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Décisions

CA Versailles, 12e et 13e ch. réunies, 14 mai 1996, n° 3276-94

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Peugeot (SA)

Défendeur :

Battini

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Franck, Maron, Mmes Bardy, Rousset

Avoués :

SCP Lissarrague & Dupuis, SCP Merle & Carena-Doron

Avocats :

Mes Micheli, Gandelin.

T. com. Paris, du 31 janv. 1983; T. com.…

31 janvier 1983

La société Mistral Auto était concessionnaire Simca à La Ciotat depuis 1969, puis concessionnaire Chrysler et Talbot en vertu de contrats successifs à durée déterminée d'un an.

Le dernier contrat a été signé le 3 janvier 1980 pour une durée de un an sans reconduction.

Courant 1978 et 1979, la société PSA, holding de la société Automobiles Peugeot, a procédé à l'acquisition de la société Chrysler devenue Talbot.

Le 24 septembre 1980, était annoncée par les responsables de PSA, la fusion des réseaux de distribution Peugeot et Talbot avec la création de concessions dite "bi-marques".

Le 29 septembre 1980, la société Peugeot dénonçait le contrat de concession de Mistral Auto pour le 31 décembre 1980, respectant en cela l'article IV du contrat qui prévoyait le respect d'un préavis de trois mois par l'une ou l'autre des parties qui ne souhaiterait pas signer un nouveau contrat.

Les deux parties s'accordent à reconnaître que des pourparlers s'étaient engagés en vue d'une nouvelle organisation, notamment avec Monsieur Bel, directeur régional de Peugeot-Talbot ; ils ne devaient cependant pas aboutir.

La société Mistral Auto assignait alors la société Peugeot devant le Tribunal de Commerce de Paris le 23 novembre 1981 ;

Durant cette période la situation de la société Mistral Auto évoluait.

Selon un procès-verbal de l'assemblée des associés de la société en date du 25 novembre 1981, la société Mistral Auto cédait et transportait à Monsieur André Battini, gérant, les droits et actions de la procédure ainsi engagée.

Puis aux termes d'une assemblée générale des associés du 31 mars 1982, la liquidation de la société Mistral Auto était décidée, Monsieur Battini étant désigné comme liquidateur.

Enfin, l'assemblée générale extraordinaire des associés du 30 juillet 1982 constatait la clôture anticipée des opérations de liquidation et la radiation du registre du commerce était publiée le 9 août 1982.

Le Tribunal de Commerce de Paris, saisi par l'assignation délivrée le 23 novembre 1981, a ordonné, par jugement avant dire droit du 14 décembre 1982, la comparution personnelle des parties.

Puis par un jugement en date du 31 janvier 1983, le Tribunal de Commerce de Paris, statuant sur les demandes de la société Mistral Auto a :

- dit la société Mistral Auto mal fondée en tous les chefs de demande concernant la responsabilité précontractuelle ou contractuelle de la société Peugeot à l'exception de la demande relative à la reprise de stocks prévue à l'article 20 du contrat du 1er janvier 1980,

- dit que la société Peugeot a commis une faute lors de la résiliation du contrat de fait la liant à la société Mistral Auto et causé un préjudice dont elle doit réparation,

- avant dire droit sur le montant des reprises de stocks et préjudice :

- nommé Monsieur Ronfort en qualité d'expert.

Pour statuer comme il l'a fait, le Tribunal de Commerce a retenu l'existence d'un contrat conclu en 1981, rompu abusivement par la société Peugeot.

Statuant en ouverture du rapport de l'expert Monsieur Ronfort, le Tribunal de Commerce de Paris par jugement en date du 26 janvier 1987 a, d'une part, rejeté l'exception de nullité de la procédure soulevée par la société Peugeot qui faisait valoir qu'à la date du jugement du 21 janvier 1983, la société Mistral Auto était dissoute, radiée du registre du commerce et n'était plus valablement représentée par Monsieur Battini, ni comme gérant ni comme liquidateur, le Tribunal considérant que ce dernier agissait comme cessionnaire des droits et actions de la société Mistral Auto, et, d'autre part a condamné la société Automobiles Peugeot à payer à Monsieur André Battini aux droits de la société Mistral Auto :

* la somme de 1.727.718 F au titre du préjudice subi durant dix mois par la société Mistral Auto jusqu'à ce qu'elle devienne concessionnaire Renault,

* la somme de 94.178 F au titre de la reprise du stock de pièces détachées, suivant en cela les conclusions de l'expert.

