CA Versailles, 12e ch., 9 décembre 1987, n° 6976-86
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Xylocure France (Sté)
Défendeur :
Caillard
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Delattre
Conseillers :
MM. Forger, Bonnecaze
Avoués :
Me Lambert, SCP Jullien, Lecharny
Avocat :
Me Malbo.
Faits et procédure
La société Xylocure France qui a pour objet la fabrication, l'achat et la vente de produit destinés au traitement des bois a conclu avec Madame Caillard le 21 décembre 1982 un contrat de franchise aux termes duquel, il était concédé à celle-ci la licence d'usage et d'exploitation du procédé de traitement de charpente dénommé " Xylocure " avec exclusivité sur le département de l'Essonne, moyennant un droit d'entrée de 15 000 F en contrepartie duquel la Société lui fournissait l'utilisation de l'enseigne Xylocure, une assistance technique, et commerciale, la fourniture de moyens publicitaires de matériel, une formation et une remise de 50 % sur les tarifs publiés pour ses achats ;
De son côté, le franchisé s'engageait à n'utiliser ni distribuer aucun autre produit, à verser une redevance mensuelle de 5 % du chiffre d'affaires total hors taxe, à ne résilier le contrat renouvelable d'année en année par tacite reconduction qu'après une période d'un an avec un préavis de trois mois, à maintenir ses commandes pour la période restant à courir si une résiliation intervenait en cours d'année, à consacrer tout son travail à la promotion des produits Xylocure à leur bon renom, et à se conformer aux directives du franchiseur ;
Le contrat litigieux a été exécuté du 21 décembre 1982 au 28 décembre 1984, date à laquelle la dame Caillard a, suivant lettre recommandée avec AR invoqué la résiliation aux torts exclusif du franchiseur.
Ayant réclamé à la Société Xylocure France la restitution du droit d'entrée de 15 000 F ainsi que de l'ensemble des redevances mensuelles qui ont été versées à hauteur de 22 437 F et le paiement d'une somme de 250 000 F de dommages et intérêts pour le préjudice retiré de la mauvaise exécution du contrat, la dame Caillard a saisi le Tribunal de Commerce de Pontoise, que, par jugement du 17 juin 1986, a :
- Condamné la Société Xylocure France à payer à Madame Caillard la somme de 17 790 F TTC au titre de la restitution du droit d'entrée et la somme de : 22 437 F hors taxes au titre de la restitution des redevances,
- Déclaré Madame Caillard mal fondée en sa demande de dommages et intérêts, l'en a déboutée,
- Déclaré la Société Xylocure France partiellement fondée en sa demande reconventionnelle,
- Condamné Madame Caillard à payer à la Société Xylocure France la somme de 46 027 F avec intérêts légaux calculés sur chaque traite acceptée au titre de vente de marchandises, ce, à compter de la date d'échéance.
- Débouté la Société Xylocure France du surplus de ses demandes.
- Condamné la Société Xylocure France à payer à Madame Caillard la somme de : 2 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les premiers juges ont retenu que, pour avoir la qualité de franchiseur, il est nécessaire que l'entreprise franchisante soit propriétaire d'une technique d'un savoir-faire et d'une ligne de produits originaux,
Que le caractère d'originalité est donc indétachable du procédé objet de la franchise et qu'il y a erreur sur la substance même du contrat dès lors que le produit objet de la franchise devient accessible à tous en tombant dans le domaine public,
Qu'en l'espèce, le brevet déposé à l'INPI le 11 avril 1972 relatif au procédé de traitement de charpente a fait l'objet d'une déchéance le 31 décembre 1979 et que, par ailleurs, la marque Xylocure déposée le 8 mars 1973 n'a pas été renouvelée à l'expiration du délai décennal de protection,
Qu'en conséquence, la seule inexistence d'une marque déposée et enregistrée, établit la tromperie et l'erreur de la chose objet du contrat.
Régulièrement appelante, la Société Xylocure France prie la Cour :
De déclarer que la résiliation unilatérale de la part de Madame Caillard, est intervenue sans motif et de façon abusive
De la condamner à payer à la Société Xylocure France la somme de 67 938 31 F avec intérêts de droit ;
De la condamner à payer à la Société Xylocure France la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial qui lui est causé, compte tenu notamment du fait que Madame Caillard continue à exercer au même domicile des activités concurrentes ;
De la condamner, enfin, à lui payer la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Pour ce faire, la Société Xylocure France soutient :
- que la Société Xylocure France dispose bien conformément au Code européen de la franchise, d'une raison sociale, d'un nom commercial, d'une marque qui est répertoriée, d'une produit spécifique avec un savoir-faire particulier adopté par tous les franchisés et décrit dans une abondante documentation d'un magasin pilote ;
- que le procédé de fabrication du produit Xylocure a fait l'objet d'un nouveau dépôt de brevet en date du 8 septembre 1981 ainsi qu'en atteste le certificat d'utilité remis par l'INPI et que la marque Xylocure reste répertoriée à l'Institut National de la propriété industrielle, comme étant, seule, antérieure ;
- Qu'en connaissance, Madame Caillard n'a pas pu commettre d'erreur sur l'objet du contrat.
