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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 5 avril 1990, n° 2056-89

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Disco (Sté)

Défendeur :

Moyrand (ès qual.), Marketing Alimentaire (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Doze

Conseillers :

Mme Monteils, M. Jauffret

Avoués :

Me Robert, SCP Merle-Doron

Avocats :

Mes Smadja, Roux.

T. com. Pontoise, du 8 nov. 1988

8 novembre 1988

Ayant projeté de créer un supermarché dans la région parisienne Monsieur Alain Bruche son fils et Madame Houis ont au cours de l'année 1985 établi des contacts avec différents groupes de distribution et notamment avec la société Disco.

La société Disco lui signala l'existence à Pantin d'un local commercial de plus de 500 m2 dont le propriétaire était la société d'HLM de Pantin.

Ce local, qui était inoccupé depuis deux ou trois ans, avait été créé pour l'exploitation d'un supermarché.

L'exploitation avait cessé à la suite du décès accidentel du couple qui l'exploitait.

Monsieur Bruche, son fils et Madame Houis constituèrent une société dénommée Marketing Alimentaire et prirent à bail le local au prix de 150 000 F.

Ils prétendent avoir pris leur décision au vu d'un document intitulé " Etude de Marché " et portant à la première page les indications suivantes : " Groupe Printemps-Prisunic ", " chaîne Timy 400 supermarchés de Pays " et à la dernière page l'indication " Groupe Disco ".

Par acte du 6 septembre 1985 il fut établi un contrat d'affiliation signé par Monsieur Bruche agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de gérant de la société Marketing alimentaire et la société Disco, ce contrat ayant pour objet d'assurer l'intégration de l'affilié dans la chaîne de distribution franchisée du groupe Disco.

Bien que s'étant conformé au plan qui lui avait été soumis par Disco, tant en ce qui concerne le mode de financement que l'exploitation, la société Marketing Alimentaire se trouva rapidement dans l'impossibilité de payer une grande partie des marchandises livrées.

Par lettre du 18 mars 1986 alors que l'exploitation avait débuté le 1er octobre 1985 Disco Gros va exiger un paiement comptant à compter du 12 mars 1986.

Pour tenter de survivre, Marketing Alimentaire s'adressera à d'autres fournisseurs malgré l'interdiction qui lui en était faite par le contrat d'affiliation.

Enfin par jugement du Tribunal de Commerce de Bobigny fut ouverte une procédure de redressement judiciaire et la liquidation judiciaire était prononcée par jugement de ce même Tribunal du 20 janvier 1988.

Antérieurement à cette décision la société Marketing Alimentaire avait par acte d'huissier du 20 novembre 1987 saisi le Tribunal de Commerce de Pontoise d'une demande tendant sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil à la condamnation de la société Disco Gros, à laquelle elle reprochait d'avoir procédé à une étude pseudo scientifique totalement erronée, le paiement de la somme de 2 000 000 F à titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 8 novembre 1988 le Tribunal de Pontoise a condamné Disco Gros à payer à Maître Moyrand qui était intervenu aux débats la somme de 2 000 000 F plus celle de 3 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

La société Disco Gros a relevé appel de ce jugement.

Moyens des parties

La société Disco Gros qui demande à titre principal le déboutement de Maître Moyrand et à titre subsidiaire la compensation entre la somme à laquelle elle pourrait être condamnée et sa créance qui s'élève à 1.536.888,99 F soutient l'argumentation suivante :

I - En ce qui concerne l'étude de marché

Cette étude n'ayant pas été commandée par Marketing Alimentaire constitue un document interne et non contractuel.

D'autre part le rédacteur de cette étude ne pouvait pas s'engager sur les chiffres d'affaires prévisionnels qu'il proposait comme objectifs n'étant pas l'exploitant du magasin.

Par ailleurs cette étude ne pouvait pas avoir incité Marketing Alimentaire à contracter avec Disco Gros, le contrat d'affiliation ayant été signé le 6 septembre 1985 et étant concomittant de la remise de l'étude de marché en août 1985.

En outre cette étude de marché était à l'abri de toute critique.

Enfin et surtout il résulte de la jurisprudence constante qu'il appartient au concessionnaire de se renseigner de son côté.