La société Automobiles Peugeot a interjeté appel des deux jugements.

Par un premier arrêt en date du 23 juin 1988, la Cour d'Appel de Paris a :

- rejeté l'exception de nullité du jugement rendu le 31 janvier 1983, tirée de l'absence de représentation valable de la société Mistral Auto à la date dudit jugement,

- renvoyé les parties à conclure au fond.

Par un deuxième arrêt en date du 9 mars 1990, la même Cour d'Appel a, d'une part,

- dit que Monsieur Battini ne pouvait conclure en appel au nom de la société Mistral Auto, que ses conclusions au nom de la société étaient irrecevables et que seules étaient valables celles prises en son nom personnel comme cessionnaire des droits et actions de la société Mistral Auto ;

D'autre part,

- débouté Monsieur Battini de sa demande de dommages et intérêts pour faute dans l'exécution du contrat de concession pour l'année 1980 et pour rupture d'un contrat de concession conclu pour l'année 1981,

- dit que la société Automobiles Peugeot n'a pas commis de faute,

- dit que le montant de la valeur des pièces en stock reprises ne peut excéder 116.543,42 F HT,

- commis Monsieur Puybareau Manaud en qualité d'expert pour fournir tous éléments permettant d'évaluer les pièces reprises,

- sursis à statuer sur la demande en paiement du stock et celle en restitution des sommes versées en exécution du jugement du 26 janvier 1987 assorti de l'exécution provisoire.

La Cour d'Appel a, pour débouter Monsieur Battini et infirmer sur ce point le jugement rendu le 26 janvier 1987, estimé qu'aucun accord de volonté sur un contrat de concession ou d'agent déterminé n'avait été conclu entre les parties, soit au cours des pourparlers, soit par écrit.

La société Peugeot, pour mettre un terme plus rapide au litige, a offert de payer à Monsieur Battini, qui a accepté, le montant maximal d'évaluation du stock, renonçant par là à l'expertise.

La Cour d'Appel de Paris a dans un troisième et dernier arrêt du 31 mai 1991,

- condamné Monsieur Battini à payer à la société Automobiles Peugeot la somme de 116.343 F avec intérêts au taux légal et capitalisés et,

- dit ne pouvoir statuer sur la demande en restitution des sommes versées par elle en exécution du jugement du 26 janvier 1987, aux motifs que la société Automobiles Peugeot ne fournissait aucun document justifiant du destinataire du paiement, voire de la réalité du paiement, et cette demande ne pouvait constituer qu'une difficulté d'exécution d'arrêt dont elle n'était pas saisie.

La société Mistral Auto et Monsieur Battini ont formé pourvoi contre l'arrêt du 9 mars 1990 et la société Automobiles Peugeot contre les trois arrêts de la Cour d'Appel de Paris des 23 juin 1988, 9 mars 1990 et 31 mai 1991.

La Chambre Commerciale, Financière et Economique de la Cour de Cassation a, par arrêt du 30 novembre 1993, joint les pourvois, sur un moyen relevé d'office elle a déclaré irrecevable le pourvoi formé au nom de la société Mistral Auto, Monsieur Battini, liquidateur, ne pouvant plus la représenter postérieurement à l'assemblée générale du 30 juillet 1992,

Sur le pourvoi de Monsieur Battini en son nom personnel et celui de la société Automobiles Peugeot elle a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a débouté Monsieur Battini de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour rupture du contrat de concession conclu pour l'année 1981, l'arrêt rendu le 9 mars 1990.

Cette cassation a été prononcée

1/ pour violation de l'article 109 du Code de commerce dès lors que la Cour d'Appel de Paris en relevant que "la réalité" du contrat de concession exclusive pour 1981 ne se fonde pas sur "des actes signés", alors qu'un écrit n'est pas nécessaire pour prouver la conclusion d'un contrat commercial.