La Dame Caillard, quant à elle, demande à la cour, par voie d'appel incident, de débouter la Société Xylocure France de l'ensemble de ses demandes et de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont déclaré nul et de nul effet, le contrat intervenu entre la Société Xylocure France et Madame Marie-José Caillard ;
- En conséquence, remettre les parties en l'état où elles se trouvaient au moment de la signature de la convention litigieuse ;
- Condamner la Société Xylocure France au remboursement de la somme de 17 790 F au titre de la restitution de son droit d'entrée et à la somme de 22 437 F HT, correspondant aux redevances mensuelles indûment payées.
- Condamner la Société Xylocure France au paiement de 250 000 Frs, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par Madame Caillard du fait de la signature et de l'exécution des conventions litigieuses, outre celle de 7 000 F, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile .
Pour se faire, la dame Caillard soutient :
- Que son consentement s'est trouvé vicié par suite d'une erreur sur la chose objet du contrat,
- Que le contrat de franchise suppose la transmission d'un savoir-faire, mis à la disposition du franchisé, moyennant une redevance,
- Qu'en l'espèce, il n'existe aucun " savoir-faire original, qu'il s'agisse du produit ou de la méthode de commercialisation ".
Qu'il ressort des documents contractuels, que " Xylocure France " assure en particulier la promotion du procédé breveté diffusé sous la marque Xylocure, procédé qui a pour principe le traitement des bois, par injection sous pression.
- Qu'il n'est pas contestable que la Société Xylocure France ait indiqué que le procédé était breveté, et que la marque " Xylocure " était protégée.
- Qu'il résulte des documents produits par Madame Caillard, que le brevet déposé à l'INPI, le 11 avril 1972, relatif au procédé de traitement des charpentes, a fait l'objet d'une déchéance le 31 décembre 1979.
- Qu'au surplus, dans le cadre du contrat de franchise, la marque Xylocure déposée le 8 mars 1973, n'a pas été renouvelée à l'expiration du délai décennal de protection,
- Qu'en toute hypothèse, la Société Xylocure France ne pouvait ignorer que la marque qu'elle licenciait n'avait pas été déposée à son nom, mais à celui de Monsieur Ambos en 1973,
- Que la Société Xylocure France était également parfaitement conscience que le brevet dont elle faisait état, et dont elle fait encore aujourd'hui état, était déposé sous le nom de Monsieur Koestner et non sous le sien.
- Qu'en conséquence, c'est délibérément, qu'elle a eu la volonté de tromper son cocontractant.
- Que dans le cadre d'un contrat de franchise, le caractère d'originalité étant indétachable du procédé, il y a donc erreur et dol sur la substance même du contrat, dès lors que le produit objet de la franchise, serait accessible à tous en tombant dans le domaine public.
- Qu'il apparaît que le franchiseur était inapte à assurer le développement d'une chaîne de franchise .
- Qu'il convient de relever, par ailleurs, que le produit Xylocure était déficient étant donné que la cartouche " Xylocure " contient un gaz sous pression qui s'en échappe imperceptiblement la rendant de la sorte, inutilisable au bout de six mois.
- Que le franchiseur s'est, en outre, rendu coupable de concurrence déloyale en faisant, lui-même concurrence à la chaîne des franchisés.
- Qu'en effet, le directeur commercial de Xylocure France a eu des responsabilités au sein d'une Société Odim qui commercialise un produit et un procédé similaire Xylinjector, directement concurrent du procédé Xylocure
- Qu'en ce qui concerne la demande reconventionnelle, dès lors que son cocontractant ne respectait pas ses engagements, la dame Caillard était fondée à ne pas remplir les obligations mises à sa charge par le contrat de franchise et à dénoncer celui-ci par lettre recommandée AR du 28 décembre 1984.
Discussion
Considérant que, suivant contrat du 21 décembre 1982, la Société Xylocure France qui a pour activité la vente de produits destinés au traitement des bois de charpente et qui assure, en particulier, la promotion du procédé breveté diffusé sous la marque Xylocure consistant à traiter les bois par injection sous pression, a conclu un contrat de franchise, avec la dame Caillard aux termes duquel elle lui a concédé la licence d'usage et d'exploitation dudit procédé en tant que franchisé de cette marque.
Considérant qu'un tel contrat impliquait pour l'entreprise franchisante l'existence de droits exclusifs sur une ligne de produits et de services offerte d'une manière originale et spécifique exploitée selon des techniques commerciales prédéterminées, sous une marque définie laquelle est un des éléments, en fonction duquel le franchisé accepte le contrat ; que, du reste, pour mettre en évidence l'importance attachée par celui-ci à la marque, il est bien précisé que l'activité du franchisé dans le cadre des présents accords, aura pour objet la distribution du procédé de traitement des bois " Xylocure "
Considérant que, si le brevet afférent au procédé de traitement des bois par injection sous pression a fait l'objet d'un certificat d'utilité du 8 septembre 1981 délivré à Xylocure France qui, en l'état de la cause, ne permet pas de suspecter les droits de cette société sur celui-ci, il est relevé par contre, que le dépôt de la marque Xylocure intervenu le 8 mars 1973 n'a pas été renouvelé.
Considérant que la Société Xylocure qui produit, à ce sujet, un certificat d'identité de l'Institut National de la Propriété Industrielle du 9 juillet 1985, selon lequel " la marque enregistrée susvisée n'a fait l'objet d'aucune inscription sur le registre national des marques ", non seulement n'établit pas, de la sorte, que la marque est toujours indisponible, mais ne prouve même pas, par un tel document, l'existence de ses droits, sur cette marque dont le titulaire est mentionné comme étant sieur " Edmond Ambos, industriel français demeurant à Riedisheim exerçant commerce à l'enseigne Distri-Self. "
Considérant que, quoi qu'il en soit, il est impérativement posé par la loi du 31 décembre 1964 article 9 que la marque produit ses effets pendant dix ans et que la propriété de celle-ci peut être conservée indéfiniment par dépôts successifs.
Considérant que, dès lors que la Société Xylocure n'est pas en mesure de justifier qu'elle a opéré un nouveau dépôt à l'expiration de la période décennale, le 8 mars 1983, la marque qui au surplus, n'est pas notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris, est devenue sans protection juridique, même si son titulaire a continué à en faire usage ; qu'ainsi à compter du 8 mars 1983, la marque a perdu une de ses qualités substantielles déterminante de l'accord du franchisé qui était d'autant plus enclin à se prévaloir de l'indisponibilité de celle-ci, qu'il se voyait, en contrepartie, interdire formellement d'utiliser ou de distribuer les produits d'une autre marque.
Considérant que s'il n'y a donc pas eu erreur sur la substance de la chose qui en est l'objet, au moment où le contrat s'est formé le 22 décembre 1982, par contre, la disparition d'un élément essentiel de l'engagement du franchisé intervenue le 8 mars 1983, constitue une cause de résiliation du contratà compter de cette date, comme le demande, à titre subsidiaire, la dame Caillard.
Considérant que, tenant compte de la brève période durant laquelle le contrat a subsisté, la Société Xylocure France doit restitution à la dame Caillard de la totalité des droits d'entrée soit 17 790 F TTC et du montant des redevances encaissées s'élevant à 22 437 F HT, la Société Xylocure France qui, par sa carence coupable, a omis de renouveler la marque, ne pouvant se prévaloir, et ne le faisant du reste pas, de la clause du contrat qui prévoit que " ... si le contrat est annulé, pour quelque raison que ce soit, en cours d'année, les commandes restent valables pour la période restant à courir, sauf accord avec la Société ... "
Considérant que la Dame Caillard ne justifie, ni n'explicite, le préjudice invoqué par elle à la suite de la résiliation du contrat et que c'est à juste titre, que les premiers juges ont rejeté sa demande de dommages et intérêts formulée de ce chef.
Considérant que, de son côté, la Société Xylocure, aux torts de laquelle se trouve prononcée la résiliation de ce contrat ne peut prétendre une indemnisation quelconque, née de la rupture des relations contractuelles qu'elle a provoquée.
Considérant, par contre, qu'il lui est dû paiement de la somme de 46 027 F représentant le montant de trois lettres de change tirées en paiement de fournitures de marchandises dont la réalité n'est pas contestée, la Société Xylocure ne produisant pas de justifications valables quant au montant d'un solde antérieur de 21 911,31 F réclamé par ailleurs, le relevé de compte tiré de ses propres écritures assorti du duplicata dactylographié de factures, versé aux débats par la Société Xylocure étant insuffisant pour établir l'existence d'une telle créance.
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties, les frais non répétibles de procédure exposés par elle en cause d'appel
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Réformant le jugement déféré, Prononce la résiliation du contrat conclu le 21 décembre 1982 entre la dame Caillard et la Société Xylocure France aux torts de cette dernière à compter du 8 mars 1983, Confirme pour le surplus la décision entreprise, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la Société Xylocure France aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement pour ceux la concernant par la SCP d'Avoués Jullien et Lecharny conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.