II - Les responsabilités de Marketing Alimentaire

C'est à tort que le Tribunal a estimé que Disco Gros ne justifiait d'aucune faute de gestion de la part de Marketing Alimentaire alors qu'il peut être reproché à cette société :

- de ne pas avoir adopté un plan de financement raisonnable,

- de ne pas avoir fait établir un plan de trésorerie, une situation comptable et une étude de rentabilité après les premiers incidents de paiement,

- d'avoir délégué la gestion du magasin à un directeur augmentant ainsi la masse salariale,

- d'avoir accepté un loyer trop élevé par rapport au chiffre d'affaires,

- d'avoir commis des négligences dans la tenue du magasin,

- de ne pas avoir fait appel pour le rayon boucherie à un responsable compétent.

III - Sur les impayés

Disco Gros fait essentiellement valoir que les impayés représentaient une somme de 1.536.888,99 F et que Marketing Alimentaire n'aurait pas accepté de consentir à Disco Gros un nantissement sur son fonds à la date du 10 juillet 1986 si elle avait tenu Disco Gros pour responsable de sa situation financière à l'époque.

Maître Moyrand a conclu à la confirmation de la décision entreprise et à la condamnation de la société Disco Gros au paiement de la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur l'étude de marché

Il fait essentiellement valoir que l'étude du marché a été remise à Monsieur Bruche afin précisément que celui-ci puisse décider en pleine connaissance de cause de la création de la société Marketing Alimentaire et de son affiliation au groupe Disco Printemps.

L'étude de marché d'août 1985 contenait des renseignements erronés et était déraisonnablement optimiste.

Sur le comportement de la société Disco Gros

La société Disco Gros a très rapidement exigé des paiements comptants et a ainsi plus que largement contribué aux problèmes financiers ayant engendré le dépôt de bilan de Marketing Alimentaire.

Sur le préjudice

Le préjudice a été justement évalué par le Tribunal à 200.000 F.

Sur la relation entre la date et le préjudice, elle est certaine.

Sur la compensation la demande est irrecevable

La société Disco Gros a répliqué de la façon suivante :

1) L'action engagée contre elle était fondée sur l'article 1382 et c'est à tort que le Tribunal a considéré que l'étude de marché faisait partie du contrat d'affiliation,

2) C'est dès le 1er juillet 1985 que Monsieur Bruche a signé le bail le liant à l'OPHLM de Pantin alors que la remise de l'étude de marché n'a été faite qu'au mois d'août 1985.

3) Que le montant du loyer étant de 150.020 F et l'usage voulant que le montant du loyer ne dépasse pas 1,5 % du chiffre d'affaires il en résulte que Monsieur Bruche prévoyait un chiffre d'affaires de 10.000.000 F sensiblement égal à celui de 11.000.000 F prévu par l'étude de marché.

4) Que la société Disco Gros n'avait pas à intervenir dans la réalisation du chiffre d'affaires de la société Marketing Alimentaire.

5) Que les mesures prises par Disco Gros à l'encontre de la société Marketing Alimentaire étaient prévues par le contrat et que la société Marketing Alimentaire n'a jamais protesté contre l'application de ces mesures.

Maître Moyrand a répondu :

1) l'étude de marché a été remise à Monsieur Bruche avant la signature du bail

2) l'étude de marché a un caractère contractuel.

3) Le loyer de 150 000 F figure dans le plan de financement compris dans l'étude de marché

4) Du fait du contrat d'affiliation Disco Gros régentait la majeure partie de l'activité de Marketing Alimentaire.

Discussion

Considérant que les parties versent aux débats chacun un exemplaire d'un même document intitulé Etude de Marché ;

Que l'exemplaire produit par Disco Gros comporte le nom du rédacteur et également une date Août 1985 alors que l'exemplaire produit par Maître Moyrand ne comporte pas ces mentions ;

Que la société Disco Gros soutient qu'il s'agit là d'un document interne ; Que Maître Moyrand soutient que même si ce document n'a été remis à Monsieur Bruche qu'au mois d'août 1985, ses caractéristiques essentielles ont été portées à sa connaissance avant même la remise matérielle du document, précisément pour l'inciter à signer un bail avec l'OPHLM de Pantin et à installer dans les lieux un supermarché Timy ;

