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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 18 janvier 1990, n° 86-4407

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Nozaïque

Défendeur :

Pernaud Orliac (ès qual.), Flechon, Carasco

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gadel

Conseillers :

Mme Bezombes, M. Tailland

Avoués :

SCP Negre, SCP Capdevila, Auche, Gabolde, SCP Salvignol

Avocats :

Mes Benyoucef, Imbaud.

T. com. Montpelllier, du 25 juill. 1986

25 juillet 1986

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Courant mai 1984, Marie-France Nozaïque passait commande à Pierre Munsch d'une installation de climatisation et de chauffage pour la discothèque " L'Agora " qu'elle exploitait à Lattes en location-gérance.

Des prestations complémentaires afférentes à la ventilation étaient prévues avec la fourniture et la pose de 4 extracteurs de fumée.

L'intégralité des travaux étaient exécutés, mais Munsch ne parvenait pas à obtenir le moindre paiement. Devant une telle carence, il ne procédait pas au branchement de la centrale de climatisation.

Le 22 décembre 1984, il mettait en demeure la demoiselle Nozaïque de lui payer la somme de 312 680,60 F, puis lui faisait délivrer le 28 février 1985, une sommation dans le même sens.

Sur requête présentée par Munsch, le président du Tribunal de commerce de Montpellier, par ordonnance du 26 mars 1985, faisait injonction à la demoiselle Nozaïque de lui payer la somme de 312 680,60 F.

Sur opposition formée par la débitrice, le Tribunal de commerce de Montpellier avait, par jugement du 3 octobre 1985, ordonné une expertise confiée à M. Fassio.

A la suite du dépôt du rapport d'expertise, la même juridiction avait, par décision du 25 juillet 1986 :

- condamné la demoiselle Nozaïque à payer à Munsch la somme de 292 680,60 F avec les intérêts de droit à compter de l'assignation,

- dit que contre consignation par la demoiselle Nozaïque de la somme de 20 000 F, représentant le solde du coût des travaux, sur le compte séquestre de l'ordre des avocats de Montpellier, Munsch devrait procéder au branchement et à la mise en service des installations sous le contrôle de l'expert Fassio,

- dit qu'au vu du procès verbal de mise en service et de bon fonctionnement dressé par l'expert, Munsch serait autorisé à percevoir la somme de 20 000 F sur le compte séquestre,

- alloué à Munsch la somme de 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La demoiselle Nozaïque avait interjeté appel de cette décision.

Sur requête présentée par Munsch, le conseiller de la mise en état avait, par ordonnance du 10 mars 1987, déclaré l'appel irrecevable, mais sur déféré de la demoiselle Nozaïque, la Cour avait, par arrêt du 24 septembre 1987, annulé la signification du jugement et déclaré l'appel recevable.

Au cours de la procédure d'appel, Munsch, puis la demoiselle Nozaïque étaient déclarés en liquidation judiciaire et les deux mandataires liquidateurs, Me Pernaud Orliac pour Munsch, Me Marion pour la demoiselle Nozaïque, intervenaient dans la procédure d'appel.

En présence de la liquidation judiciaire de la débitrice, Me Pernaud Orliac ès qualités a assigné en intervention forcée Roger Carasco et Marc Flechon, propriétaires du fonds de commerces de discothèque, sur le fondement de la loi du 20 mars 1956.

Par ordonnance du 2 mars 1989, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la demoiselle Nozaïque a rejeté la requête en relevé de forclusion qui avait été présentée par Me Pernaud Orliac, mandataire liquidateur de Munsch, ce dernier n'ayant pas déclaré sa créance dans les délais.

PRETENTIONS DES PARTIES

Au dernier état de la procédure, Me Marion, agissant en qualité de liquidateur de la demoiselle Nozaïque, demande à la Cour de déclarer éteinte la créance de Munsch à son égard, de débouter son liquidateur de toutes ses demandes et de lui allouer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, au motif que par ordonnance du 2 mars 1989, le juge commissaire a rejeté la requête de forclusion présentée par le liquidateur de Munsch.

