CA Paris, 5e ch. B, 1 mars 1996, n° 94-226549
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fiat Auto France (Sté)
Défendeur :
Lize (ès qual.), Nourrisson
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
Me Ribaut, SCP Roblin Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Meyung Marchand, Mihaïlov, Bruneau.
LA COUR,
Considérant que la société Fiat Auto France ci-après appelée Fiat a fait appel d'un jugement contradictoire du 10 août 1994 du Tribunal de commerce de Paris qui l'a condamnée, pour rupture abusive de relations contractuelles, à verser à la société Caen Auto Service ci-après appelée CAS, à Maîtres Jean Denis et Alain Lize, respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers de la société CAS en redressement judiciaire, et à Henri Nourrisson président directeur général de la société CAS une indemnité forfaitaire de 3 000 000 F, à payer deux factures de 378 441,16 F et de 348 723,14 F, à verser à Henri Nourrisson 800 000 F de dommages-intérêts et à payer à la société CAS assistée de Maître Jean Denis 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a ordonné l'exécution provisoire des condamnations ;
Considérant que la société Fiat exposait dans sa requête afin d'autorisation d'assignation à jour fixe :
- qu'elle avait conclu avec la société CAS deux contrats de concession à durée indéterminée pour la distribution l'un de véhicules neufs de marque Fiat, l'autre de véhicules neufs et de pièces de rechange de marque Lancia, l'un et l'autre résiliables avec préavis d'une année, et le 26 décembre 1988 un troisième contrat de distribution à durée déterminée expirant au 31 décembre 1989 concernant les pièces de rechange de marque Fiat,
- qu'elle avait usé de son droit de mettre fin aux contrats de concession en raison de l'insuffisance des ventes que de la dégradation de la situation financière de la société CAS, le 8 décembre 1988 pour le contrat Lancia et le 19 décembre 1989 pour le contrat Fiat et avait respecté chaque fois son obligation d'un préavis d'un an,
- que le contrat de distribution des pièces de rechange de marque Fiat avait pris fin à sa date d'expiration du 31 décembre 1989,
- qu'une procédure de redressement judiciaire avait été ouverte le 14 février 1990 à l'encontre de la société CAS au passif de laquelle la société Fiat avait produit une créance de 3 643 842 F correspondant à plus du tiers du passif ;
Qu'elle reprochait au Tribunal de Commerce de lui avoir fait injustement grief d'avoir décidé dès 1988 de provoquer la déconfiture de la société CAS par une " stratégie déterminée " de résiliations échelonnées et de remise en cause des accords d'objectifs impliquant l'intention du concédant de nuire à son concessionnaire ; qu'elle soutenait que les concessionnaires souhaitaient le plus souvent vendre des véhicules de deux ou trois marques et que la décision déférée bafouait le principe même de la conclusion de contrats à durée indéterminée dès lors qu'elle interdisait de les résilier avec un préavis raisonnable d'une année ; qu'elle reprochait au surplus au Tribunal de Commerce d'avoir chiffré de façon irréaliste le préjudice sans recourir à la moindre expertise, d'avoir prononcé une condamnation au paiement de la valeur d'un stock de pièces de rechange qu'elle n'avait toujours pas pu récupérer et d'aggraver sans raison par des condamnations injustifiées les difficultés financières qu'elle rencontre ;
Qu'elle demandait l'autorisation d'assigner à jour fixe afin d'obtenir de la Cour qu'elle infirme le jugement déféré, qu'elle déboute les intimés de leurs demandes et qu'elle condamne Maître Alain Lize en sa qualité de mandataire liquidateur de la société CAS à lui payer 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Considérant que par conclusions jointes à sa requête la société Fiat confirme ses demandes et soutient en plus des moyens de la requête :
- qu'il ne peut lui être fait grief d'une augmentation anormale des objectifs de vente de l'année 1987 puisque ceux-ci ont été négociés et que la progression de 10 % convenue tenait raisonnablement compte de l'augmentation des ventes en France des véhicules Fiat (19 % sur l'ensemble de la France et 13,5 % pour le secteur de Caen en 1986), ni de la réduction en 1988 du territoire concédé qui avait été elle aussi négociée et qui avait été rendue nécessaire par les résultats catastrophiques de 1987 ;
- qu'elle était en droit d'informer la clientèle du partage de la concession de Caen en 1988 et de l'installation d'un second concessionnaire sur le secteur en 1989 afin d'éviter toute entorse à l'exclusivité territoriale de chacune des concessions et l'arrêt des ventes dans le secteur retiré à la Ssociété CAS ;
- que dès 1987 les résultats de la société CAS étaient alarmants puisque la perte était de 672 357 F et le besoin en fonds de roulement dépassait 4 000 000 F, que la situation de l'entreprise ne s'était pas ensuite redressée et que dès 1988 la déconfiture était prévisible,
- que cette situation tenait à la société CAS puisque la société J.M. Autos qui a repris le secteur retiré en 1989 a augmenté aussitôt les ventes de 60 %,
- que la société CAS a pu pressentir la rupture de l'ensemble des relations dès la première résiliation du 8 décembre 1988 mais a attendu l'ouverture du redressement judiciaire en février 1990 pour se préoccuper de sa reconversion,
- que le refus sans conséquence d'autoriser l'adjonction de la distribution de véhicules de la marque confidentielle Maruti s'explique par l'insignifiance de pénétration de cette marque et l'absence de démonstration de l'intérêt que cette adjonction aurait pu présenter, alors au surplus qu'Henri Nourrisson représentait déjà à Caen, sous couvert d'une société Normandie Automobiles, les véhicules des marques concurrentes Porsche et Mitsubishi,
- que la société CAS n'a pas respecté les conditions auxquelles étaient contractuellement soumises le remboursement du prix des pièces détachées (retour des pièces neuves dans leur emballage d'origine, destruction des autres pièces), que le grief d'une absence d'un paiement postérieur à la réalisation est sans portée sur le caractère abusif ou non de la rupture, et qu'au surplus l'offre de reprise de la société Fiat s'est heurtée au refus de compensation que lui a opposé Maître Jean Denis,
- qu'elle n'a en rien réduit les livraisons de véhicules en 1990 et n'est pas responsable de ce que le Crédit du Nord ait demandé à Henri Nourrisson d'augmenter le plafond de son cautionnement avant de diminuer de moitié en juillet 1989 et de supprimer totalement en novembre 1989 ses concours financiers.
Considérant que par conclusions additionnelles la société Fiat demande à la Cour d'annuler le jugement du 10 août 1994 prononcé en l'absence de mise en cause du mandataire liquidateur de la société CAS nommé le 30 juin précédant ; qu'elle étend en outre à Henri Nourrisson sa demande de condamnation au remboursement de ses frais irrépétibles ;
Considérant que Maître Alain Lize qui demande acte de ce qu'il intervient désormais en qualité de mandataire liquidateur de la société CAS sans s'expliquer pour autant sur la validité du jugement déféré, et Henri Nourrisson sollicitent de la Cour qu'elle écarte des débats les pièces numérotées 79 à 96 communiquées par la société Fiat après dépôt de sa requête afin d'autorisation d'assignation à jour fixe, et complètent l'exposé de la société Fiat en précisant que la société CAS était concessionnaire pour les secteurs de Caen, Bayeux et Falaise de la marque Fiat depuis 1966 et de la marque Lancia depuis 1969, qu'elle était devenue " Centre service distribution " régional des pièces de rechange Fiat en 1976 et qu'elle avait donné entière satisfaction à la société Fiat et développé son implantation par des acquisitions immobilières successives à Caen, Herouville-Saint-Clair et Bayeux ;
Qu'ils ajoutent que Jean-Pierre Edouard, nouveau directeur commercial de zone, a augmenté en 1986 de 30 % les objectifs de vente, qu'Henri Nourrisson a accepté cette modification substantielle des accords sous la menace d'une perte de primes de vente déjà acquises, que Jean-Pierre Edouard a voulu augmenter à nouveau en 1988 de plus d'un tiers les objectifs de vente et a répliqué à un refus d'une telle augmentation par une décision de division de la concession et qu'Henri Nourrisson a dû accepter, pour éviter une résiliation du contrat, une amputation considérable du territoire concédé cependant que les objectifs de ses ventes n'étaient réduits guère plus que d'un tiers ;
Qu'ils exposent encore qu'en 1988 le successeur de Jean-Pierre Edouard a donné à ses collaborateurs des instructions d'arrêter tout soutien de la concession de la société CAS et de la " laisser crever ", qu'en novembre 1988 un second concessionnaire a annoncé l'ouverture de sa concession, que la société Fiat a informé à la même époque la société CAS de son intention de lui retirer la distribution des véhicules de marque Lancia, a aussitôt exclu la société CAS des manifestations de promotion de cette marque, a annoncé publiquement en mai 1989 le retrait prochain du panonceau Fiat, a exigé d'Henri Nourrisson qu'il porte de 600 000 à 1 200 000 F sa caution des engagements de la société CAS envers la société Fiat, a commencé à réduire ses livraisons de véhicules pour aboutir à ce que le stock soit à un niveau insuffisant pour satisfaire la clientèle et a refusé une autorisation de diversification par représentation de la marque Maruti ;
Considérant que Maître Alain Lize et Henri Nourrisson réfutent les griefs de la société Fiat en lui reprochant de méconnaître la situation à l'époque du marché automobile notamment dans la région de Caen du fait de la concurrence des reventes à prix préférentiels auxquelles se livraient des salariés des Usines Renault et Citröen, et la faiblesse des marges nettes du Centre régional de distribution des pièces de rechanges tenu d'abandonner une large fraction de ses marges aux professionnels clients de ce centre ; qu'ils soutiennent que des objectifs de vente irréalistes et une amputation léonine de territoire ont été imposés à la société CAS qui ne pouvait tirer des contrats le droit de s'opposer à la volonté de la société Fiat ;
Qu'ils accusent la société Fiat d'avoir délibérément provoqué la situation dont elle se prévaut pour tenter de justifier sa décision, situent en 1987 et 1988 l'apparition de difficultés et en 1989 le début de la dégradation financière qui a conduit à l'ouverture de la procédure collective, et affirment que le désengagement du Crédit du Nord au second trimestre de 1989 a été provoqué par la double résiliation des concessions ;
Qu'ils reprochent à la société Fiat d'avoir créé sans raison une seconde concession au surplus avantagée au détriment de celle de la société CAS, d'avoir exercé et poursuivi délibérément une action de déstabilisation de la société CAS, d'avoir par échelonnement dans le temps des mesures qu'elle adoptait, contraint la société CAS à poursuivre durant toute l'année 1989 une distribution exclusive des véhicules Fiat à laquelle elle était tenue, alors que cette activité ne suffisait plus à rentabiliser les structures de l'entreprise et de l'avoir obligée à reporter ses tentatives de reconversion en 1990 à une époque où sa situation financière ne lui permettait plus de l'entreprendre ;
Considérant que Maître Alain Lize ès qualité et Henri Nourrisson demandent à la Cour de déclarer l'appel irrecevable sans en préciser la raison ce qui dispense la Cour de l'obligation d'une réponse, de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré que la société Fiat avait abusé de son droit de rompre, de l'infirmer au surplus et de :
- condamner la société Fiat à payer à Maître Alain Lize ès qualité à titre de dommages-intérêts la marge brute perdue au cours des exercices 1989 et 1990, le montant du passif constaté dans le cadre de la procédure collective ouverte le 14 février 1990 et la valeur du stock non repris et désigner un expert afin de chiffrer ces dommages-intérêts,
- dire que les 727 164,30 F que valaient les marchandises " reprises ou caffutées sur instructions de la société Fiat " ont vocation d'être imputés sur la créance de la société Fiat déclarée au passif de la société CAS,
- porter à 1 000 000 F le montant des dommages intérêts accordés à Henri Nourrisson de toutes condamnations prononcées à son encontre et au profit des créanciers de la société CAS,
- condamner la société Fiat à payer 50 000 F au titre des frais irrépétibles.
