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Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ., 9 septembre 1988, n° 4150-85

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

De Dietrich (SA)

Défendeur :

Seiesa (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Jardel-Lescure

Conseillers :

Mme Lebrou, M. Hoffbeck

Avocats :

Mes Wachsmann, Alexandre.

TGI Strasbourg, ch. com., du 19 sept. 19…

19 septembre 1985

A partir de 1971, suivant contrats se renouvelant annuellement par tacite reconduction, la société Seiesa a été le représentant exclusif en Espagne des produits vitrifiés fabriqués par la société De Dietrich. Le 26 janvier 1982, un nouveau contrat a été conclu entre les parties, également renouvelable d'année en année et résiliable moyennant un préavis de trois mois. Il a été stipulé que faute par la société Seiesa de remplir ses obligations, la rupture pourrait intervenir sans préavis avec effet immédiat.

Par lettre du 23 juillet 1982, la société Dietrich a résilié le contrat en cours pour le 31 décembre 1982 en invoquant des fautes graves commises par la société espagnole.

La société Seiesa, se réclamant du statut d'agent commercial, a assigné la société De Dietrich en réparation du préjudice qui lui a été causé par la rupture du contrat et en paiement de commissions dues au titre de l'année 1982.

La société De Dietrich a fait valoir, pour s'opposer à la demande, les manquements graves commis par la société Seiesa et a formé une demande reconventionnelle en paiement de marchandises livrées à la partie adverse et non restituées.

Par jugement du 19 septembre 1985, la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a reconnu le droit d'indemnisation de la société Seiesa fondé sur sa qualité d'agent commercial et lui a alloué, en réparation de son préjudice, un montant de 19 500 000 pesetas représentant deux années de commissions brutes. Les premiers juges ont fait droit au surplus de la demande ainsi qu'à la demande reconventionnelle et ont ordonné la compensation judiciaire des deux créances.

Ils ont admis que si le statut d'agent commercial n'était pas applicable à la société Seiesa, les parties avaient toutefois volontairement soumis leur relations aux règles du contrat d'agence commerciale.

La société De Dietrich a régulièrement relevé appel de ce jugement en faisant grief aux premiers juges d'avoir admis que les règles du contrat d'agence commerciale s'appliquaient alors que les conditions légales d'un contrat d'agent commercial n'étaient pas remplies tant en la forme qu'au fond.

Elle soutient en second lieu que le renouvellement du contrat d'année en année ne lui a pas conféré la nature d'un contrat à durée indéterminée et que, dès lors, sa rupture n'ouvre pas droit à indemnité. Elle invoque à l'appui de sa thèse une jurisprudence bien établie de la Cour de Cassation.

L'appelante fait valoir par ailleurs que la rupture était parfaitement fondée, la société Seiesa l'ayant trompée sur l'étendue du marché espagnol qu'elle prétendait couvrir en totalité alors qu'elle n'avait exploité que très partiellement la clientèle.

Subsidiairement, la société De Dietrich critique le montant de l'indemnité allouée par les premiers juges, prétendant qu'elle ne saurait dépasser 12 à 15 mois de commissions nettes et conteste également le montant de 162 228 F alloué au titre des commissions de 1982 qu'elle estime trop élevé.

L'appelante conclut en conséquence :

" Recevoir l'appelante en son appel et en conséquence, réformant le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société De Dietrich à payer différents montants à la société Seiesa,

" Dire et juger que le statut d'agent commercial n'était pas applicable à la Seiesa,

" Dire et juger qu'en tout état de cause, le contrat De Dietrich/Seiesa était conclu pour une période d'un an renouvelable d'année en année par tacite reconduction et conservait le caractère de contrat à durée déterminée, n'ouvrant pas droit à indemnité, du fait de refus de renouvellement de De Dietrich, qui a dénoncé le contrat pour le 31 décembre 1982,

" Plus subsidiairement encore, dire et juger qu'en tout état de cause, De Dietrich avait de justes motifs de rupture,

" Tout à fait subsidiairement, réduire les montants alloués à titre de dommages-intérêts de rupture à Seiesa,

" Sur le montant des commissions réclamées par Seiesa, constater que Seiesa réclame 162 228 F ; que De Dietrich reconnaît devoir 142 229,69 F,

" Ordonner une expertise pour la différence de 20 000 F arrondie qui est contestée par De Dietrich,

" En conséquence, débouter la Seiesa de l'ensemble de ses demandes en ce qu'elles excèdent la somme de 142 229,69 F,

" Mettre les frais et dépens des deux instances à la charge de l'intimée. "

La société Seiesa a répliqué à l'argumentation de l'appelante en soutenant que celle-ci n'a cherché qu'à l'évincer pour traiter avec une entreprise concurrente.

Elle soutient que les parties étaient effectivement en droit de fonder conventionnellement leurs relations sur le statut de l'agent commercial, l'immatriculation d'un étranger n'étant pas une condition d'application de la loi française ; qu'en tout état de cause, les parties étaient pour le moins liées par un mandat d'intérêt commun.

Elle fait valoir d'autre part que les causes invoquées à l'appui de la rupture ne sont nullement établies ; que, contrairement à ce qu'allègue l'appelante, elle a exercé pendant 11 ans une activité sans reproche, allant jusqu'à doubler son chiffre en 1981 ; qu'à bon droit, les premiers juges ont estimé qu'elle pouvait prétendre à la réparation de son préjudice.

Elle conclut en conséquence :

" Déclarer la société De Dietrich irrecevable ou en tous cas mal fondée en son appel,

" Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

" Condamner la société De Dietrich aux frais et dépens d'appel, ainsi qu'à une indemnité de 15 000 F en application de l'article 700 du NCPC ".

Vu le dossier de la procédure, les pièces produites par les parties et leurs écrits auxquels la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et des moyens ;

Attendu qu'il est constant que les parties ont été liées depuis 1971 par trois contrats successifs renouvelables annuellement par tacite reconduction et faisant référence au décret du 23 décembre 1985 qui régit le statut d'agent commercial ;

Attendu quesi le défaut d'immatriculation interdit à l'agent commercial de se prévaloir du statut mis en place par le décret susvisé, la loi applicable à un contrat international d'agent commercial est en principe la loi d'autonomie, c'est-à-dire la loi choisie par les parties ;

Qu'il leur appartient de viser le décret sous peine de voir le contrat soumis aux règles générales du mandat civil ;

Attendu qu'à bon droit les premiers juges ont admis que les parties s'étaient en l'espèce expressément soumises au décret du 23 décembre 1958 et que la rupture de leurs relations devait être examinée au regard de ses dispositions et de leur application jurisprudentielle ;

Que, par ailleurs, après avoir analysé les relations contractuelles des parties depuis leur origine, soit en 1971 ainsi que les formes de la rupture et après avoir relevé que la société Seiesa était liée par une clause de non-concurrence d'une durée de trois ans après cessation de la représentation, ils ont estimé que la société De Dietrich avait entendu mettre fin à un contrat à durée indéterminée ;

Attendu que cette analyse va à l'encontre d'une jurisprudence bien établie de la Cour de Cassation selon laquelle constitue un contrat à durée déterminée celui qui fixe à l'avance son terme, même s'il prévoit une faculté de renouvellement par voie de tacite reconduction, dès lors que les périodes de reconduction sont elles-mêmes à terme certain, quel qu'en soit le nombre, puisque les parties pourront s'opposer à la prolongation de leurs relations en observant un délai de préavis ;

Attendu que la Cour suprême admet cependant que si le mandant abuse de son droit de ne pas renouveler le contrat, le non-renouvellement s'analyse en une résiliation et entraîne le versement d'une indemnité de rupture au profit de l'agent commercial ;

Attendu qu'au vu des éléments de la cause, il y a lieu d'admettre, contrairement à l'opinion des premiers juges, que les différents contrats liant les parties étaient des contrats à durée déterminée mais que la résiliation, à laquelle, dans son courrier du 27 décembre 1982, la société Dietrich a substitué le non-renouvellement du contrat venant à expiration le 31 décembre 1982, présente un caractère abusif ouvrant droit à indemnité au profit de l'agent, dans la mesure où les motifs invoqués s'avéreraient infondés ;

Qu'en effet, après avoir concrétisé à nouveau, par contrat du 26 janvier 1982, des relations entretenues depuis 1971 sans qu'aucun grief n'ait jamais été formulé par elle, la société De Dietrich y a brutalement mis fin sans donner la possibilité à sa cocontractante de discuter préalablement des reproches qui lui étaient faits et alors même que celle-ci était liée par une clause de non-concurrence à la durée particulièrement contraignante ;

Attendu qu'en ce qui concerne les motifs de la rupture, les premiers juges ont admis à bon droit par des motifs qui ne peuvent qu'être adoptés que ni leur matérialité, ni leur prétendue gravité n'étaient établies ;

Qu'ils ont notamment relevé pour fonder leur décision que la société De Dietrich n'a pas justifié de l'insuffisance de la prospection reprochée à la société Seiesa et que les courriers émanant de clients prétendument mécontents sont tous postérieurs à la rupture ;

Attendu quant au montant destiné à compenser le préjudice subi par le mandataire que, compte-tenu des circonstances de la rupture et de la perte des commissions auxquelles elle pouvait raisonnablement prétendre dans la poursuite du contrat, il a été équitablement apprécié par les premiers juges qui ont pris comme base de calcul l'équivalent de deux années de commissions ;

Attendu enfin que l'appelante ne fournit aucun élément de nature à reconsidérer le montant de commissions encore dues par elle et fixé à 162 228 F ;

Que sa demande d'expertise n'est pas justifiée et ne peut qu'être rejetée ;

Attendu en conséquence que, par adoption partielle de motifs et par autres motifs quant au fond, il convient de confirmer la décision entreprise ;

Qu'il est équitable d'allouer à l'intimée, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, un montant de 5 000 F au titre de la procédure d'appel ;

Par ces motifs : Déclare l'appel recevable en la forme, Au fond, le rejette et confirme le jugement entrepris, Condamne la société De Dietrich aux dépens de l'appel et au paiement à la société Seiesa de 5 000 F (cinq mille Francs) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.