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Décisions

CA Limoges, 1re ch. civ., 13 mai 1985, n° 1756-84

LIMOGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Juin

Défendeur :

Procureur général près la Cour d'appel de Limoges

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jorda

Conseillers :

M. Noël, Mme Borie

Avoué :

Me Durand Marquet

Avocat :

Me Labrousse.

TGI Tulle, pres., du 9 oct. 1984

9 octobre 1984

LA COUR :

FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte reçu par Me Nyman, notaire à Argentat, le 29 février 1984, Mademoiselle Juin, agent commercial en machines à coudre et à tricoter, a acquis des époux Bornet un fonds de commerce de mercerie bonneterie à Argentat ;

Il a été précisé dans cet acte que les biens vendus avaient été donné à bail à titre de location-gérance à Madame Lafon, aux termes d'un acte notarié du 3 décembre 1980 pour une durée de sept (7) années à compter du 1er février 1981.

Il a été en outre indiqué dans le bail que, dans le cas où le vendeur vendrait le fonds de commerce, il préviendrait la gérante, qui bénéficierait d'un droit de préférence pour acquérir ;

Madame Lafon, informée de la vente, a fait connaître qu'elle n'envisageait pas d'exercer le droit de préférence résultant du bail ;

Mademoiselle Juin a saisi Monsieur le greffier du Tribunal de commerce de Tulle en vue de son inscription au registre du commerce en qualité de propriétaire du fonds de commerce et de loueur ;

Monsieur le greffier lui ayant fait connaître qu'il ne lui paraissait pas possible de procéder à cette inscription étant donné qu'elle n'avait pas le nombre d'années suffisant pour consentir une telle location, Mademoiselle Juin a présenté requête à Monsieur le Président du Tribunal de grande instance de Tulle aux fins d'être dispensée des délais prévus à l'article 4 de la loi du 20 mars 1956, pour prendre la qualité de loueur du fonds de commerce et par voie de conséquence pour requérir son inscription au registre du commerce en qualité de loueur et propriétaire dudit fonds ;

Par ordonnance du 9 octobre 1984, ce magistrat a rejeté la requête de Mademoiselle Juin ;

Mademoiselle Juin a interjeté appel et demande d'annuler l'ordonnance, en tout cas de la réformer et de faire droit à sa requête ;

Elle soutient qu'elle se trouve dans l'hypothèse prévue par l'article 5 de la loi du 20 mars 1956 pour bénéficier d'une dispense de délai ;

Elle expose à cet effet qu'agent commercial en machines à coudre et à tricoter, elle a acquis le fonds en cause de mercerie bonneterie pour l'exploiter personnellement et non pour défier la législation sur la location-gérance mais qu'elle ne peut se livrer à cette exploitation étant donné que le fonds est loué ;

Elle fait plaider par ailleurs qu'en première instance, son dossier a été transmis au Procureur de la République qui a repris des conclusions qui ne lui ont pas été communiquées ;

Que le non respect du contradictoire justifie l'annulation de l'ordonnance déférée ;

Le Ministère public conclut à ce que l'ordonnance attaquée soit réformée et à ce qu'il soit accordé à Mademoiselle Juin la dispense totale des délais prévus à l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 ;

Il observe que la décision attaquée apparaît en l'absence de communication à Mademoiselle Juin des conclusions du Procureur de la République entachée d'une irrégularité substantielle ;

Qu'il appartient à la Cour en vertu de l'effet dévolutif de l'appel de connaître du fonds de l'affaire ;

Quels que soient les projets de reprise exprimés dans les conclusions de Mademoiselle Juin, l'intérêt actuel de l'opération réalisée apparaît suffisamment lié à l'objet de l'activité professionnelle de celle-ci, qu'aucune présomption de fraude ne peut être relevée, la mise en location-gérance étant antérieure de plusieurs années à la vente et qu'aucun indice ne révèle en l'espèce la spéculation abusive prohibée par la loi ;

DISCUSSION

Attendu que les articles 4 et 5 de la loi énoncent :

Article 4 : les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir été commerçants ou artisans pendant 7 ans ou avoir exercé pendant une durée équivalente les fonctions de gérant ou de directeur commercial ou technique et d'avoir exploité pendant 2 ans au moins le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance.

Article 5 : le délai prévu par l'article 4 peut être supprimé ou réduit par ordonnance du président du tribunal de grande instance rendue sur simple requête de l'intéressé, le Ministère public entendu, notamment lorsque celui-ci justifie qu'il est dans l'impossibilité d'exploiter son fonds personnellement ou par l'intermédiaire de préposés.

Attendu que l'article 5 de la loi susvisée exige en matière de suppression ou de réduction des délais prévus à l'article 4 de cette loi, la communication au Ministère public ;

Attendu que le principe de contradiction énoncé aux articles 14 et suivants du nouveau Code de procédure civile s'applique aux interventions du Parquet et que c'est irrégulièrement qu'en première instance, les conclusions du Ministère public n'ont pas été communiquées à Mademoiselle Juin ;

Attendu en l'espèce, qu'en raison de la location du fonds en cause, antérieure à son acquisition, Mademoiselle Juin ne peut exploiter elle-même ce fonds;

Attendu que la preuve d'aucune fraude ni intention spéculative n'est établie à l'encontre de celle-ci;

Attendu qu'il apparaît au contraire que l'acquisition de fonds de mercerie bonneterie par elle est liée à son activité professionnelle;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence, réformant l'ordonnance, d'accorder à Mademoiselle Juin la dispense totale des délais prévus à l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 ;

Attendu que les dépens de première instance et d'appel doivent être laissés à la charge du Trésor public ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, en matière gracieuse et après débats en Chambre du Conseil, Déclare l'appel recevable, Réforme l'ordonnance, Accorde à Mademoiselle Juin la dispense totale des délais prévus à l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 ; Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge du Trésor public.