Pour sa part, Me Pernaud Orliac, mandataire liquidateur de Munsch, déclare s'en remettre à justice sur les mérites de l'appel de la demoiselle Nozaïque et conclut, sur son action en intervention forcée, à la condamnation de Carasco et de Flechon à lui payer la somme de 292 680,60 F avec les intérêts de droit à compter de la mise en demeure et celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de son recours, Me Pernaud Orliac fait plaider :

- que par application de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956, il dispose d'une action directe et indépendante vis à vis des propriétaires loueurs solidairement responsables avec le locataire-gérant des dettes contractées par lui à l'occasion de l'exploitation d'un fonds et que l'extinction de la créance de Munsch en vertu de la forclusion pour défaut de production est sans effet sur l'action directe,

- que l'admission d'une entreprise au redressement judiciaire constitue l'évolution du litige qui permet la mise en cause devant la Cour de personnes qui n'étaient ni parties ni représentées en première instance,

- en ce qui concerne l'inopposabilité à Carasco et Flechon de l'expertise judiciaire soulevée par ces derniers, qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la demoiselle Nozaïque et de la résiliation du bail de location la liant aux propriétaires loueurs, ces derniers ont vu leur fonds de commerce valorisé par les installations faites par Munsch sans avoir à débourser un seul centime, qu'ils ont donné leur fonds ainsi valorisé en location-gérance à un tiers, que l'expertise a confirmé la réalité des travaux exécutés par Munsch et que l'utilité d'une nouvelle expertise opposable à Carasco et Flechon n'apparaît pas,

- que conformément à l'article 42 alinéa 2 du décret du 23 mars 1967, les propriétaires loueurs ne peuvent opposer la cessation de leur activité pour se soustraire à leur responsabilité qu'à compter de la publication du contrat de location-gérance et qu'en l'espèce, si la location-gérance est en date du 20 juin 1984, la publication n'en a été faite que le 26 décembre 1985 alors que le contrat litigieux a été passé sous la forme d'un devis accepté le 17 mai 1984.

De leur côté, Carasco et Flechon opposent, au principal, l'irrecevabilité de l'article 555 du nouveau Code de procédure civile, subsidiairement sollicitent le débouté du liquidateur de Munsch de toutes ses demandes et demandent, en toute hypothèse, l'allocation de la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de celle de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, ils font observer :

1°) sur le champ d'application de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 :

- que pour donner lieu à l'application de ce texte, la dette considérée doit être née " à l'occasion de l'exploitation du fonds ", termes dont la Cour de cassation donne une interprétation stricte qui déroge au principe général de la relativité des conventions,

- que la jurisprudence considère que la dette doit être en proportion avec cette exploitation, ce qui a fait apparaître la notion de " dépense nécessaire ",

- que la Cour de cassation refuse d'imputer au loueur les dettes de son locataire-gérant qui ne répondent pas à une " nécessité de l'exploitation du fonds ",

- qu'en l'espèce, les travaux commandés par la demoiselle Nozaïque étaient d'une importance certaine et il n'est pas démontré que les aménagements fussent indispensables à l'exploitation du fonds, s'agissant à l'évidence d'une amélioration,

2°) sur les conséquences de l'extinction de l'obligation principale :

- qu'il est de jurisprudence constante en matière de cautionnement solidaire qu'en application de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985, la créance poursuivie contre les cautions doit être déclarée éteinte en l'absence de déclaration du créancier et de relevé de forclusion,

- que si une caution solidaire qui a accepté volontairement un engagement ne peut être tenue plus durement que le débiteur principal, a fortiori le propriétaire loueur qui n'a personnellement contracté aucune dette ne peut être tenu au-delà de l'obligation du locataire-gérant,

3°) sur l'irrecevabilité de l'intervention forcée en cause d'appel :

- que la notion d'évaluation du litige prévue par l'article 555 du nouveau Code de procédure civile constitue une dérogation au principe du double degré de juridiction et doit faire l'objet d'une interprétation stricte,

- que la mise en liquidation judiciaire de la locataire-gérante, même si elle était intervenue avant la première instance, n'aurait en rien modifié la solution donnée par les premiers juges,

- que s'il avait été normalement diligent dans la conduite de la procédure, le fournisseur aurait pu exercer son action contre les propriétaires loueurs dès la première instance et qu'il s'est lui-même privé d'une voie qui lui était ouverte,

- qu'enfin, une telle situation aurait pour corollaire de voir imputer aux propriétaires loueurs une dette dont l'existence et le montant reposent sur une expertise qui leur est radicalement inopposable,

Sur ce,

Attendu, sur la dette principale, que l'article 53 dernier alinéa de la loi du 25 janvier 1985 dispose que les créances qui n'ont pas été déclarées et n'ont pas donné lieu à relevé de forclusion sont éteintes ; qu'en l'espèce, par ordonnance du 2 mars 1989, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la demoiselle Nozaïque a rejeté la requête en relevé de forclusion présentée par Me Pernaud Orliac, mandataire liquidateur de Munsch, ce dernier n'ayant pas déclaré sa créance en temps utile ; que la créance de Munsch est donc éteinte et que le fait n'est pas contesté ; qu'il y a lieu de le constater ;

Attendu, sur la recevabilité de l'action en intervention forcée en cause d'appel dirigée à l'encontre des loueurs du fonds, que la liquidation judiciaire prononcée durant la procédure d'appel à l'égard de la locataire-gérante constitue manifestement un événement nouveau caractérisant l'évolution du litige au sens de l'article 555 du nouveau Code de procédure civile ; que l'action est donc recevable en la forme ;

Attendu, d'autre part, que si l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985 déclare éteintes toutes les créances qui n'ont pas été déclarées ou qui n'ont pas donné lieu à relevé de forclusion, cette disposition ne s'applique que dans les relations entre le créancier d'une part, le débiteur principal et les cautions d'autre part; que le loueur du fonds n'a pas la qualité de cautionet que l'action engagée en appel par Munsch est une action directe qui a pour fondement l'article 8 de la loi du 20 mars 1956, fondement totalement distinct du contrat passé entre le créancier et le débiteur principal; que les loueurs du fonds ne sauraient donc opposer au mandataire liquidateur de Munsch l'extinction de la dette principale qui est sans effet sur l'action prévue par l'article précité; que l'action est donc recevable au fond ;

Attendu, sur le caractère de la dépense engagée par la locataire-gérante, que l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 vise " les dettes contractées par le locataire-gérant à l'occasion de l'exploitation du fonds " ; que si la dépense doit être en proportion avec l'exploitation du fonds et revêtir un caractère nécessaire, il est d'évidence qu'une installation de chauffage, climatisation et ventilation est indispensable pour le fonctionnement correcte d'un établissement comme une discothèque; qu'en outre, un tel investissement profite essentiellement aux propriétaires du fonds ; que la dépense dont s'agit entre dans le cadre de la définition des dépenses contractées par le locataire-gérant à l'occasion de l'exploitation du fonds; qu'en outre, si le contrat de location-gérance a été passé le 20 juin 1984, la publication n'en a été faite que le 26 décembre 1985 alors que la dette a été contractée par la demoiselle Nozaïque suivant devis accepté du 17 mai 1984 ; que la dépense s'inscrit ainsi dans le délai prescrit par l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 pour engager la responsabilité des loueurs du fonds ;

Attendu, enfin, sur l'inopposabilité du rapport d'expertise soulevé par Carasco et Flechon, que l'injonction de payer n'a été délivrée le 26 mars 1985 à la demoiselle Nozaïque qu'après vérification de la réalité de la créance de Munsch au vu des devis et factures produits par ce dernier et que cette créance ne trouve donc pas son fondement dans le rapport d'expertise ; que si la condamnation prononcée par le tribunal à l'encontre de la demoiselle Nozaïque diffère du montant de l'injonction de payer, il convient d'observer que Munsch avait admis cette diminution de sa créance résultant des conclusions du rapport d'expertise ; que le moyen invoqué par Carasco et Flechon manque ainsi de pertinence ; qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande du liquidateur de Munsch ; qu'à défaut de sommation délivrée à Carasco et Flechon, les intérêts de droit ne sont donc dus qu'à compter de l'assignation ;

Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles exposés en appel ; que pour les motifs sus énoncés, l'action dirigée contre Carasco et Flechon ne revêt pas un caractère abusif ;

Attendu que la négligence de Munsch ou de son liquidateur étant à l'origine de la forclusion de l'admission de la créance du premier au passif de la demoiselle Nozaïque, les dépens issus de l'appel de celle-ci à l'encontre de Munsch doivent incomber à celui-ci et être passés en frais privilégiés de liquidation judiciaire ; que, par contre, les dépens de l'intervention forcée incombent à Carasco et Flechon ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel et l'action en intervention forcée dirigée contre Roger Carasco et Marc Flechon réguliers en la forme ; Vu les jugements de liquidation judiciaire à l'égard de Marie-France Nozaïque et Pierre Munsch, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Constate l'extinction de la dette de Marie-France Nozaïque à l'égard de Pierre Munsch et déboute le mandataire liquidateur de ce dernier de ses demandes dirigées à l'encontre du mandataire liquidateur de la demoiselle Nozaïque ; Déclare bien fondée l'action directe introduite par le mandataire liquidateur de Munsch à l'encontre de Carasco et Flechon; Condamne Carasco et Flechon à payer à Me Pernaud Orliac ès qualités la somme de 292 680,60 F avec les intérêts de droit à compter de l'assignation de l'une quelconque des parties ; Condamna Carasco et Flechon aux dépens d'appel, à l'exception des frais de l'appel dirigé contre Munsch qui seront passés en frais privilégié de la liquidation judiciaire de Munsch ; Autorise la SCP Capdevila, Auche, Gabolde et la SCP Negre, avoués associés, à recouvrer directement contre les parties condamnées des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.