CA Rennes, 2e ch., 15 mai 1996, n° 9500411
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Opel France
Défendeur :
Duran (ès qual.), Gathrat
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Casorla
Conseillers :
MM. Froment, Poumarede
Avoués :
Mes Castres, Colleu, Chaudet, Brebion
Avocats :
Mes Le Douarin, Bourgeon.
LA COUR,
Vu le jugement du 14 octobre 1994 par lequel le Tribunal de commerce de Lorient :
- a retenu que la SA Général Motors France Automobile, nouvellement dénommée Opel France (le concédant) n'avait pas exécuté de bonne foi les conventions d'exclusivité la liant à la société Générale de l'Automobile du Morbihan (la concessionnaire), en liquidation judiciaire, représentée par Maître Duran, son liquidateur judiciaire, et avait résilié abusivement le contrat de concession à durée déterminée les liant,
- a retenu que le concédant était responsable du préjudice causé au concessionnaire et à Jean-Jacques Gathrat, lequel n'aurait pu, par la faute de ce concédant, céder ses actions dans la société concessionnaire et être remboursé de son compte courant dans cette société,
- a, sur le surplus, ordonné une expertise pour évaluer le préjudice.
Vu l'appel de ce jugement par le concédant et les écritures d'appel du 15 mars 1995 par lesquelles celui-ci :
- soutient qu'à tort le jugement déféré a retenu des fautes à son encontre, lesquelles ne sont pas établies en observant :
- que le contrat ne conférait ni au concédant, ni au concessionnaire une quelconque exclusivité,
- que la zone principale de responsabilité du concessionnaire n'entraînait aucune exclusivité territoriale à son profit, que sa modification en 1985 a été demandée par le concessionnaire lui-même, dans une lettre du 22 novembre 1984, qu'un nouveau contrat a été établi, après l'expiration du précédent le 31 décembre 1986, et que ce nouveau contrat, conclu à la demande expresse du concessionnaire alors que le concédant avait manifesté son intention de ne pas renouveler le précédent le 31 juillet 1986, a régulièrement prévu une zone de responsabilité prioritaire différente, qui a été acceptée, observant de plus qu'en 1989 ont été ajoutées à cette zone les cantons de Plouay et de Pont Scorff figurant dans le contrat initial,
- qu'à tort a été retenue une faute quant à l'installation d'un concessionnaire sur un canton voisin, dès lors que ce canton ne figurait pas dans la zone de responsabilité du titulaire du contrat du 1er janvier 1987 litigieux,
- que les investissements réalisés par le concessionnaire lui-même à Quimperlé ne devaient pas concerner la marque Opel, qu'il avait l'intention d'y établir une concession Lada et qu'enfin, dès la connaissance par le concédant de cette installation à Quimperlé, il a fait connaître son désaccord,
- qu'à tort a été retenue une suppression unilatérale d'exclusivité par le concédant en juillet 1990, alors qu'à cette date il s'est agi seulement du regroupement des zones principales de responsabilité de Lorient et Quimperlé en une seule zone à concessions multiples et que cette décision, qui n'a d'ailleurs pas été discutée, était, conformément au contrat, étayée par des justifications objectives notifiées à la société concessionnaire,
- qu'à tort a été retenue une faute dans les obligations de livrer du concédant, alors que, sauf en ce qui concerne une série de véhicules Opel Kadett, tous les véhicules commandés ont été livrés et que, en ce qui concerne la série des Opel Kadett, le refus de la commande était justifié par la situation financière du concessionnaire,
- que la société concessionnaire a toujours été en dessous des objectifs qui lui étaient assignés, n'a même pas confirmé par des commandes fermes les allocations de véhicules qu'elle demandait et n'a jamais atteint un niveau de rentabilité satisfaisant,
- que la reprise, le 23 janvier 1991, d'un stock de véhicules a été faite, en exécution des accords contractuels, le prix des véhicules n'étant pas payé et la société concessionnaire ayant, le jour précédent, émis 5 chèques sans provision d'un montant total de 350 094 F, ce qui a justifié la résiliation du contrat, notifiée le 25 janvier suivant,
- que, de plus, Jean-Jacques Gathrat, qui dirigeait la société concessionnaire, a reconnu la responsabilité de celle-ci dans les désordres de l'entreprise et le bien fondé de la résiliation dans une lettre du 7 février 1991,
- qu'à bon droit le concédant s'est opposé à la poursuite du contrat par un successeur, alors que le candidat proposé était architecte de formation et n'offrait aucune garantie,
- demande, au titre de la mauvaise foi dans la procédure ainsi engagée, le paiement d'une somme de 300 000 F, outre le paiement d'une somme de 50 000 F pour frais non taxables.
Vu les écritures d'appel du 24 juillet 1994 et du 28 février 1996 par lesquelles Maître Durant, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société concessionnaire, et Jean-Jacques Gathrat :
- soutiennent qu'en permettant l'installation, par le concessionnaire de Quimperlé, d'un établissement secondaire à Caudan, à proximité de la société concessionnaire, et en tolérant de la prospection commerciale par cet établissement de Caudan sur le secteur de celle-ci, le concédant a commis une faute,
- soutiennent que le contrat de 1987 a contenu une exclusivité territoriale au profit de la société concessionnaire et que cette exclusivité, qui serait une exclusivité de représentation, a été unilatéralement modifiée par le concédant qui, en 1990, a créé une zone de responsabilité commune entre elle-même et le concessionnaire de Quimperlé, alors que cette zone de concessions multiples était préjudiciable à la société concessionnaire et n'était pas contractuellement étayée par des justifications objectives,
- soutiennent que la résiliation de plein droit du contrat est injustifiée, les griefs allégués dans la lettre de résiliation n'étant pas de ceux permettant une telle résiliation, en observant que les chèques émis ont été rejetés sans préavis, en raison d'une rupture brutale des concours de la banque CIO, et que rien dans les convention n'interdisait de revendre les véhicules livrés avant leur paiement au fournisseur,
- soutiennent que cette résiliation est, de plus, abusive pour avoir été faite avec malveillance et brutalité, la décision ayant été mûrie de longue date et la notification n'étant intervenue qu'après que le concédant ait achevé son complet désengagement et se soit emparé des derniers actifs de l'entreprise, comme il ressortirait de ses agissements depuis 1989,
- soutiennent, de plus, que le concédant a refusé abusivement la candidature de Roger Le Borgne à la succession de Jean-Jacques Gathrat,
- demandent la confirmation du jugement déféré, en ce qui concerne la responsabilité du concédant, et, y ajoutant, la condamnation de celui-ci à payer une indemnité provisionnelle de 2 000 000 F, outre une modification de la mission d'expertise, l'expert devant s'appliquer à rechercher la perte de marge brute jusqu'à l'expiration normale du contrat, le montant de l'insuffisance d'actif de la société concessionnaire et évaluer son fonds de commerce sur la base d'une activité normale,
- demandent le paiement d'une somme de 50 000 F pour frais non taxables.
Vu l'avis du 22 août 1995 par lequel a été fixée au 7 mars 1996 la date à laquelle serait clôturée la procédure pour l'affaire être plaidée le 26 mars 1996.
Vu le report de la clôture au 20 mars 1996 et les conclusions du concédant du 19 mars 1996.
Vu les conclusions des adversaires du 26 mars 1996 et les écritures du même jour par lesquelles ceux-ci demandent le rabat de l'ordonnance de clôture du 20 mars 1996, les conclusions signifiées la veille par le concédant ne permettant pas la contradiction.
Considérant que des conclusions de Jean-Jacques Gathrat et Maître Duran ont été déposées le 28 février 1996 et qu'en ne répondant à ces écritures que la veille de la clôture, le concédant, qui a bénéficié d'un report de clôture au 20 mars 1996, a méconnu les droits de la défense ; qu'il y a lieu ainsi d'écarter les écritures qu'il a tardivement déposées et d'écarter d'office les écritures de ses adversaires, déposées après clôture, dès lors qu'aucune cause grave ne justifie la révocation de l'ordonnance de clôture ;
Considérant qu'aucune exclusivité n'a été convenue dans les contrats ayant lié le concédant et le concessionnaire, étant observé :
- que le premier contrat, qui les a liés jusqu'au 31 décembre 1986, accordait au concessionnaire un droit non exclusif d'acheter des véhicules et diverses autres marchandises et un droit non exclusif de présenter à la clientèle en qualité de concessionnaire agréé à l'emplacement de la concession, l'acte définissant, en annexe, la zone principale de responsabilité de ce concessionnaire pour l'évaluation de son efficacité, pour les normes relatives aux activités de la concession, étant observé qu'il ne ressort d'aucune disposition contractuelle que ce concessionnaire se soit, en outre, interdit la vente de produits concurrents aux produits du concédant,
- que la zone de responsabilité du concessionnaire a été modifiée, à sa demande, en 1984, comme il ressort d'une lettre qu'il a adressée au concédant le 22 novembre 1984,
- que le concédant a indiqué au concessionnaire, en juillet 1986, qu'il n'entendait pas reconduire le contrat et qu'à la suite de diverses négociations, un nouveau contrat a cependant été convenu, le 1er janvier 1987, mais avec nouvelle zone de responsabilité qui n'a pas ainsi été arbitrairement fixée par le concédant,
