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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 24 janvier 1996, n° 9407651

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Plus International (SA)

Défendeur :

Moulins cuisines (SA), Raynaud (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

M. Froment, Mme Letourneur-Baffert

Avoués :

Mes Castres & Colleu, Bazille & Genicon

Avocats :

Mes Loublier, Gast, Coroller-Bequet.

T. com. Quimper, du 29 juill. 1994

29 juillet 1994

Vu le jugement du 29 juillet 1994 par lequel le Tribunal de Commerce de Quimper, sur l'action engagée contre SA Plus International, en tant que franchiseur, par SA Moulins Cuisines, son franchisé :

- a retenu la nullité des conventions, aux motifs d'ententes entre le franchiseur et les fournisseurs du franchisé et d'une indétermination du prix des marchandises dans le cadre de l'approvisionnement du franchisé

- a condamné SA Plus International à payer au franchisé, la somme de 90 000 F en principal, au titre du préjudice causé par l'indétermination du prix lors des ventes, et la somme de 500 000 F, en principal, à titre de dommages-intérêts pour le surplus, outre 25 000 F pour frais non taxables

Vu l'appel de ce jugement par SA Plus International

Vu les écritures d'appel par lesquelles cette société :

- soutient qu'à tort les premiers juges ont retenu une entente, alors que celle-ci n'est pas caractérisée et notamment :

a) que, dans une franchise de distribution, le référencement de produits par le franchiseur n'est pas contraire aux règles assurant la libre concurrence, en observant que les fournisseurs sont des fabricants et que les franchisés étaient libres de leur prix de revente

b) que le franchiseur et les principaux fournisseurs ont constitué des personnes distinctes, sans aucune confusion de patrimoine

c) que l'assurance de groupe souscrite par l'entremise du Cabinet Verlingue a permis aux franchisés de bénéficier de conditions avantageuses et ne caractérise pas davantage une entente

d) que le franchiseur ne s'est nullement approprié des remises devant bénéficier aux franchisés

- observe qu'à supposer qu'une prétendue entente ait existé entre le franchiseur et certains fournisseurs, ce fait n'a pas pour conséquence la nullité des contrats de franchise, dès lors qu'il n'est pas démontré en quoi cette entente pourrait avoir des effets sur la validité de ce contrat, étranger à l'entente

- critique le jugement déféré en ce qu'il a également retenu la nullité du contrat de franchise pour indétermination du prix des marchandises avant leur vente alors que le franchisé a connu, lors de la souscription du contrat, le prix d'achat des fournisseurs, les caractéristiques des produits et les conditions générales de vente, qu'ultérieurement le franchisé a exécuté le contrat sans réserve, ce qui révèle son accord, alors de plus qu'il avait mandaté le franchiseur pour négocier les prix et les nouveaux référencements avec les fournisseurs, qu'il a été rendu compte au franchisé et qu'il n'est justifié d'aucun abus

- discute la réparation du préjudice allégué, en observant que celui-ci n'est établi par aucune pièce et que, si le contrat était annulé, il y aurait lieu de remettre les parties dans l'état où elles auraient été si ce contrat n'avait pas été souscrit et exécuté, ce qui nécessiterait une expertise

- soutient qu'à bon droit, en outre, les premiers juges ont rejeté la demande de nullité pour dol, dès lors que le dol ne peut résulter de simples affirmations et que rien n'établit des manœuvres ou une réticence dolosive, que le contrat de franchise litigieux n'est que le renouvellement d'un contrat précédent et qu'à aucun moment le franchisé ne s'est plaint, dans l'exécution du contrat, avant que le tribunal ne soit saisi, en observant en outre que les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 ne sont pas applicables, le décret d'application de ce texte n'étant pas paru à la date de la souscription du contrat, et aucune sanction n'étant énoncée par le texte

- soutient qu'à bon droit a également été écarté le moyen de nullité tiré de l'exploitation d'une situation de dépendance économique, dès lors que le marché pertinent n'est pas davantage caractérisé que pour l'entente et que le franchisé n'était pas tenu de signer un contrat de franchise, que n'a été imposée aucune condition discriminatoire, qu'il n'y a jamais eu menace de résiliation du contrat, que les engagements particuliers des franchisés à l'égard des fournisseurs lui sont étrangers et que ceux-ci ont adhéré librement au contrat d'assurance de groupe souscrit, qui leur était avantageux.

