CA Paris, 5e ch. B, 4 juillet 1996, n° 94-28538
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Citroën (SA), société Commerciale Citroën
Défendeur :
SCAO (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
SCP Bourdais Virenque, SCP Varin Petit
Avocats :
Mes Poudenx, Vatier.
LA COUR,
Considérant que la société Automobiles Citroën et la société commerciale Citroën ci-après appelées les sociétés Citroën le 16 novembre 1994, et la société commerciale des Automobiles Citroën SCAO le 23 janvier 1995 ont fait appel d'un jugement contradictoire du 12 octobre 1994 du Tribunal de commerce de Paris qui a condamné les premières à payer à dernière 5 000 000 F de dommages-intérêts et 60 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, a rejeté toutes autres demandes dont celles de Robert Enthoven, actionnaire principal et animateur de la société CSAO, et a mis les dépens à la charge des sociétés Citroën,
Que les sociétés Citroën exposent qu'elles ont conclu en 1990 avec la société SCAO des conventions de cession de fonds de commerce et de location de locaux commerciaux sis à Montigny le Bretonneux ainsi qu'une promesse de vente de ces locaux à lever avant le 31 août 1993, et le 1er septembre 1990 un contrat de concession à durée indéterminée résiliable à tout moment et sans indemnité mais avec préavis d'un an ; qu'elles ajoutent qu'elles ont résiliés le contrat de concession le 28 août 1992 à effet le 31 août 1993 ;
Qu'elles précisent que Robert Enthoven avait été successivement directeur de la concession de Montigny le Bretonneux alors qu'elle se trouvait placée en exploitation directe, puis directeur régional des concessions Citroën et enfin directeur des ventes en France de la société Automobiles Citroën ; qu'elles soutiennent que Robert Enthoven et par conséquent la société CSAO qu'il contrôlait et dirigeait, connaissaient parfaitement la précarité des liens contractuels, avaient obtenu des avantages substantiels qui leur avaient permis en particulier de réaliser une plus value substantielle de 8 800 000 F en levant la promesse de vente, et une économie de l'ordre de 6 000 000 F sur la valeur locative réelle des murs, et n'avaient pas fourni en contrepartie les efforts que les sociétés Citroën étaient en droit d'attendre au point que les ventes étaient tombées de 1903 véhicules en 1989 à 1172 véhicules en 1992 ;
Qu'elles concluent à l'infirmation du jugement, au rejet des demandes de la société SCAO et à la condamnation de celle-ci à leur verser 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Considérant que la société SCAO expose quant à elle que la société Automobiles Citroën a proposé en 1990 à Robert Enthoven, petit-fils et fils de concessionnaires Citroën, son salarié depuis 1962 et son directeur des ventes pour la France depuis 1988, de lui céder la concession de Montigny le Bretonneux dont les pertes de l'année 1989 et les cinq premiers mois de l'année 1990 dépassaient 5 000 000 F, et a défini avec lui un cadre de relations contractuelles destinées à se poursuivre " pendant dix années à compter du 1er septembre 1990 " qui allait conduire Robert Enthoven à créer la société CSAO, à lui apporter 2 650 000 F en compte bloqué dont 1 500 000 F financés par emprunt auprès de la société Générale et à négocier des concours financiers de la société Crédipar et de compagnies pétrolières utilisés à concurrence de 5 750 000 F ;
Qu'elle précise qu'elle a signé,
- le 18 juillet 1990 diverses conventions avec la société commerciale Citroën gérant ses succursales de distribution, portant cession du fonds de commerce de Montigny le Bretonneux au prix d'1 787 999 F comportant obligation de reprise d'une centaine de contrats de travail, bail commercial d'une durée de 9 ans à compter du 1er septembre 1990, promesse de vente au prix de 15 000 000 F, pacte de préférence assorti d'une promesse de revente en cas de cession dans les dix ans et garantie de non concurrence sur le territoire de la concession,
- le 1er septembre 1990 avec la société Automobiles Citroën un contrat de concession à durée indéterminée la plaçant dans un état de dépendance totale vis à vis du concédant ;
Qu'elle ajoute qu'elle a réussi à dégager des résultats d'exploitation courants avant impôt bénéficiaires d'1 700 000 F au 31 décembre 1990 et de l'ordre de 3 500 000 F pour l'année 1992 mais que la société Automobiles Citroën lui a notifié le 28 août 1992 une résiliation injustifiable de la concession ; qu'elle soutient que les accords de 1990 fort contraignants pour elle ne comportaient que des avantages pour les sociétés Citroën, que la réussite n'était envisageable qu'à moyen terme, qu'elle n'aurait pas repris la concession si elle avait su qu'elle lui serait retirée deux ans plus tard et que la résiliation déloyale de la concession a eu pour effet que le chiffre d'affaires est tombé de 180 000 000 F en 1991 à 17 000 000 F en 1994 ;
Qu'elle reproche aux sociétés Citroën d'avoir abusé de la confiance de Robert Enthoven en faisant assumer par la société CSAO la charge d'une restructuration indispensable de la concession, et de l'état de dépendance économique de la société SCAO qui lui interdisait de survivre à la résiliation de la concession faute de pouvoir en négocier une autre avec un concurrent ;
Qu'elle soutient que les premiers juges n'ont pas convenablement évalué son préjudice et demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les sociétés Citroën avaient abusivement résilié le contrat de concession, de dire que les différentes conventions constituaient un ensemble indivisible et qu'elle a été évincée abusivement du fonds de commerce qui lui avait été cédé, de condamner solidairement les sociétés Citroën à lui verser 5 566 000 F et 8 835 000 F de dommages-intérêts correspondant respectivement aux indemnités de licenciement qu'elle a dû verser, et à la moins value du fonds de commerce ainsi que 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de donner acte à Robert Enthoven de ce qu'il abandonne ses propres demandes ;
Considérant que par ordonnance du 7 juillet 1995 le conseiller de la mise en état a ordonné l'exécution provisoire de la condamnation principale sous garantie de caution bancaire, que les sociétés Citroën demandent le restitution des 5 000 000 F versés en exécution de cette décision avec intérêts au taux légal à compter du 17 août 1995 ;
Que les conclusions signifiées le 6 mai 1996 après clôture de la mise en état par la société SCAO ne comportant ni moyen ni demande nouveaux et seront rejetées des débats :
Considérant que Robert Enthoven n'a pas fait appel de la décision rejetant ses demandes ; qu'aucun appel n'a été formé à son encontre ; qu'il n'est pas partie à l'instance d'appel ; que la société SCAO n'a pas qualité pour demander quoique ce soit en son nom ; qu'il y a lieu de donner acte de son acquiescement au jugement en ce qu'il l'a débouté de ses prétentions ;
Considérant que les conventions des 18 juillet et 1er septembre 1990 forment un ensemble contractuel cohérent par lequel les sociétés Citroën ont cédé, à effet immédiat pour les éléments d'exploitation et à effet différé pour les murs, à la société SCAO, constitue à cette fin, leur concession déficitaire de Montigny le Bretonneux ;
Que les premiers juges ont eu parfaitement raison de retenir que le redressement espéré de la concession impliquait, compte tenu des investissements exigés de la société SCAO, que le concessionnaire bénéficie d'une période " relativement longue d'exploitation pour assurer la pérennité de son entreprise " ; que la société SCAO ne peut cependant en tirer argument pour soutenir que la société Automobiles Citroën n'était pas en droit de faire application, quelque soit le comportement de son concessionnaire, de la clause l'autorisant à résilier deux ans après l'avoir conclu le contrat de concession avec préavis d'un an, ce qui avait pour effet de ne laisser que trois années d'exploitation d'une concession accordée sans limitation de durée ;
Considérant que la société Automobiles Citroën avait subordonné, par lettre du 5 juillet 1990 comportant menace de résiliation sans préavis ni indemnité à défaut d'exécution de ce plan, la nomination de Robert Enthoven en tant que concessionnaire à Montigny le Bretonneux par contrat à durée indéterminée à effet au 1er septembre 1990 à la constitution d'une société au capital d'1 500 000 F, au blocage en comptes courants de 2 500 000 F d'apports d'associés et à l'obtention de 8 600 000 F de crédits divers ; que Robert Enthoven avait accepté ces conditions le 13 juillet 1990 sous la seule réserve d'une faculté de déblocage des apports d'associés en fonction de futurs résultats bénéficiaires ;
Considérant que la société SCAO ne saurait tirer argument de la durée de 9 ans du bail commercial qui lui a été consenti, pour prétendre que les parties avaient convenu d'une longue durée d'exploitation ; qu'elle est conforme en effet aux dispositions de l'article 3-1 du décret du 30 septembre 1953 ; que le pacte de préférence et la promesse de revente d'une durée de dix années attestent que les parties avaient certes envisagé des relations contractuelles de longue durée ; que ces garanties ne constituaient cependant pas des engagements de pérennité ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la résiliation de la concession comportait un préavis d'une année ; qu'elle est conforme aux dispositions contractuelles qui en stipulaient la faculté sans indemnité, n'avait pas à être motivée et ne peut engendrer d'obligation à réparer le dommage en résultant qu'autant qu'elle constituait un abus de droit exercé dont la preuve incombe à la société SCAO ;
Considérant que la société SCAO a été constituée et les engagements souscrits en juillet 1990 ont été tenus ; que son premier exercice s'est clos le 31 décembre 1991 sur un bénéfice de 1 397 429 F avant impôt, selon un bilan comptabilisant 1 972 824 F de produits facturés pour 162 824 F de charges également constatées d'avance ; que l'exercice 1992 s'est soldé par une perte de 24 571 013 F après, il est vrai, 28 343 000 F d'amortissements et de provisions dont une large partie couvre les effets escomptés de la résiliation de la concession du 28 août 1991 à effet du 31 août 1993 ;
