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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. B, 10 septembre 1996, n° 95-0005933

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Morelon (ès qual.)

Défendeur :

Z Groupe Zannier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Plantard

Conseillers :

MM. Torregrosa, Prouzat

Avoués :

SCP Touzery-Cottalorda, SCP Salvignol-Guilhem

Avocats :

Mes Palandre, Meresse.

T. com. Rodez, du 8 juin 1995

8 juin 1995

La SA Société " Z Groupe Zannier " a conclu, le 12 septembre 1989, avec la SARL Socotex un contrat de franchise ayant pour objet l'affiliation au réseau de franchise " Z ", spécialisé dans la vente de vêtements pour enfants, d'un point de vente situé à Villefranche de Rouergue 7, rue Marcellin Fabre ; ce contrat comportait notamment l'obligation pour le franchisé de s'approvisionner auprès de la SA " Société Zannier " ou de fournisseurs agréés par le franchiseur, en contre partie d'une exclusivité territoriale.

L'exploitation du fonds de commerce de la Société Socotex s'étant révélée déficitaire, celle-ci a assigné le 2 février 1994 la société Z Groupe Zannier devant le Tribunal de Commerce de Saint Etienne aux fins notamment d'indemnisation des pertes subies et de résiliation du contrat de franchise, reprochant notamment au franchiseur d'avoir commis une faute dans l'établissement de l'étude de marché et des comptes prévisionnels ayant servi de fondement à l'implantation de son point de vente à Villefranche de Rouergue ; par assignation du 20 mai 1994, la Société Socotex a attrait devant le même tribunal la Société Zannier, son fournisseur exclusif.

Parallèlement, la Société Z Groupe Zannier a notifié à la Société Socotex, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 21 février 1994, la résiliation du contrat de franchise pour défaut de paiement de factures d'un montant total TTC de 729 711,29 F.

La Société Socotex a été mise en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Rodez en date du 8 décembre 1994.

Par acte d'huissier de justice du 25 janvier 1995, Maître Morelon pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la Société Socotex, a assigné les Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier devant le Tribunal de Commerce de Rodez en vue de faire supporter par ces sociétés la totalité des dettes de la Société Socotex, issue de sa liquidation judiciaire, l'action ainsi engagée visant, comme fondement juridique, les articles 180 de la loi du 25 janvier 1985, 1134 et 2000 du Code Civil, 8, 9 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 5 du règlement CEE du 30 novembre 1988 sur la franchise.

Par jugement du 8 juin 1995, la juridiction consulaire s'est déclarée compétente pour connaître de l'action comblement de passif introduite par Me Morelon es qualité et a rejeté en conséquence l'exception d'incompétence soulevée par les Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier au profit du Tribunal de Commerce de Saint Etienne déjà saisi ; statuant sur le fond, elle a débouté Me Morelon de l'ensemble de ses prétentions, constatant en effet que les défenderesses n'avaient eu, directement ou indirectement, par l'intermédiaire de leurs mandataires sociaux ou de leurs salariés, aucune activité de direction ou de gestion dans la société Socotex du jour de la signature du contrat de franchise à la date du dépôt du bilan.

Me Morelon a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Il expose pour l'essentiel que :

- les sociétés Z Groupe Zannier et Zannier ont surévalué le chiffre d'affaires potentiel, susceptible d'être réalisé par les produits de la marque " Z " à Villefranche de Rouergue de plus de 30 % la première année et de plus de 40 % la seconde année, le chiffre d'affaires de 2 400 000 00 F HT prévue dans l'étude de marché s'étant avéré totalement irréalisable,

- la surévaluation du potentiel commercial de la franchise a permis l'obtention d'emprunts bancaires supportés par le franchisé en vue du financement de travaux réalisés par la Société Z Services, filiale du franchiseur, et le paiement d'un surloyer au profit d'une SCI " Rouergue Saint Georges ", constituée par la famille Zannier aux fins d'acquisition de l'immeuble servant à l'exploitation du fonds de commerce,

- les travaux d'agencement effectués dans les locaux commerciaux, l'ont été sans appel d'offres par la Société Z Services, ces travaux ayant été payés au moyen d'emprunts bancaires directement négociés par le franchiseur auprès des banques,

- en tant que fournisseur exclusif, la Société Zannier expédiait d'office les stocks de marchandises sans commande et sans tenir compte des besoins commerciaux de la Société Socotex ou des stocks existants, ce surstockage de marchandises ayant provoqué un assèchement de la trésorerie du franchisé, générateur d'agios à hauteur de 15 %,

- la Société Socotex était en fait mandataire de la Société Zannier qui restait propriétaire des marchandises, étant par ailleurs contrainte de revendre les produits aux prix indiqués par le franchiseur.

- la Société Z Groupe Zannier a également abusé de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait la Société Socotex, en l'obligeant de financer l'équipe cycliste que le franchiseur avait achetée, par l'intermédiaire d'une association " VMCP ", à concurrence de 2 F TTC par article vendu,

- malgré les pertes cumulées de la Société Socotex, s'élevant à 420 931 F de 1991 à 1993, l'exploitation du fonds de commerce ne s'est poursuivie que grâce au soutient coûteux du crédit fournisseur mis en place.

Invoquant plus particulièrement les dispositions des articles 180 et 182 de la loi du 25 janvier 1985, il soutient que les Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier étaient les véritables gestionnaires de fait de la Société Socotex, simple distributeur exclusif des produits de la marque " Z " commercialisés dans les conditions commerciales et financières fixées par le Groupe Zannier et que ces Sociétés ont effectivement financées, dans leur intérêt personnel, l'exploitation déficitaire de la Société Socotex.

Maître Morelon conclut donc, par infirmation du jugement, à la condamnation solidaire des Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier à lui payer, par provision, la somme de 1.000.000 F au titre des dettes de la Société Socotex nées de sa liquidation judiciaire, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation valant mise en demeure avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1154 du Code Civil ; enfin, il sollicite l'allocation de la somme accessoire de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.

Les sociétés Z Groupe Zannier et Zannier font valoir que Me Morelon n'est pas recevable à engager leur responsabilité contractuelle à raison des conditions d'exécution des contrats de franchise et d'approvisionnement exclusif, alors qu'une telle procédure a été initialement introduite, par acte d'huissier de justice du 2 février 1994, devant le Tribunal de Commerce de Saint Etienne, juridiction devant laquelle l'affaire est toujours pendante, et que le Tribunal de Commerce de Rodez est en outre incompétent pour connaître d'une demande fondée sur la responsabilité contractuelle du franchiseur et du fournisseur, dans la mesure où le contrat du 12 septembre 1989 contient une clause attributive de compétence en faveur du Tribunal de Commerce de Saint Etienne ; elles soutiennent par ailleurs, concernant l'application des articles 180 et 182 de la loi du 25 janvier 1985, que la preuve n'est pas rapportée d'une immixtion de leur part dans la gestion de la Société Socotex, dont le gérant effectuait personnellement ses achats gérait seul son personnel, avait la maîtrise de ses frais généraux et détenait les documents sociaux, administratifs et fiscaux de l'entreprise , faisant en outre fonctionner les comptes bancaires ; elle concluent donc à la confirmation du jugement entrepris, sollicitant, par voie d'appel incident la condamnation de Me Morelon à leur payer la somme de 25 000 F HT au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.

Le 20 mai 1996, soit le jour même du prononcé de l'ordonnance de clôture, Me Morelon a fait notifier des conclusions en réponse, conclusions dont les Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier ont demandé rejet.

SUR CE,

Attendu que l'affaire a reçu fixation à la conférence de mise en état du 27 mars 1996, les parties étant alors avisées que la clôture de l'instruction serait prononcée le 20 mai suivant ; qu'en notifiant le jour même du prononcé de l'ordonnance de clôture, 21 pages de conclusions en réplique aux écritures des Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier, écritures déposées deux mois et demi auparavant, Me Morelon a mis ces sociétés dans l'impossibilité d'y répondre, violant ainsi le principe de la contradiction, notamment posé à l'article 15 du Nouveau code de Procédure Civile ; qu'il y a donc lieu de rejeter ces conclusions ;

Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu leur compétence pour connaître de l'action en comblement de passif introduite par Me Moleron ès-qualités, sur le strict fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, une telle action trouvant en effet sa cause juridique dans la procédure collective ouverte à l'encontre de la société Socotex ;

Attendu à cet égard que l'article 180 de la loi précitée dispose que lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportés en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants de droit ou de fait rémunérés ou non ou par certains d'entre eux ;

Attendu qu'en l'espèce, il est indéniable que le contrat de franchise conclu le 12 septembre 1989 a créé un lien de dépendance économique de la société Socotex à l'égard de la société Z Groupe Zannier, le franchisé étant notamment tenu d'adhérer à la politique commerciale du réseau de franchise " Z ", de se fournir exclusivement auprès de la Société Zannier ou de tout autre fournisseur agréé par le franchiseur, de vendre les articles aux prix conseillés par celui-ci et de se soumettre à son contrôle en communiquant les documents comptables et commerciaux de l'entreprise ; qu'il est en outre stipulé à l'article 5 du contrat définissant les obligations du franchiseur en matière d'assistance technique, que celui-ci s'engage à informer le franchisé sur les caractéristiques de la collection d'articles, pour aider les décisions d'achat du franchisé dont celui-ci garde l'entière maîtrise, que la société Z Groupe Zannier assurera au franchisé, à sa demande, son concours en matière de constitution de dossiers de demandes d'emprunts et une aide en matière de gestion, en particulier sous la forme de conseils, d'avis et d'information dans les domaines financiers, juridiques, fiscaux, comptables et d'organisation du magasin ;