Considérant que la société Fiat réplique que sa communication des pièces 79 à 96 est recevable puisqu'elle a été faite dans le cadre d'une réponse aux conclusions d'appel des intimés ;
Sur la procédure :
Considérant qu'il n'est pas contesté que le plan de redressement judiciaire dont bénéficiait la société CAS a été résolu et la liquidation judiciaire ordonnée le 30 juin 1994 au cours du délibéré des premiers juges et avant le prononcé du jugement déféré ; que Maître Alain Lize était déjà partie à l'instance en tant que représentant des créanciers du redressement judiciaire ; qu'il aurait dû régulariser sa présence en intervenant en sa nouvelle qualité de mandataire liquidateur ainsi qu'il l'a fait dans le cadre de l'instance d'appel ; que le jugement du 10 août 1994 est nul ; que les parties s'accordent cependant pour demander à la Cour de statuer au fond ; qu'il convient de constater par application de l'article 562 du nouveau Code de procédure civile que l'appel a saisi la Cour de l'intégralité du litige et que le vice de procédure dénoncé ne s'est pas renouvelé en appel ;
Considérant que l'article 918 du nouveau Code de procédure civile prescrivant que les pièces justificatives soient visées par la requête à fin d'autorisation d'assignation à jour fixe, n'interdit pas la signification de conclusions additionnelles et la communication d'autres pièces en réplique aux conclusions et communications de pièces des intimés ; qu'il convient seulement que ces éléments supplémentaires soient soumis à débat ; qu'il n'est pas contesté que les pièces dont la communication a été critiquée, l'ont été ; qu'il n'y a pas lieu de les rejeter ;
Au fond :
Considérant que les sociétés Fiat et CAS se sont liées par deux contrats de concession à durée indéterminée concernant la distribution l'un des véhicules Fiat, l'autre des véhicules et pièces de rechange Lancia, et par un contrat de distribution à durée déterminée conclu pour une seule année expirant le dernier le 31 décembre 1989 et concernant les pièces de rechange Fiat ; que la société CAS admet qu'elle a accepté en 1986 et 1988 la définition d'objectifs de vente plus ambitieux et en 1988 une amputation considérable du secteur concédé ; que les conventions font la loi des parties ; que la société Fiat qui était libre de le faire sans avoir à justifier sa décision, a résilié ou refusé de renouveler ses engagements contractuels en respectant le préavis d'une année convenu ; que la société CAS n'a usé ni en 1986 ni en 1988 de la faculté qu'elle avait de contester les modifications d'application des contrats dont elle se plaint bien tardivement, et ne justifie pas quant à présent d'un quelconque vice d'un consentement qu'elle donnait en ces termes le 26 avril 1988 : " Vous avez décidé d'amputer mon territoire et de ce fait de nommer un second concessionnaire - Votre décision étant sans appel, dans l'intérêt de ma société, je ne peux qu'accepter " ;
Qu'il s'ensuit que Maître Alain Lize ès qualité et Henri Nourrisson ne sauraient reprocher à la société Fiat d'avoir exercé son droit de mettre un terme aux relations contractuelles des deux sociétés, quant bien même aucun grief n'aurait pu justifier cette rupture ainsi qu'ils le prétendent et que paraît le confirmer l'analyse pertinente des bilans à laquelle les premiers juges ont procédé ; qu'il appartenait à la société CAS de se prémunir du risque de rupture de ses concessions par des clauses particulières qui font défaut dans les conventions litigieuses ; que sont donc sans réelle portée sur le droit de rompre les accusations réciproques de dépérissement des concessions ou d'amputation arbitraire du territoire concédé et de résiliation infondée ;
Qu'il n'en demeure pas moins que la société Fiat était tenue d'exécuter de bonne foi ses engagements de concédant et à ce titre de permettre à la société CAS, son concessionnaire, de réussir une reconversion pour laquelle les parties avaient précisément convenu d'un préavis, et peut avoir engagé sa responsabilité contractuelle si la façon dont elle a mis fin aux conventions s'est avérée constituer un abus de son droit de rompre et a engendré un préjudice ;
