CJCE, 6e ch., 8 mars 1988, n° 9-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Arcado (Sprl)
Défendeur :
Haviland (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Due
Avocat général :
Sir Gordon Slynn
Juges :
MM. Koopmans, Bahlmann, Kakouris, O'Higgins
Avocats :
Mes Van de Wiele, Ralet, de Dorlodot
LA COUR (sixième chambre),
1 Par arrêt du 11 septembre 1986 parvenu à la Cour le 16 janvier 1987, la Cour d'appel de Bruxelles a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après "Convention"), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 5, point 1, de la Convention.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige survenu à propos de l'exécution d'un contrat d'agence commerciale autonome par lequel la SA Haviland, dont le siège social est à Limoges (France), avait confié à la SA Agecobel, sise en Belgique, la vente d'articles de porcelaine pour la Belgique et le Luxembourg.
3 A la suite de la résiliation du contrat par Haviland, Agecobel a assigné Haviland le 13 novembre 1978, devant le tribunal de commerce de Bruxelles en paiement d'une indemnité pour résiliation abusive et d'un solde de commissions. Haviland a excipé de l'incompétence ratione loci du tribunal en soutenant que la base de l'action en paiement d'une indemnité était un quasi-délit accompli au lieu depuis lequel la résiliation avait été notifiée, c'est-à-dire à son siège social.
4 Par jugement du 26 mai 1982, le tribunal a rejeté cette exception d'incompétence en considérant que le litige avait une origine contractuelle et qu'il était donc compétent en vertu de l'article 5, point 1, de la Convention. Par jugement du 22 juin 1983, le tribunal a condamné Haviland au paiement d'une indemnité pour rupture brutale et intempestive du contrat, d'une part, et d'arriérés de commissions, d'autre part, faisant droit à la demande reconventionnelle formée par Haviland, il a condamné, en outre, Agecobel au paiement d'un solde sur factures et ordonné la compensation.
5 Agecobel a interjeté appel devant la Cour d'appel de Bruxelles, afin d'obtenir la majoration de l'indemnité allouée et la condamnation de Haviland au paiement des intérêts judiciaires. Formant appel incident, Haviland a invoqué l'article 5, point 3, de la Convention pour contester la compétence des tribunaux belges. Par acte déposé au greffe de la Cour d'appel le 5 juin 1985, la Sprl Arcado, de siège belge, qui a succédé aux droits de Agecobel, a repris l'instance introduite par celle-ci.
6 La Cour d'appel a considéré que, si la contestation relative au paiement de commissions confère au litige un caractère contractuel évident, il était toutefois nécessaire de déterminer si la demande d'indemnité pour rupture brutale et intempestive du contrat relève de la notion de matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la Convention, selon l'interprétation autonome de cette notion.
7 Aussi la Cour d'appel a-t-elle décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
"Un litige relatif à la rupture abusive d'un contrat d'agence commerciale (autonome) et au paiement de commissions dues en exécution de ce contrat est-il un litige en matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ?"
8 Pour un plus ample exposé des faits, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour par les parties au principal, la Commission, le gouvernement de la République italienne, le gouvernement du Royaume-Uni, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
9 L'article 5, point 1, de la Convention dispose, par dérogation à la règle de compétence générale édictée par l'article 2, alinéa 1, de la Convention, que :
"le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant :
1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée "
10 Comme l'a jugé la Cour dans son arrêt du 22 mars 1983 (Peters/Znav, 34/82, rec. p. 987), la notion de matière contractuelle sert de critère pour délimiter le champ d'application d'une des règles de compétences spéciales ouvertes au demandeur. Compte tenu des objectifs et de l'économie générale de la Convention, il importe, en vue d'assurer dans la mesure du possible l'égalité et l'uniformité des droits et obligations qui découlent de la Convention pour les États contractants et les personnes intéressées, de ne pas interpréter cette notion comme un simple renvoi au droit interne de l'un ou de l'autre des États concernés.
11 Dès lors, il y a lieu de considérer la notion de matière contractuelle comme une notion autonome qu'il faut interpréter, pour l'application de la Convention, en se référant principalement au système et aux objectifs de ladite Convention, en vue d'assurer à celle-ci sa pleine efficacité.
12 Il ne fait aucun doute qu'une demande de paiement de commissions dues en vertu d'un contrat d'agence commerciale autonome a pour fondement même ce contrat et relève par conséquent de la matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la Convention .
13 La même solution doit être retenue en ce qui concerne une demande de versement d'une indemnité compensatoire pour rupture abusive de ce même contrat, étant donné que cette indemnité trouve sa base dans le non-respect d'une obligation contractuelle.
14 Pour ce qui concerne plus particulièrement le droit à un préavis de l'agent commercial indépendant, sa nature contractuelle, et, par conséquent, celle de l'indemnité compensatoire de préavis, a été en effet consacrée par les articles 15 et 17 de la directive 86/653 du conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO L 382, p. 17) .
15 En outre, l'article 10 de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles du 19 juin 1980 (JO L 266, p. 1) vient confirmer la nature contractuelle d'une action judiciaire comme celle en cause en ce qu'il englobe dans le domaine de la loi applicable au contrat les conséquences de l'inexécution totale ou partielle des obligations qu'il engendre, et par conséquent la responsabilité contractuelle de la partie à laquelle l'inexécution est imputable.
16 Il y a donc lieu de répondre à la question posée par la juridiction nationale qu'un litige relatif à la rupture abusive d'un contrat d'agence commerciale autonome et au paiement de commissions dues en exécution de ce contrat est un litige en matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la Convention du 27 septembre 1968 .
Sur les dépens
17 Les frais exposés par le gouvernement de la République italienne, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Bruxelles, par arrêt du 11 septembre 1986, dit pour droit :
Un litige relatif à la rupture abusive d'un contrat d'agence commerciale autonome et au paiement de commissions dues en exécution de ce contrat est un litige en matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.