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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 28 mars 1996, n° 1691-94

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Montesson (SARL)

Défendeur :

Nouvelle Bernard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Franck, Boilevin

Avoués :

SCP Lefevre, Tardy, SCP Gas

Avocats :

Mes Gayraud, Lasseri.

T. com. Versailles, du 22 déc. 1993

22 décembre 1993

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La Société Montesson SARL au capital social de 50 000 F a été constituée le 12.01.1987 pour l'exploitation d'un fonds de commerce de produits alimentaires et notamment de boucherie, charcuterie, triperie, volaille situé dans la galerie commerciale " Carrefour " à Montesson.

La Société les Boucheries Bernard a acquis 175 parts sociales de cette société, soit 35 % du capital.

Parallèlement, un contrat de franchise était conclu entre la Société Montesson et la Société Boucheries Bernard.

Le 6 décembre 1989, un avenant au contrat de franchise était signé : il prévoyait le versement d'une somme de 1 % HT du chiffre d'affaires TTC réalisé par la SARL au titre de la redevance de franchise. Il était également stipulé que le franchisé devait adresser le montant du chiffre d'affaires TTC réalisé au cours du mois précédent et au plus tard le 5 du mois courant.

La Société Boucheries Bernard fut déclarée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 1er juin 1989 ; le 21 septembre 1989 un plan de cession fut arrêté au profit d'une nouvelle société intitulée " Nouvelle Bernard ".

Ce plan de cession prévoyait notamment :

- la cession des participations que la Société " les Boucheries Bernard " détenait dans la plupart des sociétés de son réseau de magasin franchisés indépendant à hauteur de 35 % du capital social de chacun d'elles,

- la cession du contrat de franchise qui liait " Les Boucheries Bernard " à leurs franchisés.

La Société Nouvelle Bernard, après avoir sollicité vainement de la Société Montesson le paiement des redevances de franchise ainsi que le règlement par cette société de la créance qu'elle estimait posséder à son encontre à la suite de la cession résultant du jugement du 21 septembre 1989, l'a assignée devant le Tribunal de Commerce de Versailles.

Par jugement rendu le 22 décembre 1993, cette juridiction a notamment :

- déclaré opposable à la Société Montesson le plan de cession de la Société Boucheries Bernard au profit de la Société Nouvelle Bernard,

- dit que la Société B. Montesson devra respecter les termes à l'avenant au contrat de franchise signé le 6 décembre 1989,

- condamné la société B. Montesson à communiquer à la société Nouvelle Bernard les chiffres d'affaires TTC réalisés par elle depuis le 1er octobre 1989, sous astreinte,

- débouté la Société Nouvelle Bernard de sa demande en dommages intérêts,

Pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges ont essentiellement retenu :

1°) s'agissant de la cession des parts sociales, que la Société Montesson avertie par lettre de la Société Bernard le jour même du jugement arrêtant le plan de cession, n'ayant émis aucune protestation alors qu'elle pouvait interjeter appel en application des dispositions de l'article 174-2 de la loi de 1985, le jugement ordonnant la cession est définitif et donc opposable à la Société Montesson.

2°) s'agissant du contrat de franchise, la Société Montesson ne peut remettre en cause ce qu'elle a accepté en signant l'avenant audit contrat dont elle doit respecter les termes.

EXPOSE DES THESES EN PRESENCE ET DES DEMANDES DES PARTIES

La SARL Montesson, appelante, conteste tout d'abord que les parts sociales auraient été cédées par le seul effet du jugement adoptant le plan de cession. Elle soutient que la cession de parts est illicite dès lors que celle-ci s'est faite en dehors de tout agrément des associés et de tout respect de la procédure.

Elle ajoute que l'agrément d'un nouvel associé est du ressort exclusif de l'assemblée générale des associés et qu'en outre, en application de l'article 45 de la loi du 24 juillet 1966, les parts sociales d'une SARL ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu'avec le consentement de la majorité des associés.

