CA Paris, 5e ch. A, 12 septembre 1988, n° 86-4136
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mercedes Benz France (SA)
Défendeur :
Garage Michel (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mabilat
Conseillers :
MM. Chavanac, Chardon
Avoués :
Me Mira, SCP Roblin, Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Gonzalez de Gaspard, Thréard.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Mercedes Benz France du jugement rendu le 26 novembre 1985 par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a condamnée à payer à la société Garage Michel les sommes de 1 214 000 F avec les intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 1984 et 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, qui a aussi débouté le Garage Michel du surplus de sa demande et ordonné l'exécution provisoire à charge pour cette dernière société de fournir une caution bancaire,
Ensemble sur les demandes additionnelles formées par chacune des parties.
Pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il convient de se référer au jugement frappé d'appel, en rappelant que, concessionnaire de Mercedes pour la vente des véhicules industriels du groupe Daimler-Benz dans le département de l'Orne et quelques cantons limitrophes du Calvados et de l'Eure depuis 1968, le Garage Michel a signé avec Mercedes France, le 7 janvier 1984, un nouveau contrat renouvelant la concession pour l'année 1984.
Conclu, comme les précédents, pour une durée d'un an, avec exclusion expresse de toute tacite reconduction, le contrat devait prendre fin le 31 décembre 1984, à charge pour la partie qui ne désirait pas souscrire une nouvelle convention d'en aviser l'autre par lettre recommandée avant le 1er octobre 1984.
Toutefois, Mercedes se réservait la possibilité de résilier le contrat à tout moment, notamment pour infraction de la part du concessionnaire à l'une des clauses de la convention ou faute grave de sa part ou bien au cas de non règlement à son échéance d'une dette de ce dernier envers la société concédante.
Le 16 juillet 1984, Mercedes notifiait au Garage Michel qu'en raison de l'existence de plusieurs impayés lors des échéances et du montant élevé de la dette du concessionnaire, les relations contractuelles cesseraient le 31 juillet si l'équilibre financier n'était pas rétabli. En outre, Mercedes, contrairement à la tolérance admise depuis plusieurs années, exigeait le paiement comptant avant tout enlèvement.
Le 27 juillet, le Garage Michel faisait part à Mercedes de son étonnement devant une attitude si tranchée alors que l'aggravation de la situation financière était due pour une large part aux perturbations entraînées dans l'approvisionnement en matériel neuf par les grèves intervenues en mai et juin en Allemagne dans les usines de fabrication ; le concessionnaire proposait néanmoins un plan de redressement de la situation financière.
Mais le 7 août 1984, Mercedes, estimant ces propositions insuffisantes, maintenait sa décision de résilier le contrat, reportant seulement au 30 septembre 1984, la date de cessation effective des relations contractuelles et commerciales.
Par acte du 4 octobre 1984, le Garage Michel a fait assigner Mercedes devant le Tribunal de commerce de Paris, en paiement de dommages-intérêts pour résiliation abusive, avec désignation d'un expert pour déterminer le montant exact du préjudice subi.
C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée.
