CA Versailles, 13e ch., 5 mai 1988, n° 4286-87
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Palais de l'auto (Sté)
Défendeur :
Poch (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Doze
Conseillers :
Mmes Monteils, Brunat
Avoués :
Me Bommart, SCP Fievet-Rochette
Avocats :
Mes Thréard, Durand
La société le Palais de l'auto à Toulon disposait d'un contrat annuel de concession de la marque Lada, pour cinq arrondissements de la région, accordé par la société Poch à compter du 1er janvier 1985.
Le 19 juin 1985, Poch a fait connaître son intention de ne pas renouveler ce contrat en fin d'année, puis a délivré sa partenaire de toute obligation d'exclusivité.
Se fondant sur le règlement 123-85 de la commission des communautés européennes, faisant selon elle obligation au concédant, à compter du 1er juillet 1985, de mettre le contrat en cours en harmonie avec ses dispositions déclarées obligatoires, par application de l'article 85-3 du Traité de la CEE, la société Palais de l'auto a soutenu avoir droit à prolongation de trois ans dudit contrat, et a assigné en réparation du préjudice résultant de la dénonciation prématurée.
Par jugement du 10 mars 1987, le Tribunal de commerce de Pontoise, la société Palais de l'auto a été déboutée de sa demande.
Elle a interjeté appel de cette décision et conclut ainsi qu'il suit :
Le contrat signé limitant les règles de la libre concurrence, le concédant réservant la vente de ses produits en cause au concessionnaire, ce dernier s'interdisait de représenter une autre marque sans accord écrit.
Ces dispositions sont nulles de plein droit par application de l'article 85-2 du Traité de Rome en l'absence d'exemption.
Les exemptions ont été réglementées en la matière par le règlement 123-85 du 12 décembre 1984, fixant au 1er juillet 1985 son entrée en vigueur.
Sont exemptés les contrats comportant exclusivité réciproque, s'ils sont d'une durée de quarte ans avec préavis de six mois, ou d'une durée indéterminée avec préavis de 1 an.
Poch, lorsqu'elle a proposé son contrat d'adhésion, connaissait le règlement, et sa date d'entrée en vigueur. Elle en a fait état dans sa lettre de dénonciation du 19 juin 1985.
Elle a ensuite explicité sa position en précisant que sa dénonciation était régulière, pour être intervenue avant l'entrée en vigueur du règlement européen, tandis qu'elle-même exigeait vainement un avenant destiné à mise en harmonie du contrat avec ce règlement.
La clause d'exclusivité est la cause déterminante du contrat de concession. La nullité de cette clause, au regard de la loi communautaire, entraîne donc la nullité du contrat de concession.
Poch, en contractant, a contracté l'obligation d'assurer la validité du contrat au 1er juillet 1985. Faute d'avoir satisfait aux injonctions à elle adressées en ce sens, elle a engagé sa responsabilité.
L'article 8 du règlement permettait la mise en conformité des contrats d'exclusivité en cours au 1er juillet, en ménageant aux parties un délai de trois mois, expirant le 1er octobre, pour effectuer celle-ci.
Il n'y a eu en la cause aucune imprévision. Elle n'a pas fait autre chose que proposer à son partenaire un avenant permettant au contrat d'exclusivité de se poursuivre au-delà du 1er juillet.
Elle était libre de refuser la modification unilatérale que lui proposait Poch, consistant à la délier de sa propre obligation d'exclusivité jusqu'à la fin du contrat, qui serait devenu de distribution sélective.
Les modifications apportées par le règlement au contrat d'exclusivité n'ont pas la portée que leur prête Poch. Il a entendu justifier les clauses d'exclusivité dans la mesure où l'équilibre des conventions était assuré.
Elle conclut à la nullité de la clause d'exclusivité figurant au contrat à compter du 1er juillet 1985, à la caducité du contrat par le fait de Poch, qui a à tort refusé une mise en conformité, à réparation du préjudice, à octroi d'une provision de 500 000 F et à expertise sur tous les chapitres de perte qu'elle a subis.
Elle demande 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
La société Poch conclut ainsi :
Le contrat était une concession non exclusive contrairement aux affirmations du Palais de l'auto. Il ne conférait au concessionnaire aucune exclusivité territoriale. L'interdiction pour elle-même de créer d'autres concessions a été annulée d'accord parties. Donc l'exclusivité territoriale dont le Palais de l'auto demande de prononcer la nullité n'existe pas.
C'est de manière légitime qu'elle-même a délié les 2 août et 26 septembre son concessionnaire de toutes ses obligations limitatives de concurrence. Ces obligations de ne pas faire étaient souscrite dans son seul intérêt de concédante, et elle avait donc le droit d'y renoncer. Il ne peut lui être fait grief d'avoir renoncé à des obligations dont elle était seule bénéficiaire.
Elle conclut à confirmation et octroi de 15 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Le Palais de l'auto répond ceci :
Le contrat est ainsi rédigé que s'il permet de vendre à tout acheteur qui se présente spontanément, il limite la représentation de la marque, c'est-à-dire l'activité de commercialisation, à un territoire donné où il lui confère l'exclusivité. Ce contrat serait sans signification s'il ne s'accompagnait pas d'un privilège du concessionnaire dans la zone concédée.
Il s'agit donc d'un contrat avec exclusivité de représentation.
Poch, en prétendant se libérer des contraintes du règlement parce qu'il déliait son partenaire de ses obligations d'exclusivité, oublie qu'un contrat ne peut être modifié que d'un commun accord et non par la volonté unilatérale du concédant. Elle-même était en droit de refuser la transformation que Poch voulait lui imposer.
Poch répond à son tour ceci :
Il n'est pas possible de prétendre qu'un contrat est nul et de prétendre à la continuation de celui-ci. D'autre part il n'y a pas lieu à consentement par le débiteur à une remise d'obligation par son créancier.
Discussion :
Considérant que, pour la huitième année Le Palais de l'auto, bénéficiait de la part de Poch d'un contrat de concession annuel Lada, à échéance au 31 décembre 1985 ;
Considérant que la survenance du règlement 123-85 de la CEE du 12 décembre 1984, prenant effet le 1er juillet, a entraîné de la part du concédant, plus tôt qu'il n'eut été utile en l'absence de celui-ci, une première réaction, la dénonciation du contrat par lettre du 19 juin 1985, avec précision qu'en aucun cas les relations contractuelles ne seraient reprises au-delà du 31 décembre ; qu'il était loisible au concédant de prendre sans faute de sa part une telle initiative en choisissant un moment où il lui était encore loisible de le faire ;
Considérant toutefois qu'il restait à faire le nécessaire pour que cette démarche conserve son efficacité après le 1er juillet ; que pour échapper à l'application de la nouvelle législation européenne, Poch a, avant la date limite légale d'aménagement des contrats, le 1er octobre 1985, " délié son concessionnaire de toutes exclusivités, qu'elles soient de marque ou de territoire " ; qu'ainsi entendait-il conserver le droit de faire jouer, pour un contrat de distribution non exclusive, selon lui, l'échéance annuelle du 31 décembre 1985, conformément au droit commun, expédient licite ;
Considérant qu'il y a débat sur la nature du contrat, sur les conséquences à tirer de la dénonciation de celui-ci, puis de la renonciation par Poch à l'exclusivité ;
Considérant que le premier terme du litige tient à la définition du contrat passé entre les parties en janvier 1985 ; que ce contrat de concession " non exclusive " comme cela figure entre parenthèses sous le titre, " accorde au concessionnaire le droit de vendre sans exclusivité territoriale à l'intérieur des limites " d'un secteur défini avec précision, restreint à l'arrondissement de Toulon et trois cantons voisins ; que le second paragraphe où le concédant s'interdisait de créer un nouveau concessionnaire dans le secteur, a été annulé ; que les paragraphes suivants autorisent le concédant à vendre dans les magasins à grande surface et aussi à son personnel, ses fournisseurs et aux administrations publiques ; qu'il est aisé de déduire a contrario des facultés que se réserve le concédant qu'il s'interdit tout autre empiétement sur la concession accordée ; que cette interprétation s'impose en effet, en contemplation de la stipulation selon laquelle le concessionnaire s'engage, sous peine de résiliation totale ou partielle, à vendre une quantité déterminée de véhicules chaque trimestre ; que cet engagement n'a pu être contracté que dans la perspective d'une absence de toute modification de la concurrence telle qu'elle se présentait au jour de la signature ;
Considérant que réciproquement, le concessionnaire, ainsi assuré de la stabilité du marché local des automobiles Lada, autorisé par le contrat à conserver la représentation de Toyota, s'interdit toute autre représentation sans accord écrit et préalable du concédant ;
Considérant qu'il s'agit là d'un contrat d'exclusivité qui ne veut pas dire son nom, et que les apparences contraires que Poch a tenté de préserver sont inefficaces ; que c'est pertinemment que l'appelante insiste sur le caractère impulsif déterminant, pour elle, de cette exclusivité ;
Considérant ceci étant, qu'il n'était pas interdit à Poch de renoncer unilatéralement à des prérogatives contractuelles dont il était le seul bénéficiaire ; que c'est de manière licite qu'il a donné le 26 septembre licence au concessionnaire pour le dernier trimestre de 1985, en le " déliant de toute obligation d'exclusivité ", d'étendre comme il lui plairait le champs de sa concession, et de se comporter de manière entièrement libre ;
Considérant toutefois qu'en ajoutant, emporté par son désir de faire place nette, dans sa lettre du 26 septembre : " De même toutes les clauses devant être considérées comme restrictives de concurrence sont à tenir pour nulles et non avenues ", Poch a outrepassé les limites de ce qui lui était permis ; que cette société n'avait aucun droit en effet, proprio motu, de priver son cocontractant des obligations de non-concurrence qu'elle-même, en qualité de concédant, avait contractées, consistant essentiellement à réserver, pour le territoire concédé, et sous les quelques exceptions précisément définies, au seul Palais de l'auto la fourniture des véhicules Lada ; qu'en d'autres termes, il demeurait inconcevable, sur le plan de la bonne foi , qu'elle accordât une autre concession sur le territoire où le Palais de l'auto se trouvait titulaire d'un monopole nécessaire contractuellement défini ;
Considérant que malgré les efforts de Poch, le contrat est ainsi un contrat d'exclusivité dans lequel, pour reprendre les termes de la Commission des Communautés européennes dans le préambule du règlement, " le cocontractant fournisseur charge le cocontractant revendeur de promouvoir dans un territoire déterminé la distribution et le service de vente des véhicules automobiles et par lesquels le fournisseur s'engage envers le distributeur à ne livrer dans le territoire convenu des produits contractuels en vue de la revente qu'au distributeur, ou, outre le distributeur, qu'à un nombre limité d'entreprises du réseau de distribution " ;
Considérant que la tentative d'évasion de Poch du champ d'application de l'article 85-3 du Traité de Rome et du nouveau règlement 123-85 s'est donc soldée par un échec ; que l'entrée en vigueur immédiate, au 1er juillet, de ce règlement, a eu pour effet initial de suspendre pendant trois mois la nullité du contrat non conforme en cours ; que dans un second temps à dater du 1er octobre, faute de mise en conformité, ou de retour valable à une absence d'exclusivité, il a été atteint par cette nullité ; qu'ainsi la précaution prise de dénoncer le contrat le 19 juin pour la fin de l'année, désormais contraire en l'espèce à l'ordre public communautaire, est devenue lettre morte;
Considérant que c'est à juste titre que le concessionnaire a entendu se maintenir, au-delà du 1er juillet, dans les liens contractuels ; qu'il avait droit à la poursuite de son contrat, et que Poch n'avait plus qu'une issue pour assurer le respect de ce droit, qui était d'aménager ledit contrat quant à sa durée conformément aux dispositions du règlement 123-85;
Considérant qu'en se refusant à toute initiative en ce sens, malgré la demande qui en avait été formulée en temps utile, Poch a privé à ses torts son concessionnaire d'un droit à prolongation qu'il n'avait plus la possibilité de lui dénier;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence de faire droit à l'appel et de réformer le jugement déféré ;
Considérant sur le préjudice, que la carence du Palais de l'auto à fournir des éléments comptables satisfaisants ne l'autorise pas à réclamer une expertise , dont rien ne permet de retenir qu'elle soit utile ; que la cour sera en principe en mesure de statuer sur le préjudice si les données du problème, à la portée des parties, lui sont soumises ;
Considérant, sur la provision demandée, que c'est avec quelque légèreté que l'appelante entend la chiffrer en présentant un unique document comptable très sommaire qui fait apparaître pour l'exercice 1986 une perte de 592 000 F, contre 5 000 F l'année précédente, et une diminution de plus des 2/3 du chiffre d'affaires ; que faute d'autres pièces permettant d'apprécier à sa juste valeur ce fragment de comptabilité, il convient de limiter à 200 000 F la provision à allouer ;
Considérant qu'il y a lieu de condamner Poch aux dépens et qu'il est équitable d'allouer au Palais de l'auto 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Fait droit à l'appel, Réforme le jugement déféré, Constate la nullité du contrat de concession à dater du 1er juillet 1985, par application de l'article 85 du Traité de Rome et du règlement 123-85 de la CEE, Dit que cette nullité a été acquise aux torts de la société Poch, en violation des droits de la société Palais de l'auto, Avant dire droit sur le préjudice subi renvoie la procédure devant le conseiller de la mise en état pour qu'il soit conclu à ce sujet, Condamne la société Poch à verser à la société Le Palais de l'auto provision de deux cent mille francs (200 000 F), et indemnité de quinze mille francs (15 000 F), Condamne la société Poch aux entiers dépens et autorise Maître Bommart, avoué à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.