CA Montpellier, 2e ch. A, 30 juin 1988, n° 87-2901
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Peugeot (SA)
Défendeur :
Auto Agence Setoise (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ouazana
Conseillers :
M. Tailland, Mme Plantard
Avoués :
Me Nègre, SCP Salvignol
Avocats :
SCP Guitard, Merlin, Battesti d'Ornano, Me Delacoux.
Les faits
Il existait à Sète d'une part la société Garage du Sud Est, ancienne société de plus de cinquante ans, concessionnaire Peugeot et d'autre part la société Auto Agence Sètoise concessionnaire Talbot ci-après SAAS. La société Automobiles Peugeot passait le 13 mars 1981 un contrat renouvelant au Garage du Sud Est la concession Peugeot et le 27 mars 1981 avec SAAS un contrat lui renouvelant la concession Talbot.
Le 30 novembre 1981, François Maille, PDG de SAAS entrait au conseil d'administration de la société Garage du Sud Est dont il devenait aussitôt le président directeur général.
Le 31 décembre 1981 Garage du Sud Est obtenait pour l'année 1982 la concession Peugeot et Talbot. La concession Talbot n'était pas formellement renouvelée à SAAS.
Le 7 septembre 1982 le Tribunal de commerce de Sète prononçait le règlement judiciaire de la société Garage du Sud Est. Au mois d'octobre Automobiles Peugeot refusait les commandes faites par Auto Agence Sètoise au motif que cette dernière n'avait plus la qualité de concessionnaire depuis le 31 décembre 1981.
Le jugement :
Le tribunal de commerce saisi par Automobiles Peugeot contre SAAS d'une demande en paiement de factures et demandes reconventionnelles rendait le 16 juin 1987 un jugement constatant que les parties avaient poursuivi leurs relations commerciales au-delà du 31 décembre 1981, rejetant les demandes d'automobiles Peugeot, condamnait cette dernière à restituer à SAAS les parties d'enseigne enlevées par elle, et à reprendre le matériel Talbot le tout sous astreinte, à payer 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et ordonnait une expertise pour évaluer les préjudices subis par Auto Agence Sètoise.
Le 16 juillet 1987 Automobiles Peugeot interjetait appel de ce jugement.
Les moyens des parties :
Automobiles Peugeot expose
1- que le contrat du 27 mars 1981 excluait la tacite reconduction, n'envisageait un préavis qu'à titre de courtoisie commerciale, et que le contrat de concession prenait fin le 31 décembre 1981.
2- que les relations commerciales entre les parties en 1982 consistaient dans la livraison des marchandises commandées en 1981, qu'il n'y a eu que 7 livraisons de voitures contre 143 en 1981, et que SAAS reste lui devoir la somme de 151 866,65 F objet du procès.
3- que les demandes reconventionnelles sont sans fondement, que c'est sur la demande de Maille que le Garage du Sud Est a obtenu la concession Peugeot Talbot pour 1982, que rien n'établit que les pertes de SAAS découlent de la non reconduction de son contrat de concession ;
4- quant au matériel que la société Auto Agence Sètoise ne pouvait conserver le sigle Talbot n'étant plus son concessionnaire.
Elle conclut à la réformation du jugement, à la condamnation de SAAS à lui payer la somme de 151 866,85 F avec intérêts depuis la demande et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La SAAS répond que le contrat de concession n'a pas été dénoncé au moins six mois à l'avance et qu'il s'est poursuivi comme le prévoit l'article 13 " pour une période qui n'excédera pas trois ans "(sic) ; que la créance prétendue confirme ces relations, que Automobiles Peugeot a continué ses publicités pour SAAS, qu'un arrêté de compte a été fait le 30 novembre 1982 et un prêt de 450 000 F consenti à SAAS par SOFIB filiale de Peugeot le 27 novembre 1981.
Sur la demande d'Automobiles Peugeot, elle soutient que Garage du Sud Est étant en cessation de paiements, Automobiles Peugeot" a trouvé une astuce machiavélique à savoir que Maille PDG de SAAS prendrait la tête du Garage du Sud Est, que pour cela le SOFIB consentait à SAAS un découvert de 420 000 F pour lui permettre un prêt au Garage du Sud Est... " ; que cela devait permettre à SAAS de devenir concessionnaire des deux marques Peugeot et Talbot en 1982 ce que montre l'enquête de police, que Automobiles Peugeot lui a adressé en avril 1982 un projet de construction d'un nouveau garage, que du personnel de SAAS a été formé par Peugeot en 1982, qu'elle a reçu une lettre du 28 décembre 1981 annonçant que le réseau devrait après le 1er janvier 1983 commercialiser les deux marques, que les relations ont donc bien continué en 1982.
Elle soutient n'avoir pas de dette envers Automobiles Peugeot qui ne justifie d'aucune créance et ne peut se constituer son propre titre et que de plus ses réclamations ont varié dans leur montant ;
Sur les demandes reconventionnelles :
Elle fait valoir qu'elle apporte la preuve que Peugeot a obligé la SAAS à emprunter au profit du Garage du Sud Est en cessation des paiements, lui a supprimé son travail en refusant de la livrer en octobre 1982 que la rupture abusive des relations contractuelles lui cause préjudice. Celui-ci correspond aux pertes de SAAS de 1982 à 1985 soit 1 027 069 F, aux créances perdues sur Garage du Sud Est, aux investissements imposés et inutiles, au total 1 154 569 F. Qu'il s'y ajoute le manque à gagner ce qui conduit à une somme de 2 000 000 F ;
Quant au matériel, les enseignes Talbot avaient été placées à l'initiative du concédant qui avait fait enlever sa propre enseigne Auto Agence Service, cette dernière ne lui a pas été rendue et l'enseigne Talbot a dû être enlevée par ses soins.
La SAAS conclut à la confirmation du jugement et à ce qu'y soit ajouté la condamnation de la société Peugeot à lui payer une provision de 2 000 000 F, et la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
La société Automobiles Peugeot réplique :
1- que le contrat de concession a pris fin le 31 décembre 1981,
2- que les relations commerciales en 1982 n'étaient que l'apurement des opérations nées en 1981, la livraison de 7 véhicules commandés avant le 31 décembre 1981, que Maille PDG à la fois de SAAS et de Garage du Sud Est qu'il avait racheté pour un franc symbolique a signé le 31 décembre 1981 un contrat de concession exclusive Peugeot et Talbot au profit du Garage du Sud Est, qu'il ne pouvait donc prétendre poursuivre les relations commerciales au nom de SAAS, que les paiements invoqués par SAAS ont été faits pour le compte du Garage du Sud Est, que les opérations de publicité, de formation ou les projets de garage ne prouvent l'existence d'un contrat de concession.
3- que la demande de dommages-intérêts n'est pas justifiée, elle serait fondée successivement sur une rupture abusive alors que la fin du contrat était survenue régulièrement puis sur le refus d'un renouvellement qui n'avait pas été demandé, que les chiffres avancés ne sont pas sérieux et qu'elle n'est pas responsable des mauvais résultats de SAAS avec d'autres constructeurs.
4- que SAAS connaissait sa dette envers elle et n'avait, par une lettre du 26 mars 1983, contesté que des points de détail ayant conduit à la réduction de la créance à 151 866,85 F.
La clôture de l'instruction a eu lieu le 10 mai 1988.
La SAAS a déposé le 18 mai de nouvelles conclusions.
Les motifs de la décision :
Sur la procédure :
Me Nègre, avoué de la société Automobiles Peugeot s'est opposé à l'accueil des conclusions déposées le 18 mai 1988,
Attendu qu'il y a lieu de déclarer irrecevable les conclusions et les pièces déposées après le 10 mai 1988 et ce par application des dispositions de l'article 783 du nouveau code de procédure civile ;
Sur la demande initiale en paiement :
Attendu que le contrat de concession signé le 27 mars 1981 par Automobiles Peugeot et la SAAS spécifiait la durée du contrat : " 1-le contrat prendra fin le 31 décembre 1981 quel que soit l'état des livraisons, la tacite reconduction étant exclue.
2- En dehors des cas de résiliation prévus aux articles III, XIII et XIV, celle des deux parties qui ne désirerait pas signer un nouveau contrat à l'expiration des présentes, devra en prévenir l'autre au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée, mais sans que ce préavis puisse être interprété autrement que comme la manifestation d'un souci de courtoisie commerciale ;
A défaut d'un tel préavis et pour le cas où les parties ne parviendraient pas à trouver un accord sur les clauses et conditions de celui-ci avant le 31 décembre 1981, leurs relations commerciales prendraient fin de plein droit à cette dernière date.
Toutefois si l'une des parties le demande, leurs relations commerciales pourront se poursuivre pendant une période qui en tout cas n'excédera pas trois mois et ce à des clauses et conditions qui devront être arrêtées d'un commun accord " ;
Attendu qu'en l'état de ces stipulations SAAS savait que le contrat expirait le 31 décembre 1981, que la tacite reconduction était exclue, que toutefois en l'absence de préavis donné six mois à l'avance par le constructeur elle pouvait espérer conserver la concession Talbot, mais qu'il était également clairement stipulé qu'à défaut de nouvel accord entre les parties avant le 31 décembre 1981 cette date marquait la fin du contrat, qu'il est de fait qu'il n'y a pas eu nouvel accord, qu'il n'est ni démontré ni même allégué qu'il y ait eu une demande de poursuite des relations, que cette demande eut elle été faite la prolongation ne pouvait excéder trois mois selon l'article XIII du contrat ;
Attendu qu'il est tout aussi exact que les deux parties ont poursuivi certaines relations dans une totale ambiguïté au cours des premiers mois de 1982, que la poursuite des actions publicitaires ou de formation pouvaient être le fait de la routine de certains services de Talbot, que le prêt de 450 000 F accordé par SOFIB l'était au nom de la SAAS mais au profit du Garage du Sud Est, qu'il est démontré par les documents soumis à la Cour que Maille PDG de SAAS s'intéressait à la reprise du garage au cours de l'année 1981 et l'a effectivement repris en devenant le PDG le 30 novembre 1981, qu'il est constant que sur une lettre à en-tête de SAAS Maille sollicitait le 20 novembre 1981 la concession Peugeot pour le Garage du Sud Est et signait le 31 décembre 1981, un contrat de concession exclusive au bénéfice du Garage du Sud Est à la fois pour les véhicules Peugeot et Talbot, qu'il savait donc parfaitement dès cet instant que SAAS ne pouvait prétendre à l'exclusivité Talbot, que c'est probablement pour cette raison que SAAS n'a pas sollicité le renouvellement de la concession Talbot après le 31 décembre 1981 ;
Attendu dès lors que le refus opposé le 25 octobre 1982 à Auto Agence Sètoise d'honorer des commandes faites par elle le 14 octobre 1982 ne peut être critiqué, le contrat de concession exclusive passé le 31 décembre 1981 avec Garage du Sud Est ayant pour effet de rendre juridiquement indisponible pour le producteur les voitures Peugeot Talbot pour tout autre que le concessionnaire exclusif;
Attendu que dans ces circonstances SAAS est mal fondée à reprocher à Automobiles Peugeot le non-renouvellement du contrat de concession étant donné les termes du contrat du 27 mars 1981 et la signature par son PDG du contrat du 31 décembre 1981 au bénéfice du Garage du Sud Est, que les demandes faites par SAAS ne sont pas justifiées et qu'il convient de réformer sur ce point le jugement déféré ;
Sur les enseignes :
Attendu qu'il n'est nullement démontré que Automobiles Peugeot dispose d'une enseigne de Auto Agence Sètoise, que la demande sur ce point n'est pas fondée ;
Attendu que les demandes faites de part et d'autre sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ne sont pas justifiées ;
Par ces motifs : LA COUR, En la forme, reçoit l'appel ; Au fond, le dit injustifié ; Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Condamne la société Auto Agence Sètoise à payer à la SA Automobiles Peugeot la somme de 151 866,85 F avec intérêts depuis l'assignation, Rejette toutes les demandes, d'Auto Agence Sètoise, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne l'intimée aux dépens du tribunal et d'appel, Autorise Me Nègre qui en a fait la demande à recouvrer ceux des dépens dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.