CA Douai, 2e ch. civ., 12 novembre 1987, n° 1100-86
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kittler
Défendeur :
Labo industrie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bononi
Conseillers :
M. Besse, Mme Lemerre
Avoués :
SCP Masurel Thery, Me Quignon
Avocats :
Mes Soland, Ramery.
FAITS ET PROCÉDURE :
Selon un premier acte du 19 novembre 1982, la société anonyme Plasa représentée par son Président, M. Kittler Gérard, passait contrat de fourniture exclusive avec la société Labo Industrie pour l'achat de 107 000 litres de lubrifiants pendant une durée de sept années à compter du 1er septembre 1982.
Par un second acte toujours en date du 19 novembre 1982, le Crédit Lyonnais consentait à la société Plasa un prêt d'un montant de 210 000 F pour une durée de sept ans au taux de 15,95 % l'an remboursable en sept annuités constantes de 51 922,10 F chacune.
Par ailleurs en garantie du contrat de prêt précité, la société Labo Industrie se portait caution des engagements de la société Plasa à l'égard du Crédit Lyonnais.
Par un troisième acte, toujours en date du 19 novembre 1982, la société anonyme Plasa consentait à la société Labo Industrie un nantissement sur du matériel professionnel.
Enfin, par un quatrième acte, toujours en date du 19 novembre 1982, M. Gérard Kittler s'engageait personnellement et solidairement envers la société Labo Industrie à rembourser à cette dernière l'intégralité du prêt personnel consenti par le Crédit Lyonnais, ainsi qu'à rembourser les fournitures de lubrifiants faites par Labo Industrie à la société Plasa si celle-ci venait à rester impayée trente jours après l'échéance prévue.
La société Plasa était d'abord déclarée en règlement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Lille en date du 31 mai 1983, puis en liquidation de biens.
La société Labo Industrie produisait au passif de la société Plasa pour une somme de 243 495,25 F.
Entre temps, le matériel nanti était réalisé pour la somme de 203 229,24 F de telle sorte que la société Labo Industrie sollicitait la condamnation de M. Gérard Kittler à lui payer la somme de 40 265,66 F augmentée des intérêts au taux contractuel.
Il était également sollicité la condamnation de M. Kittler au paiement de la somme de 60 188,61 F correspondant au montant des fournitures faites par la société Labo Industrie à la société Plasa.
Par jugement en date du 7 juin 1985, le Tribunal de commerce de Tourcoing a condamné M. Kittler à payer à la SA Labo Industrie la somme de 40 265,66 F avec intérêts contractuels au taux de 15,95 % à compter du 25 décembre 1983, la somme de 60 188,61 F avec intérêts judiciaire à compter du règlement judiciaire de la société Plasa, la somme de 1 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
M. Kittler a régulièrement interjeté appel de ce jugement ; il demande à la Cour de débouter la SA Labo Industrie de toutes ses prétentions et de la condamner à lui payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Au soutien de son appel, il fait valoir :
1/ que le contrat de fourniture exclusive est nul car il contient une clause permettant au fournisseur de fixer unilatéralement et arbitrairement le prix de vente.
2/ que le contrat de caution est indivisible du contrat de fourniture exclusive de lubrifiants.
3/ que la nullité du contrat de fourniture exclusive entraîne la nullité du contrat de caution.
La SA Labo Industrie demande à la Cour de confirmer le jugement, et y ajoutant, de condamner M. Kittler à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle considère que le contrat de fourniture exclusive prévoit un mode de fixation des prix qui échappe à son arbitraire, et que cette convention est parfaitement valable.
Elle observe que l'appelant ne conteste nullement la validité intrinsèque de son engagement de caution et en déduit que cet engagement doit recevoir application, ainsi qu'en a décidé le tribunal. Subsidiairement elle note que même à supposer que tous les contrats soient annulés, il conviendrait alors de remettre les choses et les parties en leur état antérieur, ce qui nécessiterait que la SA Plasa restitue l'argent prêté et les fournitures reçus, et donc que M. Kittler, en sa qualité de caution, garantisse ces obligations de restitution.
DISCUSSION :
Sur la validité du contrat de fourniture exclusive :
Pour soutenir la nullité du contrat de fourniture exclusive de lubrifiants, l'appelant s'appuie sur les clauses suivantes :
" La facturation de ces marchandises s'effectuera aux conditions générales de vente de la société Labo Industrie, et au prix porté sur le tarif actuel dont l'acheteur reconnaît avoir pris connaissance ".
Il en déduit l'argumentation suivante :
" Il résulte de toute évidence de cette clause que le prix de vente des lubrifiants dépendait uniquement de la société Labo Industrie, puisque les prix étaient fixés sur son tarif.
" La clause susvisée constitue donc une clause nulle et de nul effet comme étant une clause potestative (article 1170 du code civil).
" De surcroît le contrat de fourniture exclusive de lubrifiants est nul et de nul effet pour indétermination du prix des livraisons, conformément à la jurisprudence fermement établie (article 1129 du code civil).
" Cette jurisprudence particulièrement abondante a été amenée à prononcer la nullité des contrats de fourniture de bières pour indétermination du prix des livraisons, ou à raison du carctère potestatif des clauses relatives au prix des livraisons successives.
" La Cour ne pourra donc que prononcer la nullité de la convention d'approvisionnement exclusif auprès de la société Labo Industrie ".