Considérant qu'il résulte des documents produits et des explications concordantes fournies que la société CAS était concessionnaire Fiat depuis 1966 et Lancia depuis 1969 de la société Fiat Auto France pour les secteurs de Caen, Bayeux et Falaise et que la société Fiat lui a imposé en 1988 une division de son secteur avec partage de la ville de Caen à la périphérie de laquelle elle avait alors son établissement principal, a résilié la concession Lancia le 8 décembre 1988 à effet de décembre 1989, a imposé à effet du 1er janvier 1989 il est vrai à tous ses centres distributeurs de pièces détachées, une modification pénalisante d'activité, a exigé en octobre 1989 de la société CAS un strict respect de l'exclusivité convenue en lui refusant la possibilité de représenter d'autres produits, a notifié le 1er septembre 1989 un refus de renouvellement du contrat de distribution des pièces de rechange Fiat à son expiration le 31 décembre 1989 sans reprendre pour autant le stock, et a résilié enfin la concession Fiat le 19 décembre 1989 à effet de décembre 1990 ;
Considérant que la société Fiat ne saurait raisonnablement contester ni que le cumul des distributions des véhicules neufs et des pièces de rechange des marques Fiat et Lancia, assurait tant bien que mal l'équilibre financier de la société CAS fort précaire selon elle, ni que dès 1988 ses responsables avaient décidé d'éliminer la société CAS de son réseau, ce dont ils avaient le droit mais sans programmer pour autant avec la rupture des relations contractuelles, la mort lente du concessionnaire ;
Que les concessions Fiat et Lancia, complémentaires au point qu'il n'existait qu'un concédant, n'étaient pas divisibles sans préjudice économique ;que l'amputation de la distribution régionale des pièces de rechange Fiat ne pouvait que compromettre la survie de la société CAS ravalée au rang d'un concessionnaire ordinaire ;qu'il appartenait dès lors à la société Fiat de procéder à une résiliation simultanée des deux contrats de concession et de la convention de distribution des pièces de rechange Fiat ;qu'elle peut d'autant moins le contester que le contrat de distribution des pièces de rechange Fiat de l'année 1989 précisait certes qu'il n'était pas tacitement reconductible mais ajoutait que chaque partie devait informer l'autre avant le 1er octobre 1989 de son refus de signer un nouveau contrat similaire et surtout que le contrat serait résilié de plein droit si la concession venait à l'être, disposition que la société Fiat n'a pas respectée au moins dans son esprit ;
Que la société Fiat ne pouvait en effet provoquer par la rupture sélective à laquelle elle a procédé, un déséquilibre significatif d'exploitation en maintenant jusqu'en décembre 1990 l'exclusivité de la distribution des véhicules de la seule marque Fiat, interdisant par la même à la société CAS d'entreprendre utilement une reconversion salvatrice qui impliquait qu'elle conclut avec un ou plusieurs autres constructeurs automobiles des accords que l'exclusivité Fiat interdisait ;
Considérant que la lettre circulaire adressée en janvier 1989 à la clientèle de la société CAS par la direction commerciale de zone de la société Fiat pour l'informer de l'ouverture d'un second concessionnaire à Mondeville à la périphérie là aussi de Caen, trahit parfaitement l'intention d'éliminer la société CAS qu'elle ne mentionne même pas alors qu'elle met l'accent sur " le service plus proche " que pourra apporter le " nouveau concessionnaire " dans la " nouvelle concession Fiat " ;
Que les intimés font état en outre, non sans raison selon les documents produits, d'avantages accordés au nouveau concessionnaire et refusés à la société CAS ainsi que de refus ou d'exigences s'apparentant à des brimades et non au soutien qu'un concessionnaire est en droit d'attendre du concédant ;
Considérant que le délai contractuel de préavis d'une année était raisonnable compte tenu de l'ancienneté des concessions ;que la société Fiat l'a certes respecté dans l'une et l'autre des procédures de rupture ;que les fautes cependant qu'elle a commises dès 1988 en échelonnant les résiliations des trois contrats et en rendant plus difficile la poursuite d'activité de la société CAS, ont engendré des pertes d'exploitation chiffrées à 1 135 269 F pour l'exercice 1989 alors que l'année 1988 s'était achevée sur un résultat positif de 674 954 F et ont compromis par là même la reconversion de la société CAS au point que celle-ci a été placée en redressement judiciaire sur déclaration de cessation des paiements du 14 février 1990 ;
Qu'il s'en suit, pour ces motifs et ceux pertinents des premiers juges qu'ils complètent, que la condamnation de la société Fiat est justifiée en son principe ;
Sur les préjudices :
Considérant que Maître Alain Lize es qualité demande à la Cour d'indemniser la société CAS sur la base de deux années de perte de marge brute " et d'y ajouter la condamnation de la société Fiat à prendre en charge l'intégralité du passif de la concession " dont sans doute sa propre créance à réduire cependant de la valeur des " marchandises reprises ou caffutées ", et à payer la valeur du stock qui n'a pas été repris ;
Qu'Henri Nourrisson impute à la société Fiat la perte morale d'un investissement de vingt ans, la privation de ses revenus, de son compte courant et de la valeur de ses actions CAS et son exposition à diverses poursuites ; qu'il demande à titre personnel 1 000 000 F de dommages-intérêts et la condamnation de la société Fiat à la garantir de toute obligation de paiement en capital et intérêts ;
Considérant que les intimés ne peuvent demander réparation que du préjudice résultant pour la société CAS d'une part et pour Henri Nourrisson d'autre part des fautes reprochées à la société Fiat qui ne sont pas d'avoir mis un terme aux trois conventions de distribution mais de l'avoir fait en échelonnant la rupture dans le temps et en l'accompagnant de quelques brimades de telle sorte que la rupture ne pouvait que déséquilibrer l'exploitation de la société CAS et compromettre l'indispensable reconversion en en différant abusivement la possibilité ;
Considérant que la demande de Maître Alain Lize n'est pas raisonnable en ce que la résiliation n'est abusive que dans ses modalités, qu'aucune preuve n'est apportée de ce que le passif produit est intégralement dû aux fautes commises par la société Fiat et que les diverses indemnisations sollicitées font parfois double emploi ; qu'il convient de ne pas oublier que la déclaration de cessation des paiements est intervenue moins de deux ans après les premières manifestations tangibles de la volonté d'éviction, que l'ensemble des résiliations aurait dû être notifiées au cours de l'année 1988 avec préavis d'un an, que la cessation des paiements a été déclarée le 14 février 1990, que le bilan de l'exercice 1988 constatait une perte minime de 131 952 F et que la situation n'était sans doute pas désespérée en 1990 puisque le Tribunal de Commerce de Caen a écarté alors la liquidation judiciaire et a homologué un plan de redressement ;
Que la Cour est à même de constater que la perte d'exploitation de 1989 par rapport à 1988 s'élève à 1 810 223 F, que l'exercice 1988 avait dû déjà ressentir les effets des premiers efforts de déstabilisation de la société Fiat puisque la perte de 131 952 F subie en 1988 cadre mal avec les constatations élogieuses que les premiers juges ont pu faire à la lecture des bilans antérieurs, que si les dettes s'élevaient encore à 13 469 234 F au 31 décembre 1989, les créances des fournisseurs avait été ramenées de 10 924 492 à 5 859 906 F d'une année à l'autre, mais aussi que l'actif circulant en diminution de 38 % ne s'élevait plus qu'à 9 115 911 F ce qui explique, dès lors qu'aucune concession de substitution n'avait pu être conclue, que le bilan ait été déposé ;
