CA Rouen, 2e ch. civ., 23 février 1989, n° 3414-88
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Cascade (SARL)
Défendeur :
Matrol
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Marty
Conseillers :
Mme Bellamy, M. Beuzit
Avoués :
Mes Marin, Reybel
Avocats :
Mes Deray, Garrigou.
Par acte de Me Duvivier du 30 juin 1988, la société La Cascade, représentée par sa gérante Mademoiselle Lotrini, a donné en location-gérance à M. Matrol, pour un an à compter du 1er juillet 1988, un fonds de commerce de débit de boissons et restaurant qu'elle avait acquis le 29 avril 1986.
La société La Cascade ne remplissant pas les conditions prévues par l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 avait présenté au Président du Tribunal de commerce de Bernay, le 25 juin 1988, une requête pour voir abréger les délais légaux.
Par ordonnance du 1er juillet 1988, le Président dudit Tribunal avait autorisé Mlle Lotrini es-qualité de gérante à mettre le fonds en location-gérance.
La requête et l'ordonnance ont été annexées à l'acte.
Par exploit du 3 octobre 1988, M. Matrol a demandé au Président du Tribunal de commerce de Bernay, statuant en référé, de constater, faute de respect des formalités des articles 4 et 5 de la loi du 20 mars 1956, la nullité de l'acte de location-gérance, de lui donner acte de ce qu'il remettait les lieux à la disposition de la société La Cascade, et de condamner cette dernière à lui payer par provision :
- 50 000 F, montant du dépôt de garantie,
- 9 000 F, montant des frais d'acte,
- 3 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Par ordonnance rendue le 7 octobre 1988 le Président du Tribunal de commerce de Bernay a, au principal, renvoyé les parties à se pourvoir, mais par provision et vu l'urgence, rétracté l'ordonnance rendue le 1er juillet 1988, déclaré nul le contrat établi par Me Duvivier, ordonné à M. Matrol de remettre les lieux à la disposition de la société La Cascade, condamné cette dernière à rembourser à celui-ci : 50 000 F montant du dépôt de garantie, 9 000 F pour frais d'acte de location-gérance, 2 000 F au titre de l'article 700 du NCPC. Il a débouté la société La Cascade de l'ensemble de ses demandes et ordonné l'exécution provisoire de sa décision.
Autorisée par ordonnance du 10 novembre 1988, la société La Cascade a fait assigner à jour fixe M. Matrol pour voir réformer cette ordonnance, dire et juger que le Président du Tribunal de commerce statuant en référé, et, en sa qualité de juges des requêtes, à la suite d'une assignation en rétractation, est incompétent pour statuer sur la nullité du contrat de location-gérance, dire et constater que ce contrat a été conclu à la suite d'un titre exécutoire, en conséquence constater la validité dudit contrat, condamner M. Matrol à lui payer 10 000 F à titre de provision pour procédure abusive, dire qu'en aucun cas elle ne saurait être condamnée à régler 9 000 F pour frais d'acte, et condamner M. Matrol à lui payer 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Répliquant que l'ordonnance du 1er juillet 1988, rendue par un magistrat incompétent, doit être rétractée, ce qui entraîne la nullité du contrat de location-gérance, M. Matrol conclut à la confirmation de la rétractation ou, en tant que de besoin, à la rétractation de l'ordonnance du 1er juillet 1988 et au prononcé de la nullité du contrat du 30 juin 1988.
Il sollicite le remboursement des sommes de 50 000 F et 9 000 F versées en dépôt de garantie et pour frais d'acte de location-gérance, ainsi que le paiement d'une somme de 4 500 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Il demande en outre que la société La Cascade soit déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Sur ce,
Attendu que l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 prévoit que les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir été commerçants ou artisans pendant 7 années, ou avoir exercé pendant une durée équivalente les fonctions de gérant ou de directeur commercial ou technique, et avoir exploité pendant 2 ans au moins le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance.
Attendu que l'article 5 dispose toutefois que le délai prévu par l'article 4 peut être supprimé ou réduit par ordonnance du Président du Tribunal de grande instance rendue sur simple requête de l'intéressé, le Ministère Public entendu, notamment lorsque celui-ci justifie qu'il est dans l'impossibilité d'exploiter son fonds personnellement ou par l'intermédiaire d'un préposé ;
Or attendu que la société La Cascade, qui ne conteste pas qu'elle ne remplissait pas les conditions prévues à l'article 4, a présenté la requête prévue à l'article 5, au Président du Tribunal de commerce de Bernay ;
Attendu que celui-ci lui a donné l'autorisation sollicitée alors que le Président du Tribunal de grande instance était seul compétent pour supprimer ou réduire les délais nécessaires pour concéder la location-gérance;
Que saisi d'une demande de rétractation, ce qui est de sa compétence, en application des dispositions des articles 496 et 497 du NCPC, il ne pouvait en conséquence que faire droit à cette demande ;
Attendu que la décision rétractée en vertu de l'article 497 du NCPC est considérée comme nulle et non avenue;
Que le contrat du 30 juin 1988 est donc réputé avoir été conclu sans autorisation;
Or attendu que l'article 11 de la loi du 20 mars 1956 précise que tout contrat de location-gérance ne remplissant pas les conditions prévues aux articles qui le précèdent, est nul;
Attendu que cette nullité est d'ordre public et peut être invoquée par tout intéressé;
Que le Président du Tribunal de commerce, régulièrement saisi de cette action en nullité, et compétent pour statuer, s'agissant d'un litige entre deux commerçants à l'occasion de leurs rapports commerciaux, était donc fondé, statuant en référé, non pas à prononcer la nullité du contrat, ce qui est de la compétence du juge du fond, mais à la constater, pour inobservation de l'article 4 de la loi précitée, puis à en tirer les conséquences ;
Qu'il convient à cet égard d'observer que la société La Cascade ne peut sérieusement contester devoir restituer à M. Matrol le dépôt de garantie versé et les frais d'acte de location-gérance, puisqu'elle est seule à l'origine de la nullité dudit acte ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Matrol les frais non compris dans les dépens ;
Que la société La Cascade succombant en sa procédure doit en revanche être déboutée de ses demandes de dommages et intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du NCPC ;
Par ces motifs, LA COUR, En la forme, reçoit l'appel, Au fond, Confirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle déclare nul le contrat établi par Me Duvivier le 30 juin 1988, La réformant sur ce point et statuant à nouveau, Constate la nullité dudit contrat, Condamne la société La Cascade à payer à M. Matrol deux mille cinq cents francs (2 500 F) au titre de l'article 700 du NCPC pour les frais irrépétibles engagés en appel, La déboute de l'ensemble de ses demandes, La condamne aux dépens et accorde à Me Reybel, Avoué, le droit de recouvrer directement contre elle ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.