La société Mercedes Benz France, appelante, conclut, par réformation du jugement entrepris, au débouté du Garage Michel de ses demandes ; à titre subsidiaire, elle sollicite la nomination d'un expert afin de rechercher l'origine de la détérioration de la situation financière du Garage Michel et l'incidence, sur cette détérioration, des grèves dans l'industrie allemande ainsi que des erreurs de gestion des dirigeants de la société concessionnaire ; additionnellement, elle demande la condamnation du Garage Michel au paiement d'une somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour action abusive et vexatoire, ainsi que d'une somme de 10 000 F, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société Garage Michel, intimée, conclut à la confirmation en toutes ses dispositions de la décision déférée, étant précisé que les intérêts au taux légal accordés ont été alloués à titre de supplément de dommages ; par voie additionnelle, elle sollicite l'octroi d'une somme de 50 000 F en remboursement des frais non compris dans les dépens.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant qu'à l'appui de son appel, Mercedes fait valoir qu'en résiliant le contrat le 7 août 1984, elle n'avait fait qu'appliquer les stipulations de l'article 20 de la convention l'autorisant à mettre fin aux relations contractuelles au cas de manquement à l'une quelconque de ses obligations par le concessionnaire ;
Que le Garage Michel, dont la situation financière n'aurait cessé de s'aggraver de 1975 à 1984, aurait vu son encours augmenter dans des proportions considérables et excéder largement le montant des cautions bancaires obtenues, par ailleurs, avec difficulté ;
Que les impayés étaient devenus fréquents, atteignant en 1984 des sommes très importantes : 879 187 F au mois d'août, situation qui, à elle seule, justifiait la résiliation de la convention ;
Qu'elle soutient, en outre, qu'aucune faute ne peut lui être imputée dans l'évolution désastreuse de cette situation et notamment la suppression des délais de paiement avec l'exigence du règlement comptant des achats qui ne sont que l'application stricte des stipulations contractuelles ;
Qu'elle fait valoir aussi que les propositions faites par le Garage Michel pour redresser la situation étaient insuffisantes ; que la résiliation était dès lors le seul moyen d'enrayer cette dégradation continue et d'éviter de se voir elle-même éventuellement déclarée responsable de l'aggravation du passif par un maintien artificiel de la survie d'une entreprise en état de dépôt de bilan ;
Qu'elle soutien enfin que le Garage Michel a accumulé les erreurs de gestion en procédant à des investissements inconséquents à Vire et en vendant des véhicules d'occasion au Mali, dans des conditions de rentabilité incertaine ;
Que, par ailleurs, les allégations du Garage Michel, selon lesquelles elle aurait favorisé les actes de concurrence du Garage Bernard et du Garage Robin en vue de l'évincer du marché, seraient dénuées de tout fondement ;
Mais considérant qu'ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges la situation financière du Garage Michel, bien qu'obérée, n'était cependant pas de nature à entraîner une défaillance de cette société dans l'exécution de ses obligations contractuelles ;
Que cette situation était d'ailleurs connue de Mercedes, et donc regardée par elle comme non préoccupante, lorsqu'elle a renouvelé le contrat de concession le 1er janvier 1984, puisqu'elle-même fait remonter le point de départ de cette évolution en 1975 ;
Que, contrairement aux affirmations de la société concédante, les banques du Garage Michel (Crédit du nord et Société Générale) ont normalement maintenu leur concours à cette société en 1984 et notamment renouvelé leurs cautions dans les mêmes conditions que les années précédentes ;
Que les débits élevés du compte du concessionnaire dans ces banques - tels que notés par Mercedes dans ses écritures - s'expliquent en partie par le fait que les chèques des sociétés de financement, auxquelles les clients faisaient régulièrement appel, n'étaient crédités au compte du concessionnaire qu'après un certain délai, de sorte que, par exemple, le débit du compte du Crédit du nord de 771 087 F au 20 mai 1984 (relevé par Mercedes dans ses écritures) n'est plus que de 24 824,42 F le 30 mai suivant, après la prise en compte des chèques susvisés ;
Qu'en fait, le nombre des impayés a dépassé la quotité habituellement admise ou tolérée par Mercedes, après les grèves de l'industrie en Allemagne, courant mai 1984, qui ont gêné l'approvisionnement des concessionnaires et, par voie de conséquence, ont bouleversé la gestion courante de trésorerie ;
Que la société concédante, consciente de cette difficulté, a, par télex du 22 mai, fait connaître à ses concessionnaires qu'en raison des grèves, elle portait de 30 à 60 jours les délais de règlement ;
Que, toutefois, d'une manière quasi simultanée, Mercedes notifiait au Garage Michel (lettre du 16 juillet) qu'elle exigeait le paiement comptant avant enlèvement (malgré les crédits fournisseurs, garantis par les cautions bancaires, consentis jusqu'alors) ;
Que cette suppression de tout crédit, contrairement à la pratique suivie pendant des années et ce, sans mise en garde préalable de nature à permettre au concessionnaire de s'adapter à la situation ainsi modifiée - décidée à un moment où, par suite de la carence de son fournisseur allemand à livrer en temps utile les véhicules commandés, la société concédante reconnaissait par ailleurs la nécessité d'allonger les délais de paiements habituels - ne pouvait qu'entraîner pour le Garage Michel des difficultés à l'origine des impayés, dont Mercedes s'est ensuite prévalue pour résilier le contrat;
Que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont, sans s'attacher strictement à la lettre du contrat, estimé que cette résiliation était fautive et qu'ils ont condamné Mercedes à réparer les conséquences préjudiciables pour le concessionnaire;
Qu'en raison du principe exigeant la bonne foi dans l'exécution des conventions, cette disposition du jugement doit être maintenue ;
Considérant, par ailleurs, que les autres arguments soulevés par Mercedes au soutien de son appel sont inopérants ;
Que, notamment, le souci manifesté par la société concédante de ne pas participer au maintien artificiel de la survie d'une entreprise, est sans objet, les actifs du Garage Michel ayant toujours été largement supérieurs à ses dettes ;
Que les erreurs de gestion alléguées à la charge du Garage Michel : création d'une station de freinage à Vire et vente de véhicules d'occasion au Mali, ne sont que des manifestations du dynamisme commercial de ce concessionnaire ; l'implantation de la station dans une ville voisine était destinée à attirer vers le Garage Michel de nouveaux clients et les ventes au Mali portant sur des véhicules d'occasion repris par le concessionnaire à la suite de l'achat, par leurs propriétaires, de camions neufs et la libre disposition et ce, afin d'écouler ces stocks de matériels improductifs en échange de moyens de trésorerie ;
Qu'enfin, quel que soit le bien ou le mal fondé des affirmations du Garage Michel quant aux faveurs dont aurait bénéficié de la part de Mercedes (et au détriment du concessionnaire) le Garage Robin (concessionnaire de la même marque dans le département voisin), il échet de constater qu'après la résiliation du contrat, c'est précisément le Garage Robin qui a repris en fait la plus grande partie de la concession dont était titulaire le Garage Michel ;
Considérant que la résiliation du contrat avant l'arrivée du terme ayant donc été décidée à tort par Mercedes, cette société est tenue d'indemniser intégralement le Garage Michel du préjudice subi ;
Considérant que, par des motifs que la Cour adopte, les premiers juges ont fait une exacte appréciation dudit préjudice et que sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'expertise sollicitée à titre subsidiaire par la société appelante, il y a lieu de confirmer de ce chef la décision du tribunal ;
Que, toutefois, ainsi que le demande le Garage Michel, il échet de dire que la somme allouée portera intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 1984, date de l'assignation, jusqu'au paiement et ce, à titre de supplément de dommages-intérêts compensatoires ;
Considérant que Mercedes, succombant en son appel et débitrice des dépens, ne peut voir accueillir ni sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ni sa demande en remboursement de frais irrépétibles ;
Considérant, par contre, qu'au vu des faits de la cause, il serait inéquitable de laisser à la charge du Garage Michel les frais non compris dans les dépens exposés par cette société en cause d'appel et que la Cour est en mesure de fixer à la somme de 10 000 F ;
Par ces motifs : Déclare la société Mercedes Benz France non fondée en son appel et sa demande additionnelle, la société Garage Michel partiellement fondée en sa demande additionnelle ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, en précisant que les intérêts au taux légal seront dus à compter du 4 octobre 1984 jusqu'au jour du paiement, à titre de supplément de dommages-intérêts ; Rejette la demande d'expertise, la demande dommages-intérêts ainsi que la prétention élevée par Mercedes Benz sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne la société Mercedes Benz à payer, de ce chef, à la société Garage Michel une somme supplémentaire de dix mille francs (10 000 F) ; Condamne la société Mercedes Benz France aux dépens exposés devant la Cour ; Autorise Mes Roblin et Chaix de Lavarene, avoués associés, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.