Vu les écritures d'appel par lesquelles Me Raynaud, liquidateur judiciaire poursuivant la procédure engagée par SA Moulins Cuisines, dont le redressement et la liquidation judiciaires ont été prononcés le 9 juillet 1992 :

- expose que le franchisé a souscrit avec le franchiseur un contrat de franchise le 13 septembre 1990, que l'activité a débuté en février 1991 et que le dirigeant social de SA Moulins Cuisines a rompu ce contrat le 5 octobre 1991, les méthodes du franchiseur faisant obstacle à la réalisation de bénéfice

- soutient qu'à tort les premiers juges ont écarté la nullité pour dol, alors que le contrat a été conclu sur la base de documents prévisionnels trompeurs, sans connaissance sur le marché considéré et sur la situation réelle du réseau de franchise

- soutient également qu'à tort les premiers juges ont écarté le moyen de nullité tiré de l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique, en observant sur ce point que, par la clause d'approvisionnement exclusif stipulée dans le contrat de franchise, le franchisé ne disposait pas d'une solution équivalente sur le marché et a été dans la nécessité de se soumettre aux conditions de prix des fournisseurs, aux garanties par eux demandées, à un organisme de financement, à un organisme de publicité, à un assureur et aux décisions de gestion du franchiseur

- soutient qu'à bon droit les premiers juges ont retenu le moyen de nullité tiré de l'indétermination des prix d'achat d'approvisionnement et des marchandises formant cet approvisionnement, en relevant que la détermination des articles et des prix était le fait du franchiseur et des fournisseurs, les principaux fournisseurs étant liés au franchiseur par des intérêts capitalistiques communs et qu'il y a eu abus de la clause d'exclusivité pour tirer un profit illégitime au détriment du franchisé

- soutient également qu'à bon droit les premiers juges ont retenu le moyen de nullité tiré d'une entente entre le franchiseur et certains fournisseurs, en observant notamment qu'il est apparu que le contrat liant le franchiseur au fournisseur " Ranger " prévoyait à la charge de celui-ci, au seul bénéfice du franchiseur, un commissionnement de 7 % sur le chiffre d'affaires fait avec le franchisé, ce qui augmentait les prix supportés par le franchisé et qu'il est établi que les fournisseurs référencés pratiquaient des prix plus élevés envers le réseau que pour les commerçants hors réseau, en observant, en outre, qu'aucune remise, pourtant prévue au contrat de franchise, n'a bénéficié au franchisé

- demande que soient retenus les moyens de nullité pour dol et pour abus de dépendance économique, outre les moyens de nullité pour entente et pour indétermination du prix dans les ventes relevées par les premiers juges

- demande, par appel incident, le paiement de la somme de 724 400 F, au titre de la restitution du droit d'entrée de redevances versées et de la réparation du préjudice subi, sans préjudice d'une action en comblement de passif que le liquidateur se réserve d'entreprendre, outre la somme de 30 000 F pour frais non taxables

Considérant que le contrat de franchise litigieux, a été souscrit le 13 septembre 1990, pour le compte de la société en cours de formation, de sorte que faussement il est prétendu, sans d'ailleurs aucune production étayant l'allégation, que ce contrat faisait suite à un autre contrat de franchise ; que le contrat litigieux par lequel le franchiseur a concédé l'usage de la marque et de l'enseigne pour la commercialisation de produits qu'il ne vendait pas au franchisé mais qu'il sélectionnait sur le marché et dont il négociait avec les fournisseurs les prix d'achat stipulés pour l'ensemble des adhérents du réseau, a contenu des clauses d'exclusivité réciproques, le franchisé, qui utilisait la marque et l'enseigne, s'obligeant à ne commercialiser que des produits référencés et le franchiseur s'obligeant à ne concéder ni l'enseigne, ni la marque sur le secteur géographique déterminé qui a constitué la zone de chalandise du franchisé ; qu'il suit de ces éléments que la clause d'exclusivité et de commercialisation des produits référencés et la concession exclusive étaient indispensables pour préserver l'identité du réseau de franchise et la qualité des produits vendus sous l'enseigne ;

Considérant que le contrat litigieux a mis principalement à la charge des deux parties des obligations de faire et ne pas faire et n'a pas mis à la charge du franchiseur une obligation de donner, de sorte que le fait que le prix, la qualité et toutes les spécificités des marchandises référencées par le franchiseur, à la commercialisation desquelles le franchisé s'est obligé sous la marque et les signes distinctifs du premier, ainsi que les conditions de référencement, éléments connus du franchisé lors de la signature du contrat, puissent varier, dans le cadre des négociations du franchiseur avec les fournisseurs, ne confère pas à ce dernier le pouvoir discrétionnaire de faire varier ces éléments, étant observé :

- que les référencements ont présenté des gammes de produits très variés, comme il ressort des multiples tarifs envoyés aux franchisés notamment suivant lettres-circulaires des 16/1, 9/2, 20/2, 8/3, 21/9, 18/12 1989, 11/6, 9/10 1990, 23/4, 4/12 1991 et des fiches de référencement précisant les conditions obtenues que recevait le franchisé, notamment en ce qui concerne Scandinavian Steel, Balay France, Agem Bauformat, You, Vedette, Sogal, Sidex, Minimob, Ranger, Meissonnier, LMS, First, Euroform, Dynor, Covam, Bauknecht, Ariston, Approsine, Agrec Cuisina

- que le franchisé n'avait aucune obligation de constituer un stock, de sorte qu'il pouvait librement se déterminer, en fonction des goûts de la clientèle et de la concurrence, dans son approvisionnement auprès des fournisseurs référencés ;

Considérant qu'ainsi à tort les premiers juges ont retenu que le contrat litigieux était nul pour indétermination du prix des marchandises référencées et qu'il n'est pas davantage nul pour indétermination des produits au référencement desquels le franchiseur était obligé ;

Considérant que le franchisé n'était pas tenu, dans la revente des produits à la clientèle, par un prix imposé pour les produits référencés ;

Considérant qu'en outre, à tort les premiers juges ont retenu l'existence d'ententes anticoncurrentielles entre le franchiseur et certains fournisseurs, alors qu'il ressort des productions que les conditions tarifaires stipulées par ceux-ci pour les franchisés, au titre de référencement, étaient fixées, en ce qui concerne les remises et les ristournes, dans les conventions de référencements et étaient, comme il ressort des fiches de référencement, régulièrement portées à la connaissance des franchisés qui commandaient donc en connaissance de cause, et qu'à tort également ils ont retenu qu'il y avait eu entente illicite en ce qui concerne un contrat d'assurance groupe, alors que, s'il a été conseillé par le franchiseur à ses franchisés d'adhérer à un tel contrat, ces derniers, seulement tenus par les franchises de s'assurer, sont demeurés libres de traiter, le cas échéant, en dehors du contrat de groupe, comme il ressort, tant des franchises elles-mêmes que de la lettre du franchiseur du 4 janvier 1989, le fait qu'en dépit d'une rédaction impropre, le franchiseur demande à ses franchisés, dans cette lettre, de lui faire parvenir, au cas où ils seraient pas assurés au contrat de groupe, leur contrat d'assurance pour procéder à une étude de celui-ci, révélant que c'est l'assurance qui était contractuellement obligatoire et non l'assureur avec laquelle le contrat devait être traité ;

Considérant qu'ainsi aucun des moyens de nullité retenu par les premiers juges ne prospère ; qu'en revanche SA Moulins Cuisines a souscrit le contrat litigieux alors qu'elle était en cours de formationet qu'elle s'est plainte d'avoir été trompée sur la faisabilité de l'entreprise dans les quelques mois ayant suivi l'exécution effective du contrat, en octobre 1991 ; que le franchiseur, qui mettait à disposition une marque et une enseigne en exigeant un engagement d'exclusivité, était tenu, en application de la loi du 31 décembre 1989, de fournir au franchisé, lors de la signature du contrat de franchise, des informations sur le réseau et les perspectives de développement permettant au franchisé de s'engager en connaissance de cause, ce qu'il ne justifie pas avoir fait, les documents fournis, tels qu'ils ressortent de l'article 2 du contrat n'incluant pas de telles informations, étant observé que le décret du 4 avril 1991 ne fait que préciser le contenu du document qui doit être remis au franchisé avant qu'il ne s'engage, sans que pour autant l'entrée en vigueur de la loi susvisée ait été subordonnée à la mise en vigueur de ce texte pour les obligations dont elle dispose expressément, au rang desquelles figurent les perspectives de développement du marché concerné et l'importance du réseau d'exploitant ; qu'il suit de ces éléments que, faute pour le franchiseur d'avoir loyalement fourni une information sur l'état du réseau de franchise à la souscription du contrat et sur les perspectives de développement du marché concerné, le franchisé n'a pu donner son consentement éclairé à la souscription de ce contrat, dont l'exécution effective est du mois de février 1991 ; que le vice du consentement, par réticence du franchiseur, qui est révélé par la lettre du franchisé du 5 octobre 1991, conduit à l'annulation du contrat litigieux, sans qu'il y ait lieu d'examiner s'il était, de plus, également nul pour d'autres causes ; qu' à la suite de cette annulation le contrat est anéanti et les parties doivent être remises dans l'état où elles se trouveraient s'il n'avait pas été souscrit ; que, sur ce point, avant faire droit aux prétentions, il y a matière à expertise

Par ces motifs, Prononce, par motifs substitués, l'annulation du contrat de franchise du 13 septembre 1990, intervenu entre SA Plus International et SA Moulins Cuisines, pour réticence dolosive du franchiseur au détriment du franchisé ; Avant faire droit sur le surplus, Ordonne une expertise judiciaire y commet l'expert Christian Pouviot, 36 rue des grands près, BP 31 03100 Montluçon, avec la mission suivante : 1°) Examiner la comptabilité de SA Moulins Cuisines, 2°) Rechercher le montant des ventes faites par cette société à compter du 13 septembre 1990 jusqu'à la dépose de l'enseigne, 3°) Rechercher le montant des achats faits aux fournisseurs pendant la même période, 4°) Rechercher le montant des redevances versées au franchiseur pendant cette période, 5°) Donner son avis sur l'apurement des comptes entre les parties à la suite de l'anéantissement du contrat de franchise les ayant liées ; Ordonne consignation par SA Plus International de la somme de 15.000 F, à valoir sur les honoraires de l'expert, au greffe de la Cour, avant le 15 février 1996, à peine de caducité de la mesure d'instruction et dit que l'expert exécutera sa mission à compter de l'avis qui lui sera donné par le greffier de cette consignation et déposera son rapport le 15 juin 1996, sauf prorogation de délai ; Renvoie l'affaire devant le Conseiller de la mise en état, dépens réservés.