Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch., 4 juillet 1996, n° 95-02352

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tiberghien (ès qual.), Mode et Loisirs (SARL)

Défendeur :

Les Fils de Louis Mulliez (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Courdent

Conseillers :

Mmes Chaillet, Laplane

Avoués :

Mes Carlier Régnier, Le Marc'Hadour Pouille Groulez

Avocats :

Mes Meresse, Gast.

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 29 avr. 19…

29 avril 1992

Attendu que le 2 juin 1992, Me Tiberghien, liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Mode et Loisirs, a relevé appel du jugement rendu le 29 avril 1992 par le Tribunal de commerce de Roubaix Tourcoing qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et qui l'a condamné ès qualités à payer à la SA Les Fils de Louis Mulliez la somme de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Que par écritures du 31 mai 1996, dont il dit dans celles du 4 juin 1996, qu'elles sont récapitulatives de celles des 2 octobre 1992, 12 janvier 1994, 6 mars 1995 et 22 septembre 1995 et qu'il n'a donc pas violé les dispositions des articles 15 et 16 du nouveau code de procédure civile, il demande de débouter l'intimée de ses entières demandes, d'infirmer le jugement entrepris et, vu les articles 1134, 1135 et 1150 du code civil et le code de déontologie de la franchise, de dire que la SA Les Fils de Louis Mulliez n'a pas exécuté loyalement et de bonne foi les obligations contractuelles mises à sa charge par le contrat de franchise qu'elle a signé avec la SARL Mode et Loisirs le 8 décembre 1987, en procédant notamment à une modification commerciale sur la zone entraînant une modification des potentialités de vente qui avait été annoncée à la franchisée dans les études de marchés et les comptes prévisionnels remis préalablement à la signature du contrat ; en faisant subir à sa franchisée les conséquence dommageables des nombreuses défaillances dans les approvisionnements exclusifs que le franchiseur s'était réservé ; en étant défaillante dans la mise en œuvre de son savoir-faire de franchiseur (livraison, approvisionnement, mauvaise appréciation des conséquences de l'ouverture d'un cinquième magasin, désorganisation de la politique commerciale, manquement au devoir de conseil et d'assistance...) ; qu'il demande de condamner l'intimée à réparer les conséquences dommageables subies en conséquence par la SARL Mode et Loisirs, en lui payant à titre de dommages-intérêts la somme de 679 645,59 F permettant de couvrir le montant du passif de la liquidée dont la situation actuelle est la conséquence de l'impéritie de l'intimée, celle de 621 207 F au titre des pertes subies pendant l'activité de la franchisée et celle de 1 012 000 F pour rupture fautive du contrat de franchise deux ans avant son terme ; le tout avec intérêts légaux depuis le jour de l'assignation valant mise en demeure avec capitalisation des intérêts échus en vertu de l'article 1154 du code civil ; qu'il réclame enfin 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Attendu que par conclusions récapitulatives du 29 décembre 1995, la SA Les Fils de Louis Mulliez demande de rejeter les demandes, fins et conclusions de l'appelant, de confirmer le jugement et de condamner Me Tiberghien ès qualités au paiement de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur ce,

Attendu que le 8 décembre 1987, la SARL Mode et Loisirs, constituée par les époux Robbe et la société Les Fils de Louis Mulliez ont signé un contrat de franchise Phildar d'une durée de quatre ans à mettre en œuvre dans un magasin où Phildar est déjà en franchise, dans la galerie Auchan à Leers, et que Mode et Loisirs achètera à sa propriétaire Mme Delannoy le 23 décembre 1987 pour le prix de 250 000 F avec un reprise de stock pour 173 000 F, le tout selon estimation de Phildar ; que l'acquéreur a effectué dans les lieux des modifications pour 150 000 F afin qu'ils soient conformes aux normes et signes distinctifs Phildar.

Que peu de temps après, a été constaté un manque de résultats ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er décembre 1989, la SA Les Fils de Louis Mulliez a rompu unilatéralement le contrat de franchise et ses avenants, en vertu de la clause résolutoire prévue à l'article 10 du contrat, et a mis en demeure la SARL Mode et Loisirs de régler une dette de 137 801 F.

