Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 28 février 1996, n° 17697-93

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bonomi (SA)

Défendeur :

Volvo Automobiles France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Bourgeon, Gauclère

T. com. Paris, 15e ch., du 7 mai 1993

7 mai 1993

La SA Bonomi, qui exploitait à Chambéry un garage en qualité de concessionnaire de la marque Honda a également représenté la marque Volvo à compter de 1979 suivant contrats de concession conclu pour une durée de un an constamment renouvelés jusqu'en 1985.

La société Bonomi et la SA Volvo France ont signé le 21 janvier 1986 un nouveau contrat, soumis aux dispositions du règlement n° 123-85 du 12 décembre 1984 de la commission de la CEE, conclu pour une durée indéterminée et auquel chacune des parties pouvait mettre fin librement sous réserve de respecter un délai de préavis de 12 mois.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 juin 1988 la SA Volvo France a notifié à la société Bonomi son intention de se prévaloir de l'article 1-5 du contrat prévoyant sa résiliation de plein droit, faute par le concessionnaire d'avoir réalisé l'engagement minimal de 80 % des objectifs de vente, après un préavis de trois mois.

Par acte d'huissier du 30 juillet 1991, la société Bonomi a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une demande tendant à voir condamner la société Volvo à lui payer la somme de 2 000 000 F en réparation du préjudice à lui causé par la résiliation abusive du contrat liant les parties.

Par jugement du 7 mai 1993 le tribunal, retenant que l'obligation d'objectifs souscrite par le concessionnaire était conforme au règlement 123-85 de la commission de la CEE et que la société Volvo n'avait pas engagé sa responsabilité en résiliant le contrat de concession, a débouté la société Bonomi de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Volvo la somme de 25 000 F à titre de dommages et intérêts pour action manifestement abusive et celle de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC, et à supporter les dépens.

La SA Bonomi a, par déclaration remise au secrétariat greffe le 8 juillet 1993, interjeté appel de cette décision. Par conclusions récapitulatives signifiées le 5 septembre 1995 elle prie la Cour de juger que la société Volvo s'est prévalue, pour résilier le contrat de concession, d'une clause qui encourt la nullité au titre de l'article 85 du Traité de Rome, et a opposé de mauvaise foi la résiliation extraordinaire du contrat, et de la condamner à lui payer la somme de 2 191 024 F (dont 1 691 024 F au titre de la perte de marge brute d'une année) à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Bonomi expose au soutien de ses prétentions que la clause d'objectifs prévue à l'article 1-5 du contrat sur laquelle est fondée la résiliation entre dans le champs d'application du Traité de Rome, que restrictive de concurrence elle est interdite par celui-ci, et qu'elle ne bénéficie ni de l'exemption catégorielle prévue par le règlement n° 123-85 de la commission de la CEE, dès lors qu'elle fait peser sur le concessionnaire une obligation non de moyens mais de résultats, ni d'une exemption accordée à titre individuel ; qu'elle encourt en conséquence la nullité prévue par l'article 85 du Traité, dont les dispositions sont contraignantes et s'appliquent de plein droit, et la résiliation intervenue sur ce fondement revêt un caractère illicite engageant la responsabilité de la société Volvo.

La société Bonomi soutient en outre que la clause de résiliation extraordinaire de l'article 1-5 du contrat, qui prive le concessionnaire du délai de préavis ordinaire d'un an, a été mise en œuvre de mauvaise foi par la société Volvo qui s'est prévalue d'une prétendue insuffisance des résultats de son concessionnaire alors que les objectifs ont été systématiquement imposés à ce dernier et fixés par la société Volvo sans égard pour le potentiel commercial du secteur concédé, département rural et montagneux, et qui ne rapporte pas la preuve d'un manquement du concessionnaire à son obligation de moyens.

Elle s'oppose enfin au moyen opposé à son action par la société Volvo, qui prétend qu'elle serait prescrite par l'article 1304 du Code civil comme ayant été engagée plus de cinq ans après la conclusion du contrat recelant la clause d'objectifs contestée, en faisant valoir que cette fin de non recevoir n'est pas visée dans le dispositif de ses conclusions et qu'en outre elle n'est pas fondée puisque l'application de la clause litigieuse date du mois de juin 1988 et qu'en assignant en juillet 1991 elle disposait encore du droit d'agir.

La SA Volvo Automobiles France venant aux droits de la SA Volvo France (ci-après société Volvo) prie la Cour, à titre principal, de déclarer irrecevable comme prescrite par application de l'article 1304 du Code civil la demande de la société Bonomi tendant à voir déclarer nulle la clause d'objectifs du contrat. Elle soutient à cet égard que la nullité éventuelle d'une clause contractuelle devant s'apprécier à la date de la signature du contrat (et non de son application), c'est cette date, en l'espèce le 21 janvier 1986, qui constitue le point de départ du délai pour agir.

Sur le fond, elle poursuit la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société Bonomi à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et celle de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Volvo soutient que la clause d'objectifs souscrite par le concessionnaire est conforme au règlement 123-85 de la commission de la CEE dès lors qu'elle n'institue qu'une obligation de moyens et échappe dès lors à la nullité de plein droit prévue par l'article 85 paragraphe 1 et 2 du Traité de Rome ; et qu'en toute hypothèse la société Bonomi ne démontre pas en quoi son engagement d'objectifs aurait pour objet ou pour effet d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ni en quoi ce serait de nature à avoir un effet sensible sur le commerce entre Etats membres, seules conditions auxquelles la clause litigieuse pourrait être considérée comme restrictive de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1.

Elle fait valoir également que la résiliation extraordinaire du contrat de concession était légitime dès lors que la société Bonomi n'a pas respecté ses engagements contractuels alors que les objectifs - qui ont toujours fait l'objet d'une discussion entre les parties et d'une acceptation par le concessionnaire - n'étaient ni irréalistes ni surestimés, mais présentaient un caractère impartial tenant compte des spécificités locales.

A titre subsidiaire elle invoque le fait que la société Bonomi ne rapporte pas la preuve du montant du préjudice qu'elle invoque, et critique son mode d'évaluation du préjudice économique en ce qu'il est calculé en termes de marge brute alors que seule une marge semi nette pourrait être retenue, et sur une durée d'un an qui ne tient pas compte du préavis de trois mois effectué. Elle s'oppose enfin à toute demande au titre de la perte d'éléments d'actifs, aucune demande de reprise du stock ne lui ayant été adressée par son concessionnaire.

Sur ce :

Considérant sur la recevabilité que le moyen tiré de la prescription de l'action de la société Bonomi constitue non une exception, comme l'indiquent les parties, mais une fin de non recevoir qui peut donc être proposée en tout état de cause ;

Considérant que la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil ne concerne que les actions en nullité ou en rescision des conventions ; qu'elle n'est pas applicable en l'espèce, l'action exercée par la société Bonomi à l'encontre de la société Volvo s'analysant en une action en responsabilité pour rupture abusive de relations contractuelles, à l'occasion de laquelle il lui est loisible, même si elle a perdu par l'expiration du délai de prescription le droit d'intenter l'action en nullité du contrat, de se prévaloir de la nullité de la clause dudit contrat qu'a appliquée son cocontractant pour en obtenir la résiliation ;

Que l'action de la société Bonomi est donc recevable ;

Considérant, sur le fond, que si un réseau de distribution exclusive constitue en lui-même, en ce qu'il limite le nombre des revendeurs par l'effet de l'exclusivité territoriale qu'il comporte, une atteinte au libre jeu de la concurrence prohibée par l'article 85-1 du Traité de Rome, cette interdiction n'est pas applicable en vertu de son article 85-3 aux accords qui, profitant aux consommateurs en rationalisant la distribution des marchandises sur les plans économique et technique, bénéficient de dérogations - ou exemptions - accordées soit individuellement soit par voie réglementaire pour des catégories entières d'accords passés dans des domaines déterminés ;

Considérant que, s'agissant des accords de distribution de véhicules automobiles, la commission des Communautés Européennes a adopté le 12 décembre 1984 un règlement n° 123-85 qui fixe les exigences auxquelles doivent satisfaire les réseaux de ce secteur pour prétendre échapper à la prohibition dont ils font l'objet a priori ;

Que ce règlement prévoit notamment en son article 4-1-3 que ne fait pas obstacle à l'application de ses articles 1, 2 et 3 (qui accordent le bénéfice de l'exemption) l'engagement par lequel le distributeur s'oblige à s'efforcer d'écouler dans une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels que le fournisseur fixe à partir d'estimations prévisionnelles des ventes du distributeur, si les parties ne se mettent pas d'accord à ce sujet ; qu'enfin son article 5-4 laisse aux parties la faculté d'exercer une résiliation plus stricte que celle ordinairement prévue - avec préavis minimum d'un an s'agissant de conventions à durée indéterminée - en abrégeant le délai de préavis en cas de manquements graves aux obligations essentielles du contrat ;

