Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 26 mars 1990, n° 89-001865

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Trastour et Compagnie (SNC)

Défendeur :

Parfums Christian Dior (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

M. Poullain, Mme Mandel

Avoués :

SCP Teytaud, Me Valdelievre

Avocats :

Mes Bartoli, Triet.

T. com. Paris, 7e ch., du 22 nov. 1988

22 novembre 1988

LA COUR, Statuant sur l'appel formé le 4 janvier 1989 par la SNC Trastour et Cie d'un jugement du Tribunal de Commerce de Paris (7e Chambre) du 22 novembre 1988 rejetant sa demande tendant à la réparation du préjudice résultant du refus d'agrément de la société Parfums Christian Dior dans son réseau de distribution sélective, ensemble sur les demandes des parties au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

A- Propriétaire à Antibes d'un fonds de commerce de parfumerie et soins de beauté créé en 1978 qu'elle exploite sous l'enseigne " Marie-Astrid ", la SNC Trastour et Cie (ci-après Trastour) a, alors que sa boutique était en cours d'aménagement, pris contact avec la société Parfums Christian Dior qui lui faisait savoir le 16 mai 1978 que sa demande d'agrément ne pourrait être examinée qu'après l'ouverture de son magasin qui a eu lieu le 20 octobre suivant.

Mais dès le 5 mai 1978 la demande avait été enregistrée sous le n° 31 et le 13 novembre la société Parfums Christian Dior (ci-après Dior) adressait à Trastour un questionnaire à lui retourner rempli accompagné de photographies de la vitrine et des aménagements intérieurs du magasin, en précisant à la demanderesse que sa réponse n'implique aucun engagement de la part de Dior, " sinon celui d'examiner (son) dossier dans le cadre des nombreuses demandes ... reçues en 1977 et 1978 ".

Après réception du questionnaire renvoyé le 18 novembre 1978, Dior faisait connaître à Trastour que son dossier serait étudié dans l'ordre chronologique des demandes nombreuses reçues antérieurement.

Sa demande n'étant toujours pas satisfaite en octobre 1982, Trastour faisait intervenir son conseil et par lettre du 20 octobre 1982, Dior lui ayant adressé à nouveau son questionnaire, demandé de nouvelles photos aux fins d'actualisation de son dossier, et annoncé la visite de son représentant " sans engagement de notre part " était-il précisé Mme Trastour disait espérer un règlement à l'amiable de " ce litige " et rappelait avoir fourni depuis 1979 un dossier complet ajoutant que sa parfumerie " remplit tous les critères de la distribution sélective " et est agréée par des grandes marques.

Le 27 novembre 1982 le représentant de Dior après visite du magasin remplissait un formulaire de notation faisant apparaître un " standing " très inférieur au minimum exigé par Dior et celle-ci écrivait le 15 décembre 1982 à Trastour " ... le nouvel examen de votre dossier ne permet pas de juger votre demande comme recevable car votre magasin ne répond pas aux critères de standing que nous exigeons des magasins que nous ouvrons actuellement. Ceci concerne notamment :

- la propreté de la façade,

- l'aménagement et le décor de la vitrine,

- l'aménagement intérieur : vitrines, mobilier, rayonnages, qui ne sont pas suffisamment luxueux pour permettre la mise en valeur de nos produits ".

Le 16 mai 1986, Trastour qui n'avait élevé aucune protestation, faisait délivrer à Dior une sommation interpellative à laquelle il était répondu que la demande d'agrément serait reconsidérée si Trastour justifiait avoir apporté à son magasin des améliorations susceptibles de correspondre aux conditions exigées de ses distributeurs agréés.

Le 16 juillet 1986, Dior retournait à Trastour la commande et le chèque adressés par celle-ci et lui demandait à nouveau, en vue d'un éventuel examen de son dossier, si les transformations avaient été faites dans son magasin, lettre restée sans réponse.

C'est dans ces conditions que le 16 juillet 1987, Trastour faisait assigner Dior devant le Tribunal de Commerce de Paris aux fins d'obtenir la condamnation à une indemnité de 220.000 F et une somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en invoquant le préjudice que lui aurait causé tant le refus injustifié d'agrément de la défenderesse dans son réseau de distribution sélective que le refus de vente.

Par le jugement déféré du 22 novembre 1988, rappelant le principe de la licéité de la distribution sélective et estimant que Dior, qui n'a pas exercé de pratiques discriminatoires à l'encontre de Trastour, a justifié son refus d'agrément par des critères objectifs et que le refus de vente découlant du refus d'agrément était en l'espèce licite, le Tribunal a rejeté comme mal fondées les demandes de Trastour et l'a condamnée à payer à Dior une somme de 10.000 F pour ses frais non récupérables de procédure.

B - Trastour, qui a relevé appel le 4 janvier 1989, demande à la Cour par infirmation intégrale du jugement, de juger anormal le refus d'agrément de cette société qui avait la charge de prouver la licéité du procédé de distribution adopté à son égard et a fait preuve d'une discrimination injustifiable, de dire que le refus de vente ne pouvait être justifié que par l'anomalie de la commande ou la mauvaise foi de l'acheteur dont la preuve incombait à Dior qui ne l'a pas rapportée.

L'appelante reprend devant la Cour sa demande de 220.000 F de dommages-intérêts et de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. A titre subsidiaire, elle sollicite une expertise sur la qualité des locaux en cause.

C - Dior conclut à la confirmation du jugement, demande qu'il soit jugé qu'elle établit la licéité de son réseau de distribution sélective dans l'ensemble des conventions s'y rapportant et que son refus de vente est justifié tant au regard de l'article 37 de l'Ordonnance du 30 juin 1945 que de l'article 10 de l'Ordonnance du 1er décembre 1986. Elle forme enfin une demande de 25.000 F pour ses frais non taxables de défense.

DISCUSSION

Considérant que Trastour fait essentiellement grief au jugement déféré :

1°) d'avoir tenu pour établi le bien fondé et l'objectivité du procédé de distribution de Dior en se référant à un précédent jugement du 8 février 1982, lequel ne lui est pas opposable et n'a pas l'autorité de la chose jugée à son égard,

2°) d'avoir estimé justifié un refus d'agrément en fait non motivé pendant 4 années de silence constituant un rejet implicite puis par des critères non objectifs, les raisons dénoncées étant en partie erronées ou non conformes aux mentions de la fiche de visite établie par le représentant de Dior dont Trastour n'a eu connaissance qu'après la citation et la seule notion de standing étant trop imprécise pour pouvoir être opposée à un revendeur spécialisé déjà agréé par un nombre important de marques ;

Mais considérant que ces critiques ne sont pas justifiées ; que la référence à un précédent jugement n'a été faite qu'après un examen sérieux des principes jurisprudentiels d'admission des contrats de distribution sélective et de la procédure d'instruction mise au point par Dior pour s'y conformer, procédure dont le bien fondé et l'objectivité ont été reconnus par le jugement cité du 8 février 1982 ; que le Tribunal a ensuite expressément dit les raisons pour lesquelles cette procédure appliquée en l'espèce avait amené Dior à refuser son agrément pour des motifs estimés suffisants puisque " le déroulement chronologique de la procédure d'agrément engagée avec Trastour montre qu'il n'y a eu ni fraude ni discrimination subjective à l'égard de Trastour, discrimination qui aurait été contraire aux principes généraux sur la libre concurrence " ;

Considérant qu'ainsi ce premier grief fait au jugement doit être écarté comme mal fondé ;

Considérant que sans s'attarder à la longue discussion sur la licéité du système de distribution sélective qui n'est pas sérieusement mise en doute par l'appelante, il convient de noter que le contrat-type proposé par Dior à ses distributeurs répond à la double exclusivité admise par la jurisprudence française aussi bien que communautaire ; d'une part, le choix du fournisseur s'établit en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif sans discrimination et sans limitation quantitative injustifiée, tandis que d'autre part le revendeur est libre de fixer le prix de vente de ses produits, le contrat s'appliquant aux produits de luxe de grande marque que sont les parfums Dior;

Qu'il ressort du questionnaire adressé au postulant à l'entrée dans le réseau des distributeurs agréés de Dior que cette société a mis au point pour l'instruction des demandes un formulaire qui lui permet d'apprécier le standing du magasin dont les aménagements et l'environnement ne doivent pas déprécier ses produits, ce en fonction d'éléments standard et d'après un système de notation préétabli faisant référence à des critères économiques, des critères qualitatifs relatifs au magasin (importance de la façade, vitrines, propreté du magasin et des produits ...), des critères relatifs à la compétence professionnelle du demandeur et de son personnel, à leur connaissance des produits Dior, aux marques présentées et à la qualité de la présentation; que l'objectif est de permettre au consommateur de trouver chez le distributeur agréé, dans un cadre qui les met en valeur, tous les produits de la gamme dans le meilleur état de fraîcheur et de présentation, en bénéficiant en outre d'un service de démonstration et de conseil ;

Considérant qu'en l'espèce Trastour n'est pas fondée à se plaindre d'un refus implicite d'agrément alors qu'il n'est pas établi qu'au cours des " 4 années de silence " relevées l'examen de sa demande ait été différé pour des raisons discriminatoires, Dior ayant insisté sur le nombre de demandes antérieures qu'elle devait examiner et sur le fait qu'elle en suivait l'ordre chronologique, étant observé que la demande ne pouvait être prise en compte avant l'ouverture du magasin puisqu'une visite des lieux s'imposait ;

Qu'il apparaît normal qu'après un délai de 4 ans Dior ait tenu à avoir des renseignements actualisant la demande ; que la visite à laquelle elle a alors fait procéder a conduit à des constatations dont l'exactitude ressort des photographies mises aux débats et conduisant au rejet de la demande en raison de la notation très insuffisante qui s'en est dégagée ;

Considérant que si les exigences de Dior sont apparues à Trastour excessives eu égard à celles d'autres marques qui l'ont agréée, il peut apparaître surprenant qu'elle ait attendu 1986 pour réagir par une sommation interpellative et tenter de contraindre Dior à lui livrer une commande de produits pour la distribution desquels l'agrément lui avait en 1982 été refusé ; qu'elle ne rapporte pas la preuve d'avoir fait l'objet d'une discrimination qui justifiait la condamnation pour le préjudice résultant de la faute de Dior, étant rappelé qu'il appartient au fabricant et à lui seul de définir ses propres critères de sélection et que Dior reste maître du choix du niveau auquel elle entend placer la distribution de ses produits;

Considérant que son refus pour les motifs par elle invoqués n'apparaît pas fautif ; que le 2e grief fait au jugement n'est pas davantage que le premier établi ; qu'en effet si la boutique, dont les aménagements sont relativement récents, est située sur une voie particulièrement favorable au commerce, les normes minimales fixées par le questionnaire de Dior n'étant pas atteintes, cette dernière a pu légitimement estimer que le cadre ne convenait pas au prestige de sa marque ;

Que Trastour n'étant pas agréée ne saurait être fondée en sa demande relative au refus de vente qui lui a été opposé ;

Considérant que le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il a rejeté les demandes de Trastour ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser supporter à Dior l'intégralité des frais de défense qu'elle a dû exposer ; qu'à la somme de 10.000 F exactement appréciée par le Tribunal, il convient d'ajouter pour ceux engagés devant la Cour une somme justifiée de 5.000 F ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement déféré du Tribunal de Commerce de Paris (7e Chambre) du 22 novembre 1988 en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, condamne la société Trastour et Cie à payer à la Société Parfums Christian Dior, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une somme complémentaire de 5.000 F ; La condamne aux dépens d'appel et admet Me Valdelievre, avoué, au recouvrement direct prévu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.