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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 17 janvier 1996, n° 93-3992

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dauphinoise (SA)

Défendeur :

Longerey, Fauda-Role

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beraudo

Conseillers :

M. Baumet, Madame Comte

Avoués :

SCP Calas, Balayn, Me Ramillon, SCP Grimaud

Avocats :

Mes Demba, Girault.

TGI Gap, du 6 mai 1993

6 mai 1993

Attendu que la Cour se réfère à l'exposé des faits qui résulte du jugement attaqué ;

Que, les résumant, elle indique que Madame Longerey a donné en location-gérance, à compter du 12 avril 1986, à Monsieur Fauda-Role une fonds de commerce de vente au détail de produits divers ;

Que la société Dauphinoise a livré 73 154,43 F de marchandises sans être réglée et en a demandé le paiement à Madame Longerey sur le fondement de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 ;

Que Monsieur Fauda-Role a fait l'objet d'une procédure collective le 18 juillet 1986 ;

Que le jugement prononçant la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif, en date du 21 novembre 1986, a également prononcé à l'encontre de Monsieur Fauda-Role l'interdiction de gérer ;

Attendu que la société Dauphinoise a été déboutée de l'essentiel de ses demandes au motif qu'une facture du 8 mars 1986, d'un montant de 46 319,82 F était antérieure à la conclusion du contrat de location-gérance, signé le 15 mars 1986, et enregistrée le 18 mars 1986 ;

Que le premier juge mentionne qu'aucune pièce ne permet d'établir la date de publication du contrat ;

Que la condamnation solidaire à l'encontre de Monsieur Fauda-Role a été rejetée au motif que la société Dauphinoise ne justifiait pas de son droit de reprendre les poursuites individuelles ;

Attendu que Madame Longerey a été déboutée de son recours en garantie contre Monsieur Gérard Fauda-Role, au motif que le fondement de la demande principale " démontre " que le recours dirigé par Madame Longerey contre le locataire-gérant n'est pas justifié ;

Attendu que, devant la Cour, la société Dauphinoise conclut ainsi qu'il suit :

" Réformer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Gap, le 6 mai 1993,

Condamner solidairement Madame Longerey et Monsieur Fauda-Role à payer à la Dauphinoise, la somme de 60 976,30 F, outre intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 1986,

Condamner solidairement Madame Longerey et Monsieur Fauda-Role au paiement de la somme de 7 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel. "

Qu'elle fait valoir ceci :

" La Cour réformera le jugement de première instance après avoir constaté :

- que la facture n° 24-331 d'un montant de 46 319,32 F, en date du 8 avril 1986, est bien postérieure à la date de conclusion du contrat de location-gérance fixée le 15 mars 1986,

- que Madame Longerey était tenue de payer l'intégralité des marchandises livrées par la Dauphinoise, soit la somme de 73 154,43 F, outre intérêts au taux conventionnel de 15 %, soit, en définitive, la somme globale de 95 976,30 F,

- que Madame Longerey n'a réglé que dix acomptes de 3 500 F, soit au total 35 000 F.

Dans ces conditions, Madame Longerey reste redevable de la somme de : 95 976,30 F - 35 000 F = 60 976,30 F, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception en date du 17 octobre 1986. "

Et sur la condamnation solidaire de Monsieur Fauda-Role ceci :

" La Cour constatera là encore que le jugement du 21 novembre 1986 rendu par le Tribunal de commerce de Gap et prononçant la clôture de la liquidation judiciaire de Monsieur Fauda-Role et l'interdiction professionnelle de l'article 192 de la loi de 1985 a bien été notifié le 7 septembre 1993 par le greffe compétent.

Dès lors, la Cour jugera que la Dauphinoise a recouvré son droit de poursuite individuelle à l'encontre de Monsieur Fauda-Role et prononcera, en conséquence, la condamnation solidaire de Madame Longerey et de Monsieur Fauda-Role au paiement des sommes susvisées. "

Attendu que Madame Longerey conclut ainsi qu'il suit :

" Confirmer le jugement en ce qu'il a mis Madame Longerey hors de cause.

Sur l'appel incident, et provoqué de Madame Longerey à l'encontre de Monsieur Fauda-Role, condamner Monsieur Fauda-Role à rembourser à Madame Longerey la somme de 35 000 F.