Considérant qu'est valide au regard de cette disposition la clause stipulée à l'article 1-5 du contrat conclu entre les sociétés Bonomi et Volvo prévoyant la faculté pour cette dernière de considérer le contrat comme résilié de plein droit, le préavis étant alors réduit à une durée de trois mois, dans le cas où le concessionnaire n'aurait pas réalisé l'engagement minimal de 80 % des objectifs de vente tels que définis dans le plan opérationnel, dès lors que comme en l'espèce elle n'aboutit pas à faire reposer sur le concessionnaire une véritable obligation de résultat mais institue simplement une obligation de " résultat suffisant " par rapport à un volume de ventes déterminé de manière concertée sur la base de critères objectifs ;

Considérant que les conditions posées par le règlement 123-85 étant respectées, l'exemption est acquise, étant observé que contrairement à ce que soutient la société Bonomi l'absence desdites conditions n'entraînerait pas automatiquement la nullité de la clause litigieuse, mais aurait pour seul effet de rendre possible l'application des articles 85-1 et 85-2 du Traité à la condition que soit rapportée la preuve d'une violation des règles de concurrence entre Etats membres, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

Considérant que la société Bonomi fait valoir, dans l'hypothèse où la clause de résiliation extraordinaire stipulée à l'article 1-5 du contrat ne serait pas déclarée nulle, que la société Volvo a engagé sa responsabilité en mettant cette clause en œuvre de mauvaise foi, puisqu'elle s'est prévalue d'une prétendue insuffisance de résultats alors qu'elle avait systématiquement imposé à son concessionnaire des objectifs ne tenant pas compte du potentiel commercial du secteur concédé, et sans rapporter la preuve d'un manquement à son obligation de moyens ;

Considérant tout d'abord, s'agissant de la fixation des objectifs, qu'elle relève du plan opérationnel signé par les parties qui fait partie intégrante du contrat de concession, lequel précise " qu'à défaut d'accord préalable entre les parties il reste de la seule responsabilité du concédant, qui le détermine à partir d'estimations objectives ", que la société Bonomi n'établit nullement qu'elle ait contraint la société Volvo du fait de son désaccord, à user de la faculté qui lui était reconnue de fixer unilatéralement les objectifs; qu'elle n'établit pas plus qu'ils n'auraient pas été fixés à partir d'estimations objectives;

Considérant, s'agissant des conditions de la rupture du contrat, que dès lors que la société Volvo établit que la société Bonomi n'a pas atteint le seuil de 80 % de l'objectif de vente, condition pour que puisse être invoquée la résiliation de plein droit du contrat, il appartient à la société Bonomi, conformément au droit commun, de rapporter la preuve de l'abus qu'aurait commis le concédant en se prévalant de la clause de résiliation extraordinaire eu égard notamment aux efforts déployés pour atteindre l'objectif fixé ;

Considérant que la société Bonomi ne rapporte nullement une telle preuve, alors qu'au contraire il résulte de l'ensemble des correspondances versées aux débats par la société Volvo que cette dernière n'a cessé de se plaindre de l'insuffisance ou de l'inadéquation des moyens mis en œuvre par Bonomi pour améliorer ses résultats, s'agissant en particulier de la nécessité de reconsidérer l'orientation donnée à l'investissement publicitaire de recruter des agents afin de couvrir plus régulièrement le secteur concédé, de mieux collaborer aux opérations de vente décidées au plan régional ou national ou d'améliorer la qualité de l'accueil ;

Que la société Bonomi doit en conséquence être déboutée de sa demande ;

Considérant que la société Volvo, qui ne caractérise pas l'abus qu'aurait commis la société Bonomi en agissant à son encontre puis exerçant la voie de recours qu'est l'appel, doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts, et le jugement réformé de ce chef ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Volvo la somme de 25 000 F au titre des frais irrépétibles exposés pour l'ensemble de la procédure de première instance et d'appel ;

Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Bonomi à payer à la société Volvo automobiles la somme de 25 000 F à titre de dommages et intérêts, et statuant à nouveau de ce chef ; Déboute la société Volvo automobiles de sa demande de dommages et intérêts, Confirme pour le surplus, le jugement, étant précisé que la condamnation au titre des frais irrépétibles l'est pour l'ensemble de la procédure, Déboute la société Volvo automobiles du surplus de ses demandes ; Condamne la société Bonomi aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC au bénéfice de l'avoué de la cause.