- que, pas davantage que le premier, ce nouveau contrat, par lequel le concessionnaire ne s'interdisait pas de commercialiser des produits concurrents, n'a accordé à celui-ci une exclusivité quelconque quant à la vente ou à la " représentation " du concédant sur la zone principale de responsabilité, dès lors qu'il est expressément stipulé que le concessionnaire n'est ni l'agent, ni le représentant, ni le mandataire du concédant et que s'analysent en une exclusivité ni les clauses contractuelles par lesquelles l'emplacement de la concession, les locaux de celle-ci et leur destination étaient déterminés en accord avec le concédant et ne pouvaient être modifiés sans cet accord, ni les clauses par lesquelles le concessionnaire, qui pouvait, si bon lui semblait, établir hors de sa zone une point de vente des produits du concédant ou d'un concurrent de celui-ci, ne pouvait se prétendre concessionnaire que sur la zone principale de responsabilité, seule zone où des responsabilités de concessionnaire lui étaient effectivement attribuées, notamment en ce qui concerne les inspections et interventions avant livraison de véhicules neufs, les interventions avant livraison de véhicules neufs, les interventions sous garantie, le service d'entretien par atelier agréé le cas échéant, le service des pièces et accessoires etc... ;
Considérant qu'ainsi, à tort les premiers juges ont retenu qu'une convention d'exclusivité liait concédant et concessionnaire et que le premier par des abus n'avait pas exécuté le convention de bonne foi ; qu'en outre, si la zone principale d'activité du concessionnaire a [été] réduite en 1984 et 1987, il apparaît que c'est en parfait accord avec le concessionnaire ;
Considérant que la zone principale de responsabilité du concessionnaire, à compter du 1er janvier 1987, n'incluait pas le canton de Pont Scorff où est située la commune de Caudan ; que l'installation sur cette commune d'un établissement du concessionnaire de Quimperlé et les différends qui s'en sont suivis avec la société concédant, qui exploitait elle-même à Quimperlé un point de vente de véhicules comme il ressort d'une lettre du concédant du 28 avril 1988, sont étrangers au concédant ; qu'il y a lieu d'observer, sur ce point, qu'après la liquidation judiciaire de ce concessionnaire de Quimperlé, le concédant a obtenu une modification de sa zone, le 1er avril 1989, et l'inclusion dans celle-ci du canton de Pont Scorff ;
Considérant que les mauvais résultats du concessionnaire pendant l'exécution du contrat et jusqu'à sa résiliation sont patents etqu'il n'est établi par aucun élément sérieux qu'ils soient imputables au concédant,étant observé que la société concessionnaire n'a jamais discuté, avant la résiliation, l'exécution des relations contractuelles par le concédant et, de plus, postérieurement à cette résiliation, a, par l'organe de son dirigeant, dans une lettre du 7 février 1991, indiqué n'avoir pas su maîtriser la situation, n'avoir que très rarement commis des erreurs, avoir été handicapée par le manque de fonds propres dû à l'augmentation du volume des ventes et aux importants investissements en matériels et équipements qui ne pouvaient être différés, avoir été pénalisée par la difficulté à mettre en place une équipe commerciale performante et comprendre les raisons légitimes ayant conduit le concédant à la résiliation, exposé dont la sincérité n'enlève rien à la validité et à la pertinence ; que ces mauvais résultats, qui avait entraîné des impayés importants en 1989 et qui étaient susceptibles d'affecter le service de la concession, ont légitimement conduit le concédant à notifier le 2 juillet 1990, sans qu'au demeurant la société concessionnaire n'émette alors quelque opposition que ce soit, la création, au lieu et place de la zone principale de responsabilité de celle-ci, d'une zone plus large, englobant 16 cantons, dont les cantons d'Arzano, Bannalec, Pont-Aven, Quimperlé et Scaer, mais partagée avec le nouveau concessionnaire de Quimperlé ;que cette modification de la zone de responsabilité a été prévue au contrat, sur justification de raisons objectives,et que la lettre du concédant du 2 juillet 1990 a fait part à la société concessionnaire des raisons objectives conduisant à cette décision, à savoir la faiblesse des ventes de celle-ci et l'insuffisance de ses fonds de roulement, lesquelles étaient révélatrices de l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de satisfaire au service de la concession sur le secteur de responsabilité défini et de la nécessité de le remodeler ;
