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Décisions

CA Paris, 16e ch. A, 6 février 1996, n° 94-17275

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Agopyan

Défendeur :

Paris Sud Location (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclaud

Conseillers :

Mme Guérin, M. Morel

Avoués :

SCP Meynard-Scelle-Millet, SCP Barrier, Monin

Avocats :

Mes Gomez, Barbier.

CA Paris n° 94-17275

6 février 1996

LA COUR statue sur l'appel interjeté par le société Paris Sud Location d'un jugement du Tribunal de grande instance d'Evry du 9 décembre 1993 qui a :

- déclaré valable le congé avec refus de renouvellement et dénégation du statut du décret du 30 septembre 1953 à effet du 1er mars 1992,

- dit qu'en conséquence, la société Paris Sud Location devrait libérer les lieux loués dans le mois de son prononcé,

- dit qu'à défaut il y avait expulsion,

- prononcé sa condamnation à payer à la bailleresse, Mme Agopyan, une indemnité d'occupation de 7 000 F par mois à compter du 1er mars sans qu'il y ait lieu à réévaluation.

Les faits et le procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit.

Par acte sous seing privé du 1er mars 1983, le contrat de concessionnaire a été signé entre la société Avis Location de Voitures SA et la société Paris Sud Location, convention qui comportait notamment une licence de marque et couvrait le secteur de Massy-Palaiseau.

Quelques jours plus tard, le 9 mars, Mme Agopyan a donné à bail à la société Paris Sud Location divers locaux à usage commercial, situés au 49, avenue Carnot à Massy aux clauses principales suivantes :

- durée du 1er mars 1983 au 1er mars 1992,

- destination : commerce de loueur de voitures,

- loyer : 42 000 F par an en principal,

- cession, sous-location : " le preneur ne pourra, en aucun cas ou sans aucun prétexte, céder son droit au présent bail ni sous-louer en tout ou partie les locaux loués sans le consentement exprès et par écrit du bailleur ",

- cautionnement de M. Collignon.

Par acte du 23 septembre 1991, Mme Agopyan a donné congé à la société Paris Sud Location pour le 1er mars 1992 avec dénégation de statut et refus de renouvellement pour les motifs suivants :

1) à titre principal, la société Paris Sud Location ne remplit pas les conditions de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953, et ne peut bénéficier du statut des baux commerciaux car exploitant la clientèle de la société Avis, en franchise, elle n'est pas propriétaire d'une clientèle propre et autonome,

2) en outre, la société locataire a procédé à une modification de ses statuts en violation de la clause du bail prévoyant la signification au bailleur dans le mois de la signification,

3) au surplus, la société Paris Sud Location a procédé à une sous-location au profit de la société Paris Sud Ulis en violation de la clause de sous-location prévue au bail et en violation de l'article 21 du décret du 30 septembre 1953.

Par acte du 18 mai 1993, la société Paris Sud Location a assigné Mme Agopyan aux fins de voir ce congé déclarer nul, juger que les motifs de dénégation de statut et du refus de renouvellement sans indemnité sont mal fondés, et, donc de voir ladite Mme Agopyan déboutée des fins du congé.

A titre subsidiaire, la société Paris Sud Location sollicite l'allocation d'une indemnité d'éviction en cas de non-renouvellement du bail et la désignation d'un expert pour proposer à la Cour des éléments de chiffrage de celle-ci.

Enfin, la demanderesse sollicitait l'octroi de la somme de 7 000 F au titre de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile.

C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement déféré qui a été rectifié par un jugement du 3 novembre 1994 en ce qu'il a dit que le point de départ de l'indemnité d'occupation était dû à compter du 1er mars 1992 et non du 1er mars 1993 comme indiqué par erreur dans le dispositif du jugement déféré.

La décision entreprise, pour retenir que le congé litigieux avait valablement mis fin au bail, a posé que la société Paris Sud Location ne pourrait se prévaloir du statut du 30 septembre 1953 au motif qu'elle n'avait la propriété d'une clientèle propre et autonome, et, partant, la propriété d'un fonds de commerce, à preuve que le contrat de concession lui laissait une autonomie " à peu près réduite à néant " à raison de l'obligation de respecter en tout (locaux, composition du parc automobile, publicité, prix plafond) les normes Avis et, de l'impossibilité d'offrir par lui-même le service " One Way " (restitution du véhicule loué à n'importe quel point Avis et non à son lieu de location).

La société Paris Sud Location, appelante, demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de constater que le congé litigieux est nul, de dire que Mme Agopyan ne peut délivrer congé comportant refus de renouvellement sans indemnité d'éviction.

A titre subsidiaire, si le congé était reconnu avoir mis fin valablement au bail, elle sollicite la désignation d'un expert aux fins d'évaluer le montant de l'indemnité d'éviction.

Enfin, elle invite la Cour à lui octroyer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile

Mme Agopyan, intimée, conclut à la confirmation du jugement entrepris dans toutes ses dispositions, et, à l'allocation de la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile

Ceci étant exposé,

LA COUR

I. - Sur le droit au renouvellement du bail.

Considérant que pour bénéficier du droit au renouvellement d'un bail commercial, et, partant du statut du décret du 30 septembre 1953, il faut qu'il y ait exploitation d'un fonds de commerce dans les lieux loués et que le locataire en soit propriétaire.

Considérant que pour qu'un locataire franchisé ou concessionnaire d'une marque soit considéré comme ayant un fonds de commerce en propre, il faut qu'il apporte la preuve de ce qu'il a une clientèle liée à son activité personnelle indépendamment de son attrait en raison de la marque du franchiseur ou du concédant, ou bien, qu'il démontre que l'élément du fonds qu'il apporte, le droit au bail, attire la clientèle de manière telle qu'il prévaut sur la marque ;

Que ce second cas aurait pu se présenter dans la présente affaire si la société Paris Sud Location avait soutenu et démontré que son implantation était absolument unique en raison de sa situation par rapport à la nouvelle gare d'interconnexion des réseaux TGV de Massy-Palaiseau sous réserve, il est vrai, de prouver également que ce fait créait un flux de voyageurs montant ou descendant à cette station ;

Considérant qu'en réalité, l'argumentation de la société Paris Sud Location tend à prouver qu'elle a une clientèle indépendamment de la marque Avis ;

Que c'est ainsi que cette société oppose à Mme Agopyan le fait que son contrat de concession avec la société Avis n'exclut pas qu'elle puisse mener une politique commerciale qui lui soit propre, donc avoir une clientèle spécifiquement à elle ; qu'à l'appui de ce moyen, la société Paris Sud Location oppose à la bailleresse, Mme Agopyan, le fait que la convention de concession qui la lie à la société Avis fait usage à plusieurs reprises de l'expression " son entreprise " (articles 1, 3-2, 3-13) et qu'elle précise qu'elle a été conclue avec le concessionnaire " intuiti personae " ;

Que la société Paris Sud Location invoque aussi un arrêté ministériel du 21 février 1991 (JO. du 1er mars 1991) qui prévoit qu'à compter du 1er septembre 1991 " un professionnel lié à un professionnel par un accord de franchise doit informer le consommateur de sa qualité d'entreprise indépendante, de manière lisible et visible, sur l'ensemble des documents, ainsi qu'à l'intérieur et à l'extérieur des points de vente " ;

Que cet arrêté a été diffusé à " Messieurs les loueurs de véhicules liés par un contrat de concession ou de franchise " par leur syndicat professionnel ;

Mais considérant que, en ce qui concerne, le premier argument, il ne saurait emporter la conviction de la possibilité d'existence d'une clientèle autonome à la société Paris Sud Location car l'emploi du terme " entreprise " répond à une définition économique, - personne ne contestant que cette société ait son propre chiffre d'affaires - , et, non à une notion juridique qui impliquerait nécessairement une clientèle indépendante de la marque ;

Que quant au second argument tiré de l'obligation d'informer le consommateur du caractère indépendant du franchisé, l'arrêté ministériel précité a pour objet seulement d'appeler l'attention du client sur la clause suivante qui est stipulée dans les contrats de concession ou de franchise et qui, naturellement est insérée dans le contrat de concession liant Avis à la société Paris Sud Location :

" II. - Le concessionnaire ne peut agir en aucun cas comme mandataire d'Avis.

Le présent contrat ne doit pas être considéré ni interprété comme conférant au concessionnaire la qualité de mandataire ou de représentant d'Avis, à quelque fin que ce soit ; le concessionnaire reconnaît qu'il n'a pas pouvoir d'engager la responsabilité d'Avis ni de créer une obligation quelconque, tacite ou expresse, au nom et pour le compte d'Avis, ni de lier ou tenter de lier Avis de quelque manière que ce soit " ; qu'il ne saurait se déduire de la mention du caractère indépendant de la société Paris Sud Location sur ses papiers commerciaux que la majorité de la clientèle qui vient chez elle lui est propre ;

Considérant que la société Paris Sud Location soutient encore que le concessionnaire est " le seul à justifier des attributs du droit de propriété (du fonds) : l'exploitation, la cession, la possibilité de gager le fonds " ;

Mais considérant que ce qui attire la clientèle d'un prestataire de service franchisé ou concessionnaire, c'est la " charte " de la marque qui se traduit par la proposition de contrat-type qui garantissent le principe d'une exécution dépourvue d'aléas; que cela explique qu'en vertu du contrat de concession en cause, le cessionnaire ne peut céder les droits, qu'il tient de cette convention sans l'accord préalable et écrit d'Avis; que par le jeu de cette clause, sauf à la société Paris Sud Location à démontrer qu'elle a une clientèle indépendamment de la marque, ce qu'elle ne fait pas, celle-ci, durant la durée de la concession, ne peut vendre librement son fonds, sauf à se conformer à la volonté d'Avis, - ce qui démontre qu'elle n'a pas " l'abusus ";

II. - Sur l'extension conventionnelle du statut des baux commerciaux.

Considérant enfin que la société Paris Sud Location, se plaçant dans l'hypothèse retenue par la Cour d'absence de reconnaissance d'une clientèle propre, fait valoir qu'il y a eu de toute façon extension conventionnelle du statut des baux commerciaux puisque le bail litigieux vise expressément ce texte, de sorte qu'elle aurait droit à indemnité d'éviction ;

Mais considérant que le bail litigieux ne comporte aucune clause au terme de laquelle elle aurait renoncé à se prévaloir des conditions légales du droit au renouvellement, l'application volontaire du statut, pendant la durée du bail ne dispensant pas alors le locataire de remplir lesdites conditions légales pour avoir droit au renouvellement ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction délivré par Mme Agopyan le 23 septembre 1991 à effet au 1er mars 1992 a valablement mis fin au bail en cause par application des articles 1737 et 1738 du Code Civil ;

Considérant dès lors qu'il est sans intérêt d'examiner si Mme Agopyan avait des motifs graves et légitimes de refuser le renouvellement ;

Considérant que quant à l'indemnité d'occupation, son montant n'est pas contesté par la société Paris Sud Location ; qu'il y a lieu de confirmer le chef du jugement déféré qui l'a fixé à 7 000 F par mois à compter du 1er mars 1991 (jugement rectificatif du 3 novembre 1994) ;

Considérant, ceci étant, que l'équité ne commande pas d'allouer à l'une ou l'autre des parties une somme en paiement de ses frais irrépétibles ; que chacune d'elles sera donc déboutée de sa demande de ce chef ;

Par ces motifs, vu le jugement du Tribunal de grande instance d'Evry, du 9 décembre 1993 ; vu le jugement du Tribunal de grande instance d'Evry, du 3 novembre 1994 ; Confirme le jugement déféré du 9 décembre 1993 en ce qu'il a dit que le congé délivré le 23 septembre 1991 à effet au 1er mars 1992 avait valablement mis fin au bail, que la société Paris Sud Location devait libéré les lieux loués dans le mois de la notification du présent arrêt, - le jugement déféré étant émendé sur ce point -, après avoir satisfait à toutes les obligations d'un locataire sortant, dit qu'à défaut, elle pourrait être expulsée avec autorisation de faire transférer les objets mobiliers pouvant se trouver dans les lieux loués dans un garde-meubles et que faute par la société Paris Sud Location de s'acquitter régulièrement des frais de gardiennage, passé le délai d'un mois, il pourrait être procédé à la vente desdits objets mobiliers par tel commissaire au choix du propriétaire ; Confirme encore le jugement entrepris du 9 décembre 1993 en ce qu'il a condamné la société Paris Sud Location à payer à Mme Agopyan une indemnité d'occupation de 7 000 F par mois à compter du 1er mars 1992, sans qu'il y ait lieu à réévaluation, - le jugement rectificatif du 3 novembre 1994 étant confirmé en ce qu'il a décidé sur ce point ; y ajoutant, Déboute les parties de leur demande de condamnation réciproque fondée sur l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Paris Sud Location aux dépens de première instance et d'appel ; Autorise la SCP Barrier Monin, avoué, à les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.