2/ au visa de l'article 455 du NCPC dès lors que la Cour d'Appel, rejetant la demande en paiement de dommages et intérêts présentée par Monsieur Battini pour rupture du contrat de 1981 au motif qu'aucun contrat n'a été conclu pour cette année, n'a pas répondu aux motifs du jugement dont Monsieur Battini poursuivait la confirmation selon lesquels d'abord les panonceaux n'avaient été retirés dans les locaux de la société Mistral Auto qu'en septembre 1981, bien que l'usage soit de les retirer aussitôt après la fin du contrat ;

- ensuite que les voitures ont continué à être exposées pendant plusieurs mois dans ces mêmes locaux ;

- enfin qu'un compte bancaire au nom de la société Mistral Auto a été ouvert à la fin de 1980 et a fonctionné jusqu'au mois de novembre 1981, dans une banque du Groupe Peugeot à laquelle même les concessionnaires Talbot n'avaient pas accès.

* cassé et annulé mais seulement en ce qu'il a dit qu'il ne lui appartenait pas de statuer sur la demande en restitution des sommes versées en exécution du jugement du Tribunal de Commerce du 26 janvier 1987, l'arrêt rendu le 31 mai 1991,

La Cour Suprême a retenu en effet que ce moyen attaque en réalité l'arrêt du 31 mai 1991 en ce qu'il avait dit n'avoir pas à statuer sur la demande en restitution, et estimé que cette disposition dudit arrêt se trouve cassée par voie de conséquence de la cassation de l'arrêt du 9 mars 1990.

Le litige porte sur ces deux points.

* renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Versailles, laquelle a été régulièrement saisie sur la déclaration de la société Automobiles Peugeot en date du 2 mai 1994,

La société Automobiles Peugeot, appelante, conclut au débouté de Monsieur Battini de toutes ses demandes de dommages et intérêts tirées de la résiliation abusive du prétendu contrat conclu pour l'année 1981, et donc à l'infirmation du jugement du 26 janvier 1987 de ce chef de disposition, à la condamnation de Monsieur Battini à lui verser la somme de 2.997.144,28 F avec intérêts au taux légal à compter de son versement, avec capitalisation des intérêts et celle de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La SA Peugeot soutient qu'aucun élément de fait ou de droit ne permet d'établir que les parties aient conclu un contrat de concession pour l'année 1981, que les indices visés par la Cour de Cassation dans son intérêt se trouvent en fait dépourvus de toute efficacité ; que Monsieur Battini ne rapporte pas la preuve de l'accord des parties sur les conditions essentielles d'un éventuel contrat de concession ; qu'en acceptant la résiliation pour l'année 1980, le concessionnaire a renoncé à toute demande de contrat pour l'année 1981 sollicitant lui-même l'enlèvement des véhicules neufs et mettant en œuvre la procédure de reprise des pièces détachées en stock, que Monsieur Battini ne saurait invoquer l'aveu judiciaire de Monsieur Bel, son préposé, lors de son audition devant le Tribunal de Commerce, que les éléments de faits allégués par Monsieur Battini ne reposent sur aucune pièce précise, et sont insuffisants à prouver l'accord des parties sur les conditions essentielles de la conclusions d'un contrat de concession ouvrant droit à réparation.

Sur le problème de la restitution, elle fait valoir que Monsieur Battini a été condamné par ordonnance de référé du président du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 13 septembre 1991 à restituer ces sommes, que cette ordonnance n'a pas été frappée d'appel mais que Monsieur Battini n'a toujours pas reversé ces sommes, qu'enfin elle rapporte la preuve du règlement fait à Monsieur Battini entre avocats par trois versements les 9 avril 1987, 25 juin 1987 et 16 octobre 1987.

A titre subsidiaire, si la Cour retenait la réalité d'un contrat de concession pour l'année 1981 abusivement rompu, la société Automobiles Peugeot conclut à la réduction considérable du préjudice tel que fixé par l'expert dans son rapport. Elle critique l'expert pour avoir pris comme postulant de base le fait que le contrat de concession supposé aurait été bi-marques Peugeot-Talbot, alors qu'en retenant les seuls indices avancés par Monsieur Battini pour prouver le contrat, aucun d'eux ne fait apparaître qu'en plus de la marque Talbot il serait devenu distributeur Peugeot.

Elle lui fait grief d'avoir fait son calcul en marge brute par véhicule neuf et chiffré le préjudice sur les ventes Talbot à 156.360 F et sur les ventes Peugeot à 1.541.471 F et conclut à ce que le préjudice soit limité à la seule somme de 156.360 F.

Enfin en ce qui concerne la reprise des stocks, elles soutient que l'arrêt du 9 mars 1990 ayant été cassé, l'évaluation doit se faire à dire d'expert, soit 94.178 F.

Elle conclut au débouté des demandes de réparation présentées par Monsieur Battini qui réclame, outre les sommes allouées par les premiers juges, le paiement d'une somme de 645.644,80 F au titre des pertes de liquidation de la société Mistral Auto.

A cet égard, elle rappelle que l'expert avait écarté ce chef de préjudice.

Elle conteste que le préjudice puisse être calculé sur douze mois et non dix mois comme fixé par l'expert.

En réponse aux moyens subsidiaires de Monsieur Battini sur sa demande en restitution, la société Automobiles Peugeot conclut à ce que les intérêts, s'ils ne partaient pas du jour du versement des sommes, courent à tout le moins à compter de la signification de l'ordonnance de référé soit le 22 octobre 1991 et à ce que la capitalisation soit ordonnée.

Enfin elle demande à la Cour d'écarter la demande faite à titre subsidiaire par Monsieur Battini, tendant à la voir condamnée à payer une somme de 1.500.000 F du fait des relations commerciales maintenues et à ce que la Cour ordonne alors la compensation des créances réciproques.

Elle conteste en effet devoir supporter les investissements effectués par la société Mistral Auto, ce qui reviendrait à lui faire supporter les conséquences de la liquidation de la société Mistral Auto sans lien de causalité.

Monsieur Battini, intimé au principal et appelant incident, conclut à la confirmation des jugements rendus les 31 janvier 1983 et 26 janvier 1987 en ce qu'il ont reconnu la réalité d'un contrat de concession pour l'année 1981 et dit que la société Automobiles Peugeot avait commis une faute dans la résiliation de ce contrat ouvrant droit à réparation du préjudice causé.

Il forme appel incident sur le quantum des condamnations et demande la condamnation de la société Automobiles Peugeot à lui verser la somme de 2.787.776,80 F à titre de dommages et intérêts à laquelle s'ajoute le montant de 137.982,80 F TTC qui ne peut être remis en question compte tenu de la cassation partielle qui ne vise pas ce point, avec intérêts de droit à compter du 13 novembre 1981, avec capitalisation des intérêts (date demande 24 mai 1995) ; d'ordonner la compensation avec les sommes déjà versées par la société Automobiles Peugeot soit 2.997.144,28 F en principal et intérêts.

Subsidiairement, il conclut à la confirmation du jugement en date du 26 janvier 1987.

Il demande la condamnation de la société Automobiles Peugeot à lui payer la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur l'existence d'un contrat de concession pour l'année 1981, il fait valoir que la Cour de Cassation a implicitement mais nécessairement reconnu qu'en l'état de leurs constatations, les juges de première instance avait légitimement justifié leur décision.

Il soutient que les indices ainsi dégagés sont pertinents, que l'existence du contrat résulte au surplus de l'aveu judiciaire de Peugeot du fait des déclarations de son directeur régional, Monsieur Bel, devant le Tribunal de Commerce, et le comportement de Peugeot durant l'exercice 1981 qui a livré et facturé à la société Mistral Auto directement des véhicules neufs de sa marque, ce qui traduit une attitude positive et volontaire du concédant vis-à-vis de son concessionnaire, qui l'a autorisée à s'approvisionner en véhicules neufs auprès d'autres concessionnaires voisins, lui a livré et facturé des pièces de rechange neuves de sa marque, accepté des demandes de garanties, autant d'actes s'inscrivant dans la logique de la poursuite de relations commerciales illustrées par un courrier de la société Automobiles Peugeot à un client le renvoyant à son concessionnaire, la société Mistral Auto.

Monsieur Battini relève le caractère brutal de la rupture de ce contrat qui constitue en l'espèce un abus de droit engageant la responsabilité du concédant.

En ce qui concerne le préjudice subi, il soutient que la société Automobiles Peugeot a abusé les premiers juges en soutenant, sans preuve, que la société Mistral Auto est devenue concessionnaire Renault à compter de novembre 1981.

Il impute la responsabilité de la liquidation de la société à la société Automobiles Peugeot.

Il critique l'évaluation faite par l'expert, soutient que le préjudice doit être calculé sur douze mois et non dix, et que les pertes de liquidation de la société Mistral Auto qui se sont élevées à 645.644,80 F, doivent être prises en considération, leur montant et leur exigibilité étant la conséquence directe de l'arrêt anticipé de l'activité.

