CA Orléans, ch. civ. sect. 2, 22 octobre 1996, n° 93001389
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Canne à Pêche (SA), Lonne (ès qual.)
Défendeur :
Garbolino (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tay
Conseillers :
M. Bureau, Mme Magdeleine
Avoués :
SCP Duthoit-Desplanques, SCP Laval-Lueger
Avocats :
Mes Bourgoing-Dumonteil, Demoyen.
1) Les faits :
Le 13 juin 1991, la société Garbolino, fabricant de cannes à pêche, et la société La Canne à Pêche, distributeur d'articles de ce type, déjà liées depuis 1988 par une convention de distribution exclusive, ont conclu un nouveau contrat, censé s'appliquer pour une durée d'un an sur la saison allant du 1er août 1991 au 31 juillet 1992 et renouvelable ensuite par tacite reconduction ; les modalités principales de cette convention étaient, en substance, les suivantes :
Art. 1 : Garbolino concède à Canne à Pêche, distribution exclusive de ses produits auprès des grossistes, détaillants et magasins spécialisés mais se réserve la vente au groupe Décathlon et auprès des distributeurs en grandes surfaces ;
La Canne à Pêche (ci-après encore appelée CAP) s'engage à acheter à Garbolino pour la durée du contrat un volume d'affaires d'un montant net de 13,5 millions de francs HT ; si ce chiffre n'était pas atteint, CAP s'engage à payer une compensation sous forme de soulte correspondant à 10 % du montant manquant pour la première tranche jusqu'à un million de francs puis de 20 % sur la deuxième tranche de 1 MF à 2 MF et de 30 % au-delà ;
Art. 4 : le montant des commandes de CAP à Garbolino sera examiné au 31 décembre, étant précisé que, jusque là au cours de la collaboration des deux sociétés, le carnet de commandes à cette date représentait 55 % du volume annuel ;
Art. 6 : le prix de cession à Canne à Pêche est déterminé par Garbolino sur la base du tarif en vigueur pour les produits existants et sur la base de leur prix de revient comparativement aux produits existants pour les produits nouveaux ; une seule augmentation de prix par année pourra être pratiquée par Garbolino au plus tard au 1er octobre et annoncée à CAP au plus tard trois mois avant ;
Art. 7 : CAP est autorisée à commercialiser sous la marque Garbolino des cannes importées mais versera, à titre de royalties pour utilisation de sa marque, 5 % du montant des ventes des articles concernés ; ledit montant des redevances ne pouvant pas être inférieur à celui versé au titre de l'exercice 1990-91 et payable le 10 de chaque mois sur la base d'un douzième de la somme déterminée ;
Art. 9 : les factures Garbolino sont payables à 60 jours fin de mois le 15 du mois suivant par traite acceptée ;
Art. 12 : les manquements constatés à l'exécution du contrat doivent faire l'objet d'une LRAR enjoignant au cocontractant de respecter ses obligations dans un délai de soixante jours ; passé ce délai, et à défaut de régularisation, le contrat peut être dénoncé unilatéralement par le plaignant ;
Art. 14 : prévoit une tentative de conciliation avant toute instance judiciaire en cas de conflit ;
Le 29 janvier 1992, la société Garbolino a écrit à la CAP pour s'inquiéter du volume insuffisant de ses commandes eu égard à l'obligation souscrite, a fait valoir que cette situation la mettait dans une situation financière difficile et lui réclamait de procéder d'ores et déjà, à un versement échelonné de soulte qui ne pouvait manquer d'être due ;
Le 24 février 1992, la Canne à Pêche répondait par un refus en indiquant que ce versement anticipé n'était pas contractuellement prévu et le refusait ;
Le 6 mars 1992, CAP dénonçait le contrat à son terme normal du 31 juillet 1992 et se plaignait des conditions économiques déséquilibrées de cette convention dont elle demandait une renégociation non seulement pour l'avenir mais aussi pour le passé ;
Se considérant déliée de ses obligations, la société Garbolino écrivait, le 10 avril 1992, aux détaillants et grossistes qu'ils pouvaient désormais s'approvisionner chez elle directement puisque la Canne à Pêche n'assurait plus la distribution exclusive de ses produits ;
Après une tentative de reprise de l'exécution du contrat proposée par Garbolino qui n'avait pas encore mis sur pied un réseau de distribution personnel, dans une lettre du 29 avril 1992, et une tentative de mise en œuvre de la conciliation préalable refusée par CAP, le litige s'est noué devant le Tribunal de commerce de Tours où chaque partie reproche à l'autre la responsabilité de la rupture ;
2) La procédure :
Par jugement du 13 avril 1993, le tribunal a prononcé aux torts de la Canne à Pêche la résiliation du contrat, a condamné celle-ci à payer à Garbolino 1 685 542,07 F HT au titre de la soulte, 453 448,82 F TTC au titre de la redevance pour usage de la marque, 81 948 F HT au titre du solde du compte client, 1 000 000 F de dommages-intérêts, lesdites sommes étant payables sous déduction de la provision accordée en référé et d'une somme de 225 621 F HT due par Garbolino au titre de son compte client ; le même jugement donnait, par ailleurs, acte à la Canne à Pêche de ce qu'elle a cessé depuis le 3 avril 1992 d'apposer la marque Garbolino sur les cannes d'importation et lui a fait défense de faire fabriquer par des tiers des cannes de marque Garbolino sous peine d'astreinte de 1 000 F par infraction constatée ; enfin, il condamnait la Canne à Pêche à 15 000 F d'indemnité de procédure ;
La société la Canne à Pêche a relevé appel de ce jugement ; elle a ensuite été mise en liquidation judiciaire et son liquidateur, Maître Lonne, ès qualité, est intervenu volontairement pour reprendre ses moyens et demandes initiales ;
La société Garbolino, a de son côté, déclaré sa créance au passif de la liquidation ;
3) Les demandes des parties :
La société Canne à Pêche et Maître Lonne concluent à l'infirmation du jugement et au débouté de la société Garbolino ; ils sollicitent la résiliation du contrat aux torts de cette dernière et deux millions de francs de dommages-intérêts pour dénonciation abusive du contrat et manœuvres de désorganisation ; à titre subsidiaire, ils réclament, sur le fondement des articles 1174 et 1591 du Code civil, la nullité du contrat avec effet au 3 avril 1992 pour les obligations à exécution successive (distribution et usage de la marque) et effet immédiat pour le reste des obligations (dont le paiement de la soulte) ; ils demandent qu'il leur soit donné acte de ce qu'ils ont cessé, à compter du 3 avril 1992, d'apposer la marque Garbolino sur les cannes d'importation et sollicitent la condamnation de celle-ci à leur verser les sommes de 267 587,60 F au titre du solde du compte client de Garbolino dans les livres de CAP et la somme de 227 150 F au titre des factures de service après-vente avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
Par ailleurs, ils réclament la reprise du stock par Garbolino au prix de revient majoré des intérêts légaux et une somme de 30 000 F à titre d'indemnité de procédure ;
La société anonyme Garbolino demande la confirmation du jugement sauf sur le donné acte et à y ajouter un million de francs de dommages-intérêts supplémentaires ce qui porte sa demande de fixation de sa créance au passif à la somme de 4 241 810,80 F outre 50 000 F de dommages-intérêts ;
4) Les moyens des parties :
La société Canne à Pêche soutient que la société Garbolino a abusé de sa position dominante pour lui imposer les termes d'un contrat déséquilibré qu'allaient rendre, par la suite, encore plus inexécutable la conjoncture difficile dans le domaine de la pêche de loisir et la mauvaise foi avec laquelle son cocontractant remplissait lui-même ses obligations ;
Elle estime que la rupture des relations contractuelles est due exclusivement à la demande de Garbolino de vouloir lui faire payer par anticipation, dès janvier 1992, une soulte dont le principe n'était nullement établi et dont le montant n'aurait pu être, de toutes façons déterminé et exigible qu'au terme du contrat le 31 juillet 1992 ; elle ajoute que, par la suite, Garbolino a violé l'exclusivité dans la distribution aux grossistes et détaillants spécialisés qu'elle lui avait consentie en envoyant une lettre circulaire à ceux-ci pour les démarcher directement ;
Elle fait valoir que cette attitude était d'autant plus incompréhensible que jusque là le contrat s'était déroulé sans difficultés puisque si elle avait eu, à l'automne 1991, des problèmes de trésorerie qui avaient entraîné le report d'échéances de deux mois d'une traite, elle avait régularisé ensuite la situation et payé les agios correspondant au retard ; que, de même, elle a payé régulièrement jusqu'au mois de novembre 1991 les redevances d'utilisation de la marque avant de cesser légitimement de le faire en invoquant une compensation avec la facture que Garbolino lui doit au titre du service après-vente ;
La Canne à Pêche ajoute que Garbolino a empêché l'exécution, par elle, de son contrat dans des conditions satisfaisantes en accordant des prix défiant toute concurrence au groupe Décathlon ce qui a faussé l'économie de la convention ; elle fait valoir, enfin, que les violations du contrat ainsi révélées n'ont été précédées d'aucune mise en demeure de Garbolino et que la procédure de résiliation contractuellement prévue n'a pas été respectée ; elle s'estime donc fondée à réclamer la résiliation aux torts de Garbolino et à invoquer quant au paiement de la soulte, l'exeptio non adimpleti contractus ;
A titre subsidiaire, la Canne à Pêche soutient que le contrat est nul car la détermination du prix était laissée à l'appréciation unilatérale de Garbolino et relevait ainsi d'une condition potestative en violant, par ailleurs, l'obligation légale de détermination du prix dans le contrat de vente ; elle estime que cette nullité ne peut laisser subsister l'obligation de paiement de la soulte initialement prévue et ajoute, en denier lieu, que le calcul de celle-ci, de même que celui des royalties, n'est pas justifié ;
En conclusion, la Canne à Pêche fait plaider que Garbolino, après avoir procédé au rachat des 34 % que CAP détenait sans son capital social, a voulu l'évincer du marché pour recouvrer sa faculté de distribuer elle-même ses produits et qu'une telle attitude lui a causé un préjudice énorme compte tenu de la place que les cannes Garbolino tenaient dans son chiffre d'affaires ;
La société Garbolino conteste un tel exposé des griefs en faisant remarquer que la société Canne à Pêche fait partie d'un groupe bien plus puissant qu'elle-même et que c'est ce groupe qui a élaboré le contrat et proposé, motu proprio, un montant minimal d'achats et une garantie sous forme de soulte ; elle fait valoir que, dès septembre 1991, la Canne à Pêche a violé ses obligations contractuelles en payant avec deux mois de retard les factures sur les premières commandes pour plus de deux millions de francs avant de recommencer à la seconde échéance de mars 1992 et avoir, dans l'intervalle, en novembre 1991, cessé de payer les redevances mensuelles en invoquant une compensation fantaisiste sur le fondement d'une facture établie de toutes pièces à cette fin ;
La société Garbolino ajoute que cette situation lui a causé des problèmes de trésorerie importants puisque, de son côté, pour faire face au surcroît de commandes assuré par le chiffre minimal à respecter par CAP, elle s'était livrée à des investissements très lourds ; elle explique qu'elle ne pouvait rester avec des charges accrues sans être payée et qu'elle a été amenée à demander à CAP un paiement échelonné de la soulte qui devenait manifeste dès l'instant où il était évident, dès janvier 1992, que le chiffre des commandes serait inférieur au montant prévu et que les rentrées d'argent qui auraient dû en être la conséquence ne pouvaient plus être espérées, l'équilibre initial du contrat étant ainsi rompu ;
La société Garbolino ajoute que la lettre de son adversaire du 6 mars 1992 constituait une véritable dénonciation du contrat puisque la CAP déclarait ne plus vouloir l'appliquer ni pour le passé, ni pour l'avenir ; elle s'estime fondée à avoir repris sa liberté pour recréer sa propre force de vente auprès des détaillants puisque dès février 1992, CAP ne lui passait plus de commande et avait décidé aussi, unilatéralement, de cesser tout service après-vente supprimant encore du même coup 8 % du chiffre d'affaires de Garbolino ;
L'intimée poursuit en faisant remarquer que la suspension du service après-vente est concomitante du déménagement de CAP vers un établissement de La Réole où ses activités étaient confondues avec celles de la société Plateau, société du même groupe qu'elle distribuant des produits concurrents de bas de gamme ;
Garbolino ajoute que, bien après la cessation du contrat (puisque ces agissements se sont poursuivis jusqu'en novembre 1992) la CAP se présentait encore dans les revues halieutiques comme son distributeur exclusif et qu'elle a continué ses agissements anticoncurrentiels après que le jugement ne soit rendu puisqu'une expertise a démontré qu'elle écoulait les cannes Garbolino en stock en les maquillant, en cachant leur marque initiale, en les présentant comme de provenance coréenne et en les bradant sous la marque France Pêche distribuée par sa " complice " la société Plateau, attitude qui justifie, selon elle, les dommages-intérêts supplémentaires ;
Garbolino estime donc que la résiliation du contrat est de la faute de son adversaire et fait remarquer qu'elle n'a jamais contesté jusqu'ici le calcul et le montant de la soulte et de ses redevances réclamées ;
L'intimée fait remarquer que le contrat n'est pas nul puisque le prix est déterminé par rapport au tarif existant ou au prix de revient des produits nouveaux et trouve bizarre d'ailleurs, que ce moyen ne soit invoqué qu'à titre subsidiaire, par adversaire ; elle ajoute que la facture de frais de service après-vente n'est pas due et que cette facture est douteuse puisqu'elle ne comporte aucune référence ni aucun numéro ; elle termine en précisant que l'attitude de son adversaire lui a causé un préjudice commercial certain en l'obligeant à recréer dans la précipitation un réseau de vente et à surmonter la saturation du marché en cannes à pêche due à l'écoulement déloyal du stock de l'appelante ; elle estime aussi subir un préjudice financier important du fait de n'avoir pas eu la disposition de sommes prévues au contrat et un préjudice moral conséquence matérialisé par l'atteinte à son image de marque auprès du public et des distributeurs ;
Sur quoi, LA COUR,
5) Sur la nullité du contrat :
Attendu que ce moyen, bien que développé à titre subsidiaire, doit être examiné en premier par la Cour puisqu'il est soulevé par l'appelante qui ne peut demander au principal la résolution d'une convention qu'elle estime affectée d'une cause de nullité absolue ;
Attendu que la Canne à Pêche et Maître Lonne ont renoncé, dans leurs dernières écritures, à invoquer l'indétermination du prix sur le fondement de l'article 1129 du code civil ; qu'ils invoquent toujours les articles 1174 et 1591 du Code civil ;
Mais attendu, quant au dernier de ces textes, qu'il résulte de la simple lecture du contrat que le prix des produits existants était fixé sur la base du tarif en vigueur et que celui des produits futurs serait déterminé à partir du prix de revient et du tarif des produits existants comparables; qu'il est donc démontré que ce prix était déterminé ou déterminable avec précision;
Attendu, de même, que la lecture du contrat suffit à démontrer que la fixation des prix n'avait rien de potestatif et n'était pas laissée à la libre volonté de Garbolino puisque, lors de la conclusion du contrat CAP, qui distribuait depuis 1988 les produits Garbolino, avait en sa possession le tarif en vigueur qui allait aussi servir de référence pour la fixation du prix des produits nouveaux avec, comme autre critère, le prix de revient sur lequel CAP pouvait demander tous justificatifs à son cocontractant ; que le moyen tiré de la nullité du contrat est donc inopérant ;
6° Sur la résiliation du contrat :
Attendu que les affirmations de principe de l'appelante sur le déséquilibre initial du contrat sont démenties catégoriquement par les éléments versés aux débats puisqu'il résulte de ces éléments que la Canne à Pêche, société anonyme au capital de 7 710 000 F, pouvait discuter d'égal à égal avec la société Garbolino, au capital bien moindre, non seulement parce qu'elle bénéficiait du soutien d'un groupe financier important mais encore parce qu'elle se trouvait alliée à la société Plateau détentrice de parts de marché déterminantes dans le domaine de la distribution de matériel de pêche sportive ou de loisir ; que, d'ailleurs, il résulte des échanges de correspondances antérieurs à la signature que le contrat critiqué par la Canne à Pêche a été rédigé par elle, y compris en ses dispositions les plus contestées aujourd'hui relatives au chiffre minimal d'achats et au paiement de la soulte garantissant ce chiffre ; que ce moyen est donc dénué de tout caractère sérieux ;
Attendu qu'il est exact que le contrat comporte une lacune importante dans la mesure où il ne prévoit aucune modalité de paiement anticipé de la soulte alors que, dès le 31 décembre 1991, date à laquelle le carnet de commande était examiné et devait révéler en principe un volume d'achat équivalent à 55 % du chiffre prévu, il se révélait indiscutable que ce chiffre ne serait pas tenu et que le paiement de la soulte, dans son principe, devenait inéluctable ;
Attendu que cette lacune était fort préjudiciable à la société Garbolino qui avait accru sa production pour livrer la CAP et avancé ces frais importants pour tenir ses engagements mais ne pouvait bénéficier, de ce fait, des rentrées d'argent espérées et dont la soulte avait pour objet de compenser l'absence ; qu'à cette situation, il faut ajouter le retard de deux mois apporté par CAP à payer la facture du 15 septembre 1991 qui a certes été acquittée en novembre avec agios en sus mais a affaibli la trésorerie de l'intimée ; que celle-ci, nonobstant l'absence de précision du contrat sur ce point, était donc fondée à demander à la CAP un paiement échelonné de la soulte ; que cette dernière, de son côté, pouvait lui refuser en se retranchant derrière la lettre de la convention ;
Attendu que cette demande de paiement anticipé, formulée à titre purement amiable, ne saurait donc constituer une faute génératrice de rupture du contrat ;
Attendu, en revanche, que la lettre du 6 mars 1992 adressée à Garbolino par la Canne à Pêche manifeste la volonté expresse de la seconde, non seulement de voir résilier le contrat à son échéance normale du 31 juillet 1992, mais encore de remettre en cause les termes de celui-ci pour l'avenir ainsi que pour le passé au motif fallacieux d'un déséquilibre imposé des prestations alors qu'il vient d'être vu qu'il n'en était rien puisque les modalités de collaboration entre les deux sociétés avaient été décidées librement entre les deux partenaires, habiles en affaires, sur les propositions de l'appelante elle-même (cf. lettre du 15 mai 1991 et proposition de contrat par CAP) ; qu'ainsi ce courrier s'analyse comme l'expression non équivoque de la Canne à Pêche de remettre en cause les termes du contrat et le refus d'exécuter celui-ci selon les modalités convenues ; que, d'ailleurs, l'inexécution avait déjà commencé avant cette missive puisqu'il n'est ni contestable, ni sérieusement contesté, qu'à cette date la Canne à Pêche ne remplissait pas son chiffre de commande minimal, ne passait plus aucune commande à son partenaire et avait interrompu le service après-vente sur les produits Garbolino ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que cette interruption du service après-vente (sur laquelle CAP ne prouve pas s'être mise d'accord avec l'intimée) fait suite à son déménagement chez une filiale du même groupe (la société Plateau) distribuant des produits concurrents des cannes à pêche Garbolino ; que, d'ailleurs, ce déménagement s'est effectué dans des conditions commerciales douteuses puisque les détaillants étaient invités à passer leurs commandes aux deux sociétés à l'aide du même numéro de téléphone ce qui permettait tout glissement de la clientèle CAP à la clientèle Plateau et des produits Garbolino aux produits France Pêche concurrents distribués par Plateau ;
Attendu qu'il existe donc, pour ne parler que des causes antérieures ou concomitantes de la rupture de mars 1992, des violations graves de ses obligations contractuelles par la société Canne à Pêche ;
Attendu que les griefs faits par celle-ci à Garbolino sont en revanche peu fondés ; qu'il a déjà été parlé de la réclamation de paiement anticipé de la soulte ;
Attendu que la comparaison entre les tarifs appliqués par Garbolino au groupe Décathlon et à la société Canne à Pêche ne démontre nullement de décalage anticoncurrentiels au détriment de cette dernière puisque les tarifs produits sont voisins, qu'ils sont établis avant toute remise et que la différence finale qui apparaît est principalement due à la marge de CAP puis à celle des détaillants sur le prix public ;
Attendu qu'à compter de la lettre du 6 mars 1992, la société Garbolino, privée de commandes, privée de réparations et de vente d'accessoires au titre du service après-vente, s'étant vue refuser le paiement anticipé de la soulte et devant faire face à la charge de ses frais de production, était fondée à exciper de l'exception d'inexécution pour reprendre sa liberté dans la distribution de ses produits et démarcher les grossistes et les détaillants comme elle l'a fait en avril tout en laissant une dernière chance à CAP d'appliquer loyalement le contrat dans sa lettre du 29 avril à l'appelante:
Attendu, enfin, que l'appelante est mal venue à critiquer l'absence de lettre recommandée de semonce à son encontre alors que c'est elle qui a déclenché les hostilités et a refusé le préalable de conciliation prévu au contrat que lui avait proposé la société Garbolino ; que, dans ces conditions, c'est à juste titre que la résiliation du contrat a été prononcée aux torts exclusifs de l'appelante ;
7) Sur la soulte et les royalties :
Attendu que les sommes accordées par le tribunal à ce titre apparaissent fondées puisqu'elles reposent sur l'application des minima prévus au contrat ; que, pour la première fois en appel, la Canne à Pêche en conteste le calcul et le montant sans autres précisions et sans motiver, par un calcul différent, sa contestation ; que le jugement, là encore, sera confirmé sauf à fixer cette créance au passif de la liquidation ;
Attendu qu'il vient d'être vu que les sommes réclamées au titre des royalties par Garbolino sont calculées sur le minimum prévu au contrat par référence aux redevances de l'année 1990-91 et non sur le chiffre réel des importations qui se révèle inférieur ; que dans ces conditions, dans la mesure où, par ailleurs, Garbolino n'établit pas que l'importation des cannes ait pu continuer après le 3 avril 1992, rien n'empêche que le donné acte accordé par le tribunal à la société CAP soit confirmé ; ce point se révélant, d'ailleurs, compte tenu de ce qui précède et de la liquidation de CAP dénué de tout intérêt pratique ;
8) Sur les factures respectives :
Attendu que les comptes clients réclamés réciproquement par les deux sociétés ne sont pas formellement contestés ; que le jugement fait droit à ces demandes et sera confirmé ;
Attendu, en revanche, que la facture émise le 6 mars 1992 par la Canne à Pêche envers Garbolino au titre des frais de service après-vente ne présente pas de garanties suffisantes de crédibilité pour être admise ; qu'en effet, cette facture est émise le même jour que la lettre dénonçant le contrat et qu'elle est, comme par hasard, d'un montant sensiblement égal au retard de redevance accumulé depuis novembre 1991 que se propose ainsi de compenser ; qu'il sera aussi remarqué que cette facture, rédigée sur papier à lettre, ne correspond pas à la forme habituelle des factures émises par la société CAP sur les formulaires ad hoc et qu'elle ne comporte aucune référence ; que, de plus, CAP qui facture ainsi que SAV d'octobre 1991 à février 1992, ne verse aux débats aucun justificatif de la facturation antérieure d'une telle prestation à l'intimée ni, surtout, aucune autre pièce justificative de cette facture, preuve pourtant bien facile à apporter surtout pour les 116 400 F de ports payés que l'appelante invoque avoir avancés ; que le jugement qui a rejeté cette demande mérite, là encore, confirmation ;
9) Sur les dommages-intérêts :
Attendu qu'outre les fautes déjà très graves relevées comme étant à l'origine de la rupture contractuelle, il convient d'ajouter que la société CAP a vendu à perte les cannes Garbolino, qu'elle s'est présentée dans des revues spécialisées jusqu'en novembre 1992 comme étant le distributeur exclusif des produits Garbolino alors que, de toutes façons, elle ne pouvait plus l'être au moins depuis le terme du contrat du 31 juillet 1992; que, depuis le jugement, elle a continué ses agissements déloyaux en écoulant une partie de son stock Garbolino, à vil prix, sous couvert de la société Plateau et de la marque France Pêche, en maquillant grossièrement les cannes Garbolino en sa possession et en procédant à de fausses indications sur les provenance desdits produits; que ces agissements malhonnêtes sont clairement établis par l'expertise ordonnée sur requête et ne font pas l'objet du moindre mot de tentative de justification ou de contestation dans les écritures de l'appelante ;
Attendu que de tels agissements ont causé un préjudice important à la société Garbolino puisqu'ils ont contribué à la priver de tout réseau commercial, l'ont obligée à mettre en œuvre au pied levé un système de distribution de substitution, ont saturé le marché de produits vendus à vil prix faussant la concurrence, ont affecté l'image de marque d'un fabricant de matériel de haut de gamme à la technologie avancée et ont semé la confusion chez les détaillants pour ne parler que des chefs de préjudices les plus évidents; que, dans ces conditions, les dommages-intérêts accordés par le tribunal sont largement justifiés et seront même majorés de 500 000 F par la Cour pour tenir compte des agissements postérieurs au jugement ; qu'ainsi, la créance totale de la société Garbolino au passif de la liquidation judiciaire de la société la Canne à Pêche sera fixée à la somme de 3 741 810,80 F ;
10) Sur la reprise du stock :
Attendu que rien ne justifierait une éventuelle reprise, par Garbolino, du stock régulièrement acquis par Canne à Pêche en vertu d'un contrat régulier auquel seule sa faute a mis fin ; que, d'ailleurs, une telle demande apparaît presque indécente quant on se réfère aux méthodes utilisées par CAP pour écouler ledit stock dans les conditions précitées et quand on remarque, avec l'expert, que le stock en question est fondu dans celui de la société Plateau qui partageait les mêmes locaux que CAP à La Réole avant de partager aujourd'hui, avec elle, les affres de la liquidation ;
Attendu qu'il apparaît inéquitable de laisser supporter à l'intimée la charge de la totalité des frais irrépétibles qu'elle a dû engager ; qu'il lui sera accordé une indemnité de 10 000 F à ce titre ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Donne acte à Maître Lonne, ès qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société La Canne à Pêche, de son intervention volontaire au soutien de l'appel de celle-ci ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Fixe la créance de la société Garbolino au passif de la liquidation judiciaire de la société Canne à Pêche à la somme de 3 241 810,80 F arrêtée en principal et intérêts au 5 octobre 1994 outre 500 000 F de dommages-intérêts supplémentaires accordés par la Cour ; Condamne Maître Lonne, ès qualité, à payer à la société Garbolino une indemnité de procédure de 10 000 F ; Déboute les parties de leurs autres demandes non contraires ; Condamne Maître Lonne, ès qualité, aux dépens d'appel qui seront recouvrés en frais privilégiés de liquidation ; Accorde, pour les dépens d'appel, à la société civile professionnelle Olivier Laval et Françoise Lueger, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.