Elle estime ensuite, s'agissant du contrat de franchise, que le Tribunal n'a pas ordonné la cession des contrats de franchise sur le fondement de l'article 86 de la loi du 25.01.1985 et qu'en réalité, il n'a pas statué sur le sort de son contrat de franchise. D'ailleurs, elle ne figure à aucun titre dans le jugement et surtout dans l'énumération des franchisés figurant en annexe 2 du jugement

L'appelante demande en conséquence à la Cour :

- de dire recevable et bien fondée la Société B. Montesson en son appel,

En conséquence,

- d'infirmer le jugement du Tribunal de Commerce dont appel,

- de dire et juger que l'accord des associés de la Société B. Montesson doit nécessairement être recherché et obtenu conformément notamment à l'article 45 de la loi du 24 juillet 1966,

- de dire et juger que le jugement dont fait état la Société Nouvelle Bernard ne déroge en rien à cette obligation dès lors que l'agrément des associés de la Société B. Montesson n'a pas été constaté ;

A défaut d'agrément, de déclarer imposable à la Société B. Montesson le plan de cession arrêté par le Tribunal de Commerce de Paris, prévoyant la cession des parts sociales à hauteur de 35 % de participation dans son capital social au profit de la Société Nouvelle Bernard, celle-ci n'ayant pas obtenu l'agrément des associés ;

- de prononcer purement et simplement la nullité de l'avenant conclu entre la Société Montesson et la Société Nouvelle Bernard en application de l'article 1116 du Code Civil ;

- de constater que les parties ne sont liées par aucun contrat de franchise ;

- de dire et juger qu'il appartient à la Société Nouvelle Bernard de se rapprocher éventuellement de la Société B. Montesson afin de convenir de nouveaux rapports contractuels ;

- de condamner la Société Nouvelle Bernard à payer à la Société B. Montesson, la somme de 25 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouverts par la SCP Lefevre et Tardy, avoués associés, en vertu des dispositions de l'article 699 du NCPC

La Société Nouvelle Bernard, intimée s'attache à réfuter cette argumentation,

Elle souligne notamment :

1°) que l'article 22 alinéa 4 de la loi du 05.01.1989, qui répute non écrites les clauses d'agrément, ne saurait exclure les règles légales d'agrément qui ne se confondent pas avec les " clauses ".

2°) que l'incessibilité des contrats de franchise est non seulement fondée sur leur caractère intuitu personae, mais en outre sur une interprétation restrictive de l'article 86 de la loi du 25.01.1985 comme l'a décidé la Cour de Paris (15 décembre 1992). Ainsi lorsque le franchiseur est en redressement judiciaire , l'article 86 ne peut recevoir application pour ordonner le transfert du contrat de franchise.

3°) que n'étant pas partie à l'instance, elle était juridiquement dans l'impossibilité d'interjeter appel de la décision ; l'article 174 alinéa 2 de la loi du 25.01.1985 ne mentionne la possibilité d'interjeter appel que pour le cocontractant mentionné à l'article 86, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Elle demande à la Cour :

- de voir déclarer recevable mais non fondée la Société B. Montesson en son appel ;

En conséquence,

- de voir confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- de voir condamner la Société B. Montesson à verser à la Société Nouvelle Bernard la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC

- de voir condamner la Société B. Montesson aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par la SCP GAS, avoués aux offres de droit conformément à l'article 699 du NCPC

Sur ce,

LA COUR

Sur la cession des parts sociales :

Considérant que la Société Nouvelle Bernard prétend que les parts sociales avaient été cédées par le seul effet du jugement adoptant le plan de cession ; que le Tribunal de Commerce se borne à cet égard à faire valoir que la Société B. Montesson avait l'opportunité d'interjeter appel du plan de cession par application de l'article 174-2 de la Loi du 25 janvier 1985 ;

Considérant cependant que le jugement du Tribunal de Commerce adoptant le plan de cession ne peut valoir cession des parts sociales laquelle implique l'agrément des associés ;

Considérant qu'en application de l'article 45 de la Loi du 24 juillet 1996, les parts sociales d'une SARL ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins les trois quarts du capital social ;

Considérant que la procédure d'agrément ainsi prévue en raison du caractère intuitu personae du contrat de société de ce type consiste en une notification du projet de cession par acte extra-judiciaire ou par lettre recommandée avec AR, qui doit être expressément approuvée par les associés ;

Or, considérant que force est de constater que ni l'administrateur judiciaire, ni le commissaire au plan, ni les dirigeants de la Société Nouvelle Bernard n'ont respecté cette procédure d'agrément ;

Considérant qu'aucune disposition de la Loi du 25 janvier 1985 ne dispense les bénéficiaires d'un plan de cession du respect des procédures d'agrément telles que visées par l'article 45 de la Loi du 24 juillet 1966 ;

Que dès lors, la Société Nouvelle Bernard ne pouvait acquérir les parts sociales de la Société B. Montesson qu'en respectant la procédure d'agrément, le jugement adoptant le plan de cession ne pouvant s'y substituer ;

Qu'il convient par ailleurs de souligner surabondamment la Société B. Montesson n'étant pas partie au plan de cession, elle n'avait pas qualité pour agir et interjeter appel du jugement arrêtant ce plan de cession ;

Considérant que dans ces conditions, la Société Nouvelle Bernard ne peut, faute d'avoir respecté la procédure d'agrément, prétendre avoir valablement acquis 35 % des parts sociales de la Société B. Montesson ;

Que le jugement du Tribunal de Commerce de Versailles devra être infirmé dans la mesure où la cession des parts sociales était illicite ;

Sur la licéité de la cession du contrat de franchise en l'absence d'accord du franchisé :

Considérant que la Société Nouvelle Bernard fait encore valoir que la cession du contrat de franchise serait intervenue par application de l'article 86 du Loi du 25 Janvier 1985 ;

Considérant que l'article 86 de la Loi du 25 janvier 1985 dispose que : " Le Tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fournitures de biens ou services nécessaires au maintien de l'activité au vu des observations des cocontractants du débiteur transmises par l'administrateur.

Le jugement qui arrête le plan emporte cession de ces contrats... "

Qu'il résulte de ce texte que ne sont concernés que les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l'activité ; que cette énumération limitative ne vise nullement le contrat de franchise;

Que l'article 86 est par suite inapplicable au cas d'espèce;

Considérant en outre qu'il apparaît que le Tribunal n'a pas statué sur le sort du contrat de franchise de la Société Montesson ;

Que force est de constater en effet, que le contrat de franchise de la Société Montesson ne figure pas dans le plan de cession, c'est-à-dire ni dans le jugement, ni dans l'énumération des franchises figurant en annexe 2 du jugement ; que son absence est d'ailleurs logique puisqu'il est établi que la Société Montesson n'a été ni convoquée, ni présentée ou représentée à l'audience de redressement judiciaire et n'a donné, à aucun moment, son accord pour la reprise de son contrat de franchise ;

Qu'il en résulte encore que la cession du contrat de franchise de la Société Montesson n'a pu intervenir par application du jugement arrêtant le plan de cession.

Considérant enfin que c'est à tort que le Tribunal de Commerce de Versailles a retenu l'opposabilité du plan de cession au seul motif que la Société Montesson aurait signé, le 6 décembre 1989, un avenant au contrat de franchise modifiant les redevances de franchise à la demande de la Société Nouvelle Bernard ;

Qu'il apparaît en effet que c'est en se prévalant du jugement du Tribunal de Commerce de Paris arrêtant le plan de cession que la Société Nouvelle Bernard a contraint la Société Montesson à signer cet avenant ; qu'en faisant valoir à la Société Montesson que le jugement arrêtant le plan de cession lui était opposable, la Société Nouvelle Bernard a trompé cette société dont le consentement lors de la signature de l'avenant a été aussi vicié ; que la validité de cet acte se trouve ainsi exactement contestée ;

Considérant surabondamment qu'il doit être relevé que l'avenant est resté sans commencement d'exécution de la part de la Société Nouvelle Bernard ; que la Société Montesson indique sans être contredite, n'avoir reçu, depuis la signature de l'avenant au contrat de franchise, aucune prestation de quelque nature que ce soit de la part de la Société Nouvelle Bernard ;

Qu'il apparaît aussi que l'avenant litigieux est non seulement nul de plein droit, mais qu'au demeurant les parties y ont renoncé ;

Sur l'article 700 du NCPC

Considérant que l'équité justifie de ne pas laisser à la charge de la Société Montesson les frais irrépétibles exposés en cause d'appel qu'il convient de lui allouer de ce chef la somme de 25 000 F qu'elle réclame ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Dit la Société B. Montesson recevable et fondée en son appel ; En conséquence, Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Déclare inopposable à la Société B. Montesson le plan de cession arrêté par le Tribunal de Commerce de Paris le 21 septembre 1989 ; En conséquence, Annule la cession de parts sociales intervenue à hauteur de 35 % du capital de la Société B. Montesson au profit de la Société Nouvelle Bernard, faute de respect de la procédure d'agrément des associés ; Dit et juge que les parties ne sont liées par aucun contrat de franchise, ni avenant ; Dit nul et non avenu l'avenant au contrat de franchise signé par les parties le 6 décembre 1991 ; Condamne la Société Nouvelle Bernard à payer à la Société B. Montesson la somme de 25 000 F HT au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC ; Déboute la Société Nouvelle Bernard en toutes ses fins et conclusions ; Condamne la Société Nouvelle Bernard aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par la SCP Lefevre et Tardy conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC