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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 5 juillet 1996, n° 4333-96

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chevassus-Marche

Défendeur :

Groupe Danone (Sté), Brasseries Kronenbourg (Sté), Eaux Minérales d'Evian (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot (faisant fonctions)

Conseillers :

M. Weill, Mme Canivet

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Saunier, Lion.

T. com. Paris, 16e ch., du 19 déc. 1995

19 décembre 1995

LA COUR statue sur l'appel relevé à jour fixe du jugement contradictoire rendu, le 19 décembre 1995, par le Tribunal de commerce de Paris qui a débouté M. Chevassus-Marche ci-après M. Chevassus, de sa demande de résolution du contrat d'agent commercial du 14 avril 1987, a débouté la société Groupe Danone, nouvelle dénomination de BSN, ci-après Groupe Danone de sa demande de dommages-intérêts et a ordonné une mesure d'instruction à l'effet de faire le compte entre les parties, notamment d'évaluer les commissions dues à M. Chevassus du fait des ventes par lui initiées ou des ventes parallèles imputables directement ou indirectement à Groupe Danone, de calculer les commissions versées à M. Chevassus, de se faire communiquer le montant des sommes versées à M. Chevassus au titre du budget publi-promotionnel, de faire le compte des actions publicitaires et promotionnelles engagées par M. Chevassus.

Référence faite aux énonciations du jugement déféré ainsi qu'aux conclusions des parties pour l'exposé des faits et des prétentions et moyens initialement soutenus, il suffit de rapporter les éléments essentiels suivants.

Aux termes d'un contrat sous seing privé du 14 avril 1987, Groupe Danone, la société Brasserie Kronenbourg ci-après Kronenbourg et la société Eaux Minérales Evian, EME ont confié à M. Chevassus le soin de les représenter en qualité d'agent commercial pour la quasi totalité de leurs produits auprès des importateurs, grossistes et détaillants de l'Océan Indien diffusés sous leurs marques.

Ce contrat, prévu pour une durée initiale de 5 années, s'est renouvelée par tacite reconduction par période annuelle, le dernier renouvellement étant intervenu le 1er juillet 1993.

Il était prévu une clause d'exclusivité en faveur du mandataire aux termes de laquelle le mandant s'est interdit pendant toute la durée du contrat de confier à tout autre mandataire ainsi qu'à tout autre préposé la représentation des produits convenus, tandis que le mandataire s'interdisait la représentation sous quelque forme que ce soit de productions concurrentes jusqu'au 1er juillet 1987, à celles ci-dessus mentionnées sur le secteur d'activité en cause, étant précisé que " tout manquement à cette obligation entraînerait à la charge de son auteur la rupture immédiate du contrat à la demande de l'autre partie, sans préjudice de toute autre demande de dommages-intérêts par cette dernière ".

Les conditions d'exercice du mandat étaient également précisées selon lesquelles l'agent gérerait les budgets publi-promotionnels définis annuellement. Il était encore convenu qu'un plan annuel serait arrêté chaque année mentionnant les produits objet du contrat ainsi que les modalités de la rémunération.

Se plaignant de ne pas percevoir les commissions sur les ventes passées directement par des tiers auprès de Kronenbourg et de EME, M. Chevassus, par courrier du 3 mai 1994, a mis en demeure ses mandants de lui régler les commissions afférentes à ces ventes qu'il estimait lui être dues.

Cette sommation étant restée sans effet, M. Chevassus, par exploits du 14 juin suivant a assigné Groupe Danone, Kronenbourg et EME pour voir constater la résolution de la convention et subsidiairement voir prononcer la résolution de cette convention aux torts exclusifs des mandantes, de condamner celles-ci au paiement de la somme de 7 344 999,96 F TTC, prétentions auxquelles les défenderesses se sont opposées, formant à leur tour une demande reconventionnelle pour obtenir l'indemnisation fautif de leur agent ainsi que le remboursement des sommes avancées dont l'ampli ne serait pas justifié.

Par le jugement déféré, le Tribunal, pour l'essentiel, a retenu que M. Chevassus n'avait pas, en sollicitant que soit constaté le jeu de la clause résolutoire, mis fin unilatéralement au contrat, qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir de manière irrévocable opter pour la constater de la clause résolutoire alors qu'il " s'en était remis au juge pour constater ou prononcer la résolution du contrat ", que M. Chevassus ne rapportait pas la preuve que, postérieurement à l'arrêté du plan annuel M. Chevassus avait modifié sa politique ou porter gravement atteinte aux droits de l'agent, qu'il n'était pas établi que le problème des ventes parallèles se serait accru entre décembre 1993 et mai 1994, que M. Chevassus ne démontrait pas que devant l'accroissement du phénomène des ventes parallèles M. Chevassus aurait sciemment laissé la situation se pourrir ; que par ailleurs M. Chevassus n'avait pas le contrôle des ventes qui étaient réalisées par l'intermédiaire de grandes centrales ou de revendeurs métropolitains, qu'ainsi la preuve d'un comportement fautif du mandant justifiant que soit constaté la résolution du contrat ou que soit prononcé la résolution de celui-ci, n'était pas rapportée ; que par ailleurs, M. Chevassus ne rapportait pas la preuve d'un comportement fautif de son agent ; qu'une expertise s'imposait pour établir les comptes entre les parties.

Appelant, M. Chevassus, demande à la Cour par voie de réformation de la décision de constater par application de la clause visée à l'article 14 alinéa 3 du contrat, de constater la résolution de ce contrat aux torts exclusifs de Groupe Danone Kronenbourg EME, subsidiairement de prononcer la résolution de cette convention aux torts exclusifs de celles-ci par application de l'article 1184 du Code civil, et en conséquence de condamner solidairement Groupe Danone Kronenbourg et EME à lui payer la somme de 7 025 611,65 F HT, avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 1994 et capitalisation desdits intérêts, et subsidiairement de commettre un expert avec mission de déterminer le montant des sommes qui lui sont dues du fait de la rupture injustifiée de son contrat de mandat, et de lui allouer une provision de 5,6 millions de francs, enfin de lui allouer 100 000 F NCPC.

Il soutient pour l'essentiel :

- que Groupe Danone, Kronenbourg, EME ont manqué aux obligations découlant des articles 4 et 6 de la loi du 25 juin 1991, en laissant pratiquer des ventes parallèles rendant impossible l'exécution du mandat, en ne mettant en œuvre aucune mesure permettant de limiter ce phénomène, et en cherchant à l'évincer sans indemnité alors qu'il avait largement prospecté et développé le secteur qui lui était confié,

- qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dans la mesure où la baisse de son chiffre d'affaires ou son absence de diligence prétendue ne sont pas établis,

- que la demande reconventionnelle n'est pas justifiée, puisque le budget des dépenses publicitaires et promotionnelles relevait de la seule décision de l'agent, qu'en ce qui concerne le trop perçu sur commissions, le compte n'est pas en l'état arrêté,

- qu'au titre de la rupture abusive du mandat il lui est dû une indemnité compensatrice prévue par l'article 12 de la loi précitée, ainsi qu'une indemnité au titre du préavis d'une année, auquel doit s'ajouter le montant des commissions dues et non payées ;

Intimées et appelantes incidentes, Groupe Danone Kronenbourg EME, demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Chevassus de ses demandes, le réformant pour le surplus de dire que M. Chevassus a mis fin au contrat le 15 juin 1994 en invoquant la clause résolutoire, de dire qu'aucune faute ne peut leur être imputé au titre de la revente par des tiers de produits objets de leur exclusivité, de dire qu'elles n'ont pas manqué à l'obligation de respecter l'exclusivité bénéficiant à leur agent, de dire en conséquence que la rupture est imputable à M. Chevassus, de dire que M. Chevassus n'est pas fondé dans sa demande tendant à obtenir une indemnité de rupture, subsidiairement de dire que l'option exercée par M. Chevassus tendant à mettre fin au contrat par le jeu de la clause résolutoire, lui interdit d'invoquer les dispositions de l'article 1384, plus subsidiairement de constater l'accord des parties pour les produits à commercialiser zone par zone, leurs prix, les dépens publi-promotionnelles et le montant des commissions avancées en l'état du plan annuel arrêté le 4 janvier 1994 avec Kronenbourg et EME conformément au contrat, de dire que M. Chevassus ne peut leur imputer faute d'avoir respecté les tarifs et conditions de vente conformes, de dire que le grief relatif à la non commercialisation de produits qui ne faisait pas l'objet du mandat n'est pas fondé, de dire encore que le contrat du 14 avril 1987 a été confirmé par un courrier du 15 décembre 1993, de dire que pour le produit Volvic un accord pour solde de tout compte est intervenu entre les parties, de constater en conséquence qu'aucune faute ne leur est imputable, accueillant leurs demandes reconventionnelles de condamner M. Chevassus à leur payer la somme de 469 076,61 F dont il s'est reconnu débiteur, ainsi que la somme de 3 923 625 F à Kronenbourg et 261 900 F à EME correspondant aux avances sur les budgets publi-promotionnels augmentées des intérêts au taux légal, subsidiairement de condamner M. Chevassus au paiement d'une indemnité provisionnelle de 691 265 F TTC et d'ordonner une expertise pour faire le compte des dépenses susvisées au vu des justificatifs produits, plus subsidiairement de dire pour le cas où le principe d'une indemnité de rupture serait reconnue à M. Chevassus de dire que le préjudice ne saurait être supérieur à 1,6 Millions de France pour Kronenbourg et 150 000 F pour EME, d'ordonner la compensation entre les créances et les dettes réciproques, de rejeter toutes autres demandes de leur allouer 35 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que la demande de M. Chevassus qui en invoquant la clause résolutoire insérée à l'article 14 alinéa 3 du contrat a usé de son droit de rompre unilatéralement le contrat, ne le prive pas du droit de solliciter que soit prononcée la résiliation judiciaire de ce contrat pour le cas où le contrôle exercé par le juge sur la mise en jeu de la clause résolutoire ne permettrait pas d'accueillir favorablement cette demande ;

