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Décisions

CA Nîmes, 2e ch., 18 janvier 1996, n° 94-4616

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Trigano Industries (SA)

Défendeur :

JP Lust (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

MM. Nicolai, Bestagno

Avoués :

Me d'Everlange, SCP Fontaine-Malacuso-Jullien

Avocats :

SCP Fayol-Vailler, Me Coudurier.

T. com. Annonay, du 4 nov. 1994

4 novembre 1994

La société Jamet Loisirs à Pontcharra (Isère) a conclu le 1er septembre 1987 un contrat par lequel elle a confié à la société Jean-Pierre Lust l'agence de vente et la représentation exclusive de ses productions de caravanes pliantes.

La société Lust a pour mission de vendre pour le compte de la société Jamet Loisirs les produits concernés et d'assurer leur distribution en Belgique au mieux des intérêts des deux parties.

Le contrat a pris effet le 1er septembre 1987 pour une durée de trois années renouvelables tacitement sauf dénonciation, 6 mois avant l'échéance.

Il a été stipulé que la facturation se fera par la société Jamet Loisirs, soit directement à la société JP Lust, considérée dans ce cas comme importateur exclusif, soit directement aux distributeurs.

La société Lust est rémunérée par des commissions.

Il est précisé à l'article 12 que la société Lust conditionnera sa politique de vente sur le marché au mieux des intérêts des parties concernées, et que la société Jamet Loisirs n'interviendra pas dans l'établissement de la politique de vente de la société Lust, mais que néanmoins ses suggestions pourraient être prises en considération.

En décembre 1991, la société Trigano Industries a acquis de la société Jamet Loisirs son fonds de commerce de fabrication et de commercialisation de caravanes pliantes en toile et s'est engagée à exécuter les contrats en cours dont celui conclu avec la société Lust.

Le 14 janvier 1994, la société Lust a assigné la société Trigano Industries devant le tribunal de commerce et demandait :

- qu'il soit dit et jugé que le comportement coupable de la société Trigano Industries entraîne la rupture de la relation contractuelle avec la société Lust,

- que celle-ci soit résiliée judiciairement aux torts exclusifs de la société Trigano Industries,

- qu'à ce titre la société Trigano Industries soit condamnée à verser à la société Lust :

- 106 055 F à titre de dédommagement, conformément aux conditions de fixation de l'indemnité prévue dans le contrat,

- 11 448 F au titre des commissions impayées pour 1993,

- 100 000 F au titre du préjudice commercial,

- 11 800 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par un jugement en date du 4 novembre 1994, auquel il est expressément référé pour rappel détaillé de la procédure et des faits, le Tribunal de commerce d'Annonay a dit que la rupture du contrat doit être imputable à la SA Trigano Industries et l'a condamnée à verser à la société Lust la somme de 80 053 F, outre intérêt de droit au taux légal à compter du jugement, celle de 11 448 F correspondant à des commissions impayées 1994, date de l'assignation, et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les premiers juges ont pour asseoir leur décision notamment énoncé " que les ventes directes ainsi que les démarchages de la concurrence représentent une violation formelle du contrat la liant à la SA Lust et que cette dernière est donc justifiée à réclamer, en vertu de l'article 11 dudit contrat, une indemnité afférente à sa rupture consécutive à cette attitude ".

La société Trigano Industries SA a régulièrement interjeté appel, le 23 novembre 1994, de cette décision.

Réfutant le grief d'immixtion dans la politique commerciale de la société Lust, elle fait valoir que la décision de ne pas participer au Salon du Plein Air se tenant courant mars 1993 à Bruxelles relève d'une initiative unilatérale de cette dernière société et que les conditions de participation de la société Trigano Industries à ce même salon ont été fixées par la société Lust elle-même.

Elle ajoute que dans la mesure où M. Lust participe depuis 20 ans à ce salon auquel tous les fabricants européens sont présents, il est normal que Jamet ait pu considérer que Lust pouvait prendre une partie des frais à sa charge mais qu'à la suite du refus opposé par Lust, elle n'a pas cherché à recouvrer auprès de lui le paiement de sa facture n° F 301471 de 18 068 F et qu'il n'y a donc aucune faute de sa part.

La société appelante fait valoir sur le grief de démarchage des clients de la société Lust qui est porté à son encontre, qu'il n'est nullement interdit, à un client, de commander directement à la société Trigano Industries dans la mesure où celui-ci, conformément à l'article 6 du contrat, a été agréé par la société Lust ; que l'opération " Campingland " qui lui est reprochée ne s'est nullement passée en fraude des droits de la société Lust, qui a été informée, a donné son accord et a été rémunérée conformément aux termes du contrat ; qu'hormis ce cas, il n'y a eu aucun autre contrat avec un revendeur ou tout autre client de la société Lust étant précisé que les prix faits à Campingland ont été tout à fait normaux.

La société Trigano Loisirs SA ajoute que Lust ne peut pas lui reprocher non plus de ne pas l'avoir invité à la " réunion de présentation aux agents importateurs en juin 1993 " compte tenu de ce qu'aucune réunion de ce type n'a été organisée cette année-là ; que la présentation de la gamme Jamet a lieu chaque année au Salon du Bourget, salon auquel M. Lust se rend systématiquement depuis 25 ans.

Elle fait valoir également qu'alors même que Jamet est le numéro 1 des caravanes pliantes en Europe, la Belgique, pays sur lequel Lust détient l'exclusivité est celui qui enregistre les résultats les plus catastrophiques, ceci, en raison du désintérêt total de l'importateur pour les produits Jamet et comme prétendu par l'adversaire du fait de l'écroulement du marché dû au désintérêt de la clientèle dans le secteur considéré ou pour toute autre raison d'ordre économique.

Reconventionnellement, la société Trigano Industries fait grief à la société Lust de ce que l'absence totale de commande de caravanes pliantes en toile au cours de la saison 1992/1993 ainsi que la décision tardive de non- renouvellement prise par cette dernière le 15 octobre 1993, en violation des modalités prévues à l'article 3 du contrat, lui cause un grave préjudice, privée qu'elle se trouve de possibilité de réorganiser la distribution de ses produits en Belgique pour la saison en cours, ce qui justifie de sa part une demande indemnitaire dont le montant pourrait être fixé à 300 000 F, cette somme représentant la perte de marge de Trigano Industries (15 %) sur les produits qui n'ont pas été vendus, au cours des saisons 1991/1992, 1992/1993 et 1993/1994.

C'est dans ces conditions que la société Trigano Industrie SA demande à la cour :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce d'Annonay,

- rejeter l'ensemble des demandes de la société Lust,

- dire et juger que le non-respect de préavis contractuel a causé un préjudice à la société Trigano Industries,

- condamner la société Jean-Pierre Lust à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts,

- la condamner également à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- la condamner en outre aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction prononcée pour ces derniers.

La société JP Lust SA fait prendre en réponse des conclusions aux termes desquelles elle demande :

- tenant les circonstances de la cause,

- confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise,

- y ajoutant :

- condamner la société Trigano Jamet Loisirs à verser à la société JP Lust :

- à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive : 20 000 F,

- au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : 11 860 F,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions la société intimée, appelante à titre incident, fait valoir qu'il est parfaitement établi par les pièces versées aux débats que la société Trigano Jamet est venue violer les termes de la convention stricte qui liait les parties en :

- s'immisçant dans la politique commerciale développée par la société JP Lust et en tentant ensuite de lui faire supporter les frais du désastre stratégique ainsi mis en place,

- se permettant de prendre directement contact avec les revendeurs du Groupe de M. Jean-Pierre Lust en leur faisant directement des offres extrêmement favorables ; que cette politique se poursuit actuellement toujours et que les derniers documents de diffusion adressés par la société Trigano Jamet Loisirs commettait ces graves manquements contractuels cette dernière aurait eu la possibilité si les griefs de désintérêt qu'elle portait à son encontre étaient avérés de mettre un terme, dans le strict respect des relations contractuelles, au contrat qui les liait ; qu'il ressort des correspondances de la société appelante que celle-ci n'a jamais fait aucun reproche d'aucune sorte à M. Lust, entendant manifestement ainsi jouer sur les deux tableaux.

La société intimée retient que la rupture aujourd'hui consommée relève bien des manœuvres opérées par la société Trigano, ce qui ouvrait bien droit, ainsi que l'a parfaitement reconnu le tribunal de commerce à de légitimes dommages et intérêts fondés sur les dispositions des articles 1135 et 1142 et suivants du Code civil et dont le montant a été correctement apprécié par la juridiction de première instance, laquelle n'a pas omis de rajouter à la somme de 80 053 F arbitrée, celle de 11 448 F qui restait due en l'état d'une commission impayée et non discutée.

Faisant appel incident, la société JP Lust SA soutient que l'appel principal interjeté par la société Trigano lui cause de nouveaux frais et de nouveaux préjudices dont il conviendra de la dédommager tenant l'appel manifestement abusif de cette dernière.

Expresse référence est faite pour plus ample exposé des demandes et moyens respectifs aux conclusions échangées par les parties en cause d'appel, ensemble des pièces qu'elles ont produites à l'appui.

Sur quoi :

Attendu que pour prononcer la résolution judiciaire du contrat liant les parties, le tribunal a retenu comme établis à la charge de la société Trigano Loisirs, les deux griefs articulés par la société cocontractante, savoir :

- l'immixtion dans la politique commerciale de la société JP Lust,

- le démarchage des clients de cette société ;

Attendu que sur le premier point la société Trigano ne saurait être convaincue d'avoir empiété sur la politique commerciale de sa cocontractante dès lors qu'ayant été informée par cette dernière de sa décision de ne pas participer au Salon du Plein Air de Bruxelles, les conditions de participation des société Campingland (GIMEFA) et Trigano Industries ont été fixées dans une lettre de la société Lust du 20 février 1993 et confirmées par une lettre du 26 février 1993 ;

Attendu qu'ayant ainsi et de propos délibéré renoncé au droit d'exercer seule les prérogatives qui lui étaient reconnues dans le domaine de la politique commerciale, la société JP Lust ne peut de ce fait en tirer ensuite argument pour se plaindre d'une prétendue immixtion, inexistante à ce niveau ;

Attendu que de la même manière, la société JP Lust ne peut non plus arguer d'une démarchage de clientèle alors que, comme on l'a vu, l'intervention de Campingland-Gimefa s'est faite avec son accord et que les stipulations de l'article 6 du contrat de 1987 prévoient la possibilité pour Jamet de facturation directe des distributeurs agréés, ce qui est le cas de la société en cause, n'étant pas contesté également que l'importateur qui a expressément réservé son droit à commission (rappelé dans le courrier du 26 février 1993 susvisé) s'est vu gratifier pour les ventes effectuées pendant le salon de commissions dont le principe est acquis, même si les sommes correspondantes n'ont pas été versées ;

Mais attendu que la société JP Lust est cependant en droit d'exciper de la violation de ses obligations contractuelles par sa cocontractante étant considéré que l'immixtion dans la politique commerciale se trouve, en dépit de ses dénégations, caractérisée par l'acharnement de la société Trigano Loisirs SA à recouvrer le paiement de prétendus frais de participation de SA Lust pour le Salon de Bruxelles en retenant notamment de façon abusive les commissions susvisées alors qu'il était clairement entendu entre les parties (courrier recommandé du 26 février 1993) que Lust déclinait la prise en charge du " coût de la location et réalisation d'un stand Jamet au Salon des Vacances 93 " ;

Attendu qu'en outre si la déloyauté du comportement de la SA Trigano n'est pas établie dans le cadre de l'opération Salon des Vacances précitée, en revanche elle se trouve parfaitement caractérisée de façon postérieure, au regard d'un courrier adressé par Jamet à Campingland, le 13 septembre 1993 où les prix proposés directement à ce dernier pour la saison 93-94 en violation des accords intervenus, sont de 17 à 21 % inférieurs à ceux des mêmes modèles facturés le 19 mars 1995 (facture n° CO 1396) pour le Salon de Bruxelles du mois de mars 1993;

Attendu que si bien au vu des documents produits il est incontestable que les ventes de caravanes pliantes en toile commercialisées par Trigano Jamet ont vu leur chiffre diminuer sur le territoire de la Belgique, il reste que la baisse constatée n'a pas forcément pour cause unique la conjoncture ou l'état du marché et que la chute des ventes ressortit peut-être également à un certain désintérêt de la SA Lust pour la commercialisation de ce type de produits ;

Attendu que cependant la société appelante n'est pas pour autant fondée à se prévaloir d'une quelconque faute de cette dernière alors que, comme l'ont justement souligné les premiers juges, il appartenait à la SA Trigano de dénoncer le contrat la liant à la SA Lust si elle n'était pas satisfaite de ses services ;

Attendu que dans ces conditions, il apparaît que l'immixtion dans la politique commerciale de la société SA Lust et la volonté clairement affirmée par la société Trigano d'ignorer l'existence de sa cocontractante, pour traiter directement avec un revendeur de celle-ci en lui consentant des remises équivalant pour le moins aux taux de commission convenus avec cette dernière, sont constitutifs d'une attitude fautive caractérisant à la charge de la SA Trigano une violation particulièrement grave de ses obligations contractuelles justifiant que la rupture soit prononcée entre les parties à ses torts exclusifs;

Attendu qu'il convient donc de confirmer par substitution de motifs le jugement sur ce point ;

Attendu qu'en vertu de la clause stipulée à l'article 11 du contrat du 1er septembre 1987 prévoyant que " l'indemnité sera limitée au montant annuel moyen des commissions dues au cours des trois années précédentes ", il y a lieu d'entériner le calcul opéré par le tribunal dont les motifs sont adoptés ;

Attendu qu'il convient également de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la SA Trigano au paiement de la somme de 11 448 F correspondant à des commissions impayées pour l'année 1993 étant constaté que ledit montant ne fait l'objet d'aucune contestation par la société appelante, ainsi que rappelé plus haut ;

Attendu qu'il échet de rejeter comme non fondée la demande reconventionnelle de cette dernière (la décision de non-renouvellement du 15 octobre 1993 n'étant pas directement imputable à la société intimée et se trouvant de surcroît justifiée) ainsi que l'appel incident de la SA Lust, le caractère abusif de l'appel principal n'étant pas démontré, au regard de l'ensemble des éléments du litige soumis à l'appréciation de la cour ;

Attendu qu'il convient de condamner la SA Trigano Industries aux entiers dépens ainsi qu'à payer à la SA JP Lust la somme qu'elle réclame au titre de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ; Déclare recevable l'appel régulièrement interjeté par la société Trigano Industries à l'encontre du jugement prononcé par le Tribunal de commerce d'Annonay le 4 novembre 1994 ; Le dit entièrement non fondé et l'en déboute ; Confirme, pour partie par substitution de motifs, le jugement déféré, en ce qu'il a déclaré la rupture imputable à la SA Trigano Industries et condamné cette dernière à réparer le dommage qui en est résulté pour la SA Lust ; Y ajoutant : Déboute la SA Trigano Industries SA de sa demande reconventionnelle ; Déclare recevable mais non fondé l'appel incident de la société JP Lust SA ; Condamne la SA Trigano Industrie à payer à la SA JP Lust la somme globale de 11 860 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel.