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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 28 avril 1988, n° 86-003906

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dammarie Distribution (Sté)

Défendeur :

Biotherm (Sté), Biotherm Distribution (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

Mme Beteille, M. Gouge

Avoués :

Mes Lecharny, Bolling

Avocats :

Mes Jousset, Henriot.

TGI Paris, du 13 janv. 1986

13 janvier 1986

Faits et procédure de première instance :

Par contrat du 4 janvier 1983, la société Biotherm concédait à la société Biotherm Distribution l'exclusivité de la distribution dans divers pays, notamment la France, des produits de beauté et de toilette distingués par la marque Biotherm dont elle est propriétaire depuis 1957.

Par exploit du 25 juin 1984 lesdites sociétés assignaient devant le Tribunal de Grande Instance de Paris la société Dammarie Distribution qui exploite à Dammarie les Lys un hypermarché à l'enseigne Leclerc et qui s'approvisionne auprès du Galec (Groupement d'Achat des Centres Leclerc).

L'acte introductif d'instance énonçait que les produits Biotherm sont commercialisés par des distributeurs agréés par la société Biotherm Distribution et qui seuls peuvent les offrir à la vente ; que ces revendeurs ont signé un contrat leur imposant un certain nombre de conditions propres à préserver l'image de marque de Biotherm ; que néanmoins la société Dammarie Distribution, à l'occasion de l'ouverture de l'hypermarché de Dammarie les Lys, avait annoncé la mise en vente de produits Biotherm, celle-ci s'accompagnant d'une importante publicité faite à l'échelon national sous le nom d'Édouard Leclerc et faisant usage de la marque Biotherm, alors qu'elle n'avait pas la qualité de distributeur agréé et ne l'avait du reste pas sollicitée, la demande des conditions générales présentée à Biotherm Distribution par la Galec à trois reprises ayant été tenue pour irrecevable car n'émanant pas d'un point de vente ; que la société Dammarie Distribution n'avait pu s'approvisionner en produits Biotherm qu'auprès d'un distributeur agissant en violation des dispositions de son contrat.

Les sociétés Biotherm imputaient à Dammarie Distribution un usage illicite et une contrefaçon ayant porté atteinte au pouvoir attractif de leur marque, leur préjudice étant aggravé par les déficiences de la présentation, constatées par huissier, des produits Biotherm. Elles invoquaient en outre la loi du 10 janvier 1973, article 30, pour incriminer un usage dolosif de la marque Biotherm car la publicité parue dans France Soir et le Parisien Libéré annonçait la mise en vente du produit spécial rides Biotherm qui, selon un constat du 23 février 1984, n'était pas ce jour-là offert en vente dans l'hypermarché de Dammarie. Enfin, il était fait grief à Dammarie Distribution d'une concurrence déloyale par mise en vente de produits juridiquement indisponibles.

Des mesures de protection et de réparation étaient demandées.

La défenderesse ayant soulevé l'incompétence du Tribunal de Grande Instance de Paris au profit du Tribunal de Commerce de Melun, l'exception était déclarée recevable mais non fondée par jugement du 11 mars 1985.

Au fond, la société Dammarie Distribution concluait au débouté, contestant toute atteinte à la marque puisqu'elle vendait de véritables produits Biotherm et soutenant qu'on ne pouvait lui reprocher un usage dolosif de marque et des actes de concurrence déloyale dès lors que le refus de vente était injustifié. En outre, elle faisait valoir que la marque Biotherm était descriptive et ne pouvait donc bénéficier de la protection de la loi du 31 décembre 1964 ; que d'autre part la preuve de l'existence des contrats de distribution sélective n'était pas rapportée ;

Le jugement critiqué :

Par son jugement du 13 janvier 1986, le Tribunal de Grande Instance de Paris a entre autres dispositions :

- déclaré valable la marque Biotherm déposée le 30 juillet 1977 par la société Biotherm et enregistrée sous le numéro 603734,

- dit que la société Dammarie Distribution a fait un usage illicite de la marque Biotherm appartenant à la société Biotherm et concédée à la société Biotherm Distribution en vendant des produits Biotherm sans l'autorisation de ces sociétés,

- constaté que la société Dammarie Distribution n'a pas la qualité de distributeur agréé des produits Biotherm et qu'elle n'a jamais sollicité elle-même cette qualité,

- dit qu'en violation des droits des sociétés Biotherm la société Dammarie Distribution a acquis en vue de la revente, mis en vente et revendu des produits de marque Biotherm,

- fait défense à Dammarie Distribution de faire usage de la marque Biotherm à compter de la signification du jugement et ce sous astreinte,

- ordonné la saisie, la confiscation et la remise à Biotherm Distribution du stock de produits Biotherm détenu par Dammarie Distribution au jour de la signification du jugement et ce à titre de dommages-intérêts complémentaires,

- condamné Dammarie Distribution à payer aux sociétés Biotherm une indemnité de 150.000 F et la somme de 10.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- autorisé les sociétés Biotherm à faire publier le dispositif du jugement par extraits ou in extenso dans trois journaux ou revues de leur choix et aux frais de la société Dammarie Distribution sans que le coût global des insertions mis à la charge de celle-ci puisse excéder 15.000 F.

L'appel :

Appelante du jugement par déclaration du 4 février 1986, la société Dammarie Distribution demande à la Cour de surseoir à se prononcer sur l'appel jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la plainte avec constitution de partie civile déposée entre les mains du Doyen des juges d'instruction de Nanterre et qui, fondée sur les articles 419-2° du Code pénal, 7, 17 et 34 de la loi du 1er décembre 1986, incrimine le système de distribution agréative que les sociétés Biotherm ont mis en place et défendeur.

Sur le fond, l'appelante conclut à l'infirmation de la décision déférée en reprenant son argumentation de première instance sur la nullité de la marque et sa contestation de l'usage illicite de marque et de tout acte de concurrence déloyale en l'absence de preuve de l'existence, de la généralité et de la licéité des contrats de distribution sélective.

Intimées, les sociétés Biotherm et Biotherm Distribution concluent au rejet de l'exception de sursis à statuer et au fond à la confirmation du jugement attaqué, priant la Cour d'y ajouter en leur allouant, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une somme supplémentaire de 15.000 F ;

Sur ce, LA COUR,

Qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel.

Sur le sursis à statuer :

Considérant que les premiers juges, qui n'étaient pas saisis de l'exception, ont dans leur discussion au fond très exactement observé que la société Dammarie Distribution n'avait pas sollicité un contrat de distributeur agréé et qu'elle n'avait du reste pas d'existence quand la société Biotherm Distribution avait reçu du Galec des demandes d'envoi des tarifs et conditions générales de vente ;

Considérant cependant que la plainte déposée entre les mains du Doyen des juges d'instructions de Nanterre l'a été non par le Galec mais par la société Dammarie Distribution ;

Considérant que les éléments soumis à son appréciation mettent la Cour en mesure de relever que par sa constitution de partie civile l'appelante a provoqué l'ouverture d'une information relative à un refus de vente qui, à le supposer tombant sous le coup de la loi pénale, fut opposé non à elle-même mais à une autre personne morale ; que si au mépris de la règle " nul ne plaide par procureur ", elle s'est substituée au Galec dans la position de victime, c'est à l'évidence pour appuyer l'exception fondée sur l'article 4 du Code de procédure pénale sur une identité prétendue des parties qui n'est qu'apparence et en définitive conduire une manœuvre purement dilatoire ;

Considérant que l'exception, qui tend à un dévoilement du principe " le criminel tient le civil en état ", sera par suite rejetée ;

Sur la demande en nullité de la marque Biotherm :

Considérant qu'il est soutenu par l'appelante que la marque litigieuse ne répond pas aux exigences de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 car elle est composée exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit, le terme bio qui se rapporte à la vie et le mot " therm " qui a trait à l'origine thermale étant associés pour décrire des produits dont les qualités favorables à la vie de l'épiderme tiennent à l'emploi de plancton thermal de la station de Moligt les Bains ;

Considérant que le radical "bio " (en grec " vie ") est trop général pour avoir un quelconque pouvoir descriptif ; que la désinence " therm " ne s'identifie à aucun mot de la langue française et peut évoquer aussi bien la chaleur (radical thermo) que les eaux curatives (thermes) ; que l'union du vague et de l'équivoque ne suggère, dans l'ensemble " Biotherm ", aucun type de produits et en particulier ne saurait faire penser à ceux utilisés pour le traitement de l'épiderme ;

Que Biotherm est en définitive un héologisme que son caractère arbitraire rend apte à constituer une marque qui tire en outre sa distinctivité d'un usage ancien lui ayant conféré une réputation indiscutable ;

Considérant que la marque Biotherm est par suite valable, les premiers juges ayant à bon droit débouté Dammarie Distribution de sa demande en nullité ;

Sur l'atteinte à la marque et la concurrence déloyale :

Considérant que les écritures de l'appelante ne contiennent aucun moyen propre à invalider les motifs ayant conduit les premiers juges à reconnaître l'existence, la généralité et la licéité du réseau de distribution sélective constitué par les sociétés Biotherm ; qu'il suffira d'ajouter ou rappeler :

- que les produits Biotherm n'entrent pas dans la catégorie des produits dits parapharmaceutiques et que leur mode de distribution n'encourt pas le grief d'avoir eu pour objet un soutien aux prétentions monopolistiques des pharmaciens d'officine en matière de parapharmacie ; qu'au reste, ils ne sont pas présents dans toutes les pharmacies et le sont en revanche dans de nombreuses parfumeries et dans des grands magasins,

- que concernant les soins du corps, ils ont une image " haut de gamme ", les pièces mises aux débats montrant qu'ils voisinent dans les grands magasins avec les parfums de notoriété mondiale (Chanel, Lancôme, etc.) ; que leurs prix, sans être aussi élevés que ceux de ces derniers, en font des produits de luxe,

- que le système de distribution sélective est dès lors justifié dans la mesure où, établi sur des critères objectifs de qualité tendant à préserver l'image de marque des produits Biotherm, il laisse le champ libre à la concurrence et à la liberté des prix ;

- que selon le contrat-type, le point de vente agréé doit répondre à diverses exigences tenant tant à sa localisation et à son installation qu'à la compétence du personnel et à l'offre des produits pour lesquels sont formulées des exigences de variété et de fraîcheur tandis que Biotherm fournit une assistance dans la formation du vendeur et dans la mise en valeur du produit,

- que le nombre de points de vente dépasse 5.000, un constat dressé en novembre 1985 faisant apparaître que tous les détaillants se voient proposer le même contrat ;

- que dans le secteur des produits de beauté, plusieurs marques de réputation bien assise concurrencent Biotherm qui ne jouit pas d'une position dominante,

- que dans la Seine et Marne où l'appelante a ouvert son hypermarché Leclerc, il y avait 76 distributeurs Biotherm en novembre 1985,

- que la pratique par les sociétés Biotherm d'un numéro clausus et de restrictions quantitatives n'est pas démontrée,

- que le prix conseillé par Biotherm n'est pas objet de publicité ; que la capacité juridique du détaillant de fixer librement ses prix et ses marges apparaît établie ; que certes les pièces communiquées aux débats montrent des différences de prix qui d'un point de vente à l'autre ne sont ni nombreuses ni de grande envergure ; que toutefois les sociétés Biotherm allèguent, sans être démenties, que des magasins ayant opté pour une politique de rabais importants généralisés à l'ensemble des produits offerts en vente ont pu obtenir leur agrément (exemple : Marionnaud à Clamart) ; que l'appelante n'est pas, en l'état, fondée à prêter aux sociétés Biotherm la détermination de ne pas admettre les centres Leclerc dans leur réseau de distribution sélective parce qu'elles réprouveraient le principe du " discount " dont Édouard Leclerc s'est fait le porte-drapeau ; que la faculté reste ouverte à la société Dammarie Distribution, comme à d'autres distributeurs à l'enseigne E. Leclerc de mettre à l'épreuve les sociétés Biotherm en présentant une demande d'agrément et en se donnant ainsi les moyens soit de vendre les produits Biotherm aux prix très bas dont se targue l'organisation Leclerc soit de démontrer que les critères de qualité définis par les sociétés Biotherm ne sont pas objectivement appliqués et ne servent qu'à camoufler un comportement discriminatoire visant à entraver la concurrence et la liberté des prix qu'Édouard Leclerc prétend stimuler ;

Considérant que l'appelante, qui a choisi de contester radicalement le système de distribution sélective plutôt que de chercher à y entrer, n'a pu se fournir, soit directement soit par l'intermédiaire du Galec, qu'auprès d'un distributeur agréé qui, en violation des clauses de son contrat, a livré des produits Biotherm à un détaillant non agréé;

Qu'en offrant en vente des produits Biotherm acquis irrégulièrement, elle a commis des actes de concurrence déloyale et en outre s'est rendue coupable d'un usage illicite de la marque Biotherm accompli sans l'autorisation du fabricant qu'elle n'a pas sollicitée ; qu'au reste elle se garde bien d'indiquer la source d'un approvisionnement dont elle ne peut méconnaître l'illicéité;

Que les fautes Dammarie Distribution ont été aggravées par le recours à une publicité faite pour un certain nombre de produits notamment de marque Biotherm mais qui dénonce les méthodes de leurs fabricants en particulier les refus de vente car il n'apparaît pas conforme aux usages loyaux du commerce qu'une campagne visant à promouvoir des produits devienne l'occasion de porter sur la place publique les griefs du distributeur contre l'industriel ;

Considérant que l'appel de Dammarie Distribution est mal fondé ;

Que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés Biotherm les frais non compris dans les dépens exposés sur l'appel injustifié de Dammarie Distribution ; qu'il leur sera alloué la somme complémentaire indiqué ci-dessous ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Y ajoutant et faisant application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Dammarie Distribution à payer aux sociétés Biotherm et Biotherm Distribution la somme complémentaire de 12.000 F ; La condamne aux dépens d'appel ; Admet Me Bolling, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.