Considérant que la mise en jeu de cette clause est contractuellement fixée en ces termes :

" le mandant s'interdit pendant toute la durée du présent contrat de confier à tout autre mandataire ainsi qu'à tout autre préposé la représentation énoncée aux articles 1.2 et 1.3 ci-dessus... Tout manquement à cette obligation d'exclusivité entraînera à la charge de son auteur la rupture immédiate du présent contrat à la demande de l'autre partie, sans préjudice de toute demande de dommages-intérêts par cette dernière " ;

Qu'il convient de préciser comme le note pertinemment les intimées que la clause d'exclusivité n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent librement en délimiter le champ;

Qu'il incombe à M. Chevassus de démontrer que ses mandantes n'ont pas respecté l'exclusivité qui lui était concédée en confiant à un autre mandataire ou à un autre préposé la représentation de ses produits sur le territoire, objet de l'exclusivité;

Qu'à cet égard, il ne peut être fait grief à Groupe Danone " tenue d'une obligation de ne pas faire " d'avoir respecté le principe de la libre circulation des marchandises, principe fondamental auquel elle se trouve soumise ;

Que la preuve d'un manquement des mandantes à l'obligation contractuellement énoncée n'est pas rapportée ;

Que c'est donc à tort que M. Chevassus s'est prévalu de la clause résolutoire dont les conditions de mise en jeu n'était pas réunies ;

Considérant qu'à l'appui de la demande tendant à voir prononcer la résiliation du contrat, M. Chevassus fait grief à Groupe Danone de ne pas avoir modifié les tarifs en dépit des dispositions légales, d'avoir refusé de chiffrer le volume des ventes parallèles et par voie de conséquence de payer les commissions y afférentes, en lui retirant la marque Volvic pour la confier à sa nouvelle filiale en dépit de l'accord pris le 15 décembre 1993, et de manière générale d'avoir multiplié les obstacles à la bonne exécution de son mandat ;

Mais considérant que, si des négociations avaient été entreprises pour modifier la nature des relations entre les parties, aucun accord n'ayant été accepté, le contrat en cause a été maintenu ainsi que l'a expressément admis Groupe Danone ;

Que le courrier du 15 décembre 1993 n'a pas la portée que lui donne M. Chevassus ; qu'en tout état de cause en ce qui concerne la marque Volvic un accord est intervenu aux termes duquel un solde de tout compte a été établi ;

Qu'il ne peut être fait grief à Groupe Danone, Kronenbourg et EME d'avoir respecté le principe essentiel de la libre concurrence ; qu'elle n'avait pas à intervenir sur les commandes qui pouvaient être passées directement par l'intermédiaire d'une centrale d'achat ou d'un revendeur à partir de la métropole ; qu'aucun élément pertinent ne démontre qu'elle [ait] mis des obstacles à la représentation de son mandataire alors que le plan annuel était accepté et signé par celui-ci ; que pas davantage il ne peut lui être imputé à faute d'avoir pris aucune initiative en ce qui concerne la taxe d'octroi de mer ;

Qu'il s'en suit qu'en prenant l'initiative de cesser toute relation avec ses mandants sans que la preuve d'un manquement de ceux-ci à leurs obligations soit rapportée M. Chevassus a perdu le droit de percevoir une indemnité de rupture;

Considérant sur les comptes entre les parties que c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné une mesure d'instruction ;

Considérant que c'est encore par des motifs pertinents que les premiers juges ont estimé que la preuve d'un comportement fautif de l'agent n'était pas rapportée et ont écarté la demande reconventionnelle ;

Considérant qu'aucun élément ne permet en l'état d'allouer à l'une ou l'autre des parties qui en ont fait la demande une provision ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Dit en tant que de besoin que le contrat a été résilié, le 15 juin 1996 [sic], à l'initiative de M. Chevassus-Marche ; Réserve les dépens.