Considérant que, après divers chèques impayés en 1989 d'un montant important comme il ressort d'un avis de la banque du concédant des 19 et 21 juillet 1989, la société concessionnaire a, à nouveau, émis 5 chèques en début d'année 1991, en paiement de diverses fournitures et dettes, pour un montant total de 350 094,48 F, chèques rejetés par sa banque pour absence de provision, sans que soient justifiés une collusion du concédant avec cette banque et le caractère abusif du rejet des chèques, dont, de plus, il n'est versé aucune régularisation ; qu'il s'ensuit que, légitimement, devant la récidive de chèques impayés, pour un montant important, d'une société accumulant de mauvais résultats depuis plusieurs mois, le concédant a mis en œuvre la clause de résiliation de plein droit prévue au contrat pour des agissements susceptibles de nuire à la réputation et aux intérêts de la société, étant de plus observé que, dans sa lettre du 7 février 1991, le dirigeant social de la société concessionnaire a reconnu la légitimité de la résiliation et que la société concessionnaire a déposé son bilan le 17 mai 1991, ce qui a conduit à sa liquidation judiciaire un mois plus tard, avec un passif estimé, dans le rapport de l'administrateur et du juge commissaire, à 3 824 000 F pour un actif estimé à 1 370 000 F, dont seulement 100 000 F en disponible ;
Considérant que vainement il est soutenu que le concédant a refusé de faire participer la société concessionnaire à une opération promotionnelle de vente de véhicules Opel Kadett, alors que, si effectivement le concessionnaire a enregistré 17 commandes fermes de ses clients en octobre et novembre 1990, comme il ressort des productions, il était hors d'état de payer ces véhicules au concédant, au regard de sa situation financière, et que cette situation justifiait que le concédant exige un paiement comptant, de sorte que les commandes qu'il lui a ainsi passées ont été annulées, sans d'ailleurs que la société concessionnaire conteste cette annulation avant l'introduction de l'action en justice par son liquidateur judiciaire en janvier 1992 ; que, pour ce qui concerne l'exécution des autres commandes en cours de contrat, ne sont aucunement justifiées les allégations selon lesquelles le concédant aurait manqué à ses obligations, ni en ce qui concerne l'insuffisance des allocations, qui sont des réservations en fonction des prévisions de commandes du concessionnaire, en l'absence de toute protestation en temps utile et au regard des ventes effectivement réalisées, ni en ce qui concerne les livraisons, dont rien n'étaye qu'elles n'aient pas été exécutées à la suite des commandes faites ;
Considérant que vainement il est soutenu que le concédant aurait, sans droit, en janvier 1991, fait enlever des véhicules livrés à la société concessionnaire, alors que cette reprise s'est faite, sans opposition de la société concessionnaire, pour des véhicules qu'elle ne justifie pas avoir payés ;
Considérant que vainement il est soutenu que le concédant aurait abusé de ses droits, en refusant les propositions de Roger Le Borgne tendant à succéder au concessionnaire défaillant, alors que l'offre faite par celui-ci n'était pas étayée de propositions sérieuses de redressement et que l'intéressé, qui, dans sa lettre du 14 février 1991 faisait quand même pour condition de la reprise un abandon de la créance du concédant sur la société concessionnaire à hauteur de 1 800 000 F et le règlement du solde en 16 échéances mensuelles, n'avait aucune compétence particulière dans la vente des véhicules ;
Considérant qu'ainsi aucun des moyens tendant à engager la responsabilité du concédant dans l'échec de la société concessionnaire n'est fondé ; qu'il y a lieu, d'infirmer le jugement déféré et de débouter Maître Duran, ès qualités, et Jean-Jacques Gathrat de toutes leurs prétentions ;
Considérant que, quoique non fondées, les actions engagées par ceux-ci, dont la pertinence avait été retenue par les premiers juges, ne présentent pas un caractère abusif et que la mauvaise foi alléguée des succombants n'est pas caractérisée, au regard des productions, étant observé que l'administrateur et le juge commissaire de la procédure collective du concessionnaire avaient relevé le possible engagement de la responsabilité du concédant sur des éléments sérieux, bien qu'insuffisants ; qu'en revanche l'équité commande que soit accordée au concédant une indemnité de 50 000 F pour frais non taxables, à la charge in solidum de Jean-Jacques Gathrat et de Maître Duran ès qualités ; que ces parties succombantes supporteront également in solidum les entiers dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, Dit n'y avoir cause grave pour la révocation de l'ordonnance de clôture du 20 mars 1996, Rejette, pour atteinte au principe de la contradiction, les écritures de la SA Opel France déposées la veille de l'ordonnance de clôture, Dit d'office irrecevables les écritures adverses en réponse du 26 mars 1996, Infirme le jugement déféré, Déboute Maître Duran ès qualités, et Jean-Jacques Gathrat de toutes leurs prétentions, Déboute la SA Opel France de sa demande pour procédure abusive, Condamne in solidum Maître Duran, ès qualités, et Jean-Jacques Gathrat à payer à SA Opel France la somme de 50 000 F pour frais non taxables, Les condamne in solidum aux entiers dépens, les dépens d'appel avec, pour l'avoué adverse, le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.