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Décisions

CJCE, 2e ch., 15 février 1996, n° C-309/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Nissan France (SA), Serda (SA), Lyon Vaise Auto (SARL), Garage Gambetta (SA), Lyon Automobiles (SA)

Défendeur :

Dupasquier, Garage Sport Auto, Star'Terre (SARL), Aqueducs Automobiles (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Hirsch

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Mancini, Schockweiler (rapporteur)

Avocats :

Mes Fourgoux, Reynaud

CJCE n° C-309/94

15 février 1996

LA COUR,

1 Par jugement du 14 novembre 1994, parvenu à la Cour le 23 novembre suivant, le tribunal de commerce de Lyon a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant les sociétés Nissan France, Serda, Lyon Vaise Auto, Garage Gambetta et Lyon Automobiles à M. Dupasquier du Garage Sport Auto, ainsi qu'aux sociétés Star'Terre et Acqueducs Automobiles, à propos d'une action pour concurrence déloyale intentée par les premiers contre les seconds.

3 La société Nissan France est l'importateur exclusif en France de véhicules de la marque Nissan. Les sociétés Serda, Lyon Vaise Auto, Garage Gambetta et Lyon Automobiles sont des concessionnaires de cette marque établis dans le département français du Rhône. Toutes ces parties seront désignées ci-après par " Nissan France e.a. ".

4 M. Dupasquier du Garage Sport Auto et les sociétés Star'Terre et Aqueducs Automobiles (ci-après " Garage Sport Auto e.a."), établis dans le même département, procèdent à des importations parallèles de véhicules neufs de la marque Nissan acquis à l'étranger et à la vente en France de ces véhicules, sans être agréés par le constructeur. En outre, ils font de la publicité en tant que vendeurs de véhicules Nissan neufs en stock.

5 Estimant que Garage Sport Auto e.a., qui n'appartiennent pas au réseau de distribution du constructeur automobile Nissan et ne sont pas davantage des intermédiaires mandatés au sens de l'article 3, point 11, du règlement n° 123-85, s'étaient rendus coupables d'actes de concurrence déloyale à l'encontre des distributeurs officiels Nissan, Nissan France e.a. ont, le 22 juin 1993, saisi le tribunal de commerce de Lyon d'une action visant à condamner Garage Sport Auto e.a. à leur verser des dommages-intérêts pour concurrence déloyale et à leur interdire de faire de la publicité en tant que vendeurs de véhicules Nissan neufs en stock.

6 A l'appui de leur action, Nissan France e.a. font valoir que leur réseau de distribution sélective d'automobiles est conforme aux prescriptions du règlement n° 123-85 et protégé par celui-ci. Les importations parallèles ne seraient donc possibles que dans le cadre d'un mandat spécial accordé par un particulier dans les conditions précisées par la communication 91-C 329-06 de la Commission, du 4 décembre 1991, intitulée " clarification de l'activité des intermédiaires en automobile " (JO C 329, p. 20). De plus, le commerçant indépendant ne pourrait pas se présenter, notamment dans sa publicité, comme un revendeur.

7 En revanche, Garage Sport Auto e.a. estiment que le règlement n° 123-85, qui ne viserait que les rapports entre concédants et concessionnaires, ne leur est pas applicable et que l'intervention d'opérateurs économiques extérieurs à ces rapports garantit, conformément au droit communautaire, le maintien d'une concurrence équilibrée. Dans ces conditions, un commerçant indépendant, qui exerce une partie de son activité en tant que mandataire au sens de la réglementation communautaire, pourrait également se livrer à des importations parallèles de véhicules en provenance d'autres Etats membres.

8 Considérant que la solution du litige pendant devant lui dépendait de l'interprétation du droit communautaire, le tribunal de commerce de Lyon a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) Un importateur parallèle peut-il exercer à la fois l'activité de mandataire et celle de revendeur de véhicules importés ?

2) Quels sont les critères de différenciation des véhicules neufs et véhicules d'occasion au sens du droit communautaire ?

A partir de combien de kilomètres et de combien de temps de mise en circulation considère-t-on que le véhicule est d'occasion ? Ou bien la réponse relève-t-elle dans chaque cas d'une appréciation des juridictions nationales ? "

Sur la première question

9 En vue de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de comprendre cette question comme visant à savoir si le règlement n° 123-85 doit être interprété en ce sens qu'il fait obstacle à ce que, d'une part, un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque et, d'autre part, un opérateur indépendant cumule les activités d'intermédiaire mandaté et celles de revendeur non agréé de véhicules provenant d'importations parallèles.

10 Pour répondre à cette question, il convient de rappeler à titre liminaire que, en vertu de l'article 85, paragraphe 1, du traité, les accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun sont en principe incompatibles avec le marché commun et interdits. Selon le paragraphe 2 de cet article, de tels accords sont nuls de plein droit, sauf si les dispositions du paragraphe 1 ont été déclarées inapplicables par la Commission conformément au paragraphe 3 du même article.

11 Cette décision d'inapplicabilité peut être prise par la Commission soit sous la forme d'une décision individuelle pour un accord spécifique en application du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), soit par la voie d'un règlement d'exemption pour certaines catégories d'accords en vertu du règlement n° 19-65-CEE du Conseil, du 2 mars 1965, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords et de pratiques concertées (JO 1965, 36, p. 533). Par un tel règlement d'exemption, la Commission établit des conditions dans lesquelles l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, est inapplicable à un accord qui, pourtant, remplit en lui-même les conditions de cette interdiction.

12 Le règlement n° 123-85, adopté par la Commission sur la base du règlement n° 19/65, a pour objet d'autoriser certains accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles qui, autrement, seraient interdits.

13 En effet, en vertu du règlement n° 123-85, l'article 85, paragraphe 1, est, conformément à l'article 85, paragraphe 3, déclaré inapplicable, dans les conditions limitativement fixées par ce règlement, aux accords par lesquels le fournisseur charge un revendeur agréé de promouvoir sur un territoire déterminé la distribution et le service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles et s'engage à lui réserver sur ce territoire la livraison des produits contractuels.

14 Ce règlement exempte ainsi notamment de l'application de l'article 85, paragraphe 1, l'obligation imposée par le fournisseur au distributeur autorisé de ne pas vendre les produits contractuels à des revendeurs qui n'appartiennent pas au réseau de distribution (article 3, point 10), à moins qu'il ne s'agisse d'intermédiaires, c'est-à-dire d'opérateurs qui agissent au nom et pour le compte de consommateurs finals et qui reçoivent, à cette fin, un mandat écrit (article 3, point 11).

15 Comme la Cour l'a déjà jugé, le règlement n° 123-85, en tant que règlement d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non-concurrence, dans leurs accords de distribution et de service de vente et d'après-vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1 (voir arrêt du 18 décembre 1986, VAG France, 10-86, Rec. p. 4071, points 12 et 16).

16 A cet égard, il y a lieu de préciser que le règlement n° 123-85, conformément à la fonction qui lui est ainsi assignée dans le cadre de l'application de l'article 85 du traité, ne concerne que les rapports contractuels entre les fournisseurs et leurs distributeurs agréés, en fixant les conditions auxquelles certains accords qui les lient sont licites au regard des règles de concurrence du traité.

17 Son objet est ainsi réduit au contenu d'accords que des parties liées dans un réseau de distribution d'un produit déterminé peuvent licitement conclure au regard des règles du traité interdisant les restrictions au jeu normal de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

18 Se bornant dès lors à énoncer ce que les parties à de tels accords peuvent ou ne peuvent pas s'engager à faire dans les rapports avec des tiers, ce règlement n'a pas, en revanche, pour fonction de réglementer l'activité de ces tiers pouvant intervenir sur le marché en dehors du circuit des accords de distribution.

19 Ainsi, les dispositions de ce règlement d'exemption ne sauraient affecter les droits et obligations des tiers par rapport aux contrats conclus entre les constructeurs automobiles et leurs concessionnaires, et notamment ceux des négociants indépendants.

20 Il résulte de ce qui précède que le règlement n° 123-85 ne saurait être interprété comme interdisant à un opérateur étranger au réseau officiel de distribution d'une marque automobile déterminée et qui n'a pas la qualité d'intermédiaire mandaté au sens de ce règlement de se procurer des véhicules neufs de cette marque par la voie d'importations parallèles et d'exercer l'activité indépendante de commercialisation de ces véhicules.

21 Pour les mêmes motifs, ce règlement n'empêche pas le cumul, dans le chef d'un même opérateur indépendant, des activités d'intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, du règlement et de revendeur non agréé de véhicules provenant d'importations parallèles.

22 S'agissant enfin de la communication 91-C 329-06 de la Commission, précitée, invoquée par les parties demanderesses au principal, elle n'a pour objet que de clarifier certaines notions utilisées par le règlement et ne saurait dès lors modifier la portée de ce dernier.

23 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la juridiction de renvoi que le règlement n° 123-85 doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque. Ce règlement ne s'oppose pas davantage à ce qu'un opérateur indépendant cumule les activités d'intermédiaire mandaté et celles de revendeur non agréé de véhicules provenant d'importations parallèles.

Sur la seconde question

24 Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n'y a plus lieu de statuer sur la seconde question.

Sur les dépens

25 Les frais exposés par les gouvernements français et hellénique, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal de commerce de Lyon, par jugement du 14 novembre 1994, dit pour droit :

Le règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque. Ce règlement ne s'oppose pas davantage à ce qu'un opérateur indépendant cumule les activités d'intermédiaire mandaté et celles de revendeur non agréé de véhicules provenant d'importations parallèles.