Il rappelle qu'il a dû prendre personnellement en charge le remboursement de tous les créanciers de la société Mistral Auto, soit un coût à sa charge de 996.998,04 F, et en sa qualité de caution, le paiement de 47.497,50 F à la société Mobil Oil.

Les montants des stocks repris ne pouvant être remis en cause, il chiffre à la somme de 1.103.803,60 F en principal ce que la société Peugeot doit lui verser en sus de la somme de 1.821.956 F en principal versée.

A titre subsidiaire, si la Cour estimait que les relations qui se sont poursuivies à compter du 1er janvier 1981 ne sont pas constitutives d'un contrat de concession automobiles et que la cessation brutale n'entraîne pas la responsabilité ; il fait valoir que les relations précaires qui se sont poursuivies l'ont été au plus grand bénéfice de la société Peugeot qui n'ayant pas de concessionnaire sur ce territoire avant septembre 1981 a tiré profit de cette situation, et au détriment le plus grand de la société Mistral Auto qui, forte des promesses de son concédant, a fait des investissements en pure perte, qu'un tel préjudice doit être indemnisé à hauteur de la somme de 1.500.000 F.

A titre très subsidiaire, si la Cour faisait droit à la demande de restitution des sommes versées par la société Automobiles Peugeot en exécution du jugement du 26 janvier 1987, Monsieur Battini fait valoir que la société Automobiles Peugeot ne saurait prétendre au paiement d'intérêts capitalisés qui ne sont dus qu'à compter de la notification valant mise en demeure de la décision ouvrant droit à restitution, à savoir l'arrêt à intervenir, et non depuis l'ordonnance de référé qui n'a pas autorité de la chose jugée et dont l'effet s'est trouvé anéanti par l'arrêt de cassation.

La société Automobiles Peugeot, dans ses conclusions en réplique, conteste la portée donnée par Monsieur Battini de l'arrêt de Cour de Cassation, la pertinence des éléments de fait allégués pour prouver l'existence du contrat et, sur le problème du point de départ des intérêts, fait valoir que l'arrêt de cassation qui n'a cassé les arrêts de la Cour d'Appel de Paris que sur certaines dispositions, est sans effet sur l'ordonnance de référé qui conserve son autorité de chose jugée tant qu'elle n'est pas contredite par l'arrêt que la Cour de Renvoi rendra.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que pour condamner la société Automobiles Peugeot à réparer envers Monsieur Battini le préjudice occasionné par la rupture brutale et sans préavis du contrat de concession pour l'année 1981, le Tribunal de Commerce de Paris, dans son jugement en date du 31 janvier 1983, a estimé que la société Automobiles Peugeot avait fait dès octobre 1980, mais après la lettre de résiliation du 29 septembre 1980, des propositions claires et précises à Monsieur Battini qui ont reçu dès janvier 1981 un commencement d'exécution rendant caduque la lettre de résiliation du 29 septembre 1980, commencement d'exécution corroboré par quatre faits qu'il énonce ;

Considérant que les parties s'accordent sur le fait que la preuve du contrat peut être rapportée par tous moyens, qu'un écrit n'est pas nécessaire quant bien même le précédent contrat les liant aurait fait l'objet d'un écrit ;

Considérant que des pièces versées aux débats, il apparaît que Monsieur Bel, directeur général Peugeot et habilité à l'engager a, dès le mois d'octobre 1980, entamé des pourparlers avec Monsieur Battini dont l'évolution ressort de son audition par le Tribunal de Commerce ; qu'ainsi il a été proposé à Monsieur Battini successivement d'être agent Peugeot-Talbot à la Ciotat, puis à Marignane, d'être concessionnaire bi-marques à La Ciotat et agent à Marignane; qu'enfin, devant les difficultés créées par la présence de la SIAP, concessionnaire Peugeot sur ce même territoire, Monsieur Bel a proposé une concession Talbot, acceptée par Monsieur Battini ;

Considérant qu'en réponse à la question :

"qui est devenu concessionnaire Talbot à La Ciotat posée par le Conseil de Monsieur Battini,

Monsieur Bel a répondu :

"Personne, mais il y a eu reconduction de fait avec Monsieur Battini qui a travaillé pendant quelques mois" ;