Il apparaît que la clause ainsi visée par l'appelant ne concerne que la fixation du prix des lubrifiants au moment du contrat de fourniture exclusive ; à ce moment, le prix ne pouvait être déterminé que par l'offre du vendeur (à son tarif actuel) acceptée par l'acheteur.
La difficulté provient en fait de la détermination du prix dans l'avenir, ce prix ne pouvant être considéré comme déterminable que si sa fixation échappe à la volonté des parties, et résulte d'éléments objectifs. C'est l'objet de la clause suivante du contrat, non visée par l'appelant, et qui stipule :
" Toutefois, en raison du caractère exceptionnel du présent contrat, sous les réserves et dans la limite maxima de la réglementation en vigueur, il est expressément convenu que chacun des prix sus indiqués variera dans une proportion égale à la moyenne des pourcentages de hausse ou de baisse pratiqués à compter de ce jour par les trois plus importantes sociétés de vente de lubrifiant sur le marché français, sur leurs huiles de marque en bidons de 2 litres telles qu'elles figurent sur leurs tarifs imprimés qui sont diffusés à la clientèle garagiste et qui servent de base à la facturation des lubrifiants vendus à celle-ci, les ristournes et rabais éventuels n'étant pas pris en compte pour l'application de la présente clause. Pour les sociétés les plus importantes, il faut entendre celles qui, raffineurs ou non, sont adhérentes au Centre Professionnel des lubrifiants, émettent un tarif " huiles de marque " et auront possédé le capital nominal le plus élevé à la clôture de leur exercice précédant l'expiration de chaque période annuelle du présent contrat. "
L'analyse de cette clause montre que le prix de vente des lubrifiants est fixé par référence aux prix consentis par les 3 plus importantes sociétés de vente de lubrifiants sur le marché français.
Il s'agit d'une référence qui échappe totalement à la volonté de l'une ou l'autre des parties.
En outre la clause précise de manière objective ce qu'il faut entendre par les 3 plus importantes sociétés de lubrifiants, en indiquant les critères à prendre en compte pour leur identification.
L'appelant a plaidé à ce sujet que la clause serait inapplicable parce qu'il n'est pas précisé qui est le " Centre Professionnel de lubrifiants ", et parce qu'il n'est pas démontré que toutes les sociétés de vente de lubrifiants diffusent des tarifs imprimés à leur clientèle garagiste. Cependant M. Kittler ne démontre pas, comme il lui incombe, la pertinence de ses observations. Elles doivent donc être rejetées.
L'examen de la clause litigieuse fait apparaître qu'elle prévoit un mode de fixation du prix par référence à des éléments extérieurs aux parties, objectifs et précis, ne laissant aucune possibilité à la SA Labo Industrie de fixer le prix unilatéralement ou arbitrairement, même si la recherche est malaisée, la détermination du prix indépendamment de la volonté des particuliers, ce qui a pour effet de rendre la convocation conforme aux dispositions de l'article 1129 du code civil.
En outre, cette convention n'est soumise à aucune condition, si bien que l'article 1170 n'a aucune vocation à s'appliquer en l'espèce.
Les moyens soulevés par l'appelant pour faire prononcer la nullité du contrat de fourniture exclusive de lubrifiants ne sont pas pertinents. Ce contrat doit donc être déclaré valable.
Sur le lien entre les conventions :
Le jugement est également critiqué en ce qu'il a noté dans ses motifs : " la convention passée entre le Crédit Lyonnais et la société Plasa est une convention de prêt. Celle passée entre la société Labo Industrie et la société Plasa est une vente. Ces deux obligations sont distinctes ".
Cette motivation est effectivement condamnable, dans la mesure où les 4 conventions passées le même jour concourent à une opération économique unique et se trouvent donc liées.
Sur l'obligation de M. Kittler :
La validité intrinsèque de l'engagement de caution de M. Kittler n'est pas contestée. Le contrat doit recevoir application et l'appelant doit rembourser à la SA Labo Industrie les sommes qu'elle a versées au Crédit Lyonnais en sa qualité de caution, ainsi que la valeur des fournitures faites à la société Plasa.
Ces sommes ne sont pas contestées.
Il échet de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Sur les demandes de dommages et intérêts et les dépens :
La SA Labo Industrie qui ne produit aucune justification pertinente à l'appui de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, ne caractérise pas les circonstances qui auraient fait dégénérer en abus le droit pour M. Kittler d'ester en justice ; elle doit en conséquence être déboutée de ce chef de demande ;
En ce qui concerne l'indemnité à allouer à la SA Labo Industrie sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la Cour juge équitable de confirmer la somme de 1 000 F accordée en première instance, et de condamner M. Kittler à lui payer en outre la somme de 2 000 F pour tenir compte des frais irrépétibles entraînés par l'appel ;
M. Kittler qui succombe supportera les dépens d'appel sans pouvoir prétendre à indemnité pour ses frais personnels.
Par ces motifs, Donne acte à la SCP Masurel Thery, avoués, de ce qu'elle déclare reprendre l'instance aux lieu et place de Me Masurel. Confirme le jugement. Y ajoutant, Déboute la société Labo Industrie de sa demande de dommages et intérêts et M. Kittler de sa demande d'indemnité pour frais personnels. Condamne M. Kittler à payer à la SA Labo Industrie la somme de 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Condamne M. Kittler aux dépens d'appel et autorise Me Quignon à les recouvrer dans la mesure prévue par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.