Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 12 avril 1996, n° 92-19538

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CBA (SA)

Défendeur :

Fiat Auto France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

Mme Regniez, M. Ancel

Avoués :

Mes Huyghe, Ribaut

Avocats :

Mes Coutton, Cocchiello.

T. com. Paris, du 27 mai 1992

27 mai 1992

Appel a été interjeté par la société CBA Automobiles, concessionnaire exclusif de véhicules Alpha Roméo, d'un jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 27 mai 1992 par lequel elle a été déboutée de toutes ses demandes de dommages-intérêts sollicités en suite de la résiliation de plein droit du contrat à durée indéterminée par son concédant, la société Alpha Roméo France (ci-après Alpha Roméo), actuellement Fiat Auto France en application de l'article 25-2 du contrat ; par ce jugement, il a été décidé que cette clause était valable et que la résiliation du contrat ne présentait aucun caractère abusif ; CBA Automobiles était encore condamnée au paiement de la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les circonstances de fait ont été exactement exposées par les premiers juges ; il convient donc de se référer à leur décision.

Il y a lieu cependant de rappeler que le contrat de concession a été conclu le 1er avril 1989 pour une durée indéterminée et porte sur la commercialisation des véhicules et pièces de rechange de la marque Alpha Roméo sur divers cantons de la région de Grenoble, un autre concessionnaire exclusif étant implanté depuis 22 ans sur les autres cantons de ce secteur géographique ; que ce contrat prévoyait en son article 25.1 une clause de résiliation de plein droit sans indemnité dans le cas notamment où le concessionnaire n'aurait pas réalisé dans sa zone d'influence pendant une période quelconque de six mois consécutifs, un pourcentage cumulé d'immatriculations de véhicules contractuels neufs au moins égal à 80 % du pourcentage moyen d'immatriculation obtenu au niveau national pour les mêmes véhicules durant la même période si le concessionnaire ne rétablissait pas ses résultats dans un délai de six mois après notification écrite qui lui serait adressée par le concédant ;

Au soutien de son appel, CBA estime que le rupture notifiée le 20 mars 1991 est abusive, la clause de taux moyen de pénétration du marché étant contraire au règlement européen 123-85 et que sur le fond, sa mise en œuvre n'est pas fondée ; elle expose en effet, que contrairement à ce qui est soutenu par Alpha Roméo, durant les six mois de la mise en demeure le taux de pénétration est remonté et est devenu très proche du taux moyen national de 0,7 % ; reprenant ses demandes initiales, elle sollicite la continuation du contrat ou à tout le moins la condamnation d'Alpha Roméo au paiement de la somme de 2.809.000 F (en réalité, 1.809.000 F) pour le préjudice matériel subi, celle de 500.000 F au titre de perte de clientèle ainsi que paiement de la somme de 163.926,63 F correspondant aux factures à la charge d'Alpha Roméo réclamée par lettre de mise en demeure du 8 octobre 1991 et restées impayées ainsi que paiement de la somme de 50.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; subsidiairement, elle sollicite la nomination d'un expert afin de déterminer le préjudice subi du fait de cette résiliation.

En réplique, Alpha Roméo conclut à la confirmation de la décision et sollicite paiement de la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que selon CBA, la clause de résiliation extraordinaire de l'article 25-2 du contrat contraire aux dispositions du règlement européen 123-85 qui prévoit dans le cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée, un préavis d'un délai minimum d'un an est nulle en application des dispositions de l'article 33 du contrat de concession qui stipule dans le cas où une clause quelconque du contrat contreviendrait aux dispositions du règlement 123-85 de la Communauté Economique Européenne (CEE), cette clause sera réputée nulle et non avenue ;

Mais considérant que, si l'article 5.2.2 du règlement européen susvisé prévoit ce délai minimum d'au moins un an pour la résiliation ordinaire, ce règlement n'exclut pas, en son article 5.4, le droit des parties de préciser des cas de résiliation extraordinaire ; qu'en outre une telle clause, même si elle était contraire au règlement européen, n'encourrait pas de ce seul chef la nullité, la partie qui invoque la nullité se devant de rapporter la preuve que la clause a un effet restrictif de concurrence au sens de l'article 85-1 du Traité CEE;

Considérant qu'il est encore soutenu que cette clause de résiliation extraordinaire est nulle car elle est mise en jeu à défaut pour le concessionnaire d'avoir rempli l'obligation de résultat mise à sa charge en lui imposant un objectif de ventes annuel, ce qui est contraire aux prescriptions du règlement européen susvisé qui permet de bénéficier de l'exemption en ne mettant à la charge du concessionnaire que des obligations de moyens ;

Mais considérant que, d'autre part la mise en jeu de la résiliation extraordinaire n'a pas été effectuée en se référant aux objectifs annuels de vente de véhicules, que d'autre part, les objectifs de vente prévus aux articles 6 du contrat et 3 des avenants annuels ne constituent pas des obligations de résultat mais seulement des obligations de moyen, le concessionnaire s'engageant à faire tous ses efforts pour atteindre les objectifs de vente convenus chaque année, et ce en accord avec le règlement d'exemption susvisé qui le prévoit en son article 4, paragraphe 3 ;

Considérant cependant que la clause imposant un pourcentage de pénétration sur le territoire concédé par rapport à la moyenne du taux de pénétration national et qui est sanctionné si ce taux n'est pas atteint par la résiliation de plein droit du contrat doit contrairement à ce que soutient Alpha Roméo être analysée, en l'espèce, comme une obligation de résultat dès lors que ne sont pas appréciées les diligences effectuées afin de parvenir à ce résultat mais est seulement constaté si le taux de pénétration déterminé dans le contrat est ou non atteint ;

Considérant qu'une clause stipulant une obligation de résultat n'est pas nulle de ce seul fait; qu'il convient en effet au concessionnaire de démontrer en quoi cette clause a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun; qu'en l'espèce, CBA ne rapporte pas cette preuve alors que le taux de pénétration contractuellement prévu repose sur des critères objectifs indépendants de la volonté du concédant et non pas sur une appréciation subjective de celui-ci; qu'elle est en effet fonction des performances réalisées par l'ensemble des revendeurs de la marque sur le marché national ; que de plus l'existence invoquée par CBA d'un autre concessionnaire implanté depuis 22 ans sur les autres cantons de la zone de Grenoble ne suffit pas à démontrer l'attitude discriminatoire à son encontre d'Alpha Roméo ; que la demande en nullité sera donc rejetée ;

Considérant que CBA conteste encore le bien fondé de la mise en œuvre de cette clause de résiliation extraordinaire ; qu'elle soutient que d'une part, Alpha Roméo lui ayant notifié la mise en demeure le 21 septembre 1990; c'est au 30 mars 1991 soit six mois après cette notification et non pas au 28 février 1991 qu'il convenait d'apprécier si le taux de pénétration était proche de celui de la moyenne nationale, que d'autre part, le taux retenu par Alpha Roméo est inexact et ne tient pas compte notamment de plusieurs ventes qui avaient été réalisées puis annulées du fait d'Alpha Roméo ; qu'elle fait en outre valoir que ses résultats ne lui sont pas imputables, étant liés à une baisse générale du marché ;

Considérant que s'il n'est pas contesté par Alpha Roméo que le marché des véhicules automobiles ait été en baisse durant la période litigieuse, cette circonstance est contrairement à ce que soutient CBA prise en compte par Alpha Roméo dans la mesure où précisément le taux de pénétration moyen national a connu également une baisse par rapport aux pourcentages antérieurs et qu'en conséquence le taux de pénétration exigé de CBA a également été abaissé ;

Considérant que CBA fait remarquer à juste titre que la période couverte par la mise en demeure expire fin mars 1991 et non pas en février 1991 comme indiqué par Alpha Roméo ; qu'il conviendra donc d'apprécier si, au cours de cette période, CBA a rétabli ses résultats au sens de l'article 25-2 du contrat ;

Considérant que CBA conteste les chiffres d'Alpha Roméo ; qu'elle fait notamment valoir que, selon les relevés statistiques Alpha Roméo de janvier 1991, elle a atteint un pourcentage de 0,7 alors que la moyenne nationale était de 0,5 ; qu'Alpha Roméo lui impute un taux de 0,2 ;

Considérant que les parties sont contraires en fait et que les éléments versés aux débats, en l'absence de précision sur l'origine du tableau de statistique Alpha Roméo communiqué par CBA, ne permettent pas de déterminer si au cours de la période litigieuse c'est-à-dire du 1er octobre 1990 au 31 mars 1991, CBA n'a pu en application de l'article 25-2 du contrat rétablir ses résultats en atteignant 80 % du pourcentage moyen d'immatriculations de véhicules neufs au niveau national ; qu'il convient en conséquence de procéder à une mesure de constat dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé ; qu'il sera en conséquence sursis à statuer sur les demandes en paiement de dommages-intérêts et de remboursement de frais ;

Par ces motifs, Confirme la décision en ce que la clause de résiliation extraordinaire a été reconnue valable, Sur le surplus des demandes, Sursoit à statuer, Désigne Maître Avalle, huissier, 10, rue Richepanse, 75001 PARIS, en qualité de constatant qui aura mission en compulsant tous documents utiles et en entendant les parties de rechercher quel a été, au cours de la période du 1er octobre 1990 au 31 mars 1991, le taux de pénétration de CBA pour les immatriculations des véhicules neufs et le taux de pénétration moyen du marché national des véhicules neufs Alpha Roméo, et de procéder à toutes autres constatations utiles, Dit qu'Alpha Roméo devra consigner la somme de 4.000 F au greffe de la Cour (service des expertises) à titre de provision à valoir sur les honoraires du constatant avant le 1er juin 1996, Dit que le constatant effectuera sa mission dès après sa saisine par le greffe et déposera son rapport avant le 1er janvier 1997, Réserve les dépens.