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Décisions

CA Limoges, 1re ch. civ., 28 octobre 1996, n° 1972-94

LIMOGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Canalisations-Regards-Pavés (SA)

Défendeur :

Lang

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Braud

Conseillers :

Fourlquie, Etchepare

Avoués :

Me Garnerie, SCP Durand-Marquet

Avocats :

Mes Maisonneuve, Culine.

T. com. Brive-la-Gaillarde, du 23 sept. …

23 septembre 1994

LA COUR

La SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP, dont le siège social est à Malemort (Corrèze), fabrique et diffuse, sous la marque Quartzo, des matériaux en béton et revêtement de roche reconstituée destinés à l'aménagement urbain.

Elle a conclu, le 1er janvier 1988, un contrat d'agence commerciale avec Christian Lang pour la distribution de ses produits dans les département de l'Eure (27), Eure-et-Loire (28), Marne (51), Paris (75), Seine-Maritime (76), Seine-et-Marne (77), Yvelines (78), Essonne (91), Hauts-de-Seine (92), Seine-Saint-Denis (93), Val-de-Marne (94), Val d'Oise (95).

L'agent commercial s'engageait notamment à ne pas accepter une représentation directement concurrente sans accord du mandant.

Après un avertissement en date du 4 octobre 1993, la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP a signifié à Christian Lang la rupture du contrat en invoquant notamment la représentation par celui-ci d'entreprises directement concurrentes et son insuffisance d'activité révélée par un chiffre d'affaires en baisse.

Elle a ensuite saisi le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde d'une demande de dommages-intérêts.

La SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP a régulièrement déclaré appel, le 21 novembre 1994, du jugement rendu le 23 septembre 1994 par le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde qui, la déboutant de la totalité de ses demandes, l'a condamnée à payer à Christian Lang la somme de 335 736 F (HT), à produire les justificatifs certifiés par le Commissaire aux comptes du chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Boudeau du 1er juillet 1993 au 3 février 1994, et ce, à peine d'une astreinte de 100 F par jour de retard à compter du 21 octobre 1994, et a aussi sursis à statuer sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle demande à la cour, réformant le jugement, de dire que, faute par Christian Lang d'avoir respecté les obligations découlant de son contrat, elle avait été fondée à y mettre fin et, en conséquence, de la condamner à lui payer la somme de 800 000 F à titre de dommages-intérêts, subsidiairement, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Christian Lang de sa demande en paiement de commissions.

Elle réclame la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Christian Lang conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP de ses demandes et, formant appel incident, réclame la somme de 671 472 F au titre de la rupture abusive du contrat et celle de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans le dernier état de leurs conclusions à l'appui de leurs prétentions ou en défense, les parties ont soutenu les moyens suivants étant précisé que la Cour se réfère expressément à leurs écritures pour l'exposé exhaustif de leur argumentation ;

* Appelante, la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP expose que ;

Les motifs de la rupture du contrat :

- il s'agit des mauvais résultats et de l'activité concurrente.

a) Sur la règle de droit applicable :

- la rupture sans indemnité requiert, au sens de l'article 13 de la loi du 25 juin 1991, l'établissement d'une faute grave ;

- cependant, compte tenu des précisions de l'article 20 de ladite loi, elle ne s'applique qu'aux contrats entrés en vigueur à compter du 1er janvier 1994 ;

- le contrat reste donc régi par le décret du 23 décembre 1958 qui ne précise aucun degré de gravité pour la faute ;

b) Sur l'activité concurrente

1) Le défaut d'autorisation :

- il appartient à l'agent commercial de prouver qu'il a obtenu l'autorisation litigieuse ;

- ce n'est qu'en juillet 1993 que la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP a eu connaissance du catalogue Qualitev ;

- l'attestation de Monsieur Lamour, selon laquelle Christian Lang aurait obtenu dès juillet 1992, l'autorisation de Jean-Claude Bessière père, alors dirigeant de l'entreprise, aujourd'hui remplacé par son fils, est mensongère puisque la plaquette Qualitev, du nom de l'agence de Christian Lang, mentionne des tarifs de 1993 ;

- le courrier du 4 octobre 1993, retenu par le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde, ne démontre pas qu'à cette date, la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP savait que Christian Lang commercialisait des pavés de pierre naturelle : il est fait état de produits bas de gamme ;

- dans le même courrier, il était cependant précisé : " Au vu des résultats sur votre secteur, nous ne pouvons tolérer qu'un produit directement concurrent tel que la pierre soit représenté par la même personne que celle qui assure la commercialisation de Quartzo.

Au cas où vous vendriez actuellement de la pierre naturelle, je vous demanderais d'effectuer un choix : soit assurer la commercialisation de la pierre naturelle, soit continuer à assurer celle de Quartzo ";

- il s'ensuit qu'il n'y avait jamais eu d'autorisation de commercialiser de la pierre naturelle et que Christian Lang était avisé des incidents de sa transgression ;

2) Le caractère concurrentiel de la pierre naturelle :

- il s'établit par rapport à l'identité de clientèle, à l'identité de prix et à l'identité des caractéristiques techniques et esthétiques ;

- l'argument de la faiblesse du chiffre d'affaires pierre naturelle n'est pas pertinent, s'agissant d'une activité à ses débuts ;

c) Sur la baisse du chiffre d'affaires :

1) Les chiffres d'affaires réalisés par Christian Lang :

- la comptabilité de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP, vérifiée par son Commissaires aux comptes, met en évidence des résultats en recul de 22 % de 1991 à 1992 et de 13 % de 1992 à 1993 ;

. le contexte économique est resté favorable compte tenu des investissements accrus des collectivités locales en matière d'aménagement urbain ;

. il n'y a eu aucune erreur économique de la part de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP sur les marchés de Cergy et de Houilles qui n'ont échoué qu'en raison d'une erreur de Christian Lang pour le premier et d'une question de tarif pour le second ;

- les réactions de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP à la chute du chiffre d'affaires de Christian Lang,

- il y a eu, au 89 juillet 1993, un avenant par lequel Christian Lang autorisait sur les départements de Paris et de la couronne une commercialisation directe par les salariés de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP ;

Le préjudice :

Préjudices consécutifs à l'irrespect de la clause de non-concurrence :

- perte des 20 % de chiffre d'affaires entre 1991 et 1992 ;

- perte des 13 % de chiffre d'affaires entre 1992 et 1993 (soit 30 % en deux ans) ;

- perte du marché Cergy ;

- obligation de prendre en charge le salaire de Monsieur Boudeau de juillet 1993 à février 1994 dans la mesure où il a été engagé pour pallier les carences de Christian Lang ;

- perte de crédit des produits Quartzo auprès des prescripteurs ;

Le défaut de fondement de la demande reconventionnelle de Christian Lang :

1) L'indemnité compensatrice de rupture :

- Christian Lang ne justifie pas d'un préjudice et, dans le cadre du décret de 1958, cette indemnité n'a pas un caractère réparateur ;

- sur les modalités de calcul adoptées par le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde, elle ne peut être retenue ;

2) Le droit à commission sur les opérations en cours : il incomberait à Christian Lang de démontrer que la comptabilité de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP serait fausse et que cette même société aurait sciemment dissimulé les opérations réalisées par Monsieur Boudeau.

* Intimé et appelant incident, Christian Lang fait valoir à son tour que :

1) Rapports entre les parties :

- Christian Lang bénéficiait de la confiance de Monsieur Jean-Claude Bessières, président directeur général de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP qui a signé son engagement ;

II) Le jugement :

- le Tribunal a noté, à bon droit, que le chiffre d'affaires réalisé en 1993 se trouvait en nette progression et que la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP connaissait la vente de produits concurrents par Christian Lang ;

III) La rupture du contrat :

- à l'arrivée de Monsieur Jean-Marc Bessières dans la société, au mois de février 1993, il s'est créé un climat qui a conduit un certain nombre d'anciens collaborateurs à s'éloigner ;

A) Le grief de concurrence :

- Monsieur Lamour, alors directeur commercial, a attesté que, lors d'une réunion à Brive-la-Gaillarde, le 5 octobre 1992, Christian Lang avait remis à lui et à Monsieur Jean-Claude Bessières père, dirigeant de l'entreprise, son nouveau catalogue Qualitev sur lequel figuraient les différents produits qu'il commercialisait ;

- d'autres agents commerciaux, tels celui du sud-ouest et celui du nord commercialisaient également du granit ;

- l'absence de concurrents du granit, produit différent, est établie par l'attestation du cabinet Ory selon laquelle l'architecte des Bâtiments de France privilégie pour les chantiers qu'il contrôle les revêtements en pavés et dallages de granit ;

- s'agissant de la commercialisation de pavés en béton bas de gamme, la preuve de l'autorisation, déjà donnée aux termes de l'attestation Lamour par Monsieur Bessières père, réside dans la lettre du 4 octobre 1993 de Monsieur Bessière fils :

" Nous vous avions informé que vous pouviez continuer à vendre des pavés béton bas de gamme et ne disposant pas de la marque NF, ce produit ne constituant pas une concurrence directe à Quartzo " ;

- le chiffre d'affaires provenant des ventes de pierre naturelle est dérisoire : 8 030,25 F HT de commissions d'octobre 199, à son départ de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP ;

- le granit en pavés calibrés, sciés sur les quatre faces se vend de 400 à 600 F HT le m2 , ce qui n'est en rien comparable aux 250 F des pavés Quartzo ;

- les deux produits ne sont pas concurrents, mais complémentaires ;

b) La baisse du chiffre d'affaires :

- Christian Lang est d'accord avec l'analyse du Tribunal de commerce selon laquelle :

. le chiffre d'affaires réalisé a toujours été en progression de 1988 à 1991 ;

. il a réalisé un recul en 1992 par rapport à 1991 (2 280 000 F au lieu de 2 900 000F), mais cela est lié à la baisse du marché des travaux publics et du ciment(16,4 % en 1992 en Ile-de-France et 9,8 % pour toute la France) ;

- Christian Lang rappelle qu'il n'était lié par aucun objectif contractuel ;

- la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP a elle-même reconnu la régression générale de son secteur ;

- début 1993, Christian Lang a repris sa progression : 1 807 959,81 F en 1993 contre 1 429 220,19 F pour l'année 1992 ;

- au moment même de la rupture, le 3 novembre 1993, le chiffre d'affaires réalisé par Christian Lang s'élevait à 1 883 297,57 F contre 1 738 896,54 F l'année précédente à la même date ;

IV) L'attitude de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP :

1) A l'égard de Monsieur Lamour :

- il en résulte que Monsieur Jean-Claude Bessières connaissait parfaitement depuis le 5 octobre 1992, le catalogue Qualitev de Christian Lang ;

- il connaissait parfaitement tous les produits commercialisés par Christian Lang ;

- il avait, devant son directeur commercial, Lamour, donné son accord pour que Christian Lang commercialise, en complément, du granit ;

- l'attitude de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP envers Monsieur Lamour, à présent employé dans une autre entreprise, prouve ce dont est capable cette société ;

2) Les violations du contrat par la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP :

- la mise en place par la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP d'un attaché commercial salarié sur le secteur de Christian Lang est intervenue en violation de l'article 2, alinéa B, 2° paragraphe du contrat d'agent commercial ;

- mis devant le fait accompli, Christian Lang n'a eu que la ressource de négocier un avenant à son contrat ;

3) Les " malices " de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP : si un nouveau catalogue a été réalisé, c'est à l'initiative de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP, à qui l'idée émise par Christian Lang a plu, et non à l'initiative pure et simple de ce dernier.

Sur quoi, LA COUR

Attendu que si, convenant qu'aux termes du contrat d'agent commercial conclu le 1er janvier 1988 avec Christian Lang, aucune obligation quant au chiffre d'affaires à réaliser n'était mise à la charge de celui-ci la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP renonce dans ses écritures à se prévaloir de l'insuffisance des résultats, quoiqu'elle en ait fait grief à son co-contractant dans sa lettre de rupture du 3 novembre 1993 et persiste à la mentionner comme un manquement général, mais en rapport avec l'activité concurrentielle de Christian Lang, il convient précisément de vérifier la validité de la cause de résiliation invoquée tenant à la représentation par le mandataire de produits directement concurrents, activité en principe prohibée par l'article 2 du contrat sauf accord préalable du mandant ;

Attendu que s'il est acquis aux débats que la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP a pu, quoique dans une certaine mesure mise devant le fait accompli, accepter du reste tardivement la présentation par Christian Lang à ses clients de matériaux en béton bas de gamme, sous une autre fabrication, cette société prétend en revanche avoir su incidemment et subrepticement, en prenant connaissance, courant 1993, du catalogue-dépliant de son agent, qu'il représentait aussi des produits en granit, pour lequel ce dernier se prévaut pareillement d'un accord de son mandant tout en déniant tout caractère concurrentiel à cette branche de son activité ;

Attendu, sur le caractère directement concurrentiel, qu'alors, d'une part, qu'il résulte des indications fournies par Christian Lang lui-même, que les produits Quartzo diffusés par la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP sont en réalité des agglomérés de béton enrobés d'un revêtement de roche reconstituée grâce à de petits éclats et, d'autre part, que la clientèle à laquelle s'adressait l'agent commercial, était constituée de collectivités publiques ayant à réaliser des opérations d'urbanisme dont les budgets sont importants et les contraintes d'ordre esthétique, non négligeables, la présentation simultanée des deux matériaux et de leurs applications ne pouvait qu'inciter les décideurs, au prix s'il le fallait d'un effort financier, à opter pour le produit naturel contre le produit industriel, soit dans l'immédiat, soit même pour des chantiers à venir ;

Que si aucun élément ne permet en l'espèce de considérer que la baisse du chiffre d'affaires de Christian Lang, pour la marque Quartzo, survenue en 1992, est à relier à sa nouvelle activité de promotion du granit, le caractère évidemment concurrentiel de ce dernier produit dans les rapports entre la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP et Christian Lang ne disparaît pas du seul fait de l'affirmation, non vérifiée, de l'agent commercial, selon laquelle il aurait donné lieu à un chiffre d'affaires dérisoire et sans commune mesure avec celui du produit concurrencé ;

Attendu, sur la preuve de la connaissance et de l'acceptation de cette concurrence par la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP, que, devant les dénégations de celle-ci, Christian Lang se borne à produire l'attestation d'un collaborateur, aujourd'hui licencié, de la société et dont il est établi qu'il entretenait avec elle des rapports conflictuels, ce qui prive ce témoignage unique d'une force probante suffisante, étant observé au surplus qu'il apparaît au vraisemblable que l'agent commercial, qui n'a eu de cesse d'obtenir un avenant à son contrat, lorsqu'il lui a été adjoint un salarié de la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP, n'ait pas, de la même façon, obtenu un document contractuel si l'autorisation d'une représentation concurrente lui avait été effectivement donnée ;

Attendu, en conséquence, que la découverte d'une activité constituant un manquement au contrat d'agent commercial est de nature à justifier la résiliation de celui-ci par la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP, sans qu'elle ait à indemniser Christian Lang ;

Attendu cependant que la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP ne rapporte la preuve d'aucun préjudice à l'appui de sa demande de dommages et intérêts qui sera rejetée ;

Attendu qu'il n'est pas davantage justifié de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'espèce.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi : - infirme le jugement rendu le 23 septembre 1994 par le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde ; - dit que la résiliation du contrat d'agent commercial, conclu le 1er janvier 1988 entre la SA Canalisations-Regards-Pavés dite CRP et Christian Lang, est justifiée par un manquement de celui-ci à ses obligations ; - Déboute les parties de leurs demandes, fins et conclusions ; - Condamne Christian Lang aux entiers dépens ; - Alloue à Maître Garnerie, Avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.