CA Paris, 25e ch. B, 19 janvier 1990, n° 12126-87
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
de Boci (SARL), Ciuro, Bousset, Denonfoux
Défendeur :
La Lainière de Roubaix (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Conseillers :
M. Fouillade, Mme Pinot
Avoués :
Mes Olivier, Meurisse
Avocats :
Mes Espinosa, Braun.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société De Boci, par Monsieur Gérard Ciuro, par Monsieur Gilles Bousset et par Monsieur Aimé Denonfoux, d'un jugement rendu le 10 mars 1987 par le tribunal de commerce de Paris (12e chambre) qui a,
- dit que l'exception d'incompétence soulevée in limine litis par Messieurs Gérard Ciuro, Aimé Denonfoux et Gilles Bousset, recevable mais mal fondée, et s'est déclaré compétent,
- débouté la société De Boci et les personnes précitées de leurs demandes,
- condamné ladite société et ces personnes à payer à la société La Lainière de Roubaix, solidairement, les sommes de :
1 206 175,38 F en principal avec intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 1985,
les intérêts au taux légal sur la somme de 1 373 625 F pour la période du 1er août 1984 au 12 novembre 1985,
10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,
- mis les dépens à la charge des défendeurs, sous la même solidarité.
Le litige est consécutif à un contrat de franchisage conclu entre la société Prouvost Masurel, devenue la société La Lainière de Roubaix, et la société De Boci, dont les cogérants étaient Messieurs Ciuro, Bousset et Denonfoux. Il concerne d'une part une dette de la société De Boci, dont le montant est contesté et une créance indemnitaire alléguée par cette société à l'encontre de la société La Lainière de Roubaix, d'autre par la compétence du tribunal de commerce de Paris pour statuer sur la demande dirigée contre Messieurs Ciruro, Bousset et Denonfoux, lesquels, à titre subsidiaire, invoquent successivement l'inexistence et l'absence de validité des engagements de caution qui leurs sont imputés, ainsi que le montant de ces engagements.
La société De Boci, Monsieur Ciuro, Monsieur Gilles Bousset et Monsieur Aimé Denonfoux, appelants, demande à la Cour de :
- Recevoir Messieurs Ciuro, Bousset et Denonfoux en leur exception d'incompétence et, y faisant droit, de renvoyer la société La Lainière de Roubaix à se pourvoir en ce qui concerne Messieurs Ciuro et Denonfoux devant le Tribunal de Commerce de Lyon et pour ce qui est de Monsieur Bousset devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg ;
- Subsidiairement juger que Messieurs Ciuro, Denonfoux et Bousset ne peuvent être considérés comme cautions de la société Boci, la preuve de cautionnement n'étant pas rapportée par l'intimée ;
- Plus subsidiairement, juger que l'engagement de caution qui leur est prêté ne peut valoir caution ;
- Juger à tout le moins, qu'ils ne sauraient être tenus au paiement des intérêts conventionnels ;
- Juger que, relativement à l'obligation de la société De Boci, il y a compte à faire entre les parties ;
- Juger que la demande principale, compte tenu de la vente du fonds de commerce, ne saurait dépasser la somme de 998 059,13 F ;
- Juger que la société La Lainière de Roubaix a manqué à ses obligations à l'égard de la société De Boci, laquelle se trouve fondée à former à l'encontre de celle-ci une demande reconventionnelle en réparation du préjudice subi ;
- Juger que ce préjudice est égal au montant des sommes dont l'intimée se prétend créancière ;
- Ordonner en conséquence la compensation judiciaire des créances réciproques et dire que par l'effet de cette compensation, l'intimée ne saurait se prévaloir d'aucune créance ;
- Débouter l'intimée de toutes ses demandes et la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Les appelants font valoir,
1°) en ce qui concerne Messieurs Ciuro, Bousset et Denonfoux, qu'ils sont des personnes physiques non commerçantes et n'ont signé à titre personnel aucune convention attributive de compétence au tribunal de commerce de Paris ; qu'au fond, Monsieur Bousset ne saurait en aucun cas être engagé à titre de caution ; que les prétendus cautionnements ne sont pas prouvés conformément aux articles 1326 et 2015 du code civil ; qu'ils ne sont pas valables car, portant sur une somme indéterminée, l'acte juridique les constatant devrait porter, écrit de la main des cautions, une mention exprimant de façon explicite et non équivoque la connaissance qu'elles ont de la nature et de l'étendue de l'obligation contractée ; qu'en ce cas, une mention manuscrite reste nécessaire même s'il s'agit d'un dirigeant social, ce qui fait défaut en l'espèce ; que le tribunal de commerce de Paris a fait une fausse application des règles de droit en condamnant les cautions à payer les intérêts dus au titre de la convention ; qu'il résulte enfin de la jurisprudence que l'engagement de la caution ne s'entend pas au paiement des intérêts conventionnels de la dette, sauf dans l'hypothèse où la caution s'y est engagée expressément de sa main ;
2°) en ce qui concerne la société De Boci, que les intérêts et agios sur la somme de 133 136,04 F n'ont jamais été convenus entre les parties ni dans leur principe ni quant au taux d'intérêts et au mode de calcul ; que les intérêts prétendument courus à compter du 1er août 1984 et qui ne peuvent être inclus dans le capital, ne doivent pas non plus être pris en compte ; qu'il s'ensuit que la créance de la société De Boci est de 998 054,13 F ; que cette société a commis deux fautes, engageant sa responsabilité, l'une en invitant le franchisé à ouvrir une nouvelle franchise sans lui fournir le dossier prévu à l'article 1er du contrat, l'autre en manquant à son obligation de conseil prévue à l'article 2 a) du contrat ; que le préjudice qui en résulte est égal au montant des factures dues, soit 998 059,13 F ; qu'en effet si la société La Lainière de Roubaix n'aurait pas aujourd'hui les difficultés financières que l'on connaît et qui l'ont contrainte à céder son fonds de commerce à bas prix ;
La société La Lainière de Roubaix, intimée, conclut à la confirmation du jugement entrepris et, dans des écritures signifiées le 9 septembre 1987, demande que la somme due à cette date pour intérêts de la somme de 1 206 175,38 F produise elle-même des intérêts à partir de cette même date jusqu'au paiement des condamnations prononcées ;
Cela étant exposé, LA COUR,
Considérant que, le 26 juin 1981, la société Prouvost Masurel, ancienne dénomination de la société La Lainière de Roubaix, a conclu avec la société De Boci, un contrat par lequel la première consentait à la seconde une franchise pour l'exploitation d'un commerce de prêt-à-porter à Strasbourg ; que ce contrat a été signé par Messieurs Ciuro, Bousset et Denonfoux, alors cogérants de la société De Boci ; que cette société ayant éprouvé des difficultés pour régler ses factures d'achat, sa dette à l'égard du franchiseur s'est accrue progressivement ; que, devant l'importance de cette dette, la société La Lainière de Roubaix, par lettre du 29 mars 1984 a mis en demeure la société De Boci de lui régler la somme de 1 318 802,75 F ; que cette mise en demeure a été réitérée les 1er et 21 août 1984 pour un montant de 1 376 175,13 F ; qu'une copie de mise en demeure du 21 août 1984 a été envoyée à chacun des trois cogérants, es-qualité, en les priant de régler la somme due ; que, pour réduire sa dette, la société De Boci a vendu son fonds de commerce à la société La Lainière de Roubaix pour un prix de 600 000 F ; que celle-ci a du régler en outre, pour un montant de 432 550,28 F des sommes faisant l'objet d'oppositions sur le prix de vente ; que, de ce fait, sa créance alléguée s'est élevée, à la suite de la cession du fonds, à la somme de 1 206 175,38 F en principal (1 372 625 = 432 550,28 - 600 000) ; que c'est dans ces conditions qu'elle a demandé au tribunal de commerce de Paris la condamnation de la société De Boci et, conjointement et solidairement, de Messieurs Ciuro, Bousset et Denonfoux pris en qualité de cautions, à lui payer la somme de 1 206 175,38 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et des intérêts sur la somme de 1.373.625 F à compter du 1er août 1984 ;
1) Sur la demande dirigée contre la société De Boci,
Considérant que les parties sont d'accord pour admettre qu'après imputation du prix de vente du fonds et du montant des oppositions, la dette de la société De Boci née du seul défaut de règlement des factures s'élève à 998 059,13 F ; que la différence entre cette somme et celle qui est réclamée par la société La Lainière de Roubaix, soit 210 566,38 F provient d'agios dont la société De Boci ne s'estime pas redevable ;
Considérant qu'il ne résulte ni du contrat de franchisage ni d'autres documents contractuels liant les parties que celles-ci aient convenu du paiement d'agios en cas de retard dans le règlement des factures ; que la société La Lainière de Roubaix ne saurait valablement tirer argument en sens contraire, de l'acceptation par la société De Boci, dans une lettre du 28 octobre 1983, du paiement de frais d'agios à propos du règlement partiel d'une collection d'été, non plus que de l'absence de protestation de la part de cette société lorsque les 29 mars, 1er et 21 août 1984, elle a reçu des mises en demeure de paiement de solde de factures faisant apparaître des agios, alors même qu'en sollicitant dans la lettre du 21 août 1984, l'acquiescement correspondant sur le principe même du remboursement n'existait pas réellement ; que des agios ne pourraient être exigés que si les parties s'étaient mises expressément et clairement d'accord sur l'obligation de les payer, sur les taux et sur le mode de calcul ; que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a inclus les agios litigieux d'une part dans la somme de 1 206 175,38 F due en principal, d'autre part dans celle de 1 373 625 F servant d'assiette à des intérêts au taux légal pour la période du 1er août 1984 au 12 novembre 1985, cette dernière somme devant être ramenée à celle de 1 016 058,70 F (1 373 625-210 566,38) ;
Considérant que la société De Boci estime que la responsabilité de l'intimée doit être retenue, d'une part pour avoir violé les obligations contractuelles préalables à la mise en place de la franchise, d'autre part parce qu'elle n'a pas respecté son obligation de conseil pendant la phase d'exécution du contrat ;
Considérant, sur le premier point que la société De Boci fait grief au directeur commercial pour la région Est de la société La Lainière de Roubaix de l'avoir invitée fermement à étendre à la clientèle masculine la vente de vêtements que le contrat de franchisage ne prévoyait que pour la clientèle féminine, sans lui fournir le dossier prévu à l'article 1er du contrat et contenant les éléments d'appréciation permettant au franchisé de prendre sa décision en connaissance de cause ;
Mais considérant que la société De Boci n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses assertions ; qu'elle ne justifie ni de la demande du directeur commercial, ni de la suite qu'elle lui aurait donnée ; qu'au demeurant l'article 1er du contrat est relatif à l'ouverture d'un point de vente et non à l'extension d'un point de vente existant ; qu'il s'ensuit que le premier grief formulé par la société De Boci n'est pas fondé ;
Considérant, sur le second point, que la société De Boci reproche à la société La Lainière de Roubaix de l'avoir encouragée à procéder à des achats intempestifs alors qu'elle connaissait ses difficultés, notamment par le retour d'effets impayés, ce qui aurait du l'inciter à lui donner des conseils de modération, conformément à l'article 2 a) du contrat qui prévoit que le franchiseur s'engage à fournir l'aide et la collaboration de ses services commerciaux et de promotion des ventes et de ses conseillers de gestion ;
Mais considérant que ce même article 2 a) stipule que le franchiseur intervient à la demande du franchisé ; que la société De Boci n'a jamais sollicité l'aide et les conseils de son franchiseur ; qu'elle n'est donc pas fondée à se plaindre de l'abstention de celui-ci; que par ailleurs l'article 5 du contrat dispose que le franchisé, " demeurant commerçant indépendant, reste seul juge des décisions et assume seul la direction de son entreprise " ; que dès lors la société La Lainière de Roubaix aurait méconnu cette disposition essentielle pour la liberté du franchisé en n'honorant pas des commandes que celui-ci prenait seul en vertu de son pouvoir souverain de gestion ; qu'en conséquence, le second grief formulé par la société De Boci n'est pas plus fondé que le premier et que ses demandes de dommages et intérêts et de compensation ne peuvent être admises ;
2) Sur la demande dirigée contre Messieurs Ciuro, Bousset et Denonfoux,
Considérant que Messieurs Ciuro, Bousset et Denonfoux ont, avant toute défense au fond, décliné la compétence du tribunal de commerce de Paris pour connaître de l'action engagée contre eux par la société La Lainière de Roubaix ; qu'ils soulèvent à nouveau cette exception d'incompétence devant la Cour ; que l'incompétence dont ils se prévalent est de nature territoriale ; qu'ils demandent en effet à la Cour de désigner les juridictions commerciales dans le ressort desquelles ils demeurent ;
Considérant qu'aux termes de l'article 42 alinéa 1er du nouveau code de procédure civile, " la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur " ; que l'article 48 du même code dispose : " Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à laquelle elle est opposée ;
Considérant, que, selon l'intimée, les engagements de caution de Messieurs Ciuro, Bousset et Denonfoux, résultent, d'une part du contrat de franchisage, d'autre part du post-scriptum d'une lettre du 11 août 1983 dans laquelle, sous la signature de Madame Bousset, la société De Boci s'engage à solder ses dettes à l'égard de la société La Lainière de Roubaix ;
Considérant que le contrat de franchisage a été conclu par la société Prouvost Masurel, représentée par son secrétaire général, et par la société De Boci, représentée par ses cogérants, Messieurs Gérard Ciuro, Aimé Denonfoux et Gilles Bousset ;
Considérant que les post-scriptum à la lettre du 21 août 1983 est ainsi rédigé :
" PS : bien entendu, les associés de la société De Boci se portent caution solidaire pour l'apurement du passif de celle-ci
l'associé G. Ciuro, l'associé A. Denonfoux ;
Considérant qu'au vu de ces deux documents, il apparaît que les personnes auxquelles l'intimée attribue la qualité de cautions n'étaient pas commerçantes au moment où elles ont signé ces documents, la condition de gérant ou d'associé n'impliquant pas en elle-même celle de commerçant ; que dès lors, conformément à l'article 48 précité, aucune clause dérogeant aux règles de compétence territoriale ne peut leur être opposée pour des engagements personnels ; qu'au surplus, il convient de relever que la lettre du 21 août 1983 ne contient aucune clause de cette nature ;
Considérant, en conséquence que le tribunal de commerce de Paris, s'est déclaré à tort compétent pour connaître de l'action dirigée contre Messieurs Ciuro, Denonfoux et Bousset ; qu'en ce qui concerne les deux premiers d'entre eux, demeurant respectivement 13 Montée Génévéfains à Lyon 69005 et 83 avenue Pitaon à Villeurbanne 69100, il convient de désigner la Cour d'Appel de Lyon et, en ce qui concerne le troisième, qui demeure 24 place des Halles à Strasbourg 67000, la Cour d'Appel de Colmar, le tout par application de l'article 79 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile ;
3) Sur l'anatocisme :
Considérant que la dette contractuelle de la société De Boci s'est élevée à la somme de 1 163 058,70 F pour la période du 1er août 1984 au 12 novembre 1985 ; que son montant a été ensuite de 998 059,13 F ; que les intérêts au taux légal sont dûs, sur la première de ces deux sommes, à compter du 1er août 1984, date de la mise en demeure, jusqu'au 12 novembre 1985, et sur la seconde à compter du 12 novembre 1985, date à laquelle la créance de l'intimée s'est trouvée réduite par suite de l'achat du fonds de commerce de l'appelante ; que la demande de capitalisation présentée par l'intimée dans ses écritures signifiées le 9 septembre 1987 ne peut dès lors concerner que les intérêts afférents à ces deux sommes successives et non à celle de 1 206 175,38 F ;
Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris ; Désigne la Cour d'Appel de Lyon pour connaître de l'action intentée par la société La Lainière de Roubaix contre Messieurs Gérard Ciuro et Aimé Denonfoux et la Cour d'appel de Colmar pour statuer sur celle qui est dirigée contre Monsieur Gilles Bousset ; Condamne la société De Boci à payer à la société La Lainière de Roubaix la somme de neuf cent quatre vingt dix huit mille cinquante neuf francs treize (998 059,13 F) pour la période du 1er août 1984 au 12 novembre 1985 ; Dit que les intérêts ci-dessus, échus et dus au moins pour une année entière, produiront eux-mêmes des intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 1987, date de la demande de capitalisation ; Rejette les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société La Lainière de Roubaix aux dépens de première instance et d'appel en ce qui concerne l'action dirigée contre Messieurs Ciuro, Denonfoux et Bousset, dépens qui pourront être recouvrés directement, pour ceux qui le concernent, par Maître Olivier, dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile ; Fait masse des autres dépens de première instance et d'appel qui seront supportés pour les deux tiers par la société De Boci et pour le reste par la société La Lainière de Roubaix et qui pourront être recouvrés directement, pour ceux qui les concernent, par les avoués de la cause, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.