CA Paris, 4e ch. B, 15 novembre 1985, n° 19775
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sortimat Creuz et Co GmbH (Sté)
Défendeur :
Monde Machines (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnefont
Conseillers :
M. Fontana, Mme Beteille
Avoués :
SCP Castel Garovy d'Auriac, SCP Barrier Monin
Avocats :
Mes Bendel, Wolfer.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Les faits :
Le 19 mai 1975, un contrat " établi en version non détaillée " a été conclu entre la société de droit allemand Sortimat Creuz et Cie (ci-après dénommée Sortimat) fabricant de machines-outils, d'une part, et la société anonyme Monde machine (ci-après M.M.) ayant siège à Asnières, négociant d'autre part.
Aux termes de l'article 1er de cette convention, Sortimat conférait à M.M. la distribution exclusive en France de l'ensemble des produits de sa gamme existant à l'époque ... (partie de phrase rayée) ... à l'exception de la société Porquet.
Les articles 2 et 9 précisaient que les ventes devaient être effectuées par Sortimat à M.M. aux conditions générales qui devaient être introduites dans un " contrat détaillé " que les deux parties s'engageaient à conclure dans quatre semaines, et qui devait remplacer le " contrat en version détaillée ". Le contrat ainsi annoncé n'a jamais été établi.
Par lettre du 8 mai 1981, M.M. s'est plainte à Sortimat de ce que celle-ci avait accepté et exécuté directement plusieurs commandes de quatre entreprises françaises nommément désignées ;
Après échange de correspondance et estimant n'avoir pas reçu de réponse satisfaisante à sa réclamation, elle a, par lettre du 6 juin de la même année, dénoncé le contrat de 1975 et exprimé son intention d'obtenir réparation de son préjudice.
Première instance :
En conséquence et par exploit du 30 juin 1981, M.M. a assigné Sortimat devant le Tribunal de commerce de Nanterre pour :
- entendre prononcer la résolution du contrat susvisé pour cause de violation de la clause d'exclusivité,
- entendre condamner la défenderesse à lui payer diverses sommes pour perte de bénéfices sur les ventes réalisées directement par le fabricant au mépris de ladite clause, à titre de dommages-intérêts pour rupture fautive de la convention et au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et ce avec demande de compensation entre ces sommes et celle de 91 222,72 DM dont elle se reconnaissait débitrice au titre des livraisons effectuées.
Par jugement du 28 mai 1982, la juridiction saisie a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Sortimat qui demandait que l'affaire soit portée devant la juridiction allemande de son domicile ;
Devant la Cour :
Par arrêt du 2 décembre 1982, qui a été frappé d'un pourvoi en cassation rejeté par arrêt du 2 décembre 1985, la Cour a débouté Sortimat de son contredit et a décidé d'évoquer le fond.
En cet état de la procédure :
M.M. demande à la Cour de faire application de la clause de la loi française, et de dire que Sortimat, en livrant ses matériels aux sociétés Ferco, Hager, Valois et Index a commis une grave faute contractuelle justifiant la résiliation sans préavis à la date du 9 juin 1981 et de la condamner à lui payer :
- 1 556 500 F pour perte de bénéfice,
- 1 617 826,37 F à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat,
- 20 000 F au titre de l'article 700 précité.
Subsidiairement, et pour le cas où la Cour ordonnerait une expertise comptable, elle réclame 2 000 000 F à titre d'indemnité provisionnelle et demande en tout cas la compensation judiciaire entre la somme de 94 820,31 DM dont elle se reconnaît redevable pour livraison effectuée entre juin et septembre 1981 et le montant des condamnations qui seraient prononcées contre Sortimat.
En sens contraire,
Sortimat prétend que le litige est régi par la loi allemande et conclut à l'irrecevabilité et au mal fondé des demandes de M.M. à laquelle elle réclame :
- la contre valeur en francs français au jour du paiement de la somme de 94 820,31 DM et des intérêts de cette somme au taux légal à compter du 31 octobre 1981,
- 500 000 F à titre de dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat,
- 50 000 F au titre de l'article 700.
Cela étant exposé, LA COUR,
Qui se réfère, pour un plus ample exposé des faits et de la procédure au jugement et arrêts susvisés et aux conclusions des parties ;
Sur la loi applicable :
Considérant que le contrat daté du 19 mai 1975 ne contient aucune clause déterminant la loi applicable ; que les conditions générales de vente de Sortimat de même que la convention de La Haye de 1955 ne concernent que les ventes et non la concession d'exclusivité ;
Considérant que les signatures portées au bas du contrat sont précédées, l'une, de la mention " Paris " et, l'autre, de la mention " Winneden-Birmann-Sweiller " de sorte qu'aucune déduction ne peut être sérieusement tirée, quant à l'intention des parties, du lieu de conclusion ni même, compte tenu de l'existence de l'indication de lieux, du fait que l'acte ait été rédigé en langue allemande ;
Considérant que le fait que la correspondance échangée ultérieurement entre les parties l'ait été en langue allemande et que la monnaie de compte ait été le deutschmark n'a pas davantage de signification car ces indices sont liés essentiellement aux ventes ;
Considérant que la France était le " territoire contractuel ", visé par l'article a5, de la concession de distribution exclusive ; que les parties avaient pour obligation essentielle, le concédant, de respecter en France la clause d'exclusivité et, le concessionnaire, de créer maintenir et développer " en France " un système de distribution et de service après vente afin d'assurer la meilleure distribution possible " ; qu'il s'ensuit que c'est vers le lieu d'exécution de ces obligations, la France, que toute l'attente des parties était orientée ; que le litige est dès lors régi par la loi française ;
Au fond :
Considérant qu'il est constant qu'en 1979 et 1980 la Sortimat a vendu directement en France aux quatre sociétés françaises nommément désignées ci-dessus des machines d'une valeur globale de 5 000 000 F ; que M.M. n'a eu connaissance de ces ventes qu'à l'occasion de visites faites par ses représentants aux entreprises dont il s'agit ;
Considérant que Sortimat ne rapporte nullement la preuve de son affirmation concernant les ventes directes faites à la société Index, suivant laquelle il était parfaitement convenu entre les parties que l'exclusivité de la concession de vente accordée par elle à M.M. portait sur ses matériels " à l'exclusion de ceux destinés aux laboratoires pharmaceutiques et aux entreprises ayant un rapport avec le monde médical " ;
Considérant en effet que la seule exception visée par le contrat, qui fait la loi des parties, concerne la société Porquet ; que la phrase raturée se lit : " à l'exception de la région de Lyon et Cluses, correspondant au secteur (sic) ou secteur Millet indiqués sous l'esquisse jointe " ce qui démontre que la question a été clairement réglée par la conclusion du contrat et qu'elle a été réglée par la limitation du nombre des exclusions à une seule, sans aucun sous entendu ni ambiguïté ;
Considérant que l'affirmation de Sortimat suivant laquelle la société Ferco, Mager et Valois " n'auraient pas acheté des matériels Sortimat auprès du concessionnaire français puisque leurs maisons mères, toutes domiciliées en Allemagne régulièrement démarchées et contactées par les représentants et agents commerciaux de Sortimat " est inopérante, le contrat ne contenant aucune disposition particulière en ce qui concerne les filiales françaises de sociétés allemandes ;
Considérant que Sortimat ne rapporte nullement la preuve que M.M. ait accepté le principe d'une commission de 7 % en compensation d'un manque à gagner résultant de quelque vente directe que ce soit opérée par le concédant sur le " territoire contractuel " ; qu'il ne justifie d'ailleurs pas davantage du paiement effectif à M.M. de quelque somme que ce soit au titre de ces commissions ;
Considérant que les ventes directes ainsi opérées au mépris de la clause d'exclusivité constituent autant de fautes d'une extrême gravité qui ont fait disparaître entre les parties la confiance nécessaire à la bonne exécution du contrat et qui justifient la résiliation de celui-ci à la date du 9 juin 1981;
Considérant qu'il ressort des pièces comptables sincères et probantes versées aux débats par M.M. que pour les cinq exercices 1976 / 1977 à 1980 / 1981 la marge bénéficiaire brute réalisée par le concessionnaire sur les produits Sortimat a oscillé entre 31,89 et 29,38 % ; que compte tenu des frais de gestion assumés par le concessionnaire pour assurer l'ensemble de la distribution de ces produits sur le territoire contractuel, le gain manqué par M.M. sur les ventes réalisées directement par le concédant au mépris de la concession d'exclusivité s'établit à la somme indiquée dans le dispositif du présent arrêt ;
Considérant que les bénéfices réalisés par M.M. sur les produits Sortimat au cours des trois derniers exercices se sont élevés globalement à la somme de 1 230 280,40 F à laquelle il convient d'ajouter le gain manqué visé ci-dessus ; que les bénéfices qu'elle a réalisés pour les exercices 1981 / 1982 et 1982 / 1983 sur les produits de remplacements Herbert se sont élevés globalement à 246 693,87 F ; qu'en fonction de ces éléments, le préjudice que lui a causé la résiliation du contrat intervenue par la faute du concédant s'établit à la somme également indiquée ci-dessous;
Considérant qu'il est constant que M.M. est redevable envers Sortimat depuis le 31 octobre 1983 de la somme de 94 820,31 DM au titre des dernières livraisons ; que M.M. ne s'oppose pas à la demande de calcul des intérêts telle que formulée par Sortimat ; que la compensation soit s'opérer de plein droit à la date du présent arrêt, dans les conditions ci-dessus précisées ;
Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M.M. la somme également indiquée dans le dispositif du présent arrêt qu'elle a exposée et qui n'est pas comprise dans les dépens;
Par ces motifs : LA COUR, Prononce la résiliation à la date du 9 juin 1981 du contrat du 19 mai 1975 aux torts exclusifs de la société de droit allemand Sortimat Creuz & Co Gmbh ; Condamne celle-ci à payer à la SA Monde machines : a) 1 500 000 (un million cinq cent mille) F en remboursement du gain manqué sur ventes effectuées en violation de la clause d'exclusivité ; b) 1 000 000 (un million) de F à titre de dommages et intérêts pour résiliation provoquée par la faute du concédant ; c) 20 000 (vingt mille) F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Dit Monde machine redevable envers Sortimat Creuz de la contre valeur en francs français, calculée à la date du présent arrêt, de la somme de 94 820,31 DM et des intérêts de cette somme au taux légal à compter du 31 octobre 1981, la compensation entre les deux dettes s'opérant de plein droit à la date du présent arrêt ; Condamne Sortimat Creuz en tous les dépens de première instance et d'appel ; Dit que la société civile professionnelle Barrier Monin pourra recouvrer directement ceux de ces dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes.