CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 21 mars 1996, n° 9098-94
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Magneti Marelli Distribution (SARL)
Défendeur :
Auxiliaire d'Équipements (SA), Auxiliaire de Maintenances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Assié
Conseillers :
Mmes Laporte, Simoneau
Avoués :
SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Jullien-Lecharny-Rol
Avocats :
Mes de la Robertie, Leipp.
Faits et procédure :
Dans le courant de l'année 1990, la société Magneti Marelli Distribution d'une part et les sociétés Auxiliaire d'Équipements et Auxiliaire de Maintenances d'autre part, ont conclu divers accords de partenariat et d'assistance technique.
Fin décembre 1990, la société Magneti Marelli Distribution a mis fin à ces accords.
Estimant cette rupture fautive et imputant à la société Magneti Marelli Distribution un refus de vente, les sociétés Auxiliaire d'Équipements et Auxiliaire de Maintenances ont saisi le Tribunal de Commerce de Nanterre pour obtenir réparation de leur préjudice respectif.
Par jugement en date du 28 octobre 1994, cette juridiction a débouté la société Auxiliaire d'Équipements de ses prétentions estimant que la société Magneti Marelli Distribution avait régulièrement rompu les accords qui la liaient à cette société mais elle fait droit partiellement à la demande formée par la société Auxiliaire de Maintenances pour refus de vente, condamnant la société Magneti Marelli Distribution à payer à ce titre à cette dernière la somme de 150.000 F ; les dépens de l'instance étant répartis pour parts égales entre les trois sociétés concernées par le litige.
Appel de cette décision a été relevé tant par la société Magneti Marelli Distribution que par la société Auxiliaire d'Équipements à laquelle s'est associée la société Auxiliaire de Maintenances. Les procédures issues de ces actes d'appel séparés ont été jointes par ordonnance du Conseiller de la Mise en Etat.
A l'appui de son recours, la société Auxiliaire d'Équipements fait grief au premier juge d'avoir écarté la responsabilité de la société Magneti Marelli Distribution à qui elle reproche d'avoir, sans fondement, rompu les accord qui la liaient à elle. Elle lui réclame à ce titre la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts. A cet égard, elle soutient essentiellement que l'analyse des accords révèle qu'elle s'était vue, en réalité, confier la distribution des produits représentés par la société Magneti Marelli Distribution sur la base de critères sélectifs et que, en l'absence de modification des critères de sélection à l'arrivée du terme du contrat, la société Magneti Marelli Distribution était tenue de le renouveler, ce qu'elle a refusé de faire sans raison alors que les objectifs qui lui avaient été fixés avaient été atteints et même dépassés. Elle déduit de là qu'elle est fondée à demander réparation du préjudice financier qu'elle a subi résultant des investissements qu'elle a dû faire pour l'acquisition d'un fonds de commerce et pour l'achat de divers matériels, investissements qu'elle n'a pu amortir du fait de la brusque rupture du contrat.
La société Auxiliaire de Maintenances conclut, pour sa part, à la confirmation du jugement dont appel en ce qu'il lui a accordé la somme de 150.000 F à titre de dommages, rappelant que la société Magneti Marelli Distribution lui a adressé un courrier du 3 août 1992 aux termes duquel elle lui faisait connaître qu'il lui était " juridiquement " impossible désormais de la livrer et que ce refus, s'inscrivant dans le cadre d'un contrat de distribution sélective qui aurait dû être poursuivi, est bien constitutif d'un refus de vente au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Enfin, les sociétés Auxiliaire d'Équipements et Auxiliaire de Maintenances réclament à l'autre appelante une indemnité de 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Magneti Marelli Distribution sollicite, pour sa part, l'infirmation du jugement dont appel en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Auxiliaire de Maintenances la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts et elle réclame à cette dernière une indemnité de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure Civile. Pour le surplus, elle conclut à la confirmation.
Elle fait valoir, en réplique, que les accords de partenariat ou d'assistance qu'elle a conclus avec les sociétés Auxiliaire de Maintenances et Auxiliaires d'Équipements ne sauraient s'analyser en un contrat de distribution sélective et qu'ayant rompu, comme elle s'en était réservé le droit, lesdits accords en raison notamment du fait que les sociétés Auxiliaires de Maintenances et Auxiliaires d'Équipements n'avaient pas atteint les objectifs fixés, il ne saurait lui être réclamé aucune réparation de ce chef. Elle ajoute que la société Auxiliaire de Maintenances ne lui a passé aucune commande postérieurement à la rupture des accords et qu'elle ne peut, en conséquence, lui imputer un quelconque refus de vente.
Sur ce, LA COUR :
- Sur la qualification des accords conclus entre les parties :
Considérant qu'il ressort des pièces des débats que les parties ont conclu un certain nombre d'accords en vue d'organiser leurs relations commerciales ; que ces accords peuvent être classés en deux catégories selon les objectifs à atteindre, à savoir des accords d'assistance et de coopération commerciale et des accords relatifs à une cession du fonds de commerce.
a) Les accords d'assistance et de coopération :
Considérant qu'une première convention, en date du 4 janvier 1989, a été conclue entre la société RTU, devenue Magneti Marelli Distribution, et la société Auxiliaire d'Équipements ; que cette convention avait pour objet la mise en place d'un service de distribution et d'assistance auprès de la clientèle permettant à la société Auxiliaire d'Équipements de distribuer notamment des tachygraphes Jaeger et des machines à air comprimé Magneti Marelli ; que ce contrat, conclu pour une durée indéterminée, était résiliable à tout moment moyennant un préavis de quatre mois ; qu'un préavis de résiliation a été notifié par la société Magneti Marelli Distribution par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 décembre 1992.
Considérant qu'une deuxième convention, identique en tous points à la première, a été conclue le 18 avril 1990 pour la seule distribution des tachygraphes Jaeger mais dans un autre établissement et entre la société RTU (devenue Magneti Marelli) et la société Auxiliaire de Maintenances ; que cette convention a été également résiliée par lettre recommandée de préavis en date du 3 décembre 1992.
Considérant qu'une " charte de partenariat " a, par ailleurs, été signée le 30 avril 1990 entre la société RTU (Magneti Marelli) et la société Auxiliaire d'Équipements (SAE) pour laquelle la société Magneti Marelli Distribution a confié à la SAE la distribution non exclusive de quatre types de produits ; que cette " charte " était conclue pour une durée d'une année, la société RTU (Magneti Marelli) s'étant réservé le droit de ne pas la renouveler si le distributeur privilégié ne respectait pas les objectifs prévus ; que la société Magneti Marelli Distribution n'a pas entendu renouveler cet accord de coopération à son terme.
Considérant enfin que trois accords de coopération commerciale ont été régularisés le 2 janvier 1991 pour une durée d'une année ; que, aux termes de ces accords, les sociétés Auxiliaire d'Équipements et Auxiliaire de Maintenances se voyaient confier la distribution non exclusive de produits fabriqués par le Groupe Magneti Marelli avec des objectifs précis de commercialisation ; que la société Magneti Marelli Distribution, estimant que les objectifs n'avaient pas été atteints, a informé les sociétés SAE et SAM de son intention de ne pas renouveler lesdits accords.
b) Les accords relatifs à la cession d'un fonds de commerce :
Considérant qu'un protocole de cession de fonds de commerce a été régularisé le 26 février 1990 aux termes duquel la société Jaeger promettait de vendre à la société Auxiliaire de Maintenances un fonds de commerce de station technique chronotachygraphe exploité à Eragny Sur Oise, moyennant le prix principal de 249.531,84 F HT, la société Auxiliaire d'Équipements se portant caution conjointe et solidaire de la société Auxiliaire de Maintenances et la société RTU (Magneti Marelli), propriétaire des stocks, promettant de vendre à la société Auxiliaire de Maintenances les marchandises ; que l'acte de cession de ce fonds de commerce a été signé par la société Jaeger en sa qualité de cédant et la société Auxiliaire de Maintenances, en sa qualité d'acheteur le 6 mars 1990, la société RTU (Magneti Marelli) intervenant également à l'acte en sa qualité de locataire-gérant de la société Jaeger.
Considérant qu'il résulte de l'exposé qui précède que les parties ont convenu à travers les différents accords auxquels elles ont souscrit, de mettre en place un cadre permettant aux sociétés SAE et SAM, appartenant à la même holding à savoir la société Auxiliaire d'Entreprise, de distribuer, sous certaines conditions tarifaires, les produits proposés par la société Magneti Marelli Distribution ; que, pour y parvenir, la société Magneti Marelli Distribution a sélectionné les sociétés SAE et SAM à partir de critères qualitatifs ; que cette volonté de sélection ressort clairement de la charte de partenariat signée le 30 avril 1990 qui rappelle notamment que la société RTU (Magneti Marelli) a " choisi ses partenaires, entreprises indépendantes, parmi des distributeurs dont la compétence fait autorité, soit localement, soit régionalement, dans plusieurs lignes de produits Magneti Marelli " ; que " la société RTU a mis en place un réseau de distributeurs privilégiés afin d'assurer une meilleure distribution et un meilleurs service après vente dans le but d'améliorer les prestations fournies au client final " ; que " la présente charte de partenariat a pour objet de déterminer les termes et conditions suivant lesquels la société RTU (Magneti Marelli) a choisi ses distributeurs privilégiés et concède à ces distributeurs privilégiés, pour l'année 1990, la distribution non exclusive des appareils et accessoires d'équipement automobile que la société RTU distribue sous les marques Solex, Jaeger, Veglia, Weber et Magneti Marelli " ; qu'il suit de là que les différents contrats souscrits en application de cette charte de partenariat s'analysent bien, comme le soutient la société SAE, en un système de distribution sélective puisque la société Magneti Marelli Distribution a choisi la société SAE et accessoirement la société SAM en fonction de leur compétence à distribuer ses produits et à en assurer la maintenance tout en acceptant que lesdits partenaires distribuent d'autres produits ; que, de même, il apparaît que c'est en fonction de ces accords de distribution que la société SAM, étroitement liée à la société SAE, a fait l'acquisition du fonds de commerce de la station Jaeger d'Eragny sur Oise.
- Sur les conditions de la rupture :
Considérant que la société Magneti Marelli Distribution soutient que, s'agissant des accords à durée indéterminée, elle était libre d'y mettre fin comme prévu conventionnellement par une lettre de préavis ; que s'agissant des contrats à durée déterminée, elle avait également tout loisir d'y mettre fin et de ne pas les renouveler ; qu'elle ajoute qu'elle était d'autant plus libre d'agir de la sorte que les sociétés SAE et SAM n'avaient pas atteint les objectifs qui leur avaient été fixés.
Mais considérant qu'il n'est nullement démontré que les sociétés SAE et SAM n'auraient pas atteint les objectifs auxquels elles étaient tenues ; qu'il apparaît au contraire, au vu des pièces des débats, que ces objectifs ont, pour certains produits, été largement dépassés et même doublés ; qu'en réalité, la rupture imposée par la société Magneti Marelli Distribution s'explique par la mise en place de nouveaux concessionnaires ; qu'il importe peu, dès lors, que les accords aient été conclus pour une durée déterminée ou pour une durée indéterminée avec faculté de résiliation puisque le concédant ne pouvait mettre fin auxdits accords que pour un motif légitime relevant d'un manquement imputable au distributeur, ce dernier ne pouvant se voir exclure brutalement du réseau sans faute de sa part et alors qu'il continuait à réunir tous les critères de sélection imposés à l'origine par le fournisseur; que le jugement déféré sera, en conséquence, infirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société SAE; qu'il sera, en revanche, confirmé en ce qu'il a retenu que la société Magneti Marelli Distribution s'était rendue coupable d'un refus de vente à l'égard de la société SAM ; qu'en effet, par deux courriers en date des 25 février 1992 et 3 août 1992, la société Magneti Marelli Distribution a refusé de satisfaire aux commandes de la société SAM en lui demandant de s'adresser à son nouveau concessionnaire désormais devenu exclusif.
- Sur le préjudice subi par les sociétés SAE et SAM :
Considérant que la société SAM a non seulement dû s'approvisionner à un coût plus onéreux, par suite de refus de vente qui lui a été opposé abusivement, mais qu'elle a de surcroît investi la somme de 249.000 F dans l'acquisition de la station Jaeger, et ce, dans le cadre de l'accord de partenariat que lui avait proposé la société Magneti Marelli Distribution même si celui-ci n'a pas été formalisé comme pour la société SAE, l'ensemble des pièces précédemment analysé démontrant suffisamment que la société SAM était intéressée par ledit accord au même titre que la société SAE ; que la somme de 150.000 F qui lui a été accordée en réparation par les premiers juges paraît justifiée.
Considérant que la société SAE justifie également avoir procédé à 500.000 F d'investissement pour assurer la distribution des produits Magneti Marelli ; que la rupture des accords échelonnée sur quatre mois lui a fait perdre en partie le bénéfice de cet investissement ; qu'il lui sera accordé en réparation la somme de 150.000 F qui paraît particulièrement modérée par rapport à la perte brutale et inopinée d'une partie importante de son chiffre d'affaires.
- Sur les autres demandes des parties :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés SAE et SAM les sommes qu'elles ont été contraintes d'exposer devant la Cour ; que la société Magneti Marelli Distribution sera condamnée à leur payer une indemnité de 10.000 F TTC en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Considérant enfin que la société Magneti Marelli Distribution, qui succombe pour l'essentiel, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, - Reçoit les sociétés Auxiliaire d'Équipements, Auxiliaire de Maintenances et Magneti Marelli Distribution " Réseaux Techniques Unis " en leurs appels respectifs, - Vu l'ordonnance de jonction prise par le Conseiller de la Mise en Etat, - Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SARL Magneti Marelli Distribution " Réseaux Techniques Unis " à payer à la société Auxiliaire de Maintenances la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts, - Ll'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau : - Dit que la SARL Magneti Marelli Distribution " Réseaux Techniques Unis " a brutalement et de manière non justifiée rompu les accords de distribution sélective qui la liaient à la société Auxiliaire d'Équipements et la condamne à payer à cette dernière la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts, - Condamne également la SARL Magneti Marelli Distribution " Réseaux Techniques Unis " à payer aux sociétés Auxiliaire d'Équipements et Auxiliaire de Maintenances une indemnité de 10.000 F TTC en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - La condamne également aux entiers dépens de première instance et d'appel, autorisation étant donnée à la SCP d'avoués Jullien-Lecharny-Rol, de les recouvrer directement comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.