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Décisions

Cass. crim., 11 mai 1987, n° 85-96.240

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ledoux

Rapporteur :

M. Tacchella

Avocat général :

M. Robert

Avocats :

Mes Tiffreau, Choucroy.

Dijon, ch. corr., du 27 nov. 1985

27 novembre 1985

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi commun formé par la SARL M, la SA B , parties civiles, contre un arrêt de la Cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, du 27 novembre 1985, laquelle, sur renvoi après cassation, a débouté lesdites parties civiles de leurs demandes en dommages-intérêts dirigées contre X et la société L, dans le cadre d'une procédure pénale initialement diligentée contre les intéressés du chef de refus de vente ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 37 alinéa 1er a de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que la cour de renvoi a déclaré justifié le refus de X de vendre aux centres distributeurs E. Leclerc, M et B, des articles fabriqués et commercialisés par la société L dont il est président-directeur général, articles griffés Y ;

" aux motifs que " il convient de vérifier si les centres Leclerc concernés présentaient à l'époque du refus de vente (1980) les conditions requises pour distribuer les articles Y dans des conditions satisfaisantes eu égard à la nature de ceux-ci ; que pour ce qui est de la SARL M , qu'il ressort des procès-verbaux de constat dressés (par huissiers) les 23 novembre 1984 et 16 octobre 1985, que les installations intérieures de ce magasin et son aspect extérieur (celui-ci n'a pas changé depuis le procès-verbal de constat du 19 mai 1981) montrent qu'il s'agit en fait sinon d'un " supermarché de l'habillement " du moins d'un magasin à grande diffusion qu'à cet égard, le procès-verbal du 16 octobre 1985 indique que, selon les renseignements du gérant Z, 10 000 articles sont en rayon, que dans le rayon " femme " les articles proposés sont très serrés sur des présentoirs eux-mêmes très rapprochés et qu'un seul présentoir comporte des robes au nombre de 49, certaines ayant une marque, d'autres étant sans marque et " peu attrayantes " ; qu'en ce qui concerne la SA B qu'il ressort du dossier et de photographies versées aux débats, qu'il s'agit du même type de magasin de vêtement à grande diffusion ; qu'en définitive, qu'il apparaît à la Cour que les deux sociétés M et B sont des magasins " Discount " n'offrant pas la même qualité de service et de confort que les boutiques ou magasins traditionnels; que la marque Y qui s'est hissée au niveau de la conception de " haute qualité " ne peut conserver sa notoriété auprès de la clientèle qu'autant que ses articles sont commercialisés dans des locaux jouissant d'un certain prestige ; que les agencements ou installations des deux sociétés en cause et la distribution vulgarisée qu'elles pratiquent ne sont pas de nature à assurer le standing de la marque concernée ; que de surcroît l'on peut retenir la motivation des premiers juges qui ont considéré avec raison que si la société L vendait ses produits aux deux parties civiles " elle n'obtiendrait aucune certitude de marché " pour l'avenir, tout en sacrifiant une partie de son réseau de distribution actuel (lettre du 5 avril 1979 de la direction des Nouvelles Galeries de Dijon, cliente de L faisant part de son profond mécontentement de constater que des articles Y étaient bradés au centre M, magasin Leclerc de Dijon) ; que dès lors, les offres d'achat des deux sociétés, parties civiles, constituaient une demande anormale que X était fondé à refuser " (arrêt attaqué points 8 et 9) ;

" alors que 1°) il incombe au fournisseur poursuivi du chef de délit de refus de vente de rapporter la preuve soit de l'un des faits justificatifs prévu à l'article 37 alinéa 1er a de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, soit d'un contrat licite de distribution sélective ; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a mis en cause ni la bonne foi des acheteurs, ni la licéité de la commande et n'a pas constaté l'existence d'un contrat de distribution sélective ; que dès lors, en déclarant que le refus de vente aurait été justifié par le caractère anormal de la demande et en fondant exclusivement sa décision sur des considérations tirées du mode de distribution précité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" alors que 2°) au surplus, pour caractériser la prétendue demande anormale, la cour d'appel a recherché " si les centres Leclerc concernés présentaient à l'époque du refus de vente (1980) les conditions requises pour distribuer les articles Y dans des conditions satisfaisantes eu égard à la nature de ceux-ci " ; que cependant, pour estimer que les conditions de distribution des articles Y n'auraient pas été satisfaisantes, la Cour d'appel s'est fondée exclusivement, d'une part, sur des constats d'huissiers effectués en 1984 et 1985, décrivant les installations intérieures des magasins Leclerc, d'autre part, sur un constat de 1981, relatif à l'aspect extérieur du magasin, constats bien postérieurs " à l'époque du refus de vente " ; qu'ainsi, la cour d'appel s'est contredite et a violé les textes susvisés " ;

" alors que 3°) au surplus, en se fondant exclusivement sur des constats bien postérieurs " à l'époque du refus de vente ", la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions d'appel des demanderesses qui démontraient " qu'il résulte notamment des constatations effectuées par l'administration au moment des faits, que les magasins en question s'apparentaient à des magasins traditionnels, spécialisés, situés en centre ville, que leur présentation était très satisfaisante, et que tous les services mis à la disposition de la clientèle par les boutiques spécialisées y étaient assurés " (cl. point 2) ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu que la cour de renvoi avait à réexaminer l'action civile mise en mouvement par les deux demanderesses actuelles au pourvoi, l'action publique dirigée contre X ayant été définitivement tranchée par la relaxe de l'intéressé du chef du délit de refus de vente ; que, pour débouter les deux parties civiles de leurs demandes, ladite cour a jugé que les offres d'achat de la SARL M et de la SA B constituaient des " demandes anormales " et qu'ainsi était établi, en faveur de X le fait justificatif prévu par l'article 37 alinéa 1er a de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ;

Attendu que pour déclarer anormales les demandes d'achats d'articles vestimentaires portant la marque Y, formulées par les dirigeants des sociétés M et B auprès de la venderesse, la société L, l'arrêt attaqué énonce que les magasins des deux sociétés, en raison des éléments de fait qu'il précise n'offrent pas les qualités de service, de confort et de prestige que la marque Y, laquelle relève de la confection de haute qualité, est en droit d'exiger, en raison de sa notoriété auprès de sa propre clientèle, pour la commercialisation de ses produits; que de plus si X et la société L avaient donné suite aux demandes d'achat formulées par les deux sociétés parties civiles, ils n'auraient obtenu aucune certitude de conserver pour l'avenir ces clients occasionnels ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations et constatations de pur fait qui ne sauraient comme telles être remises en cause devant la Cour de cassation, la Cour d'appel a pu, sans insuffisance ni contradiction, et sans encourir les autres griefs visés au moyen, qualifier d'anormales les demandes d'achat formulées par les deux parties civiles et faire bénéficier X et sa société du fait justificatif prévu par l'article 37 alinéa 1er a de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 applicable au jour du dommage allégué; que dès lors le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme.

Rejette le pourvoi.