Condamner la société Dauphinoise à payer à Madame Longerey la somme de 10 000 F par application de l'article 700. "

Qu'elle fait valoir ceci :

" Ensuite, il convient de rappeler que l'article 8 de la loi de 1956 donne au créancier une garantie efficace puisque jusqu'à la publication du contrat de location-gérance, et pendant un délai de 6 mois à compter de cette publication le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds.

La garantie de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 ne peut s'interpréter que comme un cautionnement soumis aux dispositions de l'article 2013, alinéa 1 du Code civil.

En effet, la jurisprudence a rappelé que lorsque le bailleur a désintéressé un créancier en application de l'article 8 de la loi de 1956, il a un recours contre le gérant débiteur principal et exclusif de la dette.

Le bailleur n'intervient en effet qu'à titre de garantie et ne paie pas une dette personnelle.

En cette qualité, Madame Longerey est bien fondée à opposer à la société Dauphinoise l'extinction de sa créance pour absence de déclaration au passif de Monsieur Fauda-Role.

La créance de la société Dauphinoise était éteinte, ce n'est qu'à titre subsidiaire que Madame Longerey entend démontrer que cette créance est mal fondée.

Mme Longerey ne peut être tout d'abord tenue des dettes antérieures à la conclusion du contrat de location-gérance.

Le contrat de location-gérance est en date du 15 mars 1986.

Dès lors, peu importe que les marchandises de la société Dauphinoise aient été facturées ultérieurement.

La dette a été contractée par Monsieur Fauda-Role antérieurement à la date de conclusion du contrat de location-gérance, et c'est la commande et la livraison qui sont à prendre en considération et non pas la facture qui peut avoir été établie plusieurs mois plus tard pour les besoins de la cause.

Le tribunal a, à juste titre, relevé que la société créancière ne produisait aucune pièce permettant d'identifier les marchandises vendues à Monsieur Fauda-Role et qu'en vertu du principe de l'interprétation stricte de la loi du 20 mars 1956 seule pouvait être retenue une somme de 6 834,61 F, ce qui démontre que Madame Longerey a, en réalité, payé plus qu'elle ne devait.

C'est la raison pour laquelle elle est bien fondée à agir en répétition contre Monsieur Fauda-Role.

Vainement, Monsieur Fauda-Role fait-il valoir que le jugement de liquidation judiciaire a entraîné la suspension des poursuites individuelles qui ne peuvent être reprises puisque le jugement de faillite personnelle a fait l'objet d'une péremption.

Ce faisant, Monsieur Fauda-Role oublie les principes généraux selon lesquels le bailleur qui a désintéressé un créancier en application de l'article 8 de la loi de 1956 a un recours contre le gérant débiteur principal et exclusif de la dette.

Attendu que Monsieur Fauda-Role conclut à la confirmation et demande que la somme de 2 000 F, qui lui a été allouée par le jugement au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, soit portée à 6 000 F ; qu'il fait valoir ceci :

" Dans ses conclusions d'appelant, la Dauphinoise reprend ses demandes de condamnation solidaire de Monsieur Fauda-Role.

Il y a donc lieu de s'expliquer sur la situation de celui-ci ;

Le 21 novembre 1986, le Tribunal de commerce de Gap avait prononcé la clôture de la liquidation judiciaire de Monsieur Fauda-Role, ouverte par décision du 25 juillet 1986, et ce pour insuffisance d'actif.

Il avait prononcé l'interdiction de diriger une entreprise commerciale pour une durée de 10 ans contre Monsieur Fauda-Role en relevant que le débiteur avait omis de faire la déclaration de cessation de paiement sans qu'il ait été entendu.

Il n'y a pas lieu ici de s'expliquer sur le bien fondé de ces sanctions. Cependant la Cour notera que, si Monsieur Fauda-Role avait été dûment convoqué et s'il avait pu s'expliquer, elles n'auraient sûrement pas été prononcées.

Par contre, il est tout à fait remarquable que cette décision n'ait pas été signifiée après avoir été rendue.

C'est ce qui avait motivé la mise hors de cause par le Tribunal de grande instance de Monsieur Fauda-Role.

En effet, les poursuites ne pouvaient pas reprendre à son encontre après la clôture de la liquidation si les sanctions n'avaient pas été régulièrement décidées.

Après que le problème de la non-signification du jugement ait été soulevé devant le tribunal de grande instance, le greffe, certainement sur l'initiative de Madame Longerey ou de la SA Dauphinoise, a signifié par acte d'huissier le jugement de 1986 à Monsieur Fauda-Role.

Mais cette démarche est inutile car le jugement n'avait plus aucune existence puisqu'il n'avait pas été signifié dans le délai de six mois.

M. Fauda-Role a demandé au juge de l'exécution de constater l'application de l'article 478 du nouveau Code de procédure civile et a obtenu gain de cause : par une décision du 6 janvier 1994, le jugement rendu le 21 novembre 1986 a été déclaré non-avenu. Le jugement a été confirmé par arrêt du 22 juin 1994.

La Cour ne pourra donc que constater que les poursuites ne pouvaient pas reprendre à l'encontre de Monsieur Fauda-Role et que sa mise en cause était infondée.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que le contrat de location-gérance conclu entre Madame Longerey et Monsieur Fauda-Role le 15 mars 1986, stipule en page deux que le bail commencerait à courir le 12 avril 1986 ; qu'il s'ensuit que M. Fauda-Role n'a eu la qualité de locataire-gérant qu'à compter de cette date ; que le loueur du fonds n'est pas solidairement responsable des dettes contractées avant le 12 avril 1986;

Qu'il y a donc lieu à confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que la facture de 46 319,82 F, datée du 8 avril 1986, - et non pas du 8 mars 1986, comme l'indique, par erreur, le jugement - n'était pas due ; que la créance, alléguée en principal, de la société Dauphinoise doit donc être ramenée à 26 834,51 F (73 154,43 F - 46 319,92 F) ;

Attendu, sur le solde de la dette de Madame Longerey, qu'il est constant entre les parties qu'elle a payé 35 000 F ;

Qu'elle s'est ainsi acquittée envers la société Dauphinoise d'une somme supérieure au montant en principal de la dette alléguée ;

Attendu, sur les intérêts dont la société Dauphinoise réclame le paiement, qu'elle ne justifie pas des causes de sa demande ; qu'elle doit donc en être déboutée ;

Attendu que la dette de Monsieur Fauda-Role a été éteinte par Madame Longerey, qu'il n'y a donc pas lieu de prononcer de condamnation solidaire contre Monsieur Fauda-Role ;

Attendu sur l'action en paiement de 35 000 F par Madame Longerey contre Monsieur Fauda-Role, que s'il est exact que, par arrêt de la Cour de céans, en date du 22 juin 1994, le jugement prononçant l'interdiction de gérer de Monsieur Fauda-Role a été déclaré non avenu par application de l'article 478 du nouveau Code de procédure civile, Madame Longerey peut exercer à l'encontre de Monsieur Fauda-Role l'action récursoire qu'elle tient de l'article 8 de la loi du 20 mars 1995 et du dernier alinéa du paragraphe 1er de l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Qu'en effet " le coobligé qui a payé aux lieu et place du débiteur peut poursuivre celui-ci " ;

Que Monsieur Fauda-Role, dans ses conclusions additionnelles, oppose l'absence de déclaration et " les principes fondamentaux du droit des procédures collectives " mais que la société Dauphinoise n'a réclamé le paiement à Madame Longerey qu'après la clôture des opérations de liquidation, le 21 novembre 1986 ;

Que Madame Longerey peut donc obtenir de Monsieur Fauda-Role le remboursement de ce qu'elle a payé en qualité de coobligé, nonobstant l'absence de déclaration ;

Attendu, sur la somme de 10 000 F réclamée par Madame Longerey, à l'encontre de la société Dauphinoise, qu'il y a lieu d'y faire droit à hauteur de 6 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Réforme partiellement le jugement déféré ; Déboute la société Dauphinoise de ses demandes ; La condamne à payer à Madame Longerey 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Fauda-Role à payer 35 000 F à Madame Longerey ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Dauphinoise et Monsieur Fauda-Role aux dépens dont distraction au profit de Madame le Président Ramillion, avoué.