Que le 24 novembre 1989, la société Mode et Loisirs a déposé son bilan ; qu'elle a été mise en redressement judiciaire le 30 novembre 1989, puis en liquidation judiciaire, Me Tiberghien étant nommé liquidateur ; que le 10 mai 1990, Me Tiberghien a mis en cause la responsabilité du franchiseur, ce qui a abouti au jugement entrepris.

Attendu que Me Tiberghien précise que la société Mode et Loisirs s'est engagée, après avoir prix connaissance d'une étude favorable de Phildar qui prévoyait un chiffre d'affaires de 1 250 000 F la première année, de 1 350 000 F la deuxième année, de 1 400 000 F la troisième année et un bénéfice respectivement de 212 000 F, 227 000 F et 214 000 F ; que la franchisée a emprunté 300 000 F, a apporté 320 000 F et a investi globalement la somme de 630 000 F avant d'ouvrir son magasin le 19 mars 1988 ; qu'elle déposera finalement son bilan le 24 novembre 1989 avec un passif admis de 379 645,59 F ;

Qu'il reproche à Phildar d'avoir, après l'installation de la franchisée, ouvert un cinquième magasin à Wasquehal ; qu'elle en aurait subi pour conséquence de n'avoir réalisé que 50 % des prévisions et d'avoir essuyé une perte de 251 000 F ; que Phildar en agissant comme elle l'a fait n'aurait pas aidé sa franchisée pour l'étude de marché local et de ses potentialités commerciales et l'aurait empêchée de s'assurer le chiffre d'affaires prévisionnel nécessaire à l'équilibre de son exploitation ; que le contrat n'aurait donc pas été exécuté de bonne foi et conformément à l'usage et à l'équité ; qu'il rappelle que le code de déontologie de la franchise stipule que " le franchiseur doit conduire le développement de son réseau de points de vente franchisés de manière à ne pas porter atteinte aux chances propres de chacun de ceux-ci ", et encore que les études prévisionnelles doivent être en rapport avec l'emplacement et l'activité et porter sur la valeur de la localisation concernée ; qu'il écrit encore que l'article 1 du règlement CEE sur la franchise précise que le savoir-faire du franchiseur doit être utile pour le franchisé en étant susceptible lors de la signature du contrat d'améliorer la position concurrentielle du franchisé en améliorant ses résultats ;

Qu'il reproche encore à Phildar d'avoir été défaillant dans ses obligations de fournisseur exclusif ; que les bordereaux de livraison après les bordereaux de commande prouveraient des retards de livraison, des réassorts impossibles, des absences de renouvellement et ce dès l'ouverture du magasin ; que la société Mode et Loisirs aurait été privée de vingt-deux références sur des périodes allant jusqu'à huit semaines ; que ces défaillances ont été reconnues par Phildar.

Attendu qu'il est exact que le 10 novembre 1989, le directeur commercial de Phildar a reconnu des difficultés de livraison dues au succès de ses produits ;

Que Me Tiberghien invoque encore la désorganisation commerciale de Phildar qui dès avril 1988 connaissait son carnet de commandes à livrer pour le 1er septembre 1988 et qui a cependant annulé les commandes de laine de septembre faute d'avoir pu les livrer, et ce, malgré son engagement contractuel de s'efforcer d'exécuter les commandes dans les conditions contractuelles, sauf en cas de force majeure ; que la perte subie par la société Mode et Loisirs est comparable à celle subie par le franchiseur dans ses propres magasins.

Qu'il fait valoir encore que dès les premières livraisons, Phildar a consenti à la société Mode et Loisirs des reports d'échéances sans agio et ce, jusqu'en septembre 1989, mais qu'elle n'a pu lui proposer de solution satisfaisante à ses problèmes de résultats, sauf à lui demander de nouvelles dépenses pour un ordinateur lui permettant d'accéder à la distribution de nouvelles références ; que Phildar aurait encore manqué à son obligation d'assistance en lui demandant d'adresser les charges fixes annuelles pour établir un échéancier pour payer l'arriéré, ce qui était impossible, et en suspendant ses livraisons le 23 octobre 1989 ;

Que toutefois, le 2 novembre 1989, Mode et Loisirs s'engage à amortir l'arriéré en trois mois, compte tenu de la légère augmentation du chiffre d'affaires en octobre, cet engagement étant la contrepartie de livraisons futures régulières et sans rupture ; qu'en réponse, le 9 novembre 1989, Phildar exige le paiement immédiat de l'arriéré ;

Que Me Tiberghien soutient que Phildar a commis une faute lourde le 23 octobre 1989 en suspendant, sans mise en demeure, toutes ses livraisons et en supprimant le crédit fournisseur, et en notifiant brusquement la rupture du contrat le 9 novembre 1989 alors que son directeur commercial avait écrit le 27 septembre 1989 qu'il fallait convenir d'une proposition d'étalement la plus fiable possible.

Qu'il demande en conséquence une indemnisation à hauteur du passif ce qui permettra d'indemniser les créanciers, victimes des fautes lourdes de Phildar, une indemnisation des pertes subies pendant l'exploitation qui devait se poursuivre jusqu'en mars 1992 ;

Qu'il déclare ne pas remettre en cause l'étude de marché réalisée par Phildar et dont les prévisions ont été vérifiées par Mode et Loisirs, mais qu'aucune étude n'a été entreprise pour apprécier les conséquences de la 5e boutique " Phildar " ;

Attendu que les dernières écritures de Me Tiberghien ne sont que des conclusions récapitulatives, comme les dernières écritures de l'intimée ; que ces conclusions récapitulatives avaient été réclamées par la Cour le 17 octobre 1995 ; qu'il n'y a pas lieu de les rejeter des débats.

Attendu que Phildar fait valoir qu'elle a assisté le franchisé en effectuant vingt-deux déplacements sur le site en dix-huit mois ; que les résultats sont décevants ; que la société Mode et Loisirs manquait de trésorerie ; que Phildar, soucieux, a proposé de renoncer aux agios et de mettre en place un échéancier réaliste ; que la franchisée a rejeté toutes les propositions constructives ; que Phildar soutient que M. Robbe, ancien dirigeant d'une société tombée en liquidation des biens, assistait son épouse de telle sorte que les époux Robbe étaient compétents pour interpréter les documents commerciaux de leur venderesse ; qu'elle invoque le caractère purement indicatif des comptes d'exploitation prévisionnels qu'elle a établis et qu'elle trouve curieux que le fonds Phildar n'ait commencé à péricliter que lorsqu'il a commencé à être exploité par Mme Robbe ; qu'elle rappelle que la société Mode et Loisirs savait, en achetant le fonds, que la venderesse exploitait une deuxième boutique Phildar à Lys Lez Lannoy, dans une zone de chalandise distincte (p 5) ; que le magasin Phildar ouvert rue de l'Epeule à Roubaix est également dans une zone de chalandise distincte séparée du magasin de Leers par deux zones de chalandise attribuées à deux magasins distincts ; que le contrat de franchise de Mode et Loisirs ne contient pas de clause d'exclusivité territoriale ; qu'elle reconnaît qu'il y a eu des retards de livraison mais soutient que la preuve n'est pas rapportée qu'ils aient été la cause des difficultés de gestion, s'agissant de retard pour quelques références sur les 2479 que compte Phildar, retards dont ont souffert tous les franchisés et qui n'ont jamais dépassé 1 % du chiffre d'affaires collants/bas et 0,5 % du fil à tricoter ; qu'elle soutient encore que c'est elle et non la SARL Mode et Loisirs qui a proposé la mise en place d'un échéancier des arriérés, et que la franchisée a fait des contre-proposition " scandaleuses ", a critiqué Phildar et n'a jamais remis en question sa propres gestion ; qu' elle a donc résilié le contrat le 1er décembre 1989, après suspension des fournitures et ce, en application de l'article X du contrat de franchise, et sans savoir que la société Mode et Loisirs a déjà déposé son bilan le 24 novembre 1989 et a été mise en redressement judiciaire le 30 novembre 1989.