Attendu que l'action en comblement de passif ne peut être mise en œuvre qu'à l'encontre des dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en redressement ou en liquidation judiciaire ; que le dirigeant de fait est communément défini comme étant celui qui a eu au sein de la société une activité positive de direction, exercée souverainement et en toute indépendance ;

Attendu qu'en l'occurrence, les premiers juges ont retenu, se fondant notamment sur les propres écrits de M. Veau, gérant de la société Socotex, que celui-ci recrutait et licenciait son personnel, fixait lui-même le montant de son salaire et de celui de son épouse et gérait seul ses approvisionnements ; que dans un courrier adressé le 6 septembre 1992 à la société Z Groupe Zannier, l'intéressé informait ainsi son partenaire contractuel de sa décision, pour des raisons de conjoncture économique, de réduire le montant de ses achats pour l'hiver de 75.000 F HT, et de supprimer les réassortiments en modèles ayant un prix de vente d'une valeur supérieure à 300 F, reconnaissant par ailleurs, dans un courrier daté du 8 juillet 1993, avoir effectué, par manque d'expérience, des achats trop importants au cours des premières années d'exploitation, malgré des frais élevés ;

Attendu que nonobstant sa participation active à l'implantation à Villefranche de Rouergue d'un magasin affilié à son réseau de franchise, notamment en faisant l'acquisition, par l'intermédiaire d'une société civile immobilière, de l'immeuble devant servir à l'exploitation du fonds de commerce et en prêtant son concours à la société Socotex en vue de la constitution du dossier de financement des travaux d'agencement du magasins, la preuve n'est pas rapportée que les Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier se soient livrées à une immixtion caractérisée dans la gestion de l'entreprise du franchisé, excédant les droits reconnus au franchiseur dans le cadre d'un contrat de franchise; qu'il n'est pas établi que ces sociétés aient joué un rôle déterminant dans l'établissement des documents comptables, administratifs ou fiscaux de la société Socotex, la gestion de son personnel, la création et l'utilisation des moyens de paiement de la société ou la définition de sa politique d'achats dans les produits de la gamme " Z " ; que le maintient par la société Zannier en tant que fournisseur exclusif, de ses approvisionnement, malgré quatre exercices comptables déficitaires, ne saurait davantage caractériser un acte de gestion, d'autant que par lettre recommandée du 29 janvier 1993, la société Socotex a été mise en demeure de régulariser son compte, présentant au 22 janvier un solde débiteur de 361.559 F, et que dans son courrier du 8 juillet 1993, M. Veau a demandé à son correspondant de lui permettre de poursuivre son exploitation, en dépit des dettes accumulées ;

Attendu que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il en a considéré que les Sociétés du Groupe Zannier n'avaient eu, directement ou indirectement, aucune activité de direction ou de gestion de la Société Socotex et débouté Me Morelon de son action en comblement de passif; que la demande présentée pour la première fois en cause d'appel par le mandataire liquidateur, tendant à l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l'encontre de ces sociétés sur le fondement de l'article 182 de la loi, doit, pour ce même motif être rejetée ;

Attendu qu'il y a lieu surabondamment de relever que Me Morelon se contente d'indiquer que le montant des créances déclarées s'élève, à la date du 4 mai 1995, à la somme de 1.100.490 F, dont 26.266 F de créances chirographaires n'ayant pas fait l'objet d'une vérification et ne fournit aucun élément sur les éléments d'actif de l'entreprise et leur réalisation dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire ; que la preuve de l'insuffisance d'actif n'est donc pas établie avec précision, Me Morelon sollicitant d'ailleurs, à l'encontre des Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier, une condamnation qu'il chiffre provisoirement à la somme de 1.000.000 F ;

Attendu pour le surplus qu'il y a lieu d'inclure les dépens d'appel dans les frais de la procédure collective poursuivie contre la société Socotex, sans que l'équité ne commande toutefois l'application, en faveur des intimés, des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Rejette les conclusions de Me Morelon notifiées le 20 mai 1996 ; Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ; Déboute Me Morelon pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société Socotex de sa demande, formulée pour la première fois en cause d'appel, tendant à l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre des Sociétés Z Groupe Zannier et Zannier sur le fondement de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 ; Dit que les dépens d'appel seront inclus dans les frais de la procédure collective poursuivie contre la Société Socotex et recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile ; Dit toutefois n'y avoir lieu , en faveur des intimés, à l'application des dispositions de l'article 700 du même code.