Que le préjudice ne s'arrêtait évidemment pas au 1er janvier 1990 ni même à l'ouverture de la procédure collective puisque la société CAS entendait mener à bien sa nécessaire reconversion dans des conditions rendues plus difficiles par les fautes de la société Fiat que celles résultant d'une rupture morale ; que les intimés imputent cependant l'échec du plan de redressement pour partie au moins à la dégradation du marché automobile ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une expertise, à 3 800 000 F la réparation due par la société Fiat à la société CAS outre 727 164,30 F de pièces de rechange à imputer sur la créance connexe de la société Fiat ;
Considérant qu'Henri Nourrisson peut croire que la société Fiat a contribué à la perte de son compte courant et de la valeur de sa participation au capital de cette entreprise ; qu'il n'a perdu cependant qu'une chance de conserver ses investissements et les revenus professionnels qui pouvaient être les siens, dès lors qu'il n'établit pas qu'une résiliation correcte des conventions lui aurait nécessairement permis d'éviter le dommage qu'il a subi ; que l'échec professionnel qu'il a subi, a engendré en outre un préjudice moral ;
Qu'Henri Nourrisson fait état d'engagements de caution qu'il serait contraint d'honorer ; qu'il établit qu'il a été amené le 18 mai 1989 à se porter caution des obligations de la société CAS envers la société Fiat Auto France dans la limite de 1 200 000 F en principal, ce qui lui a valu, ajouté à un premier engagement de 600.000 F, d'être condamné par arrêt du 16 septembre 1993 de la Cour d'appel de Caen à payer à l'appelante 1 800 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 1990 ; qu'il fait état aussi de poursuites de la société Fiat Crédit France relatives à un prêt de 1 000 000 F du 16 mars 1987, du Crédit du Nord, du CEPME et de la BNP ;
Que la Cour ignore le solde final du compte courant et plus encore son évolution ainsi que le montant de la participation au capital de la société CAS et la date et le montant de la plupart des engagements de crédit ; qu'elle peut qu'inviter les parties à de plus amples explications à l'exception toutefois de la seconde caution de 1 200 000 F pour laquelle il lui est possible de constater que la Cour d'appel de Caen a jugé qu'elle s'ajoutait à la première caution de 600 000 F mais aussi que cette caution a été demandée en pleine période de manœuvre d'élimination de la société CAS du réseau Fiat, qu'elle n'aurait pas eu lieu d'être donnée si la situation de la société CAS n'avait pas été déstabilisée par les fautes de la société Fiat et que le préjudice résultant de sa mise en œuvre est ainsi directement imputable à l'appelante ;
Considérant qu'il serait inéquitable que les intimés conservent la charge de leurs frais irrépétibles.
Par ces motifs, LA COUR, Annule le jugement déféré, Statuant à nouveau par application de l'article 562 du nouveau Code de procédure civile, Rejette l'incident de communication de pièces, Dit que la société Fiat Auto France a abusé de son droit de résilier ou de ne pas renouveler les contrats de concession et de distribution la liant à la société Caen Auto Service, Dit n'y avoir lieu à expertise pour chiffrer le préjudice de la société Caen Auto Service, Condamne la société Fiat Auto France à titre de dommages-intérêts à payer à Alain Lize es qualité de mandataire liquidateur de la société Caen Auto Service la somme de 3 800 000 F et à réduire de 727 164,30 F le principal de la créance qu'elle a produit à la procédure collective de la société Caen Auto Service, Déboute Maître Lize es qualité du reste de ses demandes principales, Condamne la société Fiat Auto France à garantir dans la limite des deux tiers Henri Nourisson des conséquences de la condamnation prononcée le 16 septembre 1993 par la Cour d'appel de Caen à son encontre et au profit de la société Fiat Auto France, Réserve sa décision concernant le troisième tiers et le reste du préjudice allégué par Henri Nourisson et renvoie ce dernier à fournir toutes précisions permettant à la Cour d'éviter d'ordonner l'expertise sollicitée, Renvoie les débats au 15 novembre 1996, Fixe la nouvelle clôture de la mise en état au 11 octobre 1996.