SUR CE :

Attendu que le rôle de franchiseur, dans le contrat l'unissant à la franchisée, est d'aider celle-ci pour une étude de marché, de ses potentialités commerciales, par la mise à sa disposition d'une enseigne réputée et de son savoir-faire technique et commercial et par ses conseils ; que le franchiseur ne peut toutefois s'immiscer dans la gestion du fonds ni exiger du franchisé, qui est un commerçant indépendant, qu'il obéisse à ses suggestions, les risques du commerce demeurant à la charge du franchisé puisqu'ils sont fonction de son travail, de ses qualités professionnelles, de son affabilité, de son intelligence commerciale, plus encore que de la réputation de l'enseigne.

Attendu en l'espèce que si les comptes d'exploitation prévisionnels paraissent optimistes par rapports au chiffre d'affaires réalisé par Mode et Loisirs, il s'agit d'indications, Phildar n'ayant jamais contracté d'obligation de résultat, et la société Mode et Loisirs a pu examiner les documents comptables et commerciaux du magasin avant d'acheter celui-ci, et prendre connaissance notamment du chiffre d'affaires réalisé; qu'il est étonnant que le magasin ait cessé de fonctionner normalement à partir du moment où Mode et Loisirs en a pris la gestion, ce que ne pouvait prévoir Phildar.

Attendu que la seule preuve que Mode et Loisirs ait produite aux débats concerne des difficultés de livraison et des retards de plusieurs semaines ou des annulations concernant des produits pour moins de 1% du chiffre d'affaires réalisé, ce qui ne peut expliquer ni les difficultés ni la déconfiture de Mode et Loisirs, observation étant faite que l'installation d'un magasin Phildar à Roubaix dans un quartier très éloigné de Leers, de l'autre côté de la ville, et que la poursuite de l'exploitation par la venderesse du Phildar de Leers, de son deuxième magasin qu'elle ne s'était pas engagée à abandonner ne peuvent en aucun cas être considérées comme un manquement de Phildar à ses obligations de franchiseur qui aurait préjudicié à la société Mode et Loisirs en éloignant une partie de sa clientèle.

Attendu qu'il n'est pas contesté que pendant la courte période d'exploitation du magasin, la société Mode et Loisirs a reçu plus de vingt visites d'un délégué Phildar ; que dès le début, Phildar, constatant que la SARL Mode et Loisirs manquait de trésorerie, a proposé de renoncer aux agios ; qu'elle a proposé ensuite de mettre en place un échéancier pour que Mode et Loisirs puisse étayer ses arriérés sans trop souffrir ; qu'aucun accord sur ce point n'a pu aboutir malgré l'offre de Phildar du 27 septembre 1989, de telle sorte que le 23 octobre 1989, Phildar a suspendu ses livraisons conformément à la faculté que lui laissait le contrat, puis appliqué l'article X de celui-ci et réclamé le paiement de sa créance dans des conditions exemptes de toutes critique objective.

Attendu que les documents produits aux débats et discutés par les parties établissent que la gérante de Mode et Loisirs n'a cessé de critiquer son franchiseur et à lui reprocher de prétendues fautes, mais que rien n'établit qu'elle se soit comportée en commerçante avisée, ni qu'elle ait essayé de mettre en pratique les conseils de son franchiseur.

Que rien ne permet en conséquence d'affirmer que Phildar n'ait pas respecté ses obligations, sauf en ce qui concerne des retards passagers de livraisons d'une très faible partie des commandes, ce qui a causé à la société Mode et Loisirs un très léger préjudice justifiant l'allocation de 5 000 F à titre de dommages-intérêts, puisqu'elle ne pouvait s'approvisionner ailleurs.

Attendu que toutes les autres demandes sont mal fondées et qu'il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge de leurs frais irrépétibles ; que les dépens doivent être partagés par moitié entre les parties.

Par ces motifs, Réforme le jugement entrepris ; Condamne la société Les Fils de Louis Mulliez à payer à Me Tiberghien ès qualités la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts ; Déboute les parties de leurs autres demandes, Me Tiberghien ès qualités étant mal fondé à plus prétendre et l'intimée pouvant équitablement supporter ses frais irrépétibles ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel ; Dit qu'ils seront recouvrés par moitié par la SA Les Fils de Louis Mulliez et par moitié en passif privilégié de la société Mode et Loisirs, et distraits au profit des avoués en la cause, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.