Que le chiffre d'affaires mensuel moyen qui était de l'ordre de 18 000 000 F en 1989 et de 20 000 000 F durant les cinq premiers mois de l'année 1990 est tombé à 11 400 000 F pour la période du 1er septembre 1990 au 31 décembre 1991 ;
Que du premier exercice de seize mois au suivant de douze mois les ventes comme les services ont régressé d'un tiers cependant que les charges chutaient de près de quarante pour cent ;
Que la société SCAO ne conteste pas que les ventes annuelles de véhicules neufs Citroën sur le territoire concédé qui avaient baissé de 1970 en 1987 à 1794 véhicules pour les huit premiers mois de l'année 1990, avaient poursuivi leur chute pour n'être plus que 1689 véhicules pour les seize mois suivants et 1172 véhicules seulement pour l'année 1992 ; que le taux de pénétration était passé des 10,90 % des huit premiers mois de l'année 1990 à 8,44 % pour les quatre mois suivants, 8,24 % pour 1991 et 7,86 % seulement pour 1992 ;
Que la société Automobiles Citroën était d'autant plus en droit de tirer les conséquences de cette chute des ventes de véhicules neufs, même si celle-ci pouvait être partiellement imputable au marasme général du marché de l'automobile et si le redressement qui a suivi la prise d'effet de la résiliation peut avoir été facilité par la sortie de nouveaux modèles, que la vente des véhicules neufs présentait pour elle un intérêt primordial et que parallèlement la société SCAO constatait des bénéfices d'exploitation témoignant de ce que le concédant était seul à pâtir de l'insuffisance des ventes de véhicules neufs ;
Considérant qu'il n'est pas justifié de ce que la société SCAO ait dû reprendre une centaine de salariés ainsi qu'elle le fait plaider ; que l'annexe IV de l'acte de cession du fonds de commerce ne comporte que soixante dix sept noms, dont deux raturés, de salariés parmi lesquels figurent un démissionnaire, un en longue maladie et un embauché à durée déterminée ; que le cédant gardait à sa charge les droits à congés payés et primes des huit premiers mois de l'année 1990 ; qu'il n'est apparemment pas contesté que les sociétés Citroën ont pris en charge les indemnités de licenciement au 31 décembre 1990 de huit salariés et la garantie du paiement du capital de fin de carrière de dix autres salariés ;
Que de même la société SCAO qui a pourtant la charge de prouver que la contrepartie de ses investissements était un droit à une prolongation de la concession au-delà des trois années dont elle a bénéficié, n'apporte aucune justification permettant d'écarter les conclusions de sous évaluation du prix des murs convenu dans la promesse de vente qu'elle a levée, et du loyer, fût-il accompagné d'une clause d'interdiction de sous location, tirées par les sociétés Citroën d'évaluations du cabinet Thouard et de la progression du montant des loyers contractuellement prévue dans le bail commercial ;
Qu'il s'en suit, sans même que la cour ait à retenir d'autres arguments controversés des sociétés Citroën concernant les avantages accordés à la société SCAO, que la preuve n'est pas apportée de ce que de la société Automobiles Citroën ait agi de mauvaise foi et abusé de ses droits en résiliant le contrat du 1er septembre 1990 en août 1992 à effet du 31 août 1993, seule façon qu'elle avait de mettre un terme à une dérive préjudiciable pour elle des conditions d'exploitation de la concession ;
Considérant que l'état de dépendance dont se prévaut la société SCAO fondé sur l'interdiction de sous location à laquelle elle a remédié en levant l'intéressante option d'achat dont elle bénéficiait, et sur la saturation du territoire concédé qui lui a interdit d'obtenir une concession d'un autre constructeur, ne peut davantage justifier que la société Automobiles Citroën soit privée de son droit contractuel de résiliation ; qu'il pourrait tout au plus légitimer un allongement du délai de préavis que la détérioration anormale constatée des résultats des ventes de véhicules Citroën rend inapproprié ;
Considérant que le jugement déféré doit être confirmé et les 5 000 000 F versés restitués avec intérêts au taux légal à compte du paiement du 17 août 1995 au besoin à titre de dommages-intérêts ;
Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs, LA COUR, Rejette les conclusions postérieures à la clôture, Infirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne Robert Enthoven qui n'est pas partie à l'appel, Déboute la société SCAO de toutes ses demandes, La condamne à restituer aux sociétés Automobiles Citroën et commerciale Citroën la somme de 5 000 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du 17 août 1995, Déboute les deux sociétés de leur demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société SCAO en tous les dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Bourdais Virenque, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.