CA Versailles, 13e ch., 23 juin 1988, n° 1287-88
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Richardet (Époux), Omnisport (SARL)
Défendeur :
Sporteus (SA), Soreval International (Sté), Jeanne (ès qual.), Canet (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Doze
Conseillers :
Mmes Monteils, Brunat
Avoués :
SCP Gas, Mes Jupin, Lambert, SCP Fievet-Rochette
Avocats :
Mes Bakra, Le Guen, Briard, Petit-Malavoy, Sagot.
Par jugements des 26 et 29 janvier 1988 du Tribunal de Commerce de Pontoise la procédure de redressement judiciaire commune des sociétés Sporteus et Soraim a été ouverte Canet étant désigné comme représentant des créanciers et Jeanne comme administrateur.
Par un jugement du 5 février 1988 le Tribunal a arrêté le plan de redressement organisant la cession de l'entreprise au profit de la société Soreval International, avec faculté de se substituer toute société à créer, aux conditions suivantes :
- cession de la marque Sporteus et du mobilier pour deux de millions francs payables en dix trimestrialités, avec garantie bancaire de 100 % du prix,
- cession du stock pour 180.000 francs comptant,
- reprise des contrats de crédit bail pour 1.341.669 francs et des arriérés impayés reportés en fin de contrat, payables par échéances conventionnelles, reprise assortie du blocage de deux millions de francs de compte courant de la société Nex Sporteus, à constituer, filiale de Soreval,
- reprise du compte client à 30 % de sa valeur de 4.800.000 francs soit 1.400.000 francs payables en dix trimestrialités,
- acte donné à Soreval de ce qu'elle s'engage à mobiliser trois millions de francs dans sa nouvelle filiale Nex Sporteus et proposer des contrats dans cette société aux dirigeants de Sporteus et Soraim,
- acte donné de l'abandon des comptes courants d'associés dans les deux sociétés en redressement soit 2.700.000 francs,
- reprise des franchises en cours, 5.372.677 francs ayant été versés par onze d'entre les candidats à franchise, mais avec obligation de rembourser les candidats désirant se retirer dans un délai de dix ans selon protocole d'accord à passer,
- d'autre part le Tribunal a déclaré non écrite la clause des contrats de franchise, de résiliation de plein droit de ceux-ci au cas où Sporteus serait l'objet d'une procédure collective, et a dit que ces contrats se poursuivraient,
- le Tribunal a dit que les contrats de crédit bail nécessaires au maintien de l'activité seraient executés, les échéances antérieures au redressement judiciaire étant remportées suivant les modalités définies par Soreval, conformément à l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985,
- le Tribunal a dit que les biens non compris dans le plan de cession seraient vendus par le commissaire à l'exécution,
- la durée du plan a été fixée jusqu'à apurement du passif selon les disponibilités à apparaître après les cessions d'actif,
- Jeanne a été désignée en qualité de commissaire.
- Deux franchisés, la société PB Omnisport et les époux Richardet ont interjeté appel de cette décision, dont la société Soreval a interjeté appel incident. Il y a lieu de joindre les deux procédures ouvertes sur les deux appels principaux.
La société PB Omnisport a interjeté appel de la partie du jugement qui a ordonné la poursuite des contrats de franchise par Soreval.
Elle a, par lettre du 4 février, demandé à Jeanne s'il entendait poursuivre le contrat de franchise, sans obtenir de réponse.
Les franchisés ont été convoqués à l'audience du 5 février par télex doublé d'une lettre du 3 février.
Elle même n'a jamais eu communication du plan de cession, et n'a pu en prendre connaissance. Elle n'a pas été entendue à l'audience.
Elle n'a pas été informée dans les 48 heures du jugement de la teneur de la décision, et après maintes démarches, n'en a obtenu copie que le 18 avril.
Elle a néanmoins interjeté appel dans le délai de 10 jours. Elle s'est rapidement rendu compte que Sporteus ne remplissait pas ses obligations de franchiseur, et s'intéressait surtout au recouvrement du compte client.
Elle soutient qu'en ordonnant le transfert des contrats de franchise, le Tribunal a violé l'article 86 de la loi.
Un tel contrat ne peut être inclus dans la liste des contrats visés par l'article 86. Il est plus complexe et comporte un intuitu personae. Sa transmission forcée est donc impossible, d'autant plus qu'il est à durée indéterminée.
L'administrateur ne lui a pas demandé son avis, pas plus que celui des autres franchisés.
Elle conclut à infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné cession des contrats de franchise.
Les époux Richardet concluent ainsi qu'il suit :
L'article 86 n'est pas applicable. Leur seule obligation est de payer une redevance en temps utile. Il ne s'agit pas là de " bien ou de service " ; c'est tout au contraire le franchiseur qui doit fournir ceux-ci.
D'autre part appliquer l'article 86 à une société exploitant seulement des contrats de franchise revient à priver le Tribunal de sa prérogative de déterminer les contrats nécessaires au maintien de l'activité, en ordonnant de plein droit leur continuation.
Le rapport de l'administrateur n'a pu contenir les observations des cocontractants.
Eux-mêmes n'ont été avisés que par un courrier du 3 février de la procédure de règlement judiciaire.
Le jugement doit être annulé en toutes ses dispositions.
Eux-mêmes, et Digne ont été avisés trop tard pour être présents ou représentés. Ils n'ont donc pas été dûment appelés.
Le Ministère Public a sollicité le renvoi à l'audience.
Sporteus ne disposait que d'un siège administratif dans le ressort de Pontoise, le siège social étant à Paris, Soreval a été constituée pour les besoins de la cause. La suggestion de reprise des anciens de la cause. La suggestion de reprise des anciens dirigeants est suspecte.
Ils concluent à annulation du jugement.
La société Soreval conclut ainsi qu'il suit pas conclusions remises au Greffe le 13 mai 1988 :
Le jugement est fondé sur des éléments de fait entièrement inexacts : le rapport du 3 février de Jeanne faisait état d'un réseau de plus de 100 magasins. Il n'y a en fait que 59 contrats en cours de validité.
Elle même avait proposé la reprise du solde net du compte client, tenant compte des 16 contrats non exécutés, à 30 % de sa valeur nominale, soit un montant estimé de 1.400.000 francs.
Le rapport faisait état d'un actif du compte client de 8.900.000 francs ce passif étant constitué par la reprise de contrats de franchise non exécutés pour lesquels 5.342.677,52 francs.
Le tribunal a dénaturé les termes de cette proposition.
De plus l'actif du compte est très inférieur à ce qui a été annoncé. Il serait de 4.545.590,01 francs, ce qui donnerait un solde négatif de 827.080 francs.
Le Tribunal a ajouté arbitrairement à sa proposition de reprise des crédits bail pour un équipement informatique et un véhicule Porsche supplémentaire.
Sur les conditions de règlement et de garantie, sa volonté a été outrepassée.
Elle a eu connaissance après le jugement de plus de 10 instances en cours contre des franchises à fin de résiliation faute de paiement.
Elle conclut à annulation du jugement et renvoi devant le premier juge.
La société Sporteus et Jeanne ès-qualités concluent ainsi qu'il suit :
Le contrat de franchise ne peut s'analyser en simple paiement d'une redevance. C'est une fourniture de services réciproques dans un intérêt commun. L'article 86 est applicable et le Tribunal l'a correctement appliqué en ordonnant la continuation des contrats de franchise.
Tous les franchisés ont été appelés en temps utile, et ils étaient nombreux à l'audience.
Le rapport a été régulièrement déposé.
Le siège social de Sporteus est à Garges les Gonesse et relève de la compétence de Pontoise.
Ils concluent à confirmation du jugement.
Le représentant des créanciers s'associe aux conclusions de Sporteus et Jeanne ès-qualités.
Discussion
Considérant que les appels du même jugement par deux franchisés PB Omnisports et Richardet doivent être joints dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ;
Considérant que le contrat de franchise ne peut se réduire pour le franchisé au paiement de redevances au franchiseur d'un grand nombre d'obligations d'activité, de diligence, de présentation extérieure, de publicité, de relative exclusivité, 80 % en l'espèce ;
Que ce contrat complexe comporte une multitude d'échanges de services de la part des partenaires ;
Qu'il s'agit bien de contrats de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l'activité, et qui se trouvent constituer toute l'activité du franchiseur en l'espèce;
Considérant dès lors que ces contrats relèvent bien des dispositions de l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985; qu'Omnisports et les époux Richardet sont ainsi recevables à interjeter appel de la cession dont ils ont été l'objet, par application de l'article 174 de la loi, appel qui est nécessairement limité à leurs contrats et ne sauraient emporter nullité de l'ensemble de la décision ;
Considérant qu'il est manifeste en ce qui les concerne qu'il y a eu violation du principe de contradiction ; qu'ils ont reçu simultanément avis du jugement du 26 janvier concernant Sporteus et 29 janvier concernant Soraim, filiale à 99 % de la précédente, et de l'audience du 5 février ; que c'est par courrier adressé le 3 février assorti lorsque cela était possible de télex que les franchisés ont été convoqués ; qu'ainsi, ce qui a été leur cas, nombreux ont été ceux qui ont été avisés trop tard ; qu'il a été hors de question pour eux de prendre connaissance du rapport de l'administrateur du plan de redressement ; qu'ils n'ont pas davantage pu transmettre leurs observations, par le canal de l'administration, conformément aux prescriptions de l'article 86 de la loi ;
Considérant que la lecture du jugement confirme qu'il n'y a eu qu'un semblant de concertation, et que le Tribunal s'est contenté de quelques réponses positives en nombre non précisé qui n'étaient en l'absence de toute information que des souhaits de reprise d'activité, pour imposer une solution aux cocontractants.
Considérant que les actions de PB Omnisports et des époux Richardet sont ainsi fondées, et qu'il y a lieu de prononcer la nullité à leur égard de la cession intervenue cette nullité ne pouvant s'étendre, comme ils le voudraient, à l'ensemble des franchisés et à la société Soreval elle-même ;
Considérant en ce qui concerne Soreval, que son appel est irrecevable comme tardif en ce qu'il est fondé sur la présence dans le plan de cession de charges autres que les engagements qu'elle a souscrits ;
Considérant qu'elle est encore irrecevable, sous l'angle de l'appel nullité, auquel elle se réfère, en ce qu'elle a fondé celui-ci sur des erreurs de l'administrateur, erreurs qui se retrouvent dans le jugement lui-même, et qui ont selon elle vicié de manière dirimante son consentement ; qu'il existe en effet une procédure spécifique de rétractation des jugements pour ce motif lorsque les voies de recours de droit commun sont épuisées ;
Considérant que la référence vague de Soreval, dans ses ultimes conclusions à l'appel interjeté par PB Omnisports et Richardet sans prise en compte à titre personnel du moyen qui leur permet de triompher, est dénuée de tout effet ;
Considérant qu'il convient en conséquence de dire Soreval irrecevable et de la condamner aux dépens .
Par ces motifs
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Joint les deux procédures suivies sur appel du jugement des 5 février 1988 et PB Omnisports et les époux Richardet,
Fait droit à ces appels,
Dit nul à leur égard le jugement déféré,
Dit irrecevable l'appel incident de la société Soreval International,
Condamne la société Soreval International aux dépens, et autorise les Avoués en cause à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC,