CA Paris, 4e ch. B, 4 octobre 1996, n° 92-22376
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Socopral (SARL)
Défendeur :
Domaines Michel Bernard (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerrini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Poux-Jalaguier, Bonenfant.
La société Socopral, représentée par son gérant M. Sinaeve, s'est vue confier en 1982, la diffusion de la production des vins de la société Les Domaines de Michel Bernard. Par lettre en date du 9 septembre 1982, la société Les Domaines Michel Bernard a consacré la mission de la société Socopral comme suit :
" Vous proposerez pour notre compte, au titre d'agent commercial mandataire, les vins dont la liste suit à l'exclusion de tous autres, auprès des différents distributeurs ayant fait l'objet du document établi par vos soins, intitulé : liste des sociétés entrant dans le secteur géographique d'activités, à l'exception cependant des sociétés suivantes...
Votre rémunération sera de 5 % sur le montant des factures hors taxes départ, payables trimestriellement au vu d'une facture en TVA que vous établirez vous-même. "
La société Socopral se voyait confier les secteurs Paris et Région parisienne ainsi que les départements 14, 27, 28, 60 et 76.
A la fin de l'année 1989, les relations entre les parties se sont dégradées et les commissions n'ont pas été réglées intégralement. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juin 1991, la société Les Domaines Michel Bernard a résilié le contrat de la société Socopral.
C'est dans ces conditions que cette dernière a assigné la société Les Domaines Michel Bernard en paiement d'indemnité de rupture et de préavis ainsi qu'en arriéré de commissions pour les 3e et 4e trimestre 90, 1er et 2e trimestre 91, à parfaire par une expertise.
Le jugement déféré a débouté la société Socopral de ses demandes tendant au paiement des sommes réclamées à titre d'indemnité de rupture, d'indemnité de préavis, et d'indemnité de rupture abusive. Il a ordonné une mesure d'expertise aux fins de calculer le montant des commissions éventuellement dues au titre des 3e et 4e trimestre 1990 et 1er et 2e trimestres 1991.
La société Socopral a relevé appel de ce jugement. Elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a estimé applicable à la cause le décret du décret du 23 décembre 1958 relatif au statut des agents commerciaux, mais à son infirmation lorsque les premiers juges ont considéré que les griefs avancés par le mandat étaient de nature à priver la société Socopral de ses indemnités.
L'appelante sollicite la condamnation de la société Les Domaines Michel Bernard à lui payer les sommes suivantes :
- 800 000 F au titre d'indemnité de rupture ;
- 260 000 F au titre d'indemnité de préavis ;
- 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive ;
- 53 770,51 F au titre de l'arriéré des commissions ;
Par conclusions devant le conseiller de la mise en état, la société Socopral a sollicité l'extension de la mesure d'expertise au calcul des commissions dues au mandataire du 1er janvier au 12 juin 1991, ainsi qu'une provision.
La société Les Domaines Michel Bernard, relevant appel incident, a fait valoir que la société Socopral ne bénéficiait pas au statut d'agent commercial et ne relevait pas des dispositions du décret du 23 décembre 1958. Elle a conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Socopral de ses demandes d'indemnité et au sursis à statuer pour l'arriéré de commissions dans l'attente du rapport d'expertise et de provision.
Le conseiller de la mise en état a fait droit à la demande de complément d'expertise mais a rejeté la provision sollicitée.
En ouverture de rapport, la société Socopral a sollicité la condamnation de la société Les Domaines Michel Bernard à lui payer les sommes suivantes :
- 325 545 F en principal au titre des arriérés de commissions ;
- 925 000 F en principal au titre de l'indemnité de rupture ;
- 250 000 F en principal au titre de préavis ;
ces sommes devant porter intérêt à compter du 25 septembre 1991 ;
- 100 000 F à titre de dommages-intérêts, pour caractère abusif de la rupture et résistance abusive ;
- 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;
L'appelante en ce qui concerne le montant des commissions Valdigny, demande qu'il lui soit alloué la somme de 117 711,80 F en principal et en ce qui concerne les condamnations globales la somme de 361 419 F. Elle demande de majorer les autres condamnations dans la mesures où elles sont elles-mêmes assises sur le chiffre d'affaires réalisé à proportion de la majoration de la condamnation globale.
La société Les Domaines Michel Bernard conclut en réplique au débouté des demandes de la société Socopral et sollicite une somme de 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Sur ce, LA COUR,
Qui pour plus ample exposé, se réfère au jugement de 1re instance et aux écritures d'appel,
Sur la rupture :
Considérant que l'article 1er du décret du 23 décembre 1958 relatif aux agents commerciaux dispose que le contrat est écrit et indique la qualité des deux parties contractantes ; qu'en l'espèce l'exigence d'un contrat écrit est satisfaite dès lors que la lettre du 9 septembre 1982 émanant de la société Les Domaines Michel Bernard mentionnait la qualité d'agent commercial de la société Socopral et que celle-ci, à partir de cette date a effectué des opérations commerciales pour le compte de son mandant en revendiquant cette qualité d'agent commercial, reconnue d'ailleurs dans des courriers ultérieurs de l'intimée ;
Considérant qu'un retard peu important dans l'immatriculation au registre spécial (mai 1984 et non en 1990 comme le soutient l'intimée), n'est pas de nature à priver l'agent du bénéfice des dispositions du décret du 23 décembre 1958 ;
Considérant que l'article 3 de ce décret dispose que la réalisation par le mandant du contrat, conclu dans l'intérêt commun des parties, si elle n'est pas justifiée par une faute du mandataire, ouvre droit au profit de celui-ci au paiement d'une indemnité compensatrice du préjudice subi ;
Considérant que par lettre du 12 juin 1991, la société Les Domaines Michel Bernard a résilié le contrat de son agent commercial, avec effet immédiat ; qu'il est versé aux débats une longue série de lettres et de télex échangés à partir du début de l'année 1990 d'où il résulte que le mandant a formulé de nombreux griefs à l'encontre de M. Sinaeve, tenant à la façon dont il accordait des remises en dépassement des remises préconisées, au plan national, à des contacts désordonnés voire anarchiques avec la clientèle, à des promesses faites à celle-ci en dehors des possibilités d'approvisionnement, et à des initiatives intempestives faites sans autorisation ;
Considérant qu'à juste titre les premiers juges ont noté d'une part que la société Socopral avait reconnu avoir commis quelques erreurs et d'autre part que les lettres sévères qu'elle avait reçues (par ex le 6 août 90 puis le 20 décembre 90), les menaces de prélever les dépassements de remise sur ses commissions enfin l'avertissement solennel qui lui avait été adressé le 1er mars 1991, ne l'avaient pas conduite à modifier sa façon de procéder avec la clientèle qu'elle avait en charge ;
Considérant que ce comportement dommageable pour le mandant, tout particulièrement le refus de respecter les procédures de vente et le dépassement des conditions commerciales, constitue une faute caractérisée de nature à priver la société Socopral des indemnités de rupture du contrat ; que la société Socopral sera donc déboutée de ses demandes relatives au chef de la rupture ;
Sur les commissions :
Considérant que les conclusions de l'expert M. Audibert, sont les suivantes :
" En résumé le compte de commissions peut s'établir de la manière suivante :
- commissions du 1er janvier 1989 au 12 juin 1991 suivant affaires listées : 215 462,60 F ;
- réduction du taux de commissionnement : 18 236,63 F ;
- affaire Valdigny : 81 846,25 F ;
- estimation commissions de décembre 1990 : 10 000 F ;
TOTAL : 325 545,48 F ; "
Considérant que les calculs de l'expert ne sont pas contestés par les parties ; que, cependant, M. Audibert renvoie à la Cour le soin d'interpréter les questions de principe résultant de la lettre contrat du 9 septembre 1982 ;
Considérant que la lettre du 9 septembre 1982 valant contrat, fait mention d'une liste de vins à proposer par l'agent, à l'exclusion de tous autres auprès des différents distributeurs, suivant une liste et une rémunération de 5 % sur le montant des factures hors taxes départ ;
Considérant quel'exclusivité attachée à cette liste, implique que les commissions seront dues à l'agent commercial, sur la base des 5 % précités, sur toutes les opérations conclues dans son secteur, qu'elles aient été réalisées grâce à son intervention ou non ;
Considérant qu'au vu des pièces du dossier, il est dû à l'agent commercial la somme représentant les réductions du taux de commissionnement (18 236,63 F) et l'estimation forfaitaire des commissions de décembre 1990 (10 000 F) ;
Considérant que la commission " Valdigny " est également due, compte tenu du fait que la liste du 9 septembre 1982 mentionne d'une manière générale en son article VI les négociants en vin des départements 14, 27, 28, 60, 75, 78, 91, 92, 94 et 95, ce qui est le cas de la société Valdigny ; qu'il n'est pas établi par l'appelante que le montant de ces commissions soit supérieur à l'estimation de l'expert (81 846,25 F) ;
Considérant qu'il y a lieu de ne pas retrancher de la liste fournie par l'expert (page 23 de son rapport) que les commissions Prodim qui sont hors secteur, soit la somme de 24 898,04 F ; qu'il est donc dû à la société Socopral, au titre des commissions du 1er février 1989 au 12 juin 1991, la somme de 190 564,56 F, soit au total la somme de : 190 564,56 + 18 236,63 + 81 846,25 + 140 000 = 300 647,44 F ;
Considérant que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 25 septembre 1991 ;
Considérant que la société Socopral sera donc déboutée du surplus de ses demandes ;
Considérant qu'en équité, l'appelante se verra allouer la somme de 10 000 F, sur le fondement de l'article 700 du NCPC, première instance et appel confondus ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société Domaines Michel Bernard à payer à la société Socopral au titre des commissions la somme de 300 674,44 F avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 1991, et la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, première instance et appel confondus, La condamne aux dépens, en ce compris les frais d'expertise, qui seront recouvrés, conformément à l'article 699 du NCPC, par la SCP Valdelièvre Garnier.