CA Orléans, ch. solennelle civ., 8 mars 1990, n° 993-86
ORLÉANS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Barbey (ès qual.), Garage de la Poste (Sté)
Défendeur :
Automobiles Peugeot (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
M. Caitucoli
Président de chambre :
M. Sorlin
Conseillers :
MM. André, de Lamotte, Zanghellini
Avoués :
Mes Borbier, Duthoit
Avocats :
Mes Meresse, Chresteil.
Faits, Procédure et prétentions des parties :
Par contrat du 2 janvier 1980, la SARL " Garage de la Poste ", représentée par son gérant Monsieur Lucien Munoz, dont le siège social est à Renage (Isère) a obtenu de la société des Automobiles Talbot, la concession de la vente des véhicules automobiles Talbot, la concession de la vente des véhicules automobiles (Talbot-Simca dans diverses communes de l'Isère pour une durée de trois ans.
Le capital de cette société était réparti entre Monsieur Lucien Munoz et son père, Daniel Munoz.
Aux termes du contrat de concession p. 2 I " le droit de revente implique de la part du concessionnaire l'engagement d'acheter les produits de la société, de ne pas distribuer ni s'intéresser directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, à la vente ou à l'exploitation de véhicules neufs d'autres marques ".
" le concessionnaire s'interdit formellement en dehors de la zone de ventes susmentionnée : ...
toute création ou prise de contrôle, directe ou indirecte, d'établissements de vente, ou de réparation automobile, quelle qu'en soit la marque, de même que toute prise de participation dans le capital de sociétés exploitant lesdits établissements ".
P 9 XIX :
" la société ou ses mandataires auront le droit de résilier ce contrat de concession par pli recommandé avec accusé de réception dans le cas où le concessionnaire aurait contrevenu à l'une quelconque des dispositions de ce contrat.
Il est précisé que la société aura préalablement attiré l'attention du concessionnaire sur les contraventions au contrat et aux engagements souscrits ".
P 10 XX "reprise du stock pièces détachées "
" Dans le cas ou du fait de la société, le concessionnaire cesserait de bénéficier d'un contrat, la société s'engage à reprendre au concessionnaire, sur la demande de celui-ci, son stock de pièces détachées dans la limite du stock minimum prévu par la société ... "
Parallèlement à ces conventions, suivant contrat de concession renouvelé au 2 janvier 1980 ; la société Anonyme " le Garage des Alpes " à Voiron était concessionnaire des mêmes marques pour une autre zone de vente.
Les actions de cette société étaient réparties entre les mains entre autres des membres de la famille Munoz.
Par lettre recommandée du 15 décembre 1980, la société " Le Garage des Alpes " a notifié à la société Peugeot la résiliation du contrat de concession.
En janvier 1981, le Garage des Alpes est devenu concessionnaire à Voiron des automobiles Renault de concert avec la Société Anonyme " Société Automobiles Voironnaise " (SAV).
Le 10 janvier 1981 est paru dans la publication " les Affiches de Grenoble et du Dauphiné " l'insertion suivante à propos de la SAV :
" Délibérations des actionnaires et du Conseil d'administration du 2 janvier 1981 :
- nomination en qualité d'administrateurs de Monsieur Daniel Munoz.. et de Monsieur Lucien Munoz...
- nomination en qualité de Président Directeur Général de Monsieur Daniel Munoz... "
Le 17 janvier 1981, la même revue publiait l'avis suivant : " rectificatif à l'insertion n° 124 du 10 janvier 1981 concernant le SAV 2ème alinéa : ... nouveaux administrateurs Monsieur Daniel Munoz, société Garage des Alpes (au lieu de Monsieur Lucien Munoz) représentée par Madame Daniel Munoz... "
Par lettre recommandée du 28 janvier 1981, la société Anonyme des Automobiles Peugeot, venant aux droits de la société des Automobiles Talbot a résilié avec effet immédiat le contrat de concession consenti au bénéfice du Garage de la Poste,
Elle a invoqué la publication légale du 10 janvier 1981 établissant selon elle la violation du pI du contrat de concession.
Le 10 février 1981, le Garage de la Poste répondait :
" comme suite à votre courrier en date du 28 janvier 1981 et conformément à l'article XXI b du contrat de concession régionale de produits automobiles, je vous demande la reprise de mon stock de pièces détachées Talbot".
Par acte du 24 février 1981, le " Garage de la Poste " assignait devant le Tribunal de Commerce de Paris, les sociétés Peugeot et Talbot en résiliation aux torts de ces dernières du contrat de concession et en réparation des préjudices subis et paiement du solde du stock.
Par jugement du 13 mars 1981, le Tribunal de Commerce de Grenoble a prononcé la liquidation des biens du Garage de la Poste.
Suite à l'assignation du 24 février 1981 et à la procédure de liquidation sont intervenus à la procédure pendante devant le Tribunal de commerce de Paris, Maître Barbey, syndic de la liquidation de la société le Garage de la Poste, Messieurs Lucien et Daniel Munoz.
Par jugement du 23 mars 1982, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes de Maître Barbey et de Messieurs Lucien et Daniel Munoz.
Par arrêt du 30 mars 1984, la Cour d'appel de Paris, statuant sur l'appel diligenté par ces derniers, a :
- déclaré fautive la résiliation de la part de la société Peugeot,
- avant de statuer sur la réparation des préjudices, ordonné une expertise et condamné la société Peugeot à payer à Maître Barbey une provision de 500 000 F,
- débouté Messieurs Daniel et Lucien Munoz de leurs prétentions formées à titre personnel.
L'expert, Monsieur Ronfort, a déposé son rapport le 16 avril 1985,
Sur pourvoi de la société Peugeot, par arrêt du 25 février 1986, la Cour de Cassation a cassé et annulé le précédent arrêt dans les conditions suivantes :
" Attendu que, pour infirmer le jugement déféré qui avait rejeté la demande en dommage intérêts dirigée contre la SA Peugeot pour résiliation abusive du contrat de concession, la Cour d'Appel énonce que la publication parue le 10 janvier 1981 a fait apparaître que par suite d'une délibération des associés de la SAV en date du 2 janvier 1981 Daniel Munoz et Lucien Munoz étaient devenus administrateurs de cette société ; mais qu'une insertion rectificative parue dans le même journal le 17 janvier 1981 a fait ressortir que les nouveaux administrateurs de SAV étaient en réalité Monsieur Daniel Munoz et la société Garage des Alpes, que cette rectification est conforme au Procès-verbal de délibération des associés qui n'est pas argué de faux ;
" Attendu qu'en statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel SA Peugeot soutenait que la copie du Procès-verbal de l'assemblée générale versée aux débats par les demandeurs faisait apparaître que la mention de la désignation du Garage des Alpes en tant qu'administrateur figurait en caractères différents de ceux de l'ensemble du document et que de toute évidence, elle avait été insérée par la suite, la Cour d'Appel en affirmant que SA Peugeot n'arguait pas ce procès-verbal de faux, a dénaturé les conclusions de SA Peugeot et violé le texte susvisé ;
" par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen ni sur les premier, troisième, quatrième et cinquième branches du second moyen :
Casse et Annule, en ce qu'il a déclaré fautive la résiliation du contrat de concession du 2 janvier 1980 de la part de SA Peugeot et désigné un expert chargé de rechercher les éléments permettant d'apprécier l'importance du dommage entraîné par cette résiliation, l'arrêt rendu le 30 mars 1984, entre les parties, par la Cour d'Appel de Paris ".
Par arrêt du 25 mai 1989, la présente Cour, désignée comme Cour de Renvoi, a ordonné le versement aux débats des registres des assemblées générales litigieuses.
Il a été satisfait à cette demande.
Maître Barbey, Messieurs Lucien et Daniel Munoz ont demandé à la Cour :
- d'infirmer le jugement,
- de dire que la société Peugeot a fautivement rompu le 28 janvier 1981 le contrat de concession venant à terme le 31 décembre 1982,
- de condamner la société Peugeot à leur payer les sommes de :
* 2 768 800 F correspondant à la marge brute que devait réaliser la société le Garage des Alpes,
* 1 229 812 F correspondant à l'insuffisance d'actif résultant de la liquidation de la même société,
* 109 813,56 F correspondant à une partie du stock repris et impayé,
* 451 692 F correspondant à la perte sur fonds de commerce,
* 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
ils ont fait valoir :
- que la société Peugeot dénature les faits, qu'il n'est pas établi que le Garage de la poste ait envisagé " de travailler pour la concurrence " ou de mettre un terme au contrat de concession,
- que Monsieur Lucien Munoz n'a jamais été en fait ou en droit administrateur de la SAV,
- que l'insertion du 10 janvier 1981 était seulement affectée d'une erreur matérielle et qu'elle a été rectifiée le 17 janvier 1981,
- que la société Peugeot n'a pas respecté l'article 19 du contrat en n'adressant pas préalablement à la résiliation la mise en demeure prévue,
- qu'il appartenait à la société Peugeot conformément à l'article 20 du contrat de vérifier le stock.
La société Peugeot a, de son côté, demandé à la Cour :
- la confirmation du jugement,
- le rejet de toutes les prétentions des appelants,
elle a fait valoir :
- que l'arrêt du 30 mars 1984 n'a pas été cassé en ses dispositions relatives aux demandes de Messieurs Daniel et Lucien Munoz que ces derniers ne peuvent intervenir devant la Cour,
- que la société le Garage de la Poste a formellement avoué le bien-fondé de la résiliation, en demandant seulement la reprise du stock des pièces de rechange, en ne formalisant une contestation que tardivement, en faisant surcharger les registres des délibérations de la SAV,
- que la procédure de mise en demeure préalable n'était pas nécessaire et que son défaut n'est pas fautif et n'entraîne en toutes hypothèses aucun préjudice,
- que les demandes de réparations, à titre subsidiaire, sont exagérées,
- que sur le stock de pièces de rechange il n'est plus rien dû ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise.
Discussion :
Sur la recevabilité des demandes de Messieurs Lucien et Daniel Munoz :
Aux termes de l'article 624 du nouveau Code de Procédure Civile :
" la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui Conseil de Prud'hommes-titue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ".
Messieurs Daniel et Lucien Munoz n'ont pas formé de pourvoi contre les dispositions de l'arrêt rendu le 30 mars 1984 qui ont rejeté leurs demandes présentées à titre personnel.
L'arrêt de la Cour de cassation précise que la cassation est limitée aux dispositions de l'arrêt ayant déclaré fautive la résiliation du contrat de concession et désigné un expert.
Dans ces conditions, Messieurs Lucien et Daniel Munoz ne sont plus recevables à agir dans la présente procédure.
Sur la résiliation du contrat de concession :
Le procès-verbal de l'assemblée générale de la SAV tenue le 2 janvier 1981 précise :
" Première résolution :
l'assemblée générale nomme en remplacement en qualité d'administrateurs à compter de ce jour :
* Monsieur Daniel Munoz,
* La Société Anonyme " Garage des Alpes " au capital de 100 000 F représentée par Madame Geneviève Munoz...
Monsieur Daniel Munoz et Monsieur Lucien Munoz, présents à la réunion, déclarent accepter les fonctions qui viennent de leur être confiées ".
Il résulte de cette résolution une contradiction manifeste ; cette contradiction ne peut trouver une explication que par la surcharge dont est manifestement affectée la mention relative à la nomination de la Société Anonyme " le Garage des Alpes " en qualité d'administrateur.
De plus, aux termes de Procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la SAV du 12 décembre 1980 qui a précédé de quelques jours l'assemblée :
" Le Président informe les membres du Conseil que :
... Monsieur Paul Blanc lui a fait part de céder les 213 parts qu'il possède dans la société à Monsieur Lucien Munoz. "
" Monsieur le Président demande en conséquence au Conseil... d'autoriser lesdites cessions d'action et d'agréer les cessionnaires proposés.
Après en avoir délibéré, le Conseil, à l'unanimité, décide d'autoriser les cessions d'actions ci-dessus visées et agréés d'ores et déjà en qualité de nouveaux actionnaires ...
La société Garage des Alpes...
Monsieur Daniel Munoz.
Monsieur Lucien Monoz. "
La preuve est donc rapportée que Monsieur Lucien Munoz a manifestement bien contrevenu aux dispositions du chapitre I du contrat de concession qu'il avait signé en qualité de représentant de la " société le Garage de la Poste ", en prenant des intérêts dans un garage concurrent,
Que devant les incidences de cette prise de participation sur le contrat de concession en question il a tenté de faire procéder aux manœuvres litigieuses.
Au demeurant, la preuve de l'existence de cette faute a été implicitement reconnue par Monsieur Lucien Munoz qui à la réception de la lettre du 18 janvier 1981 a seulement demandé remboursement du stock, et qui dans son acte introductif d'instance n'a pas discuté les motifs invoqués par la société Peugeot mais a invoqué des moyens tout à fait différents.
Quoi qu'il en soit, à supposer que la société Peugeot ait commis une faute en n'adressant pas la mise en demeure prévue au contrat,
Cette faute n'est pas susceptible d'avoir causé un préjudice au Garage de la Poste,
La gravité des fautes commises par son gérant actionnaire Lucien Munoz justifiant en toutes hypothèses la résiliation.
Il s'ensuit que le jugement doit être confirmé.
Sur la valeur du stock :
L'expert analyse p. 30 à 33 de son rapport les prétentions des parties relatives au montant de ce stock ;
Il retient les explications de la société Peugeot selon lesquelles une part des pièces ont été rejetées ou " rebutées " pour différentes causes ;
Il souligne que l'estimation initiale du garage est purement théorique puisque basée sur des listings adressés par le concessionnaire.
Il n'est pas établi que l'évaluation faite par le concédant soit contraire aux clauses du contrat de concession.
Il s'ensuit en l'état de ces explications et faute d'éléments complémentaires, que la preuve n'est pas rapportée que l'intégralité des pièces du stock " non rebutées " n'a pas été réglée.
Dès lors, la demande de la société le Garage de la Poste doit être rejetée.
Décision :
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Déclare irrecevables les demandes présentées par Messieurs Lucien et Daniel Munoz, Confirme le jugement, Y ajoutant,, Rejette la demande relative au paiement du solde du stock de pièces détachées, Condamne Lucien et Daniel Munoz et Maître Barbey aux entiers dépens de première instance et d'appel exposés tant devant la Cour de Paris que devant la présente Cour, Accorde à Maître Duthoit le droit prévu par l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.