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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 8 février 1990, n° 1902-88

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Daret Automobiles (SA)

Défendeur :

Société d'exploitation des Établissements Richard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Forget

Conseillers :

Mme Chagny, M. Monin-Hersant

Avoués :

Me Bommart, SCP Jullien & Lecharny

Avocats :

Mes Reynaud, Bourgeon

T. com. Versailles, 2e ch., du 14 déc. 1…

14 décembre 1988

Faits et procédure

La société Daret Automobiles est appelante d'un jugement du 14 décembre 1988 du Tribunal de Commerce de Versailles qui a déclaré nulle la clause d'exclusivité insérée au contrat de concession la liant à la Société d'Exploitation des Établissements Richard (Sté Richard) mais l'a déboutée de sa demande en dommages-intérêts, a condamné la Société Richard à lui verser 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour avoir modifié brutalement les conditions de paiement de 5 000 F à titre d'indemnité de procédure.

Elle soutient que le contrat de concession exclusive conclu pour une année est nul comme contraire à la réglementation européenne ; que la renonciation à l'exclusivité de marque qu'a faite la société Richard le 1er octobre 1985 est tardive et inopérante comme laissant subsister l'exclusivité territoriale contraire au traité de Rome ; que la nullité de la clause d'exclusivité impulsive et déterminante entraîne la nullité de l'entier contrat ; elle estime que cette nullité qui l'a privée d'une chance d'obtenir la concession des véhicules Nissan pendant une année, durée du préavis de dénonciation imposé par la norme européenne lui a causé un préjudice égal à sa marge brute annuelle, sauf expertise, soit 1 356 500 F ;

Elle soutient encore que la société Richard qui l'a irrégulièrement privée d'enseigne et a modifié unilatéralement et brutalement les conditions de paiement des véhicules et des pièces détachées lui a causé un préjudice de 250 000 F.

Elle sollicite en outre 30 000 F à titre d'indemnité de procédure.

La société Richard soutient qu'elle a renoncé à la seule clause nulle au regard du droit européen, à savoir la clause d'exclusivité de marque prévue à son profit ; qu'à tout le moins la nullité a les mêmes effets que la renonciation et qu'elle n'a pas annuler le contrat, n'ayant été impulsive et déterminante que pour elle et non pour la société Daret ; elle soutient en outre que la société Daret qui a en fait été déliée de toute exclusivité au vu des pièces produites le préjudice ne pourrait être supérieur à 678 200 F et ne pouvait avoir été subi que pendant 6 mois.

Elle soutient encore que la société Daret a refusé la pose de l'enseigne et qu'elle même, sur les conditions financières n'a fait qu'appliquer la convention des parties.

Elle sollicite 30 000 F pour frais de procédure.

L'ordonnance de clôture est du 8 janvier 1990.

La société Daret a le 10 janvier 1990 communiqué une note en présence à la contre-étude de marge produite le 2 janvier par la société Richard ; celle-ci en demande le rejet des débats.

Sur ce, LA COUR

Considérant que la pièce produite après la clôture doit être rejetée des débats ;

I - Sur les effets de la réglementation européenne sur la validité du contrat

Considérant que par contrat du 2 janvier 1985 conclu pour une année, non renouvelable tacitement, la société Richard s'est engagée à concéder à la société Daret la vente exclusive des véhicules Nissan et Ebro dans la région de Bordeaux, s'obligeant à une exclusivité territoriale, et la société Daret s'est engagée à vendre seulement ces deux marques de véhicules, s'obligeant à une exclusivité de marque ;

Considérant que le 26 juin 1985 la société Richard a fait connaître à la société Daret son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles en 1986 ;

Considérant que par lettre datée du 1er octobre 1985 la société Richard a délié la société Daret de l'exclusivité de marque ;

Considérant qu'il est acquis que l'article 85-3 du traité de Rome et le règlement CEE n° 123-85 portant application de cet article sont applicables au contrat liant les deux sociétés Richard et Daret ;

Considérant que le règlement communautaire était applicable au 1er juillet 1985 et autorisait la régularisation des contrats en cours jusqu'au 1er octobre 1985; que par dérogation à l'interdiction de principe des concessions exclusives, il autorise les clauses d'exclusivité sous réserve notamment que les contrat aient une durée minimale de 4 ans ou, s'ils sont à durée indéterminée, qu'ils prévoient un préavis d'une année;

Considérant que le contrat en litige d'une durée d'un an, contenant la double exclusivité territoriale et de marque et venant à échéance au 31 décembre 1985 n'était pas conforme au règlement communautaire, sauf à établir qu'à compter du 1er octobre 1985 les parties étaient en situation de libre concurrence ;

Or considérant que la société Richard n'a cru devoir délier son cocontractant de l'exclusivité de marque qu'à cette date du 1er octobre 1985 ; qu'il en résulte que la société Daret était à ce jour encore liée par son obligation d'exclusivité et que le contrat n'était pas sur ce point conforme au traité de Rome ;

Considérant en tout état de cause, que la société Richard restait liée au-delà de cette date par son obligation d'exclusivité territoriale à laquelle la société Daret n'a pas renoncé ; que le contrat, qui n'avait pas été mis en conformité avec la réglementation européenne, restait contraire au principe de la libre concurrence et en conséquence, à l'article 85-1 du traité de Rome ;

Considérant que les clauses restrictives de concurrence sont entachées d'une nullité d'ordre public qui peut être invoquée par l'une ou l'autre partie ;

Considérant que la clause par laquelle la société Richard s'est engagée à ne pas proposer de véhicules Nissan ou Ebro dans un secteur déterminé de la Région de Bordeaux a été pour la société Daret qui a organisé son exploitation en fonction de cet avantage, la cause impulsive et déterminante de son engagement; que la nullité de la clause entraîne en conséquence la nullité du contrat;

Considérant qu'en fonction de la nouvelle réglementation la société Daret pouvait espérer sinon l'obtention d'un contrat de 4 ans qu'elle ne revendique plus ou la prolongation du contrat pendant une année qui aurait nécessité la signature d'une nouvelle convention refusée par la société Richard, du moins l'obtention d'un préavis de 6 mois alors qu'il est constant que la société Richard a, malgré ses demandes, refusé de mettre, dans les délais impartis, le contrat en conformité avec la législation devenue applicable; que ce refus est fautif, la tentative faite le 1er octobre 1985 en ce sens étant tardive et inopérante qu'il a généré pour la société Daret qui s'est vu prématurément pendant 6 mois retirer l'exclusivité de marque un préjudice que la société Richard doit réparer ;

Considérant que la Cour n'a pas en l'état les éléments suffisants pour fixer le montant de ce préjudice, mais seulement pour fixer à 300 000 F la provision à valoir ; qu'il échet de recourir à une mesure d'expertise ;

II - Sur la réalité des infractions contractuelles

2 - 1. L'enseigne

Considérant que le contrat prévoyait la pose par le concédant d'une enseigne publicitaire en façade du local du concessionnaire ; que l'enseigne posée par la société Richard en Avril 1985 s'est avérée non conforme à la réglementation municipale ; qu'elle a été déposée le 10 août en exécution d'une injonction de la Mairie de Bordeaux ; que cette dépose ne peut être imputée à faute à la société Richard, même si la Mairie avait accordé un délai jusqu'au 30 septembre, dans la mesure où la société Richard a donné ordre par télex du 6 septembre de faire reposer une enseigne conforme à la réglementation ;

Considérant qu'il est constant que la société Daret a refusé la pose de l'enseigne de remplacement en soutenant, sans en justifier, que l'enseigne proposée pourtant conforme à la réglementation était d'un ancien modèle, différente de celle posée chez les autres concessionnaires ; que la société Richard à l'encontre de laquelle aucune faute n'a été prouvée ne saurait être condamnée à dommages et intérêts ;

2 - 2. La modification des conditions de paiement

Considérant que la caution de la BNP dont bénéficiait la société Daret à hauteur de 500 000 F couvrait les sommes dues en exécution du contrat de concession soit les sommes relatives à l'achat des véhicules, pièces détachées, ensembles et accessoires ; que la caution bancaire incluait le paiement des véhicules et des pièces détachées ; que les conventions écrites prévoyaient encore le paiement à 30 jours des seules pièces détachées ;

Considérant que la société Richard reconnaît avoir consenti implicitement pendant plusieurs mois le dépassement de la caution bancaire et le paiement à 30 jours des véhicules neufs qu'elle est revenue sur cette pratique en Mars 1985 pour les véhicules, puis en octobre 1985 pour les pièces détachées dont elle a en outre exigé le paiement comptant ; qu'elle n'a pu justifier, pour motiver cette modification défavorable à son cocontractant, d'aucune défaillance de celui-ci et ne lui a accordé aucun délai ; que le Premier Juge a justement retenu la brutalité fautive et non motivée de la modification d'une pratique commerciale constante, la réalisation du préjudice qui en est résulté pour la société Daret qui a du rechercher rapidement des moyens de financement plus onéreux et la fixation, au vu des éléments produits, à 50 000 F de ce préjudice ;

Considérant que la société Daret ne justifie pas d'un préjudice plus important, notamment d'un préjudice commercial ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société Daret la charge totale de ses frais irrépétibles d'appel qu'une somme de 15 000 F lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a : - dit que la clause d'exclusivité territoriale est frappée de nullité, - condamné la société Richard à verser 50 000 F à la société Daret pour changement brutal des conditions de paiement et 5 000 F à titre d'indemnité de procédure, - condamné la société Richard aux dépens, Le réformant sur le surplus : - annule le contrat du 2 janvier 1985 aux torts de la société Richard, - condamne la société Richard à réparer le préjudice qui en est résulté pour la société Daret jusqu'au 30 juin 1986, Avant dire droit sur le montant de ce préjudice, - Ordonne une expertise, - Commet pour y procéder : Monsieur Foures André, 209 Rue Fondandèze à Bordeaux (33), ou à défaut : Monsieur Lassus Georges, 82 avenue de Tivoli (33110) Le Bouscat, avec mission de : - prendre connaissance de tous documents utiles, - donner tous éléments de nature à permettre l'évaluation du préjudice subi par la société Daret du fait du retrait prématuré de 6 mois de l'exclusivité de vente dans le secteur initialement fixé des véhicules Nissan et Ebro, Dit que la société Daret devra consigner au greffe de la Cour une provision de 10 000 F à valoir sur le honoraires de l'expert avant le 15 mars 1990, faute de quoi il sera passé outre à l'expertise, qui sera caduque, Dit que l'expert devra déposer rapport de ses opérations à ce même greffe dans les 6 mois à compter du jour où il aura reçu notification du dépôt de la consignation sauf prorogation accordée par le Conseiller de la mise en état sur demande motivée, Condamne la société Richard à verser à titre provisionnel une somme de 300 000 F à la société Daret, Condamne la société Richard à verser à la société Daret une somme de 15 000 F à titre d'indemnité de procédure, La condamne en outre aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.