CA Paris, 25e ch. A, 16 janvier 1990, n° 88-7527
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Estée Lauder (SA), Shiseido France (SA), Clinique Laboratoires (SARL)
Défendeur :
Bernard Marionnaud (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lescure
Conseillers :
Mme Renard-Payen, M. Rostagno
Avoués :
SCP Pau-Boncour, Faure, SCP Gaultier-Kistner, SCP Bommart-Forster
Avocats :
Mes Lebel, Lardin, Tarride.
La SA Bernard Marionnaud qui exploite plusieurs magasins de parfumerie dans la région parisienne a présenté à la société Shiseido, d'une part, aux sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratoires, d'autre part, des demandes d'ouverture de comptes pour deux de ses magasins situés à Clamart et à Versailles, afin de pouvoir y distribuer leurs produits ;
Ayant vu ses demandes rejetées au motif essentiellement de la non-conformité de ces points de vente avec les critères de sélection qualitatifs de ces sociétés, la société Bernard Marionnaud les a respectivement assignées par actes du 13 mai 1987 pour voir déclarer fautif leur refus de vente fondé sur de faux prétextes, dire que chacune d'elles devrait lui consentir une ouverture de compte et la vente de ses produits sous astreinte et lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts ;
Les sociétés défenderesses ont résisté à ces actions et se sont portées demanderesses reconventionnelles en dommages-intérêts pour procédure abusive et indemnisation de frais irrépétibles ;
Le Tribunal de commerce de Paris (10e chambre), par jugement rendu le 18 mars 1988, a joint les procédures, déclaré illicite le refus de vente opposé par les sociétés susnommées à la SA Bernard Marionnaud, leur a ordonné d'accorder à ladite société une ouverture de compte et la vente de leurs produits sous astreinte de 1.000 F par jour de retard à compter de la signification du jugement, a condamné chacune d'elles à payer à la demanderesse la somme de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, débouté les parties du surplus de leurs prétentions respectives et condamné les défenderesses aux dépens ;
Les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratoires, d'une part, la société Shiseido France, d'autre part, ont interjeté appel principal de cette décision dont elles poursuivent l'infirmation ;
Les deux premières sociétés prient la cour de dire valable les contrats de sélection distributive les liant respectivement à leurs distributions agréés en France et de juger, en conséquence, que ces contrats rendent indisponibles les marchandises qui en font l'objet ; elles sollicitent la condamnation de l'intimée à payer à chacune d'elles la somme de 10.000 F en indemnisation de leurs débours non taxables ;
La société Shiseido sollicite la disjonction des procédures, faisant valoir qu'elle n'a aucun lien avec les deux autres appelantes ; elle demande à la cour de constater que les magasins ouverts à Versailles et à Clamart par la société Bernard Marionnaud ne répondent pas à ses critères de sélection ; elle conclut au rejet des prétentions de l'intimée et à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 8.500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à titre subsidiaire, elle forme une demande d'expertise ;
La société Bernard Marionnaud sollicite la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions à l'exception de celle qui a rejeté ses demandes en dommages-intérêts ; formant appel incident de ce chef, elle réclame la condamnation de chacune des appelantes principales à lui payer la somme de 100.000 F, " avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ", ainsi qu'une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 précité ;
LA COUR :
Se référant aux énonciations du jugement attaqué et aux écritures de la cause pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties ;
Considérant qu'en raison de la similitude d'objet et de cause des actions formées par la même demanderesse à l'encontre de chacune des défenderesses, c'est à juste titre que le tribunal, retenant la connexité des procédures, a ordonné la jonction ; que la demande de la société Shiseido tendant à la disjonction des causes devant la cour sera donc rejetée ;
Considérant qu'à l'appui de leur appel, les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratoires font essentiellement valoir qu'un refus de vente n'est fautif, au sens de l'article 36-1, a) de l'ordonnance du 30 juin 1945, que s'il est opposé à une demande " normale ", émanant d'un demandeur de bonne foi par un producteur, commerçant ou industriel ;
Qu'elles soutiennent qu'en l'espèce leurs produits ne sont pas juridiquement disponibles, dès lors qu'elles ont choisi un système de distribution sélective tendant à améliorer le service rendu aux consommateurs, " qui trouvent ainsi, dans le cadre luxueux souhaité, l'ensemble des produits de la fabrication, ainsi que les conseils utiles conformément aux usages de la profession " ; qu'elles prétendent en outre que les points de vente pour lesquels la société Bernard Marionnaud a formé des demandes d'ouverture de comptes ne satisfont pas à leurs critères sélectifs, la vente des produits s'effectuant en libre-service ;
Mais, considérant, que l'intimée ne dénie pas que le système de distribution sélective adopté par les appelantes soit " tout à fait conforme aux exigences normales des marques de produits de luxe " et n'en discute pas la validité ; qu'en revanche, elle conteste ne pas remplir les conditions requises pour l'agrément et, plus particulièrement la vente en libre-service dans ses magasins des produits de luxe soutenant que, pour ceux-ci, la clientèle ne se sert pas elle-même, mais a recours à des conseillères en parfumerie hautement qualifiées ;
Considérant que les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratoires, à qui il appartient de justifier de la licéité de leur refus d'ouverture de comptes à la société Bernard Marionnaud, ne rapportent pas la preuve contraire, se bornant à de simples allégations;
Que leur appel sera donc rejeté comme non fondé;
Considérant que la société Shiseido prétend, en ce qui la concerne, que son refus de vente est justifié ; qu'elle fait valoir, d'une part, que la société Bernard Marionnaud a sollicité " une ouverture de comptes " sans préciser dans quels magasins elle entendait effectuer la vente de ses produits, alors que l'appréciation des qualités des magasins du personnel se fait " point de vente par point de vente " ; qu'elle soutient, d'autre part, qu'en admettant même que cette demande s'appliquât aux magasins de Clamart et de Versailles, ceux-ci ne répondaient pas à ses critères objectifs de sélection, dès lors, notamment qu'y était pratiqué un système de distribution par libre-service, incompatible avec la vente de produits cosmétiques, nécessitant l'intervention de conseillères avisées ;
Considérant, sur le premier point, que la société Shiseido est particulièrement mal fondée à prétendre n'avoir pas su à quels points de vente s'appliquait la demande d'ouverture de comptes de la société Bernard Marionnaud, alors qu'elle produit, elle-même, deux enquêtes effectuées par ses soins à la suite d'une " demande de marque " de cette société pour un magasin situé 19, rue des Réservoirs à Versailles et pour un autre, situé 91, avenue Victor Hugo à Clamart ;
Considérant, sur le second point, que le grief formulé par la société Shiseido concernant la vente en libre service des produits de beauté est contestée par la société Bernard Marionnaud et que, pas plus que les autres appelantes, elle ne justifie du bien-fondé de ses allégations ;
Considérant que les " notations " établies par ses propres employés ne peuvent suffire à établir que les magasins de l'intimée ne répondaient pas à ses critères objectifs de sélection, qu'elle ne précise d'ailleurs pas, ce qui exclut toute possibilité de contrôle par la cour ;
Considérant, en conséquence, que cet appel n'est pas mieux fondé que les précédents et qu'il doit donc être également rejeté ;
Considérant que la société Bernard Marionnaud ne fournit pas plus devant la cour que devant les premiers juges les éléments permettant d'apprécier le préjudice que lui aurait causé les refus de vente des sociétés susnommées, que sa demande en dommages-intérêts ne peut dès lors être admise ;
Considérant, en revanche, qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge l'intégralité des débours non taxables que ces appels lui ont occasionnés ; qu'il convient de lui allouer, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les sommes ci-dessous précisées ;
Considérant que les appelantes qui succombent dans leurs prétentions, devront supporter les entiers dépens d'appel et ne peuvent, en conséquence, prétendre à l'indemnisation de leurs frais irrépétibles ;
Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu à disjonction ; Confirme le jugement attaqué, Condamne les sociétés Estée Lauder, Clinique Laboratoires et Shiseido France aux dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par la SCP Bommart-Forster, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Condamne chacune de ces sociétés à payer à la société Bernard Marionnaud une somme supplémentaire de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions.