CA Amiens, 4e ch. A, 17 juin 1996, n° 2933-95
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lima Spa (Sté)
Défendeur :
Bloch
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
M. Parodi
Présidents de chambre :
Mme Roussel, M. Velly
Conseillers :
MM. Roche, Descoubes
Avoués :
SCP Selosse-Bouvet-André, SCP Tetelin-Marguet-De Surirey
Avocats :
Mes Jacquet, De Boutigny, Bertagna.
Faits et procédure
La société Lima Spa qui fabrique des trains électriques pour enfants à Vicenza (Italia) a fondé en 1982 la SARL Loisirs Modélisme, ayant pour objet la distribution exclusive de ses produits en France, dont elle détenait une partie du capital.
En 1985, Monsieur Bloch a été nommé gérant de cette SARL.
Le 10 décembre 1986 la société Lima a adressé à la banque Banco Di Sicilia une lettre ainsi rédigée :
" Nous avons parfaite connaissance de la demande de crédit formulée par Loisirs Modélisme... dont nous détenons 25 % du capital.
Nous avons noté que les différents concours consentis à Loisirs Modélisme n'ont été accordés qu'en fonction de liens qui nous unissent.
Aussi nous vous confirmons que nous n'avons pas l'intention de réduire ou d'annuler cette participation pendant la durée des concours que vous accordez à cette société. Si une telle modification devait être envisagée, nous vous en informerons en temps utile afin qu'une garantie suffisante pour les engagements découlant du contrat conclu avec Loisirs Modélisme puisse vous être fournie.
Au cas où le remboursement des concours, tant en principal qu'en intérêts se trouverait soit retardé soit empêché, nous prendrons toutes mesure utiles dans le contrôle de la gestion sociale qui nous concerne en tant qu'actionnaires à 25 %, et sans que cela soit entendu comme engagement direct, pour que votre établissement n'en supporte pas les conséquences et agirons en sorte que ces engagements soient assurés ".
Le 14 avril 1987, Loisirs Modélisme a sollicité un prêt de 500 000 F de Banco Di Sicilia.
Le 15 avril 1987, la société Lima a écrit à Banco Di Sicilia qu'elle réglerait les commissions dues à Loisirs Modélisme uniquement, par l'intermédiaire de la banque, qu'elle lui fournirait les facturations faisant ressortir le montant des commandes et que le montant des commissions prévisibles s'élevait pour 1987 à 1 200 000 F.
Le crédit a été ouvert le 17 juin 1987 pour 500 000 F.
Le 29 juin 1987 la société Lima a adressé à la banque les factures promises précisant qu'elle représentaient 760 952,28 F de commissions.
Le 16 juin 1988, Monsieur Bloch s'est constitué caution à concurrence de 500 000 F en principal, intérêts et accessoires pour une année.
La société Lima a dénoncé le contrat de distribution par lettre du 28 juillet 1988.
Par jugement du 11 octobre 1988, le Tribunal de Commerce de Bobigny a ouvert la procédure de redressement judiciaire de Loisirs Modélisme et a, dans la même décision, prononcé sa liquidation judiciaire.
La banque Banco Di Sicilia a assigné Monsieur Bloch afin d'obtenir le remboursement du prêt et Monsieur Bloch a assigné la société Lima en garantie. Le Tribunal de Commerce de Pontoise a refusé de joindre les causes et par jugement du 13 juin 1989 a condamné Monsieur Bloch à payer 489 743,93 F avec intérêts de 10,85 %.
Par jugement du 22 janvier 1991 le Tribunal de Commerce de Pontoise a statué sur le recours en garantie.
Il a condamné la société SPA Lima à payer à Monsieur Bloch la somme de 489 743,93 F avec intérêts conventionnels au taux de 10,85 % l'an à compter du 5 avril 1989 et 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, il a ordonné l'exécution provisoire.
Les premiers jours ont qualifié la lettre du 10 décembre 1986 de lettre d'intention et ont estimé que la société Lima avait contracté une obligation comparable à un engagement de caution.
Par arrêt en date du 14 mai 1992, la Cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement qui lui était déféré et débouté Monsieur Bloch de ses demandes, en considérant que la société Lima ne s'était pas engagée à rembourser la banque ou à se substituer à la caution, mais à prendre des mesures dans le contrôle de la gestion sociale, dans la mesure de sa participation au capital et qu'il ne s'agissait pas d'une obligation de résultat mais d'un engagement limité à l'exercice de son droit de contrôle dans la société Loisirs Modélisme.
Statuant sur le pourvoi interjeté par Monsieur Bloch, la Cour de Cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Versailles en relevant que pour rejeter la demande, la Cour d'appel après avoir précisé que la demande de prêt du 14 avril 1987 avait été appuyée par la promesse de la société Lima de verser les commissions qu'elle devait à la société Loisirs Modélisme au compte ouvert par cette dernière à la Banco Di Sicilia, n'avait pas recherché si l'absence de versement de commissions, invoquée par Monsieur Bloch et non contestée par la société Lima, n'avait pas empêché la banque de recouvrer directement le montant du prêt litigieux et n'avait pas été à l'origine de la condamnation de Monsieur Bloch, en sa qualité de caution, et qu'ainsi la Cour d'appel n'avait pas donné de bases légales à sa décision.
Monsieur Bloch a saisi la Cour d'appel d'Amiens désignée comme juridiction de renvoi.
Prétentions des parties
Monsieur Bloch expose que les termes de la lettre du 10 décembre 1986, adressée par la société Lima à la banque, concomitamment à l'ouverture du compte de sa filiale et à l'octroi de facilités, a une finalité d'obligation de résultat clairement exprimée par la société Lima, que l'engagement de la société Lima a été déterminant pour l'octroi des facilités consenties par la banque à Loisirs Modélisme, que l'échange de correspondance entre la société Lima et la banque d'avril à juin 1987 établit que la société Lima avait pris l'engagement de virer à Banco Di Sicilia les sommes qu'elle reconnaissait devoir à Loisirs Modélisme pour apurer l'emprunt consenti à titre d'avance sur les commissions, qu'il s'agit d'un engagement de résultat qui n'est subordonné à aucune condition et que la société Lima n'a pas respecté, que la société Lima est ainsi directement à l'origine de la condamnation de Monsieur Bloch et que le jugement déféré doit être confirmé, sauf en ce qui concerne le point de départ des intérêts conventionnels qui doivent courir à compter du 11 octobre 1988.
Monsieur Bloch sollicite, de plus, 60 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la capitalisation des intérêts.
La société Lima SPA fait valoir qu'elle ne s'est jamais engagée dans sa lettre du 10 décembre 1986 à garantir financièrement la société Loisirs Modélisme, que cette lettre de confort avait pour seul effet d'assurer à la Banco Di Sicilia que les commissions transiteraient par elle et que le compte de la société Loisirs Modélisme serait régulièrement approvisionné, que cette lettre n'a pas été envoyée lors de l'accord du prêt de 500 000 F qui n'a été demandé que le 14 juin 1987, qu'elle n'a contracté qu'une obligation de moyens à l'égard de Loisirs Modélisme, que les lettres des 15 avril et 29 juin 1987 ne font pas plus peser d'obligation de résultat à sa charge, qu'elle ne s'était engagée qu'à régler les commissions qui seraient éventuellement dues pour l'année à venir à Loisirs Modélisme par l'intermédiaire de la Banco Di Sicilia, que les commandes devaient encore être passées, que les commissions visées dans la lettre du 29 juin 1987 intervenaient dans le cadre d'un contrat de distribution dont Loisirs Modélisme n'a pas respecté les termes, que les commissions ne peuvent être payées au distributeur qu'après que ce dernier ait lui-même réglé les marchandises livrées par le concédant, que ces lettres ne modifient en rien la portée de la lettre d'intention du 10 décembre 1986, que subsidiairement, si la Cour devait considérer la lettre du 10 décembre 1986 comme une obligation de résultat, cette lettre serait inopposable à la société Lima faute d'avoir été autorisée par le Conseil d'Administration, que de plus, cette lettre est nulle au regard de la réglementation des changes italienne qui prévoit une autorisation pour toute garantie donnée, que la société Lima a refusé à juste titre de régler des commissions, que Loisirs Modélisme lui devait en effet, la somme de 3 776 997,47 F représentant des factures impayées pour des marchandises livrées, que la société Lima a été contrainte d'entamer une procédure de résolution du contrat de distribution le 28 juillet 1988 et a obtenu une saisie conservatoire sur les meubles et effets mobiliers de Loisirs Modélisme, qu'elle a ainsi suspendu l'exécution de ses obligations face au manquement contractuel persistant de Loisirs Modélisme, qu'elle ne s'est pas engagée à règlement sous conditions et que le jugement du tribunal de commerce de Pontoise doit donc être réformé et Monsieur Bloch débouté de toutes ses demandes.