Considérant que ces déclarations de Monsieur Bel, qui engagent la société Peugeot, fixent l'état d'avancement des discussions ;

Considérant que Monsieur Battini, fort de ces propositions, a poursuivi son activité de concessionnaire au-delà du 1 août 1981 sur la zone concédée dans le précédent contrat venu à expiration le 31 décembre 1980 ;

Considérant que la preuve de la poursuite de ce contrat résulte de la réunion de plusieurs faits dont la société Automobiles Peugeot ne discute pas la matérialité mais la pertinence et la portée ;

Considérant que c'est ainsi que les panonceaux de la concession n'ont été retirés dans les locaux de la société Mistral Auto qu'en septembre 1981 ; que, si au terme du contrat précédent, l'initiative du retrait appartient au concédant, il n'en demeure pas moins que le concessionnaire dispose de moyen de l'y contraindre, auquel la société Automobiles Peugeot n'a pas eu recours ; que sa passivité ne trouve sa justification que dans la situation de fait qui s'est créée à partir du 1er janvier 1981 ;

Considérant encore que des voitures ont continué à être exposées pendant plusieurs mois dans les mêmes locaux ; que si aux termes du précédent contrat, le concédant devait avoir l'initiative de la restitution, la société Automobiles Peugeot n'a pas mis là aussi en œuvre la procédure définie pour l'y contraindre ;

Considérant à cet égard que ce n'est qu'en septembre 1981, date à laquelle elle a nommé un autre concessionnaire Peugeot, qu'elle a procédé à ces retraits ;

Considérant que sa passivité ne trouve là aussi sa justification que dans l'acceptation de la poursuite des relations commerciales ;

Considérant que la société Mistral Auto s'est vue consentir l'ouverture d'un compte bancaire fin 1980 auprès de la Sofib ; que Monsieur Bel a confirmé lors de son audition qu'avant fin 1980 les concessionnaires Talbot n'avaient pas accès à la Sofib ; qu'il importe peu qu'aucune écriture n'ait été passée en 1981, seul importait le fait pour la société Mistral Auto, dont le contrat était résilié, d'avoir pu ouvrir ce compte postérieurement à la résiliation, l'accès à cette banque, filiale de la société Automobiles Peugeot, n'ayant pu être accordé que dans la perspective des relations au-delà du 1er janvier 1981 ; que la société Automobiles Peugeot ne dément pas ce fait en prouvant, notamment ce qu'elle pouvait faire, l'accès à Sofib ouvert à d'autres marques que la sienne ;

Considérant que durant les premiers mois de l'année 1981, la société Automobiles Peugeot a livré et facturé à la société Mistral Auto directement des véhicules neufs Talbot, ainsi que des pièces de rechange neuve de cette marque, a accepté les demandes de garanties concernant des travaux de réparation ; que Monsieur Bel a confirmé avoir donné son accord à la société Mistral Auto pour s'approvisionner en véhicules neufs auprès des concessionnaires voisins, tout en lui permettant de bénéficier des marges normales et habituelles ; que la société Automobiles Peugeot ne démontre pas qu'à l'époque une telle pratique était ouverte à des non-concessionnaires de sa marque ; que la société Mistral Auto a, en février 1981, réceptionné à la demande de la société Automobiles Peugeot le stock de base du modèle Tagora, dans la marque Talbot ;

Considérant que tous ces faits, dont la matérialité n'est pas discutée, constituent autant d'actes positifs de la société Automobiles Peugeot, corroborant la proposition claire et précise de la poursuite des relations contractuelles au-delà du 1er janvier 1981 dans le sillages des pourparlers du quatrième trimestre 1980 ;

Considérant que la société Automobiles Peugeot ne peut raisonnablement soutenir qu'il n'y a pas preuve d'un contrat, faute de preuve de l'accord des parties sur les conditions essentielles de la concession pour l'année 1981 ;

Considérant en effet que tous les actes positifs accomplis par la société Automobiles Peugeot ne sont que l'exécution des obligations qui étaient à sa charge dans le précédent contrat, qu'aucun malentendu ou désaccord n'existait sur le territoire géographique, puisque tous les actes ont été faits dans la zone de concession définie au précédent contrat et dans sa continuité ;

Considérant que le seul point où l'accord des parties ne s'est pas concrétisé est celui de la conclusion d'une concession bi-marques ;

Considérant en effet, d'une part, que la société Automobiles Peugeot établit que le projet de concession bi-marques se heurtait aux droit de la SIAP, concessionnaire Peugeot, titulaire de cette zone, qui n'a accepté qu'ultérieurement la modification de son territoire au profit d'ailleurs de l'ancien agent Peugeot de La Ciotat devenu concessionnaire en septembre 1981 ; que d'autre part, si la société Automobiles Peugeot a bien poursuivi les relations pour les véhicules de la marque Talbot, elle n'a par aucun acte positif manifesté sa volonté de donner à la société Mistral Auto la concession Talbot-Peugeot ou Peugeot seule ;

Considérant enfin que la société Peugeot ne saurait pour faire échec à tous ces faits, opposer le comportement de Monsieur Battini qui, le 2 février 1981, aurait fait une demande alternative prouvant, selon elle, l'absence d'accord, son courrier du 21 décembre 1980 sollicitant l'enlèvement des voitures et la mise en œuvre le 30 janvier 1981 de la procédure de reprise des stocks ;

Considérant que le courrier du 2 février 1981 n'a d'importance qu'à l'égard du sort de la marque Peugeot et ne remet pas en cause la poursuite des relations dans les conditions de l'ancien contrat pour la marque Talbot ; que la lettre du 21 décembre 1980 antérieure au 1er janvier 1981 n'a pas été suivie d'exécution par la société Mistral Auto ou de la moindre tentative de la part de la société Peugeot ;

Considérant qu'est donc établie la preuve de la reconduction d'un contrat de concession à compter du 1er janvier 1981, comme l'a jugé le Tribunal de Commerce le 30 janvier 1983, sauf à dire que la concession ne concernait que la marque Talbot;

Considérant que la brusque rupture de ce contrat en septembre 1981 est fautive;

Considérant que les conséquences de cette rupture brutale ont été évaluées par l'expert nommé par le Tribunal de Commerce qui au vu de ses conclusions a, par le jugement en date du 26 janvier 1987 frappé d'appel, chiffré le montant des dommages et intérêts dus à Monsieur Battini à la somme de 1.727.718 F ;

Considérant que la Cour ne saurait confirmer l'évaluation ainsi faite du préjudice de Monsieur Battini ; qu'en effet, et comme le relevait la société Automobiles Peugeot dans sa critique des travaux de l'expert, ce dernier a raisonné à partir du postulat de base de l'existence d'une concession bi-marques ;

Considérant que le renouvellement de la concession ne s'étant fait que pour la seule marque Talbot, le préjudice se trouve ramené à celui chiffré par l'expert sur les seules ventes Talbot ;

Considérant que Monsieur Battini critique la période prise en considération par l'expert, qu'il estime devoir être portée à douze mois ;

Considérant qu'il convient de suivre sur ce point l'argumentation de Monsieur Battini, du fait que tout le comportement de la société Automobiles Peugeot n'a pu que lui faire croire à une reconduction pour une période à tout le moins égale à celle du précédent contrat ;

Considérant qu'au titre du manque à gagner sur la base d'une année de marge brute, il doit être alloué à Monsieur Battini en retenant l'hypothèse d'un score de vente en 1981 égal à celui de 1980 la somme de 321.720 F (soit 7.818 F x (72 - 32) ;

Considérant en revanche que Monsieur Battini en saurait prétendre faire supporter à la société Automobiles Peugeot, du fait de cette rupture brutale, les conséquences financières de la liquidation de la société Mistral Auto qu'il a personnellement supportées ;

Considérant en effet que le lien de causalité entre la liquidation anticipée de la société et le comportement de la société Automobiles Peugeot n'est pas établi, que le seul préjudice occasionné par la rupture résulte du manque à gagner sur la durée présumée du contrat de fait reconduit pour l'année 1981.