Considérant que Marketing Alimentaire s'estimant recevable et bien fondée à demander réparation du préjudice qui lui a été causé par la société Disco Gros, par application des dispositions de l'article 1382 du Code Civil a saisi le Tribunal de commerce de Pontoise d'une demande tendant à la condamnation de la société Disco Gros en paiement de la somme de 2 000 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Que le Tribunal modifiant le fondement de la demande a par son jugement du 8 novembre 1988 estimé que l'étude de marché faisait partie du contrat d'affiliation, lequel prévoit qu'en cas de résiliation l'affilié devra une indemnité égale à 5 % du chiffre d'affaires qui aurait du être réalisé selon l'étude de marché ;

Considérant que Maître Moyrand qui est intervenu dans la procédure en sa qualité de liquidateur de la société Marketing Alimentaire soutient que l'étude de marché du mois d'août 1985 est un document contractuel ;

Que la société Disco Gros le conteste faisant valoir qu'il s'agir d'un document interne l'étude de marché n'ayant pas été commandée par la société Marketing Alimentaire et n'était pas jointe au contrat ;

Considérant que la référence à l'étude de marché faite dans le contrat d'affiliation n'en fait pas un document contractuel, mais établit seulement qu'il avait été donné connaissance de ce document au futur affilié avant la signature par lui du contrat d'affiliation ;

Considérant au surplus que le dispositif du jugement dont la confirmation est demandée condamne la société Disco Gros au paiement de dommages-intérêts sans autre précision ;

Considérant que la seule question qui se posait aux premiers juges et qui se pose à la Cour est celle de savoir si en remettant au futur affilié une étude prévoyant un chiffre d'affaires qui n'a pas pu être atteint, la société Disco Gros a commis une faute engageant sa responsabilité pré-contractuelle et justifiant sa condamnation au paiement de la somme de 2 000 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que même si le bail signé le 1er juillet 1985 par la société Marketing Alimentaire est antérieur à la remise à Monsieur Bruche de document intitulé Etude de marché daté du mois d'août 1985 et dont Monsieur Bruche reconnaissait avoir eu connaissance au cours de ce mois, il est certain que les renseignements contenus dans ce document ont eu une influence sur la décision prise par les associés de la future société Marketing Alimentaire d'accepter de s'affilier à la chaîne Disco Gros ;

Considérant qu'il n'est pas établi que l'étude de marché du mois d'août 1985 était destinée à tromper les futurs contractants ;

Considérant que pour démontrer qu'elle contenait des erreurs, la société Marketing Alimentaire invoque une nouvelle étude faite par la société Disco Gros le 6 mars 1987 et prévoyant un chiffre d'affaires révisé à la baisse pour les années 1987, 1988 et 1989, et résultat avant impôt négatif pour ces trois années - s'élevant respectivement à -110 KF, - 60 Kf et - 40 KF alors que le compte d'exploitation prévisionnel joint à l'étude de marché de 1985 prévoyait pour les trois premières années d'exploitations + 57,98 KF, + 113,37 KF et + 170,57 KF ;

Mais considérant que l'auteur de l'étude du 6 mars 1987 disposait d'éléments certains puisqu'il avait à sa disposition les chiffres réalisés par la société Marketing Alimentaire ;

Qu'il ne résulte pas de cette étude que la société Disco Gros ait commis des erreurs dans le budget prévisionnel même s'il est certain que le calcul du chiffre d'affaires envisagé apparaît particulièrement optimiste ;

Considérant que le Tribunal a retenu que la société Disco Gros n'apportait pas la preuve que la société Marketing Alimentaire avait commis des fautes de gestion et que notamment le fait que le plan de financement n'ait pas été suivi était sans influence ;

Mais considérant que c'est dès le mois de février 1986, soit quelque mois après le début de l'exploitation la société Marketing Alimentaire était dans l'impossibilité de régler les approvisionnements fournis par Disco Gros ;

Que c'est la raison pour laquelle la société Disco Gros a exigé un paiement comptant et menacé la société Marketing Alimentaire de cesser les approvisionnements, menace mise à exécution en mars 1987 alors que Marketing Alimentaire devait à Disco Gros plus de 1 500 000 F ;

Qu'il apparaît évident qu'une telle situation a pour origine l'insuffisance de trésorerie de la société Marketing Alimentaire qui n'avait pas sollicité le prêt bancaire prévu au plan de financement et que la société Marketing Alimentaire qui avait utilisé sa trésorerie comme moyen d'investissement ne disposait plus des fonds lui permettant d'assurer l'exploitation ;

Que la société Disco Gros a proposé à Marketing Alimentaire un prêt de 1 007 097,07 F remboursable en 4 ans, prêt qui a été refusé, la société Disco Gros exigeant la continuation du contrat d'affiliation pendant la durée du prêt et la société Marketing Alimentaire estimant cette condition inacceptable ;

Que les difficultés rencontrées par la société Marketing Alimentaire pour payer ce qu'elle devait sont à l'origine de la modicité du chiffre d'affaires réalisé par la société Marketing Alimentaire ;

Que la société Marketing Alimentaire n'établit pas que la société Disco Gros ait manqué aux obligations résultant pour elle du contrat d'affiliation ;

Que s'il est vrai que Disco Gros a dans un premier temps modifié les conditions de paiement et a par la suite totalement supprimé ses livraisons, c'est en raison du non paiement par la société Marketing Alimentaire des livraisons antérieures ;

Que la société Disco Gros n'a fait qu'appliquer les clauses contractuelles ;

Que le Tribunal a affirmé que la société Disco Gros ne justifiait pas du lien de cause à effet entre l'absence d'un emprunt bancaire et l'absence de réalisation du chiffre d'affaires prévu ;

Que cependant il est certain que la raréfaction et la surpression des livraisons par Disco Gros sont la conséquence du manque de trésorerie de la société Marketing Alimentaire, et que la raréfaction puis la suppression des livraisons par le fournisseur exclusif ont eu nécessairement une influence sur la baisse du chiffre d'affaires ;

Considérant en définitive que le fait que le chiffre prévisionnel indiqué dans l'étude de marché de la société Disco Gros n'ait pas été atteint ne peut suffire à établir la responsabilité de cette société dans les difficultés commerciales rencontrées par Marketing Alimentaire;

Que la société Marketing Alimentaire ne conteste pas les chiffres sur la base desquels cette étude a été faite, mais seulement le chiffre d'affaires prévu à partir de ces chiffres ;

Considérant que la société Marketing Alimentaire avait à sa disposition tous les éléments nécessaires pour déterminer à partir des éléments fournis, dont l'exactitude n'est pas contestée, le chiffre d'affaires qui pouvait être obtenu ;

Que contrairement à ce que prétend la société Marketing Alimentaire, la société Disco Gros n'a pas pris à sa charge une obligation de résultat mais une obligation de moyens, s'engageant à mettre à la disposition de la société affiliée les conseils et l'aide que la compétence de ses services étaient en mesure de lui apporter;

Que si Disco Gros était incontestablement intéressée au bon fonctionnement du fonds de commerce exploité par la société Marketing Alimentaire il n'est pas possible de considérer qu'elle était, du fait de ses interventions et de sa qualité de fournisseur unique, responsable de la bonne marche de l'entreprise ;

Considérant que les mesures prévues par Disco Gros à la suite du non paiement dès le premier mois d'exploitation des marchandises qu'elle avait livrées ne peuvent lui être reprochées, ces mesures étant prévues par le contrat d'affiliation ;

Que bien plus, devant le manque de trésorerie évident de la société Marketing Alimentaire elle a proposé de consentir à cette société un prêt lui permettant d'apurer sa dette remboursable à 4 ans ;

Que considérant que la société Marketing Alimentaire qui n'a pas voulu ou pas publicité s'adresser à un organisme bancaire susceptible de lui procurer les fonds qui étaient nécessaires à la continuation de son exploitation a considéré la proposition de la société Disco Gros comme un " diktat " la société Disco Gros demandant des garanties et la continuation du contrat d'exploitation jusqu'à la date de remboursement de la dernière échéance du prêt ;

Qu'il n'est pas établi que la société Disco Gros se soit désintéressée de la situation de la société Marketing Alimentaire ; qu'en effet à la demande de cette dernière société elle a fait établir une nouvelle étude au mois de mars 1987 prenant en compte les résultats effectifs réalisés depuis le début de l'exploitation ;

Qu'il n'est pas établi que la société Disco Gros ait commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle et encore moins sa responsabilité quasi délictuelle les deux parties étant liées par un contrat et les deux responsabilités ne pouvant se cumuler ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 novembre 1988 par le Tribunal de Commerce de Pontoise; Déboute Maître Moyrand es-qualités de ses demandes; Le Condamne à rembourser à la société Disco Gros devenue la société Disco les sommes qu'il a reçues au titre de l'exécution provisoire; Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation des biens et accorde à Maître Robert, avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.