La société Lima demande, en plus, la somme de 50 000 F à titre de dommages intérêts pour préjudice moral et celle de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions en réplique, Monsieur Bloch soutient que c'est le non respect par la société Lima de son engagement ferme résultant des lettres des 15 avril et 29 juin 1987 de virer à la Banco Di Sicilia les sommes qu'elle reconnaissait devoir à Loisirs Modélisme pour apurer l'emprunt de 500 000 F, consenti à titre d'avance sur les commissions 1987, qui est à l'origine de sa condamnation et il maintient ses prétentions initiales.
Sur ce
Attendu [que] la lettre du 10 décembre 1986 adressée par la société Lima à la Banco Di Sicilia contient engagement, au cas où le remboursement des concours par la société Loisirs Modélisme se trouverait retardé ou empêché de prendre toutes mesures utiles dans le contrôle de la gestion sociale qui la concerne en tant qu'actionnaire à 25 % et sans que cela soit entendu comme un engagement direct ;
Attendu que cette lettre, antérieure à la demande de prêt à l'origine du présent litige, contient un engagement de la société Lima limité à l'exercice de son droit de contrôle dans la société Loisirs Modélisme et exclut expressément tout engagement direct ;
Attendu que la société Lima n'a pas, dans ces conditions, contracté une obligation de résultat et que cette lettre ne vaut pas cautionnement de prêt accordé à la société Loisirs Modélisme en juin 1987 ;
Attendu, par ailleurs, que les courriers des 15 avril 1987 et 29 juin 1987, adressés par la société Lima à la Banco Di Sicilia ne contiennent engagement de la société Lima que de verser par l'intermédiaire de la banque les commissions qui seront éventuellement dues pour l'année à venir ; que le montant de ces commissions, prévu dans la lettre du 29 juin, ne devait être versé que s'il s'avérait dû ; qu'il en était de même pour les commissions non encore prévisibles ;
Mais attendu que la société Loisirs Modélisme n'a pas respecté les termes du contrat de distribution, versé aux débats, conclu le 16 février 1984 avec la société Lima ;
Que ce contrat prévoyait en son article 8.4 qu'aucune commission ne serait due sur les factures impayées ;
Que les factures produites par la société Lima établissent que la société Loisirs Modélisme devait à la société Lima la somme de 3 776 997,47 F, représentant des factures impayées entre mai 1987 et mai 1988, pour des marchandises livrées ;
Attendu qu'en ne réglant pas les commissions réclamées sur des factures impayées, la société Lima a légitimement suspendu l'exécution de ses obligations face à un manquement contractuel grave de la société Loisirs Modélisme ;
Attendu qu'il apparaît, dans ces conditions, que la condamnation de Monsieur Bloch, en qualité de caution ne résulte pas d'une violation par la société Lima de ses engagements;
Attendu qu'il convient, en conséquence, de réformer le jugement déféré et de débouter Monsieur Bloch de toutes ses demandes ;
Attendu que la société Lima ne justifie pas avoir subi un préjudice moral et doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts sur ce chef ;
Attendu qu'il paraît inéquitable de laisser à la charge de la société Lima la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs Statuant publiquement et contradictoirement : - Réforme le jugement rendu le 22 janvier 1991 par le tribunal de commerce de Pontoise; - Déboute Monsieur Bloch de toutes ses demandes; - Déboute la société Lima de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral; - Condamne Monsieur Bloch à payer à la société Lima la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; - Condamne Monsieur Bloch aux entiers dépens.