Considérant que le jugement entrepris (26 janvier 1987) doit être émendé sur la quantum des dommages et intérêts ; que la société Automobiles Peugeot doit être condamnée à payer à Monsieur Battini la somme de 312.720 F avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en application de l'article 1153-1, alinéa 1 et 2 du Code civil ;

Considérant que la capitalisation des intérêts sollicitée le 24 mai 1995 doit être ordonnée en application de l'article 1154 du Code civil ;

Considérant que l'arrêt rendu le 31 mai 1991 qui a condamné la société Peugeot à payer à Monsieur Battini la somme de 116.343 F avec intérêts au taux légal et capitalisation au titre de la reprise des stocks, a été cassé seulement pour le surplus de ses dispositions, en ce qu'il a dit qu'il ne lui appartenait pas de statuer sur la demande en remboursement des sommes versées en exécution du jugement rendu le 26 janvier 1987, et celui rendu le 9 mars 1990 seulement en ce qu'il a débouté Monsieur Battini de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour rupture de contrat, de telle sorte que la portée de la cassation est limitée à ces deux seuls points et que la société Peugeot ne saurait, sauf à porter atteinte à l'autorité de la chose jugée s'attachant à ce chef de disposition de l'arrêt du 31 mai 1991, remettre en cause l'évaluation des stocks chiffrée conformément à l'accord des parties à la somme de 116.343 F ;

Considérant que la conséquence de l'infirmation partielle des jugements entrepris est la reconnaissance du droit de la société Automobiles Peugeot à restitution par Monsieur Battini des sommes en principal et intérêts versés en exécution du jugement du 26 janvier 1987 au titre des seuls dommages et intérêts ;

Considérant, sur le point de départ des intérêts, qu'il est de principe que les intérêts ne sont dus qu'à compter de la notification de la décision ouvrant droit à restitution, soit en l'espèce le présent arrêt ;

Considérant que la société Peugeot ne saurait prétendre aux intérêts à compter de la signification de l'ordonnance de référé rendue le 13 septembre 1991 par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, lequel n'a fondé sa décision que sur les arrêts de la Cour d'Appel de Paris du 9 mars 1990 et 31 mai 1991 lesquels ont été cassés et annulés ;

Considérant que la compensation doit être ordonnée entre les créances réciproques des parties ;

Considérant que sur ces sommes qui lui reviennent, la société Automobiles Peugeot sollicite le bénéfice des dispositions de l'article 1154 du Code civil par conclusions signifiées le 23 mars 1995 ; que Monsieur Battini ne saurait s'y opposer faute d'alléguer ou d'établir la faute de la société Automobiles Peugeot dans la liquidation de sa dette, qu'il sera fait droit à cette demande, étant précisé que la capitalisation ne jouera que pour les intérêts échus depuis plus d'une année ;

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie la totalité des frais irrépétibles exposés ;

Considérant que la société Automobiles Peugeot qui succombe partiellement doit supporter la charge des entiers dépens ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Statuant sur renvoi de la Chambre Commerciale Economique et Financière de la Cour de Cassation par arrêt en date du 30 novembre 1993 et dans la limite de la cassation, Confirme les jugements du Tribunal de Commerce de Paris en date du 31 janvier 1983 et du 26 janvier 1987 en ce qu'ils ont admis l'existence d'un contrat de concession pour l'année 1981 sauf à dire que la concession ne portait que sur la marque Talbot, en ce qu'ils ont dit que la société Automobiles Peugeot avait commis une faute dans la résiliation dudit contrat la liant à la société Mistral Auto aux droits de laquelle vient Monsieur Battini ouvrant droit à réparation, Infirme les jugements entrepris sur le quantum des dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation, Statuant à nouveau, Condamne la SA Automobiles Peugeot à payer à Monsieur Battini la somme de 312.720 F (trois cent douze mille sept cent vingt france) à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, en application de l'article 1153-1 du Code civil, Ordonne la capitalisation des intérêts échus depuis une année entière dans les termes et conditions de l'article 1154 du Code civil, Condamne Monsieur Battini à restituer à la SA Automobiles Peugeot la somme de 2.997.144,28 F (deux millions neuf cent quatre vingt dix sept mille cent quarante quatre francs et vingt huit centimes) avec intérêts légaux à compter de la notification du présent arrêt, Ordonne la capitalisation des intérêts échus depuis une année entière dans les termes et conditions de l'article 1154 du Code civil, Ordonne la compensation des créances en principal et intérêts respectives des parties, Déboute la SA Automobiles Peugeot de sa demande au titre de la reprise des stocks et dit que l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris l'ayant condamnée à payer à Monsieur Battini la somme de 116.343 F HT (cent seize mille trois cent quarante trois francs) est définitif de ce chef de disposition, Rejette toutes leurs autres demandes.