'annuler ses commandes si le prix des véhicules se trouvait, au jour de la livraison, supérieur de plus de 25 % à celui en vigueur à la date de la commande ; que la SARL GTM ne justifie pas malgré sa critique de l'évolution des prix des véhicules, avoir notifié à la SA France Motors ses décisions d'annulation de commande qui sont donc contractuellement réputées maintenues ; qu'elle ne démontre pas davantage un abus de droit sur ce point commis à son préjudice par la SA France Motors qui en sa qualité d'importateur de véhicules fabriqués au Japon restait en outre soumise aux choix industriels et commerciaux du fabricant ainsi qu'aux variations du cours du yen ; que pour ces motifs l'argumentation développée sur ces points par la SARL GTM est à rejeter et ce alors surtout que l'existence de ces aléas ne lui était pas inconnue lors de la signature du contrat de concession ;
Considérant que la SARL GTM soutient encore qu'elle aurait fait l'objet d'une discrimination dans la livraison de ses commandes ; qu'elle ne produit sur ce point aucun élément susceptible de démontrer celle-ci ; qu'en effet la comparaison effectuée par la SARL GTM du nombre des livraisons obtenues avec celles consenties à d'autres concessionnaires se limite à un simple examen arithmétique qui ne tient compte ni de la structure commerciale et financière de chacun des concessionnaires, ni de l'importance comparée des commandes passées par ceux-ci, ni des modèles sur lesquels elles ont porté et ne permet donc pas de mettre en lumière une attitude avérée ou délibérément mise en œuvre par la SA France Motors dans ses rapports avec la SARL GTM ;
Considérant pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges que la Cour adopte que les demandes présentées par la SARL GTM à l'encontre de la SA France Motors sont à rejeter ;
Considérant que la SA France Motors invoque une attitude frauduleuse qu'elle impute dans ses écritures tout à la fois à M. Thierry Mangaud et à la SARL GTM qui auraient volontairement allégué des fautes imaginaires du concédant pour obtenir, sans frais ni respect du délai contractuel de préavis, une nouvelle concession d'un autre cocontractant ;
Considérant que la lettre de résiliation du 5 mai 1993, adressée par M. Mangaud, gérant de la SARL GTM, lettre dont le contenu établirait cette fraude puisqu'il dénonce le comportement fautif du concessionnaire, vise expressément et avant même toute critique de la SA France Motors la déclaration de la cessation des paiements de la SARL GTM, le 29 avril 1993, par le Tribunal de commerce d'Amiens et l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de celle-ci ; que la résiliation du contrat de concession par la SARL GTM en est présentée comme la conséquence (" En conséquence... "); que cette résiliation est donc conforme aux dispositions de l'article 10-3-a du contrat de concession qui la prévoit;
Considérant qu'ainsi la résiliation par la SARL GTM du contrat de concession est donc justifiéeétant précisé que l'attitude adoptée par M. Thierry Mangaud, non partie au litige, échappe à l'appréciation de la Cour ;
Considérant que pour ces motifs les demandes présentées par la SA France Motors à l'encontre de la SARL GTM sont à rejeter ;
Considérant qu'il n'est pas démontré que la SARL GTM a fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice ; que l'équité ne commande pas l'attribution d'une somme au titre des frais irrépétibles de première instance ou d'appel ;
Considérant que la charge des dépens de première instance et d'appel doit être supportée par la SARL GTM ;
Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevable l'appel de la SARL Garage Thierry Mangaud, représentée par Maître Foucard ès qualités, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions sauf celles relatives à la charge des dépens, Rejette toute demande autre ou contraire aux motifs, Condamne la SARL Garage Thierry Mangaud aux dépens de première instance et d'appel et admet pour ces derniers l'avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.