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Décisions

Cass. com., 21 mai 1996, n° 94-17.452

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Établissements Claude Gayraud (Sté), Barrabie (SCI)

Défendeur :

New Holland France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Lesourd, Baudin, SCP Defrenois, Levis

T. com. Paris, 13e ch., du 13 mars 1991

13 mars 1991

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi incident que sur le pourvoi principal : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 3 mars 1994), que la société Claude Gayraud (la société Gayraud) était, depuis 1973, concessionnaire exclusif à Albi (Tarn) de machines agricoles portant la marque Fiat distribuée par la société Fiatagri, devenue par la suite Fiatgeotech, puis, actuellement société New Holland France (société New Holland) ; que, par deux contrats en date du 23 décembre 1985, l'un concernant la vente des tracteurs, l'autre celle de diverses autres machines agricoles, les parties se sont réservées le droit de résilier les contrats avec préavis d'un an, la société concédante pouvant, par ailleurs, y mettre fin " à tout moment, et sans qu'aucune indemnité puisse lui être demandée " pour " insuffisance de pénétration du concessionnaire " sur le marché territorialement concédé, le coefficient de pénétration étant déterminé par référence à la moyenne des ventes faites par les autres concessionnaires de la gamme Fiat sur le plan national ; que, par lettre du 10 février 1988, la société New Holland a avisé la société Gayraud que la moyenne de ses ventes des tracteurs en 1987 et des machines agricoles pour la campagne 1986-1987 était " nettement inférieure à celle de Fiat en France, et à celle de la région de Montauban " et lui a demandé d'atteindre en 1988 les résultats conformes à ceux qu'elle était " en droit d'obtenir " ; que, par lettre du 23 janvier 1989, confirmant un entretien ayant eu lieu le 19 janvier, la société concédante a notifié à la société Gayraud la rupture de leurs relations contractuelles ; que cette entreprise estimant que cette résiliation était abusive, a saisi le tribunal de commerce pour que la société New Holland soit condamnée à lui verser des dommages-intérêts pour l'indemniser du préjudice subi ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches du pourvoi principal : - Attendu que la société Gayraud fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il n'importe pas que dans sa lettre du 10 février 1988 Fiat ait visé deux cas de résiliation immédiate dès lors que cette lettre était une simple mise en garde et non une lettre de rupture ; que dans son courrier du 23 janvier 1989, Fiat notifiait à son concessionnaire la rupture des relations contractuelles, en visant exclusivement la procédure de résiliation avec préavis d'un an prévu par l'article 2 b du contrat, qu'ainsi, c'est cette procédure qu'elle avait donc choisie en lieu et place de la procédure extraordinaire de l'article 16-1 ; qu'en affirmant néanmoins que le concédant ne s'était pas fondé exclusivement sur l'article 2 b pour rompre, et en déclarant le contrat résolu parce que les conditions de résiliation d'heure à heure se trouvaient réunies en l'espèce, la cour d'appel a dénaturé le contenu de la lettre précitée du 23 janvier 1989, violant ainsi l'article 1134 du Code civil et alors, d'autre part, que le choix initial opéré par le concédant de se placer sur le terrain de la résiliation ordinaire avec préavis d'un an, applicable selon l'article 2 b, "à quelque titre que ce soit", impliquait nécessairement pour lui l'obligation d'en respecter scrupuleusement les conditions sans qu'on puisse en définitive leur substituer celles de la procédure de résiliation extraordinaire non retenue au départ ; qu'ainsi, la cour d'appel, en écartant la violation de la procédure ordinaire de résiliation, a méconnu la loi des parties, violant l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que dans sa lettre de résiliation du 23 janvier 1989, la société concédante se référait à sa lettre du 10 février 1988, mettant en garde la société Gayraud sur l'insuffisance de ses coefficients de pénétration sur le marché territorial qui lui avait été concédé, l'arrêt retient, par une interprétation que le rapprochement de ces deux documents imposait, que la rupture des contrats litigieux était fondée sur les motifs de " résiliation extraordinaire " prévue dans ces conventions ; qu'en se décidant ainsi, la cour d'appel a statué, hors toute dénaturation et sans méconnaître la loi des parties ; que le moyen est fondé en aucune de ses deux branches ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Gayraud fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande, alors, selon le pourvoi, qu'une clause d'objectifs, dès lors qu'elle prend la forme d'une obligation de résultat qui se trouve insérée dans un réseau d'accords similaires sur le territoire national et qu'elle oblige le concessionnaire à accepter des engagements qui augmentent le risque de résiliation anticipée sans préavis du contrat dans l'hypothèse où les quotas ne sont pas atteints, accroît de manière substantielle la dépendance économique du concessionnaire à l'égard du concédant et, de ce fait, un effet anticoncurrentiel certain qui la rend nulle sur le fondement de l'article 85 1 et 2 du traité de Rome, dans la mesure où elle ne bénéficie pas par ailleurs d'une exemption catégorielle ou individuelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que la clause litigieuse n'entrait pas dans la catégorie des clauses d'objectifs formulées en simple obligation de moyen prévues par le règlement d'exemption 123-85 et il n'a pas été allégué d'une exemption individuelle ; qu'ainsi, l'arrêt, en refusant néanmoins de tenir pour anticoncurrentielle et nulle de plein droit la clause litigieuse, a violé l'article 85-1 du traité de Rome ;

Mais attendu que, même si la nature de l'obligation imposée par le concédant empêche la clause d'objectif de bénéficier de l'exemption catégorielle prévue par le règlement n° 123-85, l'accord n'en est pas pour autant nul; que la cour d'appel, après s'être référée à l'article 85-1 du traité, en a fait une application au cas d'espèce conforme à la jurisprudence communautaire en décidant que l'obligation de résultat et la faculté d'assortir la non exécution d'une clause de pénétration économique d'une sanction de résiliation était licite, dès lors qu'elle était fondée sur des critères objectifs et dès lors qu'il n'était pas établi que l'application qui en était faite par le concédant était arbitraire et discriminatoire; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Gayraud fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que procède de la violation de l'article 1134 du Code civil par méconnaissance de la loi des parties telle qu'il en a lui-même reproduit les dispositions, l'arrêt qui juge régulière la résiliation unilatérale et immédiate du contrat tracteurs par le concédant sur le fondement de motifs qui ne constatent pas, bien au contraire, que les conditions contractuelles définissant l'insuffisance de pénétration pour l'année 1988 aient été remplies, ladite insuffisance devant être appréciée en pourcentage par rapport au taux de pénétration national établi sur une statistique précise devant faire foi entre les parties ; qu'en se référant à un taux de pénétration régionale non prévue par le contrat et en retenant des pourcentages qui laissent en toute hypothèse paraître que l'insuffisance était très inférieure aux taux de 70 % et 60 % retenus par la convention, la cour d'appel n'a donc pas légalement justifié sa décision ; alors, d'autre part, qu'a également violé l'article 1134 du Code civil par méconnaissance de la loi des parties telle qu'il en avait lui-même reproduit les termes l'arrêt qui déclare régulière la résiliation immédiate et sans indemnité par le concédant du contrat de concession de vente de machines agricoles sans constater que pour la campagne de 12 mois 1988, la proportion de machines vendues sur le territoire, y compris les moissonneuses-batteuses ait été inférieure au coefficient de pénétration national calculé conformément au contrat de sorte que, pour cette convention également, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié ; et alors, enfin, qu'en ce qui concerne l'un et l'autre contrat, l'arrêt constate qu'aux termes de leur article 16-1 B, la résiliation avec effet immédiat ne pouvait être prononcée que pour faute grave du concessionnaire de sorte que si l'insuffisance de pénétration étant contractuellement prévue au nombre des cas de résiliation avec effet immédiat, le juge n'en était pas moins tenu de rechercher si cette insuffisance, à supposer qu'elle fût caractérisée conformément à l'annexe 1 des deux contrats, procédait d'une faute grave du concessionnaire, ce que l'arrêt s'est abstenu de rechercher en violation de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a constaté, en se référant concrètement aux pièces versées aux débats, que les objectifs contractuellement fixés, tant pour les tracteurs que pour les machines agricoles, étaient inférieurs à la moyenne nationale ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé les termes clairs et précis de l'article 16-1 des contrats litigieux relevés par l'arrêt que la résiliation immédiate pouvait intervenir " au cas où l'une des fautes graves suivantes serait commise : a) insuffisance de pénétration du concessionnaire dans le ou les produits objet du présent contrat ", la cour d'appel n'avait pas à rechercher si l'insuffisance d'efficacité constatée procédait d'une faute grave du concessionnaire ; que l'arrêt n'encourt pas le grief soutenu dans la troisième branche ; d'où il suit que le moyen, qui manque en fait en ses deux premières branches, est irrecevable et n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société New Holland fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir condamner à lui verser la somme de 69 438 francs, alors, selon le pourvoi, que dans des conclusions régulièrement signifiées, la société New Holland faisait valoir que la société Etablissements Gayraud n'avait communiqué aucun élément susceptible de démontrer, comme cette dernière le soutenait pourtant, que les comptes entre les parties seraient définitivement soldés ; qu'en affirmant cependant que la société Gayraud soutenait, sans être contredite, que les comptes entre les parties avaient été soldés, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de la société New Holland et partant, violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel ayant constaté que les comptes entre les parties avaient été " définitivement soldés le 24 mars 1989, à l'occasion d'une visite " du représentant de la société New Holland qui avait reçu un chèque apurant les comptes entre les parties et, ayant relevé que la société concédante n'apportait " aucune pièce " corroborant sa demande, c'est, hors toute dénaturation que la cour d'appel a statué ainsi qu'elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette les pourvois tant principal qu'incident.